vendredi 31 décembre 2004

Radios

Pour un blog consacré pour une bonne part à la musique, la tentation de se mettre aux radios-blog était trop forte. Vous pouvez donc en trouver 3, à droite, en milieu de colonne.

Pot-Pourri

C'est celle qui bougera le plus, selon l'humeur du moment, et le billet en cours. Pour l'instant, en l'honneur du réveillon, j'ai mis quelques valses...

Jazz

La liste est divisée en trois parties:
- la première heure rend hommage au label Blue Note, avec quelques exceptions, mais toujours dans l'esprit Bop (années 1956-1967); même les néophytes reconnaîtront certains tubes, connus parfois sous des vêtements plus récents.
- la seconde heure explore des chemins plus modernes et plus aventureux, où le rythme tient une place importante.
- la troisième heure enfin n'utilise que des disques que j'ai achetés cet automne 2004.

Dark Side

Le magazine bimensuel D-Side édite pour chaque numéro un CD sampler. J'ai fait ma propre sélection pour les années 2002, 2003 et 2004, ce qui donne 6 heures de techno, coldwave, gothique, electronica ou autre revival eighties... Cette radio est progammée en "shuffle", la liste est donc générée au hasard à chaque lancement.

Pour toute demande de précision sur tel ou tel morceau, n'hésitez pas à poster des commentaires !

mercredi 15 décembre 2004

... Ce qui arrive ... (Cité de la Musique - 14 Décembre 2004)

"Un Léviathan énigmatique" annonce la compositrice Olga Neuwirth, dans le riche livret, production "Festival d'Automne à Paris" oblige. Espace mis en scène de façon inédite (les musiciens de l'Ensemble Modern sont alignés sur la gauche et la droite de la scène, encadrant l'écran central où sera projetée la vidéo de Dominique Gonzalez-Foerster), éclairage novateur (de petites rampes de lampes multicolores surplombent les musiciens vétus de blanc, les baignant dans des ambiances colorées codées en fonction de la vidéo, en une sorte de prolongement, et qui aide à structurer l'ensemble), titre tiré d'une exposition de Paul Virilio, textes écrits et récités par Paul Auster, l'appreillage autour de cette oeuvre est impressionnant. Un peu trop, peut-être, quand on considère le résultat.

La musique de Olga Neuwirth se divise en trois grandes parties : des étendues étales lentement fluctuantes (qui évoquent plus Rihm que Ligeti); des moments plus vifs, qui empruntent à un peu tous les styles, par exemple une clarinette Klezmer, ou une petite fanfare de bastringue ; enfin, quand l'héroine de la vidéo, Georgette Dee, se met à chanter, on est dans la pure copie directe de Brecht, sans caricature ni hommage.
Sur la vidéo, Georgette Dee, sur une plage, s'agite, s'amuse avec quelques accessoires, pousse quelques chansons. Des trucages vidéos variés modifient continuellement la couleur du ciel, des vagues, donnant une impression de flottement temporel, puisque jour et nuit, beau temps et orage, semble se télescoper calmement.
Par-dessus tout ça flotte la voix quasiment ininterrompue de Paul Auster, qui lit des extraits du "Carnet rouge" et du "Diable par la queue" (en anglais of course, et sans traduction). Il a une belle voix assez basse, que Neuwirth parfois modifie un peu électroniquement, et ballade par spatialisation, ou, cliché plus énervant, coupe en boucle sur un mot ou un morceau de phrase.

Ca dure une heure. Certains peuvent trouver ça relaxant (les lumières douces, la vidéo tranquille, la voix berçante, la musique étale). Je trouve ça surtout fade, sans originalité, sans talent, et en plus sans modestie. Le texte du livret, le sérieux de la mise en scène, indiquent une volonté des auteurs de s'attaquer à des thèmes profonds. Mais quels sont-ils ? Quel est leur point de vue sur le hasard ? Quels sont les rapports entre la vidéo, la musique , et les textes récités ? Isolées, la vidéo comme la musique me semblent très faibles ; ensemble, elles permettent au temps de passer sans ennui, mais ne s'enrichissent pas l'une l'autre. Les textes, peu souvent compréhensibles, à cause de la langue et des manipulations électroniques, n'apportent pas grand-chose non plus. Du coup, on a bien un "Léviathan énigmatique" : un gros machin dont on se demande à quoi ça peut bien servir.
Le public applaudit sans enthousiasme. L'année prochaine sera présenté "Lost Highway", opéra de Neuwirth tiré du film de Lynch. Hummm.

Sur ce, trève des confiseurs. Prochain spectacle prévu : "Le Nez", le 25 Janvier.

samedi 11 décembre 2004

Wagner par l'Orchestre de l'Opéra de Rouen (Cité de la Musique - 10 Décembre 2004)

Tristan und Isolde - Prélude

Peut-on apprécier la musique de Richard Wagner, quand on ne sait pas reconnaitre le thème du Regard ou du Philtre, et quand on ne connait pas les mystères insondables de "l'accord de Tristan" ? Oui. Les thèmes servent ici à charpenter un discours symphonique assez classique, qui rapidement se déploie majestueusement sur les cordes, dans un crescendo impressionnant, mais empli de gravité. L'orchestre de l'Opéra de Rouen/Haute-Normandie, dirigé par Oswald Sallaberger, est impeccable, qui alimente cette musique avec toute la passion et toute la douleur contenue qui lui est nécessaire. La clarinettiste Naoko Yoshimura brille particulièrement.

Siegfried-Idyll

Wagner composa cette pièce pour sa femme et pour orchestre de chambre, d'après quelques thèmes de "Siegfried". 8 vents, 6 cordes (tiens la notice n'en donne que 5 ?), cela ne permet pas les mêmes atours orchestraux. Et le résultat me plait moins, j'ai en fait du mal à ne pas révasser et perd rapidement le fil. Passons.

Tannhaüser - Ouverture

D'abord le thème des pèlerins, presque austère, solennel, énoncé par les cuivres sous la scansion glacée et métronimique des cordes, puis le thème de Venusberg, luxuriant, foisonnant, et pour conclure le retour des pèlerins, mais comme adouci, humanisé par le passage de Venus. Finalement, je connais assez bien toute cette musique, et reconnais les thèmes, non dans leur signification, mais au moins dans leurs mélodies !

Die Walküre (Acte I)

Dans l'hypothèse où le Ring serait donné à Paris dans des conditions me permettant d'y assister, il est intéressant de savoir si je suis prêt à me lancer dans cette aventure. Un acte intégral, donné en version de concert, permet de tester, non la musique (j'ai les DVD Boulez-Chéreau), mais mon aptitude à m'y intéresser en conditions réelles. Et le test est plutôt concluant.
Après une courte et sombre cavalcade où les chiens chassent le loup à travers bois, l'orchestre semble aussi épuisé que le pourchassé Siegmund. Presque silencieux, il se permet même des solos, comme celui magnifique de Florent Audibert au violoncelle ; et les premiers échanges entre le frère et la soeur (Cheryl Struder, harpie brune drapée dans une très laide robe brodée de rouge façon kimono, et Alan Woodrow, en pingouin classique), sont retenus eux aussi.
Même en version de concert, ils ne peuvent s'empècher de se lancer des regards signifiants, et Jyrki Korkhonen, en Hunding, fait une vraie entrée de théâtre, imposant sa stature et son accent nordique (il roule les "r" !). A prime abord, c'est lui qui m'impressionne le plus, qui campe le mieux son personnage, et lui donne une densité formidable (je lis dans la notice qu'il a joué "Hagen", j'aimerais voir ça, il est fait pour ce role !).
Comme la musique monte peu à peu en puissance (ah, le thème du Walhalla, et celui si viril de l'Epee, ici je les connais - et cette connaissance permet quand même de mieux apprécier le déroulement de la musique), les voix aussi. Avec l'arrivée miraculeuse du Printemps, puis Siegmund qui brandit son épée au moment de sauter sur sa soeur, je me pose toujours la question de l'humour dans le Ring. Wagner pouvait difficilement être conscient des clichés freudiens qu'il utilisait, mais n'avait-il pas un sens du ridicule, parfois ?
Enfin, ça permet d'alléger un peu le texte, ce qui n'est pas inutile... Avec l'orchestre sur scène, qui permet de mieux voir comment la musique s'articule, l'acte passe rapidement, et très agréablement. Me voilà donc prêt pour une étape suivante.
Après les applaudissments d'usage (mais on évite le salut séparé des chanteurs, cette séance d'applaudimètre vaguement méprisable ne semble plus être à la mode, il n'y en avait pas non plus pour "Angels in America"), Oswald Sallabert nous offre un bis de circonstance, lançant l'orchestre dans la démesure de la Chevauchée des Walkyries, où les cuivres (trombones en tête) démontrent leur puissance et leur superbe, et où les flutes rivalisent avec le triangle pour créer un mur d'aigus redoutable. Impressionnant, ce sera le mot de la soirée.

dimanche 5 décembre 2004

Wim Vandekeybus - Sonic Boom (Théâtre de la Ville - 3 Décembre 2004)

Mélanger danse et théâtre, excercice habituel, rabaché même, de chorégraphe. Mais ici, s'agit-il vraiment de théâtre ? Peter Verhelst a écrit un texte, ici récité, qui raconte une histoire d'amour, ou peut-être deux, récit morcelé, raconté dans le désordre, à plusieurs voix ; à charge au spectateur de collecter les pièces du puzzle pour reconstituer le tout, s'il s'en sent l'envie. Le fait que ce soit dit en hollandais, surtitré dans le décor, n'arrange pas l'affaire. Autant dire que tout ce fatras de rencontre dans un port, de départ, d'abandon, d'éternel retour, ce ressassement de clichés et de lieux communs (au sens premier : une place avec deux platanes, revient comme une antienne) me gonfle rapidement.
Autre élément de ce spectacle : un DJ, dans une cabine d'enregistrement, qui anime une radio "rebelle", interrompt le récit de remarques en anglais (non surtitrées elles...), lance quelques disques intéressants, et passe le temps comme il peut.
Malheureusement, il, ou son double, se lance de temps à autre dans des sessions de "Simon Says" ("Jacques a dit") particulièrement désagréables. Le public frémit quand certains ordres, auxquels tous les protagonistes obéissent, frolent des clichés bien pénibles, comme "strip - stop" (tiens, seule la plus jolie fille se retrouve seins à l'air...), ou "scream - in silence". Ces démonstrations de manipulations mentales, livrées sans contexte, sans lien avec l'intrigue principale, n'ont aucune justification, et du coup aucun intérêt.

Tout est-il alors raté ? Presque ! Mais comme Vandekeybus est un immense chorégraphe et un excellent scénographe, créateur d'images fortes et parfois dérangeantes, il réussit, j'ai l'impression malgré lui, à sauver quelques moments dans ce spectacle assez court.
La danse, d'abord. Elle est rare, mais précieuse. Un passage inspiré par la marche, avec un croisement complexe de figures groupées d'enjambées, de sauts, de piétinements, de suspensions. Un autre sur l'effondrement des corps, et les mille et unes manières de rattrapper ou d'accompagner un partenaire qui tombe.
La scénographie, aussi. De la farine est répandue sur un corps allongé, qui se levant laisse une empreinte, dans laquelle il se couchera de nouveau, plus tard. Toujours avec de la farine, des marcheurs créent des pistes entrecroisées sur le sol. Des critiques saluent aussi la fin, en chutes répétées, mais la séquence me semble trop longue et un peu faible.

Voilà. c'est tout. C'est peu. J'espère que Vandekeybus reviendra vite à plus de danse...

samedi 4 décembre 2004

John Scofield et Bugge Wesseltoft (Cité de la Musique - 30 Novembre 2004)

D'abord il y a le rythme. Un DJ, un batteur, un percussionniste, plus Bugge Wesseltoft qui lance des séquences de boite à rythme, cela fait une belle densité. Mais ce n'est pas la démonstration de puissance de feu qui est visée, plutot une certaine qualité d'environnement sonore, fait de multiples couches qui se croisent et s'emboitent. Cette musique est une couverture chaude dans laquelle on s'emmitouffle jusqu'au risque d'étouffer, un bain agité mais accueillant dans lequel on s'enfonce au risque de perdre pied. C'est la jungle, la rivière qui entraine, le feu qui couve mais ne brule pas.
La première heure est un petit miracle pour moi. Cette musique m'aspire et me recueille, je la sens comme totalement naturelle et instinctive, je devine quand, à force de se densifier, il lui faut s'éclaircir, quand, à force d'accélerer, il lui faut ralentir. Mains agitant sur mes genoux une couche rythmique supplémentaire, corps balancé dans le flux, insoucieux du ridicule aux yeux de mes voisins, je me laisse aller, glisser, plonger dans cette moiteur profonde comme le bercement de l'océan.

Les grands bonheurs ne sont pas éternels. Un morceau au rythme plus monolitique, une ambiance moins captivante, et me voilà rejeté sur la rive, à regarder passer les notes.
La troupe réunie par Wesseltoft ne brille pas par la virtuosité technique. Les solos, de basse, de batterie, de percussion, n'ont qu'un intérêt limité, et Bugge lui-même, bien que capable de jolis moments au piano, préfère, bondissant comme un lutin monté en graines entre ses machines et claviers, se concentrer sur des travaux plus ingrats, comme de sampler live ses camarades, et de réinjecter en les triturant ces boucles, brouillant les limites, aidé par le DJ, empéchant en définitive de pouvoir distinguer entre éléments pré-enregistrés et notes jouées réellement sous nos yeux.
Et John Scofield ? Planant au-dessus de ce marécage de rythmes enchevétrés, de morceaux de mélodies, d'ambiances denses, il se contente parfois de gratter sa guitare, mais se lance souvent dans de larges traits gorgés de blues, plongeant parfois dans des sonorités plus aigues, saturées, aigres, qui complètent bien le son Wesseltoft. Il y a de part et d'autre un plaisir évident de la rencontre d'univers, peu évidente à bien gérer, les musiciens de ce groupe n'étant pas très compétents dans les questions/réponses virtuoses habituelles dans les dialogues entre jazzmen.
Pour nous accompagner dans le voyage, un vidéaste projette sur grand écran derrière la scène des animations plutot réussies et en phase avec la musique, oiseaux électroniques démultipliés, silhouette ralentie ou décalée de Scofield dansant sur sa guitare, ou formes géométriques parfois trop proches de Winamp.

Les morceaux de plus d'un quart d'heure se succèdent, avant une courte pause, puis un intermède où Scofield joue "Crying Time" de Ray Charles, berceuse sypathique mais un peu anecdotique, accompagné par Bugge à l'orgue d'église minimaliste. Après quoi la troupe entière revient. Replonger dans le fleuve n'est pas évident, et certains ont pu rester au bord tout du long. Dommage pour eux ! La chaleur douce mais irradiante de ce concert m'a nourri d'un grand bonheur. Merci, les gars.

lundi 29 novembre 2004

Peter Eötvös - Angels in America (Théâtre du Châtelet - 28 Novembre 2004)

S'il y a deux sortes d'opéra, ceux qui s'écoutent ("60ème parallèle" de Manoury) et ceux qui se regardent ("Le grand Macabre" de Ligeti), celui-ci est plutôt dans la seconde catégorie. La puissance de la pièce de théâtre de Tony Kushner irrigue cette adaptation, qui tente d'en universaliser le propos en gommant les aspects les plus politiques (le thème "Dieu a envoyé le SIDA sur terre pour punir les pédés" a connu bien plus de succès aux Etats-Unis qu'en France) et peut-être anecdotiques, pour garder le mélange étonnant de thèmes forts : le SIDA, les homosexuels, les juifs, les anges, Dieu.
En mélangeant le glauque (l'hallucination au valium de Harper), l'ironie (l'érection de Prior devant l'ange), ou l'extravagant (Monsieur Bobart), au mystique ("prépare la voie"), au philosophique (prédestination, libre arbitre, responsabilité), sans oublier de l'émotionnel brut (la mort de Roy Cohn, accompagné de la comptine de Ethel Rosenberg venu le voir mourir dans des souffrances pires que les siennes, et finalement prise de pitié), Kushner et Mari Mezei (auteur du livret) arrivent à maintenir le spectateur en haleine pendant les quasiment deux heures, sans baisse de régime, renvoyé comme dans un flipper d'émotion en rire et d'interrogation métaphysique en surprise.
La musique est à l'avenant, la plupart du temps discrète, changeante incessament, jouée par 16 solistes seulement, mais aidée d'electronique. Certains personnages sont choisis par un instrument (la flute pour Harper, la guitare pour Louis), d'autres par un type d'instrumentation (c'est l'ange de Barbara Hebdricks qui a droit à la musique la plus étoffée, la plus classiquement lyrique). Mais si certains moments restent mémorable (très beau final, avec du saxophone et de la clarinette basse), la musique est la plupart du temps en arrière-plan, traversée d'influences multiples (des sons urbains ici, une batterie rock là, des cordes étales ailleurs...) mais sans caractère marquant.
Excepté l'ange Hendricks, les protagonistes passent à tout moment du parlé au chanté, aidés par des micros pour une fois très bien utilisés. Cette part importante de parole non chantée permet de rendre le texte plus accessible, et permet aussi de jolies scènes où l'homme oppose un parlé trivial au chant trop parfait de l'ange.
La lisibilité est aussi un aspect clé de la mise en scène (Philippe Calvario), aidé des décors astuciex de Richard Peduzzi, qui propose des boites sur roulettes contenant des morceaux de chambres ou de bureaux, et qui poussées tirées par des machinistes forment des rues cloisonnées, belle illustration de solitude urbaine. Les envolées de lit ou de plateaux sont moins réussis.
Face à un impressionnant casting féminin (Barbara Hendricks, Julia Migenes, et la moins connue Roberta Alexander), Daniel Belcher joue un extraordinaire Prior Walter, qui résiste à la douleur de la maladie et de l'abandon par un humour cinglant et un refus du divin.
La fin est un peu trop consensuelle, et le constat "the world only spins forward" aurait pu être mis en accusation, mais le "More Life" qui illumine le mur du fond a belle allure.
Bilan: une pièce forte, une interprétation excellente, une superbe mise en scène, une musique un peu trop discrète, pour un spectacle de très bonne qualité, et fort bien accueilli.

mercredi 24 novembre 2004

La Rose et la hache (Théâtre de l'Odeon Ateliers Berthier - 23 Novembre 2004)

Sympathique salle : pendant que l'Odéon se refait une beauté, le théâtre de l'Europe s'est installé dans cette ancienne fabrique, dont les murs bruts et la hauteur sous plafond donnent de l'authenticité à une avant-salle pleine de recoins et de charmes, avec un bel espace sans doute prévu pour les entractes, et une salle toute classique, aux fauteuils un peu étroits mais confortables, et une belle pente.
La scène, on n'en voit pas grand-chose, plongée qu'elle est quasi tout du long dans une obscurité mortuaire.

Lugubre spectacle, à l'hérédité chargée. D'abord le "Richard III" de Shakespeare, où un effroyable monstre escalade dans le sang la traitrise et l'infamie toutes les étapes nécessaires à s'installer sur le trone d'Angleterre. Ensuite il y a Carmelo Bene, qui a démonté la chronologie et conceptualisé le personnage. Enfin, nous avons aujourd'hui Georges Lavaudant qui mèle la pièce originelle et les idées de Bene.
Cela donne une série de scène, comme des instantanés, des souvenirs revécus, des fragments figés dans un lent cauchemar éveillé : des banquets, des rencontres, des ordres donnés pour assassiner tel ou telle, tous les efforts de Richard pour se donner un destin, ou peut-être simplement une vie.

Le dispositif est minimal, pour du Shakespeare. 3 acteurs (où Georges Lavaudant lui-même joue la mère de Richard), 2 actrices. Un décor unique, une longue table envahie de verres et de carafes, à demi pleins de vin rouge. Et au centre du dispositif, Richard, interprété par Ariel Garcia Valdès.

Il est clairement habité par ce rôle, déjà joué il y a 25 ans. Comme j'ai loupé cet épisode précédent, je ne peux que juger la performance actuelle. Et étrangement, sa façon de ricaner, de hurler, de maudire, de se déplacer en claudiquant, me font penser sans arrêt à Daniel Auteuil, croisement entre une version sous acide de "La Reine Margot" et ses prestations cabotinantes genre "Ma vie est un enfer".

Autre problème, certaines affèteries de mise en scène m'irritent, voire m'accablent. Pour donner un air de cauchemar à l'ensemble, les habits et les maquillages doivent enlever tout charme, même toute beauté. Il y a du coup beaucoup plus de hache que de rose. La scène de séduction de Lady Anne par Richard est amoindrie par le fait qu'Anne ne possède aucun attrait...
Mais surtout, les scènes sont séparées par de courts intermèdes dansés, ou bougés. Jean-Claude Galotta est chargé de la chorégraphie. L'auteur de "Ulysses", une des plus belles invitations au voyage que je connaisse, réduit à ses interruptions au ridicule parfois mal maitrisé ? Tristesse.

En conclusion, un spectacle court, une heure seulement, intéressant, avec des moments grandioses, mais un peu survendu par la presse. Sans doute ceux qui avaient vu le même spectacle il y a 25 ans, ou le travail de Garcia Valdès et Gevaudant chez Shakespeare entretemps, auront plus d'outils pour apprécier.

samedi 20 novembre 2004

Akram Khan - Ma (Théâtre de la Ville - 19 Novembre 2004)

Cette pièce se construit sur quelques oppositions, exploitant la tension entre les contraires. En premier lieu, l'opposition la plus douloureuse, entre l'obscurité totale, et l'éblouissement de spots violemment tournés vers le public (note aux éclairagistes : gaffe au gimmick, se faire aveugler devient rapidement lassant). L'opposition la plus fructueuse est musicale : d'un coté un percussioniste indien, accompagné parfois d'un chanteur, et de l'autre coté de la scène, une violoncelliste classique ; leur dialogue crée de très jolis moments.
Plus classiquement pour Khan, il s'agit aussi d'établir des ponts entre l'essence du Kathak, et des inspirations plus contemporaines. Des passages près du sol, en reptation ou en glissades, alternent avec des sequences debout, où les bras moulinent des mouvements spectaculairement vifs, comme des attaques d'art martiaux. Même si la troupe est d'un excellent niveau (toutefois pas intégralement homogène, l'ancienneté dans l'équipe est un atout visible pour se glisser dans l'esprit de cette danse qui cannibalise la tradition pour la revêtir d'atours tout ce qu'il y a de modernes), Akram Khan les surclasse tous. Dans les mouvements d'ensemble, il ajoute des fioritures pour rester dans les temps !
Malheureusement, il manque encore à ce jeune auteur un peu de maturité. Pour faire passer son discours, comme tout chorégraphe moderne qui se respecte, il décide de mettre du texte. Et alors qu'il est un prodigieux pédagogue dans ses spectacles de Kathak, il n'est pas un très bon dramaturge metteur en scène. Le récit du conte de la femme qui élève des arbres, effectué sans grande raison par deux danseuses tête en bas et une jambe tendue, alourdit, ralentit considérablement l'ensemble. Le spectacle, qui ne dépasse qu'à peine 1 heure, réussit à sembler long, principalement à cause de ses passages théâtraux mal maitrisés, et à peu près inutiles.
Cela dit, il réussit une nouvelle fois à prouver la validité du mélange danse indienne traditionnelle / danse occidentale contemporaine. Le reste viendra. A suivre avec passion !

samedi 13 novembre 2004

Sidi Larbi Cherkaoui - Tempus Fugit (Théâtre de la Ville - 12 Novembre 2004)

Quel décor ! L'arrière de la scène est un écran où sont projetées des images de forêts ou de ciels. Devant cet écran, deux rangées décalées de piliers dont le haut imite des arbres. Un mince courant d'eau court sur les cotés et le devant du plateau. Des plaques au sol se soulèvent pour révéler divers trésors. Certains éléments ne sont qu'à peine utilisés, mais les piliers sont essentiels au spectacle. Les danseurs/acteurs/chanteurs s'y accrochent, y grimpent et en redescendent de diverses manières, se balancent de l'un à l'autre, parfois à l'aide de cordes, parfois pas. Jungle urbaine, labyrinthe, ils se métamorphosent au gré des saynètes.

Quelle troupe ! Il y a les musiciens du groupe Weshm, menés par le chanteur Najib Cherradi, qui, avec un violoncelle, un qanoun, et un set de percussions, jouent des musiques très diverses, dans le temps (du moyen-age au temps des cerises), et dans l'espace (beaucoup de musiques arabes, mais aussi africaines ou corses).
Il y a aussi une chanteuse, Christine Leboutte. Mais qui est aussi danseuse. Et les danseurs doivent aussi chanter, parfois la tête en bas.
Ces performeurs multi-disciplinaires viennent des Ballets C de la B(ballets Contemporains de la Belgique, apprens-je à cette occasion ; je trouve ça décevant, comme explication, je croyais que c'était une allusion aux Bijoux de la Castafiore, allez savoir pourquoi !).
Venus d'horizon divers, ils aiment le danger, et les manifestations explosives. Sauts enchainés jusqu'à l'épuisement, solos frénétiques, acrobaties hip-hop, jeux du cirque, ils se nourissent d'influences multiples, et recrachent le tout avec une générosité débridée.

Le titre est curieux, car il n'est pas tellement question de temps (même si l'écran dit "quatre ans plus tard" ou "quelques années plus tôt"). Il est surtout question de brassage géographique et culturel. De nombreuses danses "locales" sont évoquées, depuis une parodie de Bollywood, à une danse africaine qui se transforme en quadrille irlandais, pour s'achever en duo amoureux et douloureux.
Les saynètes se succèdent avec une belle densité, et une profusion de sens qui peut malheureusement desservir le propos général, donnant une impression de déballage superficiel de thèmes rabachés, genre "one world for all of us". Mais je ne suis pas sur que Sidi Larbi Cherkaoui ait un "discours" à tenir sur l'état du monde. Il constate, et rapporte, tissant une scénographie autour d'anecdotes racontées par les membres de la troupe.
On a un asiatique découvrant la joie d'être grand chanteur, et la douleur quand s'achève le quart d'heure de gloire. Une femme coincée au milieu d'hommes qui en dansant la frappent. La même ou une autre, qui voilée, se voit rapetisser, transformée en naine. Une femme inanimée, réveillée par un baiser, qui seul la maintient en vie le long d'un tango, jusqu'à ce qu'elle aspire à son tour son partenaire.
La plus belle scène se joue sur "Le Temps des Cerises". Sous les arbres des piliers, tombent des feuilles mortes, des confettis de neige, ou de l'eau, et les chanteurs passent ainsi d'une saison à l'autre en passant d'un pilier à l'autre. Réunis tous sous des parapluies et des tentures, ils forment une belle unité de races et de cultures, bientôt interrompus par un pinailleur d'accentuation, qui explique que sans accents circonflexes et O ouverts, le temps des cerises deviendra le temps des bananes, puis se lance dans une suite de propos racistes, machistes, homophobes, de plus en plus délirants.
Cliché ? Si on veut. Mais peut-être simplement constat des difficultés, et acceptation lucide.

En conclusion, de la danse spectaculaire, de la musique excellente, des émotions fortes de diverses natures, des moments extraordinaires, demander en plus un discours politique pointu est peut-être trop exiger.

dimanche 7 novembre 2004

Grimaud et Järvi (Théâtre du Châtelet - 5 Novembre 2004)

Ludwig van Beethoven - Concerto pour piano n°4 en sol majeur opus 58

Le Cincinnati Symphony Orchestra a une drole d'habitude : bien avant le début du concert, des musiciens en grand nombre s'installent sur la scène et jouent dans le désordre, pour prendre peut-être la température de la pièce, ou du public, ou pour chauffer les instruments. Dès que la sonnerie de rappel retentit, ils sortent précipitamment, pour revenir ensuite cérémonieusement. Entre ensuite le premier violon, puis enfin le chef d'orchestre, Paavo Järvi, et Hélène Grimaud. En souple pantalon noir, bras nus, chignon strict, teinture brune, elle avance d'une démarche assurée de danseuse, s'asseoit au piano, se concentre un moment, et lance la phrase introductive solo du concerto. Dans le premier mouvement, elle se promène sereine, déambule entre les thèmes, accumule un peu trop ostensiblement les montées et descentes de clavier, et flotte un peu trop au-dessus de la partition, comme pas spécialement concernée. L'orchestre répond avec un éclat souvent spectaculaire, et une maellabilité remarquable. Dans le second mouvement, plus introspectif, elle, courbée, ramassée, se la joue plus tourmentée, mais la fièvre romantique n'est pas vraiment son truc, elle est trop zen pour ça. Le troisième mouvement est un grand jeu entre la pianiste et l'orchestre, qui dansent fort joyeusement ensemble. Triomphe modeste de la belle, qui aurait pu nous offrir un bis, quand même.

Gustav Mahler - Symphonie n°5 en ut dièse mineure

Si le son du London Symphony Orchestra ne m'avait pas plu dans la 7ème dirigée par Boulez, ce n'est pas la faute de la salle. Car le Cincinnati Symphony Orchestra est ici, dirigé par Järvi, tout à fait spectaculaire ! Trop, peut-être, et la même interprétation gonflée aux amphétamines serait sans doute insupportable en CD. Mais en concert, quelles claques ! Tout est lisible, marqué, et plein de détails surgissent, qui ne parasitent pas la partition (on n'est pas dans "Fantasia"), mais l'alimentent de suprises agréables ou insolites : un contrepoint au hautbois ici, un fond de percussion là, ou une métamorphose de la mélodie lorsqu'elle passe des violoncelles aux violons. La plasticité du son des cordes est particulièrement remarquable, et parmi elles, spécialement le premier violoncelle, dont la sonorité me fait penser à Yo-Yo Ma. Du coup, l'adagietto se suit avec un immense plaisir, et ne présente aucune trace de mièvrerie. Avec une telle aisance et une telle présence, j'aimerais entendre cet orchestre dans "Le Sacre du Printemps", ce devrait être de la dynamite !

lundi 1 novembre 2004

Journée Cambodge (Cité de la Musique - 30 Octobre 2004)

L'Armée des Singes - 15h

Après la présentation de l'association "Apsara" et de sa présidente, mise en avant comme une future canonisée, une danseuse fait une démonstration des mouvements de main, et des exercices d'assouplissements requis par la danse classique khmère. La musique se met peu à peu en place (percussion seule, plus xylophone, plus flute, plus un second xylophone, plus enfin du chant !), et le vrai spectacle commence.
C'est un extrait du Reamker, version khmère du Ramâyana, foisonnante histoire d'amour entre le prince Râma et la belle Sitâ. Dans cet épidode, le singe Hanuman, serviteur de Râma, doit délivrer Sitâ, prisonnière sur une ile. Comme son armée de singes construit une digue vers l'ile, il rencontre la sirène Suvan Machha. Ils tombent amoureux, et ont un enfant, Machanub. Hanuman, ne reconnaissant pas ce fils, le combat, mais la mère les présente l'un à l'autre, et tout finit bien.
Cette pièce est jouée par des enfants, recueillis et éduqués pas l'association Apsara, manière pour eux de regagner une identité, personnelle et culturelle. Nous sommes du coup dans de l'amateurisme, même s'il est de haute volée.
La danse offre un contraste entre les singes (joués par les garçons, masqués, cabriolant et se grattant les puces), et les poissons (joués par les filles, croisant et décroisant leurs trajectoires, avec des gestes qui, je le verrais plus tard, sont une simplification du vocabulaire traditionnel de la danse khmère).
Les costumes sont très beaux, très ornés ; la musique, basée sur des boucles rapides aux xylophones, pourrait être très répétitive mais se ressent plus comme une rivière de notes, cadencée par un percussioniste excellent, qui élabore des rythmes assez complexes (il jongle entre plusieurs instruments, jouent des contre-temps, ne s'enlise jamais dans des cycles simplement répétés) mais qui savent rester très naturels, très satisfaisants, évitant l'approche théorique et intellectualiste des talas indiens. Une flute puisamment nasillarde et quelques chants, viennent parfois orner ce canevas.
Le spectacle est proposé aux familles avec enfants à partir de cinq ans. C'est une bonne indication de son caractère : vif, simple, plaisant, fort sympathique.

Danse des paons - 19h

Les mêmes enfants jouent cette démonstration de danse populaire, dans une sorte d'apéritif gratuit au grand spectacle du soir. La musique est rythmique et chantée, fruste, répétitive, mais efficace. Malheureusement, pendant plus d'une demi-heure, la foule nombreuse empèche de voir quoi que soit, parce que la scène installée à l'entrée est ridiculement petite. Finalement ils se décident à faire bouger la troupe dans l'allée musicale. Les enfants paradent, déguisés en paons, ou mimant des manoeuvres de séduction, puis tentent avec un relatif succés d'entrainer dans la danse les spectateurs heureux.

Preah Sothum - 20h

Voilà de la vraie danse de cour, avec son apparat et ses délicatesses subtiles : rutilance des costumes, cousus d'or et de diamants, magnificence de la musique, qui offre le même instrumentarium que pour l'armée des inges, mais amplifiée, opulence du Ballet Royal (26 danseuses, 3 danseurs).
Tout est dans la sinuosité, le ralentissement, et les infinis variations. Les danseuses semblent flotter dans un temps incertain, dans un monde onirique, baigné de lumière tamisée et de mystérieuse fumée. Les visages restent impassibles, tendance Joconde, les doigts constamment retournés, se plient de mille manières, les jambes sont le plus souvent légèrement arquées.
Et nous sommes dans un récit chevaleresque d'amour compliqué d'obstacles et d'épreuves. Le livret indique que les chanteuses expliquent et commentent l'action. Mais pourquoi n'ont-ils pas mis de sur-titrage ? Du coup, un grand paquet de scènes sont incompréhensibles et peu intéressantes. Toutes ces réunions dans une grande salle de palais, presque statiques, et où la musique elle aussi se soumet au texte, deviennent des moments creux, où l'admiration des costumes ne tient qu'un moment. On aurait aimé mieux comprendre les allers-retours entre le palais et la forêt (des ombres projetées font office de décor ; joli et efficace), où le rôle de ce vieil homme, personnage de théâtre, qui ne danse pas. Sans explication, on subit l'intrigue, c'est frustrant.
Quand les danseuses reviennent, la beauté s'impose. Les scènes dans la forêt baignent dans une féerie magnifique, et les danseuses défilant dans le clair-obscur semblent des sculptures devenues chair.
C'est vraiment dommage que les organisateurs n'aient pas pensé au sur-titrage. Le public dépassait largement la sphère cambodgienne.

Cérémonie arak de guérison - 22h30


Dans la rue musicale, de grands pans de bois et de tissus ont été installés pour bricoler une salle de réunion traditionnelle, recouverte de tapis, avec un autel planté d'encens et surmonté d'un parapluie.
Des musicens commencent l'office. Pas de xylophone cette fois-ci, mais des luths et des vièles, qui donnent une musique beaucoup plus primitive, et plus étrangère à nos oreilles occidentales ; on est assez loin de nos modes harmoniques habituels.
Une femme médium entre ensuite en scène. Ce n'est pas de la transe spectaculaire. Elle s'imprègne de la musique et de la fumée d'encens, puis peu à peu se met en mouvement, choisit parmi quelques accessoires un long foulard, qui doit correspondre à l'esprit qui prend place en son corps, qui doit être un esprit bavard : elle se met à soliloquer de plus en plus rapidement, prise dans des grimaces et quelques tremblements ; quand la possession est suffisament complète, des spectateurs, entrainés par la troupe des enfants Apsara, viennent en ligne recevoir la bénédiction vaporisée de la médium.
Plus tard, elle reçoit une autre possession, plus guerrière apparement, puisqu'elle brandit un long sabre de carton. Parmi les musiciens, le chanteur se met à discuter avec elle, de manière sans doute plaisante, puisque quelques cambodgiens dans le public éclatent de rire.
Le problème avec ce genre de spectacle, c'est justement que c'est un spectacle, alors que c'est supposé être une cérémonie de nature religieuse. Un médium peut-il être possédé "à la demande", et feindre une telle rencontre n'est-il pas un manque de respect envers ceux qui y croient ? C'est intéressant, mais il y a quand même un fond de malaise.

jeudi 28 octobre 2004

Shantala Shivalingappa - Shiva Ganga (Théâtre des Abbesses - 27 Octobre 2004)

Dans la notice du spectacle, Shivalingappa, déjà vue chez Pina Bausch dans "Néfes", explique que le kuchipudi "est aussi précis que le bhârata natyam mais moins codifié. Du coup, on peut être inventif, presque contemporain d'une certaine façon." Est-ce du à cette danse, ou à son interprétation personnelle, en tous cas ce spectacle mélange en effet la dramaturgie et les effets habituels de la danse indienne, et des touches beaucoup plus modernes.
En introduction, l'habituelle pièce uniquement musicale, jouée live par deux percussionnistes, un flutiste et un chanteur. Et la courte pièce dansée, en hommage aux dieux. Suivie de pièces plus longues et plus complexes. Du très classique, donc.
Par contre, la différentiation entre danse pure et danse narrative est plus ténue que d'habitude. Plutôt que de mimer, Shivalingappa évoque : d'une lente ondulation du dos, du buste et des bras, elle imite la trompe d'un éléphant à la fois puissant et protecteur ; d'un rapide mouliné des poignets et des mains, elle fait pousser un arbre dont les feuilles tremblent. Mais ces mouvements sont aussi des merveilles de technique fluide et naturelle, se figent en des postures d'une beauté de statue dans un temple, ou sont rompus par des surprises, un saut, une cheville qui déclenche une pirouette ...
Après une courte pause, elle revient en tenue plus décontractée, pour une pièce basée sur le rythme (un peu trop longue introduction musicale aux talas, continuée par le dialogue avec la danseuse, terminée avec les déplacements typiquement kuchipudi sur un plateau de cuivre), puis le morceau de bravoure, "Shiva Ganga", un tryptique entre énergie virile et énergie gracieuse.
Shivalingappa irradie, d'un généreux bonheur d'offrir la beauté lumineuse de sa danse. Elle flotte légèrement au-dessus du sol, ne le touchant que pour frapper un rythme. Après un tournoiement où elle trace un grand cercle en sautant d'un genou à l'autre, elle termine allongée et agitant lentement les bras, évoquant le fleuve Gange prodiguant sa force liquide au monde. Miraculeusement splendide.
Pour se remettre de tant d'émotions, elle offre un court bis plus classiquement bondissant.

MAJ : Zvezdoliki y était aussi !

samedi 23 octobre 2004

Mathilde Monnier - Publique (Théâtre de la Ville - 22 Octobre 2004)

Suite à la crise de l'intermittence, certains artistes, dont Monnier, ont peur de s'être trop éloigné du public ; et pour séduire à nouveau, elle propose de ne plus utiliser de concept compliqué, mais choisit un alibi fort simple : sur un plateau presque nu (à part un "mur pour skate" vers le fond), neuf femmes dansent sur du PJ Harvey. C'est une danse assez brute de fonderie, qui reprend des pas de discothèques, jusqu'au clin d'oeil ou à la parodie. Mais qui extrait l'energie et le plaisir immédiat qu'il y a à se laisser aller dans la danse. Comme ce sont tout de même des danseuses qui s'exécutent, elles ont suffisament de maîtrise de leur corps et du langage de la danse, pour que l'intérêt demeure.
Malheureusement, Mathilde Monnier ne sait pas être suffisament radicale pour abandonner toute radicalité. Chassez l'intellect par la porte, il revient par la fenêtre.

D'abord par des touches parfois bienvenues, comme le fait que certaines figures d'ensemble se mettent en place entre les danseuses, ou même quelques éléments de scénographie, voire de scénario, telle la rencontre entre de fausses jumelles qui s'imitent et se jalousent, et par des touches plus crispantes, comme le montage de la musique de PJ Harvey, où les chansons, au lieu d'être données dans leur intégralité, se voient mélangées, voire hachées menu, commme au début du spectacle.

Mais c'est la fin qui saborde l'ensemble de l'entreprise. Les danseuses se mettent à réciter, dans des micros trimballés d'un coté à l'autre de la scène, les paroles des chansons. La sympathie bienveillante suscitée par l'absence d'ambition de l'artiste disparait, remplacée par un profond énervement : pourquoi ces micros, ces textes, ce théâtre du pauvre, ce retour aux mots, alors que le seul intérêt était dans l'abandon de ces artifices pour se contenter du seul mouvement des corps, du bonheur de s'abandonner à la musique, de renoncer à essayer de faire du sens ?
Du coup, elle perd sur les deux tableaux. Car si on est dans une "vraie" pièce de danse, alors elle est trop pauvre, trop primaire, dans un êtat bon pour la répétition, pas pour la représentation finale.

Boulez et Mahler (Théâtre du Châtelet - 21 Octobre 2004)

Pierre Boulez - Livre pour cordes

Issue d'une oeuvre pour quatuor à cordes écrite dans les années 50 et abandonnée parce qu'elle s'était avérée quasiment injouable, cette pièce, élargie pour orchestre à cordes, plusieurs fois remaniée, est désormais d'un seul tenant, "variation". C'est bien de cela qu'il s'agit : un thème, aux caractéristiques si typiquement post-sérielles (sécheresse des articulations, malléabilité de la mélodie), est énoncé puis repris, varié, encore et encore, dans toutes les sortes de déclinaisons possibles, souvent simultanées, superposées, composées, pour former un réseau très riche d'idées, de sentiers qui bifurquent sans arrêt, qui se dissolvent pour céder leur place à de nouvelles lignes.
C'est intéressant mais un peu long et cela manque d'émotions. On se rapproche dangeureusement de l'absence de charmes de "Sur incises". Mais la subtilité sans cesse changeante de l'orchestration, ses lignes qui s'échappent de toute part pour disparaitre, me font penser à l'héritage debussyste qu'on retrouve dans "Ainsi la nuit". Je n'aurais jamais cru que du Boulez pourrait me faire penser à du Dutilleux...

Gustav Mahler - Symphonie n°7

Après le choc du "Chant de la Terre" d'il y a quelques jours, cette interprétation est une déception. L'oeuvre n'est pas facile, et même si je l'écoute relativement souvent en CD (dirigée par Boulez, en plus), je m'aperçois que c'est avec une assez faible qualité d'écoute, car elle me reste ici, en concert, largement inconnue, et presque impénétrable.
Boulez la dirige clairement dans un sens prophétique, dans ce qu'elle annonce du siècle musical naissant. Le premier mouvement est rempli de thèmes chostakovitchiens ; le quatrième mouvement débute par une splendide mélodie de timbres. Mais l'organisation interne des mouvements, faits de gros blocs sonores compacts et souvent antagonistes, donne une impression à la fois de répétition et de ruptures de ton incompréhensibles.
Etre perché assez haut dans le théâtre n'aide peut-être pas, mais le son qui se dégage du London Symphony Orchestra n'est pas mirobolant. Si les vents sont agréables, les percussions sont parfois déroutantes (est-ce que les cloches de vache doivent forcément avoir un son aussi aigre et moche ?!), et les cordes sont fades, manquant d'à peu près tout, vivacité, couleur, précision.
J'espère avoir plus de chances avec la 5°, dans quinze jours.

mercredi 20 octobre 2004

Kabuki (Chaillot - 19 Octobre 2004)

Le spectacle commence dans les hideux escaliers et corridors de ce monstrueux palais de Chaillot : s'y assemblent nombre de splendides geishas, en kimono ou robe de soirée, et une jungle de cultureux divers, dont malheureusement l'une des pires sous-espèces colonise la rangée au-dessus de ma place. Heureux d'être contents d'eux-mêmes, ils se félicitent de tous connaître "Dominique", de s'être vus à l'anniversaire de "Nelly" (qui a un reportage photo dans le dernier Obs, n'est-ce pas) et se mettent à glousser à la vue des onnagata, les confondant sans doute avec des drag-queens.
Mais c'est l'inconvénient d'être à un emplacement parfait : à quelques mètres de la scène, et devant le chemin de sortie des acteurs, une allée de tissu qu'un personnel bilingue tente de protéger du public inattentif et pressé de couper au plus court pour rejoindre sa place.

La soirée s'annonce longue : théâtre, puis cérémonie rituelle, puis danse. Avec des entractes d'une demi-heure.

Théâtre d'abord. "Double suicide au mont Toribé" est une histoire d'amour tragique entre un samourai et une courtisane ; parce que, ivre, il a accepté un duel où il a tué le frère de son meilleur ami, et parce que, encore vierge, elle ne peut accepter d'aller avec un autre sans se déshonorer, ils décident de se suicider de concert.
Le splendide décor est une radicale solution au problème de cette scène immense, piège souvent fatal : presque totalement frontal, très plat, il l'escamote ! Le raffinement somptueux des costumes, le hiératisme solennel des attitudes et des positions visiblement précisément codifiées, impressionne. Sur le fond sonore formé par les musiciens (shamisen - luth à trois cordes, tambours et percussions aigües) et les récitants (qui commentent l'action et les sentiments), les voix des acteurs (rôles males et femelles) frôlent le parlé-chanté, dans des inflexions absolument non naturelles, des ruptures de rythme qui, là aussi dans un langage parfaitement codifié, traduisent les émotions, les transmettent avec une acuité remarquable, même si on ne connaît absolument pas les codes.
Les pleurs de la coutisane, l'emportement sanguinaire du frère, l'ivresse du samourai, la bonhomie touchante du père, dans tout cela l'exotisme l'emporte sans doute un peu sur les intentions originales de la pièce, mais une part importante de beauté nous est heureusement néanmoins accessible, et suffisante pour notre plaisir ébahi.

Après un premier entracte, une petite cérémonie de prise de nom. Shinnosuke Ichikawa VII devient Ebizô Ichikawa XI, salué par son père et ses pairs, qui récitent de petits discours de félicitation, avec de vrais morceaux en français dedans. Le nouvel élu (qui deviendra peut-être un jour Danjûrô XII, si le monde du Kabuki l'en juge digne), nous gratifie d'un "regard intense", une contraction du visage qui fait flamboyer terriblement les yeux, pratique censée chasser les rhumes, explique-t-il avec une humilité déconcertante.

Après un nouvel entracte, le spectacle de danse, "Le Lion au miroir". Dans un décor encore plus beau de peintures de pivoines, toute une troupe musicale se déploie, avec les shamisen, les diverses percussions, une flute de bambou, et des chanteurs, qui parfois poussent aussi diverses formes de cris et de feulements.
Ebizô Ichikawa, en femme, vient danser avec des éventails, puis est remplacé par un couple de papillons, puis revient en lion, pour un final féroce et virevoltant.
Je comprends pourquoi cette forme de danse est souvent caricaturée dans les films d'arts martiaux : la beauté des mouvements n'empèche pas une forme de préciosité un peu ridicule, une esthétique trop alambiquée pour toucher les spectateurs novices.
L'émotion déployée dans la pièce de théâtre demeure ici trop cachée. Reste la suprème élégance des costumes, les admirables performances physiques, la rigueur technique des gestes, mais on sent un niveau de compréhension de l'oeuvre qu'on ne sait pas atteindre, faute de connaissance et d'accoutumance.

samedi 16 octobre 2004

Sasha Waltz - Impromptus (Théâtre de la Ville - 15 Octobre 2004)

La scène, comme fracassée en deux plaques, impressionne, et les angles en contre-plongée donnent, de la hauteur de ma place, un début de vertige.
Dans un angle, sur l'avant, trone un piano. Cristina Marton y joue, sans la ramener, presque discrètement, les impromptus de Schubert (d'où le nom de la pièce ...), ainsi que quelques lieds, chantés avec coeur et profondeur par Judith Simonis ; chaque morceau est encadré de plages de silence.
Sur la scène se succèdent des couples, parfois plusieurs en même temps, et quelques groupes plus indifférenciés. La danse tente un équilibre pas toujours évident entre des positions parfois acrobatiques (comment un corps peut-il s'enrouler en tous sens autour d'un autre, sans jamais toucher terre : exercice intéressant mais relativement vain), un langage chorégraphique moderne (courses à la Keersmaeker, mais sans la fonction de pulsion énergétique ; mouvements élastiques à la Forsythe, malheureusement un cran en-dessous ; etc.), et des figures assez classiques (des pas de deux racontant des histoires d'amour, des scènes de groupes pour montrer l'aliénation de la vie sociale...).
Quelques éléments de théâtre ponctuent les 90 minutes de la pièce : un couple entre chaussé de bottes remplies d'eau, ce qui fait de charmants glou-glous quand ils se promènent. Des craies rouges et noires apparaissent, dont les danseurs se servent pour maculer le plancher et leurs corps. Les bottes, vidées sur la craie, font des coulures aux couleurs tragiques. Des danseuses se baignent pour se laver. Et c'est tout. On dirait du Pina Bausch, mais minimalisé, tant dans la durée que dans l'intensité, et comme les intentions de la pièce restent floues, le résultat reste faible.
Comme en plus, et j'en ai ici la confirmation, la musique de Schubert m'indiffère totalement, cette soirée a été globalement décevante. Rendez-nous "Körper" !


mercredi 13 octobre 2004

Sinfonia Varsovia (Cité de la Musique - 13 Octobre 2004)

Giacomo Meyerbeer - Ouverture de Robert le Diable

En trois minutes, l'orchestre se réveille, par quelques coups de percussion, une montée en puissance par paliers et rechutes, pour finir avec une mer de violons déchainée, dominée par des cuivres tonitruants, dont un trio de trombones particulièrement en forme ! Revigorant, et rudement efficace !

Felix Mendelssohn - Concerto pour violon n°2

Ah, d'accord. Quand retentit le premier thème, on se dit : "Ah c'est ça !", en reconnaissant cet air fort connu, légèrement tzygane. Un air vif et entrainant, suivi d'autres thèmes eux aussi vifs et entrainants, et repris, recommencés et répétés jusqu'à plus soif, sur un fond d'orchestration qui frise l'académisme. Malgré quelques surprises, comme la cadence de violon qui n'intervient pas à l'emplacement habituel, le tout lasse rapidement.
Pour remercier le public qui lui fait un triomphe, Laurent Korcia revient se venge et se transcende dans un morceau inconnu, entre post-romantisme et avant-garde, où les miélismes, les doubles notes, les jeux multiples, célèbrent en pyrotechnie sa formidable technique.

Gustav Mahler - Le Chant de la terre

Et là, miracle. Une oeuvre admirée, souvent écoutée, déjà vue en concert (il y a quelques années au Chatelet, dans une version mise en scène, avec donc les musiciens dans la fosse), s'éclaire de nouvelles révélations, met à jour de nouveaux trésors, et s'offre dans une interprétation absolument magnifique, voire fabuleuse.
Ma position dans la salle était a priori un peu inquiétante : en balcon, juste deux rangs devant le chef d'orchestre (Tadeusz Wojciechowski, à l'impeccable crinière blanche) ; je craignais un son déformé par la proximité de certains pupitres, j'avais tort : la vue me permet de distinguer à tout moment qui joue, et l'accoustique sans défaut de la salle fait le reste. Du coup, je profite dans toute sa plénitude du son extraordinaire de la Sinfonia Varsovia (orchestre fondé en 1984, formé de jeunes virtuoses polonais) : des basses précises et effrayantes quand il faut, des médiums moelleux, voluptueux, presque gras, et des aigus rutilants, éblouissants, coupants comme l'eau claire. En particulier, le jeu flutes/piccolos/clarinettes est d'une beauté et d'une clarté extraordinaires.
Le rôle du ténor est assez ingrat : ses airs parfois presque triviaux sont souvent noyés dans l'orchestre. Adam Zdunikowski fait ce qu'il peut, mais comme toujours c'est la femme qu'on attend. Et là, la mezzo-soprano Ekaterina Gubanova est fabuleuse. Elle épouse l'orchestre, qui la nourrit et la propulse, parfois vers l'avant, parfois vers le haut. Quand elle chante uniquement soutenu par une ligne de contrebasse presque inaudible, et un ou deux vents, c'est de la beauté magique.
Le chant de l'adieu est particulièrement une révélation. Les mélodies y éclosent, l'orchestration enfle puis retombe, le silence est presque atteint, puis le cycle reprend. Le fait que la musique répète plusieurs fois de cette manière ce qui sera chanté à la fin, à savoir la pérénnité des cycles des saisons, ne m'était jamais apparu ! Et quand cela est chanté, c'est dans une stase, comme un gigantesque zoom arrière, pour indiquer l'éternité de ce caractère cyclique. Cette fin est particulièrement bouleversante : la cantatrice sait comment murmurer "Ewig Ewig" en faisant entendre toute la douleur et la douceur de cette révélation, tandis que l'orchestre se fige dans une couleur glacée et crépusculaire.

dimanche 10 octobre 2004

Kurt Weill (Cité de la Musique - 9 Octobre 2004)

Der Silbersee - extraits

Oui, "extraits" seulement. Ce qui nous est proposé n'est pas une suite orchestrale, pensée par le compositeur en oeuvre musicale spécifique, mais des morceaux découpés dans la pièce d'origine (le livret n'est pas très clair : une pièce de théâtre avec musique ; j'ignore la proportion et la quantité de musique en jeu), et mis à la queue leu leu sans structure ni raison.
Du coup, à part le premier extrait, qui est l'ouverture et qui propose deux thèmes qui s'affrontent mélodiquement et rhythmiquement, les autres ne se basent que sur une seule idée, exposée, à peine variée, rapidement conclue. Sans l'alibi théâtral où ces morceaux musicaux accompagnaient l'intrigue ou présentaient les personnages, l'intérêt est fort faible.
Heureusement, quelques musiciens, et en particulier le trompettiste, Yohan Chetail, se distinguent par des solos particulièrement finement ciselés.

Symphonie n°2

Entendre de la vraie musique, structurée sur des durées plus longues que quelques minutes, avec plusieurs thèmes, des variations dans les couleurs orchestrales, etc., est un soulagement. Mais la pièce est curieusement froide. Le second mouvement est une marche funèbre, le troisième est plus vif, mais peu enthousiasmant non plus. Malheureusement, Weill n'est pas Malher. Le pathos passe mal, et cette symphonie sonne, non pas triste ou tragique, mais simplement lourde et quelque peu ennuyeuse. La fin, en cavalcade tonitruante, n'est guère plus convaincante.
Ce sera la dernière oeuvre non vocale de Weill. On peut comprendre pourquoi.

Die sieben Todsünden

Autrement dit, les 7 péchés capitaux. Cette collaboration avec Brecht est un de leurs chefs d'oeuvre. Première fois que j'entends cette oeuvre en concert, et je découvre avec joie des particularismes dont je n'avais pas conscience, comme l'alliance des pizzicati aux violons avec le banjo, ou le jeu des cuivres en fanfares de cirque.
Le choeur masculin est excellent, sans reproche. Par contre, la cantatrice Nancy Gustafson ... . Elle est tout simplement inadéquate. Elle manque de force vocale, et de précision dans l'articulation (dans la langue allemande, et dans la tenue de la mélodie). Apparement, elle tente de compenser en théâtralisant son interprétation, se penchant de droite, de gauche, faisant des courbettes au public, que sais-je encore, ce qui égare encore plus sa voix. Bref, une partie non négligeable de son discours (texte et musique) ne nous parvient pas, complètement noyé sous l'orchestre. Entre autres, les exquis "Nicht Wahr, Anna ? Ja, Anna" qui ponctuent la soumission de la soeur artiste à sa soeur imprésario (et maquerelle à l'occasion).
Au bout d'un moment, je décide de suppléer à ses carences en ne l'écoutant plus, me concentrant sur l'orchestre. C'est une bonne idée, car l'Orchestre Philarmonique de Radio France joue ces mélodies à la naïveté blindée d'ironie avec une délectation communicative. Et le jeune chef d'orchestre, Kirill Karabits, les entraine avec fougue et enthousiasme.

jeudi 7 octobre 2004

The Elephant Vanishes (MC 93 Bobigny - 5 Octobre 2004)

D'abord, un mot sur le restaurant de la MC93, et son service spectaculairement inefficace. Assis à 19h30, servi (raviolis, basiques mais à prix correct) à 19h50, fini à 20h05, et à 20h20 toujours personne pour encaisser, alors qu'une bonne vingtaine de personnes attend de pouvoir s'installer à son tour. Le manque de personnel a créé le Slow-food...

Mais on est là pour du théâtre. Alors que les gens finissent de s'installer dans la grande salle, sans âme mais confortable, une femme entre en scène, s'excuse du retard que va prendre le spectacle, à cause d'un problème de compatibilité entre les projecteurs japonais et le système électrique français, puis dérive sur la consommation en lumière de Tokyo la nuit, sur la vitesse de la lumière (Tokyo-Paris en deux battements d'aile d'oiseau-mouche, "amazing" ; "étonnant" traduit avec retard une interprète peu utile), l'irreversibilité du temps (expérience à l'appui : on ne peut inverser le mélange eau-encre), et sujets annexes... Prélude décalé, vif, drolatique, très réussi.

Puis la pièce commence vraiment. Etrange pièce ! Basée sur trois nouvelles de Haruki Murakami, jouée en japonais (surtitré), mise en scène par Simon McBurney, et produite par l'équipe Complicité, elle déconcerte, étonne, peut rebuter certains par une certaine superficialité, et ses maniérismes de mise en scène, ou au contraire fasciner par la magie des transformations du plateau, et par l'originalité des thèmes abordés.

De quoi s'agit-il ? D'un éléphant, mascotte d'un quartier de banlieue, qui a disparu soudain, au grand désarroi d'un vendeur d'électroménager qui lui rendait visite chaque semaine ; d'un couple qui, pour se défaire du mauvais sort acquis par le mari lors du cambriolage raté d'une boulangerie, décide d'attaquer un McDo ; d'une femme qui n'ayant plus sommeil passe 17 nuits à revoir sa vie et s'aperçoit qu'elle en déteste l'essentiel.
Des ruptures, et de leurs conséquences. Comment réagir quand la vie déraille, quand des béances se font jour ? Y résister ou s'y engouffrer ? En profiter pour devenir autre, malgré le danger de ne plus savoir qui on sera ?

La mise en scène de Simon McBurney (aidée par la scénographie de Michael Levine) est extraordinaire. A l'aide de quelques éléments de mobilier, et de beaucoup de vidéos, il crée des moments magiques, évoquant le rythme de la ville, ou plutôt cette juxtaposition de rythmes disjoints et simultanés ; invoquant des souvenirs, comme ce boulanger qui vient pétrir un oreiller ; invitant par une télé montrant son oeil et poussant son cri, un éléphant à traverser d'une énigmatique mais forte présence la scène de part en part ; créant pour la femme insomniaques des doubles inquiétants, des clones en pyjama qui transforment sa veille en long cauchemar peut-être pas si éveillé que ça.

"Le plus important pour une kitchen, c'est l'unité", répète à loisir le vendeur admirateur de l'éléphant, déboussolé par sa disparition. C'est ce qu'il y a sans doute de plus dur de trouver dans ce spectacle. En combinant ces trois nouvelles, il propose un univers, sans doute celui de Murakami, où transparaissent des thèmes communs, mais sans plus. L'invention de la mise en scène, le talent des comédiens, l'humour présent dans les situations et dans les dialogues, la complicité qui se crée malgré tout entre ces personnages peu normaux et nous, font de ce spectacle incongru une excellente soirée, divertissante et enrichissante.
Si des lecteurs peuvent me conseiller certains livres de Murakami, je suis intéressé.

dimanche 3 octobre 2004

Karlheinz Stockhausen - Mixtur (Cité de la Musique - 1 Octobre 2004)

L'Ensemble InterContemporain, plus les musiciens complémentaires, sont divisés en groupes intrusmentaux, séparés par des plaques de verre. Leur jeu est capté par des micros, mélangé et mixé par des modulateurs en anneau, redistribué sur des hauts-parleurs. Cela donne des textures plutôt métalliques, mais variées, et un étonnant spectre de couleurs, depuis des aigus agressifs mais relativement habituels, jusqu'à des basses vrombissantes beaucoup plus originales.
Comme le jeu direct des instruments est presque totalement absorbé par les transformations électroniques, il est parfois difficile mais toujours amusant de déterminer quel instrumentiste est à l'origine de telle ou telle sonorité.

Non content de réaliser la première oeuvre pour ensemble orchestral et électronique "Live" (créée en 1964, modifiée en 1967), Stockhausen y ajoute quelques éléments d'ouverture, comme des passages aléatoires, et deux trajectoires possibles, qui nous sont toutes deux données ce soir : les 20 épisodes sont d'abord traversés dans l'ordre rétrograde, puis après l'entracte, dans l'ordre normal.

Que ces oeuvres électroniques vieillissent bien est un très bon signe. Ce que le son perd en spectaculaire, il le regagne en prenant un aspect vintage très agréable, comme de vieux effets spéciaux réalisés avec soin. Les glissandi intemporels des cordes, les crissements des cymbales suspendues, les tutti chaotiques, plus les générateurs d'ondes sinusoïdales et les fameuses modulations en anneau, permettent de varier les effets, et donnent une oeuvre très agréable donc, même si elle n'est pas forcément inoubliable.

dimanche 26 septembre 2004

Martin Crimp - Cruel and Tender (Bouffes du Nord - 25 Septembre 2004)

Cette pièce de théâtre s'inspire des Trachiniennes de Sophocle, qui raconte comment Déjanire donne à son mari Hercule une chemise trempée dans le sang du centaure Nessos, chemise censée garantir l'amour de ce mari, amour qu'elle craint menacé par l'arrivée d'une jeune esclave. Mais Nessos, qu'Hercule avait tué parce qu'il avait tenté de violer Déjanire, avait menti, et la chemise empoisonnée causera la mort dans d'atroces souffrances de Hercule. Déjanire du coup se scuicide.
Martin Crimp, assisté par Luc Bondy qui assure aussi la mise en scène, a fortement réactualisé cette légende, la plaçant dans le contexte d'une interminable guerre contre le terrorisme. Déjanire devient Amélia, femme d'un militaire fameux, devenu Général, mais accusé d'être devenu incontrolable, peut-être coupable de crimes de guerre. Il envoie chez sa femme une très belle africaine, Laela, et son petit frère, des rescapés d'un village terroriste, rasé par le Général. Mais la vérité est que, très amoureux de cette jeune femme, il a rasé le village pour la récupérer. Amélia envahie par la haine envoie à son mari un cadeau littéralement empoisonné, puis réalisant son geste, se scuicide. Le Général revient, vivant mais très infirme, et rejeté par Laela, veut jeter son fils dans ses bras, perd la tête et s'accroche à sa folie. La fin est complètement non-conclusive.

Tout se passe dans une chambre d'hotel, exercice de "réalisme minimaliste" brillament réussi (décors de Richard Peduzzi). Sur les murs sont projetés les surtitres (le spectacle est en anglais), excellement lisibles. Dans cet espace réduit, les acteurs n'ont pas d'échappatoire. Amelia, jouée par Kerry Fox, ne quitte la scène que par la mort. Role très exigeant, dont elle se tire très bien, même si l'hystérie finale est un peu too much. Elle est alors remplacée par le Général, incarné par Joe Dixon, qui rend formidablement palpable cette folie dangeureuse et lucide, mélange de haine de soi, de paranoïa, et de folie des grandeurs ("J'ai tué le lion de Némée, je suis descendu aux Enfers..." / "Oh non, pas encore ça !"). Les autres personnages (une masseuse asiatique, une esthéticienne pimbèche, un journaliste contestataire, un politicard amant ...) forment une sorte de choeur, qui plaignent, méprisent, prennent en pitié ou en horreur le couple.

La tension s'installe peu à peu, remplaçant l'humour vachard du début par un sentiment qui touche à l'horreur. Crimp se coltine un sujet fort (quoique pas vraiment original : que faire des guerriers qui par nécessité du champ de bataille sont devenus fous ? "Apocalypse Now" se pose déjà la question), de grands thèmes (la jalousie, la folie, ...), de vrais personnages, des situations réussies. Tout n'est pas parfaitement maitrisé, et les surtitres détachent un peu trop (la distanciation est néfaste pour les spectacles shakespariens), mais c'est globalement un grand moment de théâtre.

vendredi 24 septembre 2004

Sonates de Beethoven (Cité de la Musique - 22 Septembre 2004)

Sonate N°28 opus 101

Cette musique se promène, comme un ruisseau parfois presque figé, parfois galopant, dans des paysages contrastés, de mouvements lents en mouvements rapides, avec une vivacité lumineuse et évidente, une simplicité conquérante, émaillée tout du long de surprises et d'inventions.

Magnifique.

Sonate N°31 opus 110

Ici, le discours se complique. De passages mozartiens, en fugues plaintives, j'ai plus l'impression de naviguer dans du brouillard. Manque de concentration de ma part, sans doute. En tous cas, il ne me reste peu de souvenirs !

Sonate N°29 "Hammerklavier" opus 106

Ah, le gros morceau ! Les deux premiers mouvements, pourtant impeccables, semblent devoir s'effacer devant l'adagio. Une demi-heure de musique qui tutoie le sublime, qui escalade un Everest en s'adossant au vide, qui peint une fresque vertigineuse avec à peine quelques traits de fusain. La matière est pauvre, les notes se font parfois rares, l'oxygène manque, on est à des hauteurs qui ne sont peut-être pas tout à fait adéquates à la vie humaine. Mais quelle expérience ! Quelle vision !

A cette escalade à main nue dans le presque silence, s'enchaine une mirobolante cavalcade, où la stamina du pianiste est rudement mise à l'épreuve !

Il semble difficile d'être médiocre dans la "Hammerklavier" : une interprétation faible est aussitôt une catastrophe. Heureusement, Jean-Efflam Bavouzet est très bien. Il jette sur ces pages une lumière méticuleusement travaillée, où chaque note se détache précisément, dans une gradation d'intensité marquée. Il joue le spectacle juste ce qu'il faut, théâtralisant son abandon de veste avant la 106, s'épongeant longuement avant de plonger dans l'adagio.

Et il possède suffisament de jus pour conclure sur un bis inattendu : le Klavierstück IX de Stockhausen, qui commence par un accord répété 142 fois, et se termine par un très joli gazouillis d'aigus (mais qui, tout en me faisant penser à du Nono, du Ligeti ou du Messiaen, ne me touche quasiment pas, ne me parle pas, cas fréquent pour ce qui concerne Stockhausen).


samedi 18 septembre 2004

Bartabas - Entr'aperçu (Théâtre du Châtelet - 17 Septembre 2004)

Bartabas déployant ses chevaux sur des planches de théâtre, pourquoi pas, mais pour quoi faire ?
D'emblée, Bartabas utilise la profondeur surprenante de la scène, met en place des dispositifs complexes (des voiles tendus où sont projetées des images de montagnes pour évoquer une traversée au milieu des brumes), joue avec les éclairages savants.
Malheureusement, tout cela ne crée pas de sens. Les images se succèdent, certaines très belles (un cavalier et son ombre, qui se détache comme un double, puis comme un partenaire ; un croisement entre un nazgul et un papillon de nuit, agitant lentement ses ailes avant de les renfermer comme un cocon), mais presque toutes sont trop longues, peinent à se renouveler et à instaurer une émotion valable. Le voyage au sein d'un tableau (une sorte de coucher de soleil assez kitch !), par exemple, est particulièrement éprouvant.
Pour tenter de relier ces scènes, Bartabas utilise des textes de Victor Segalen (dommage qu'ils soient si pompeux, et récités avec si peu de talent !), des éléments de scénario (un vieillard sur fauteuil roulant entourés d'infirmiers et infirmières lubriques, humm). Fatal.
Pou enrichir encore le propos, Bartabas invoque d'autres arts, d'autres matières, comme de la calligraphie d'idéogrammes, jolis certes, mais qui, en pièces rapportées, juxtaposées, n'expriment rien.
Que reste-t-il ? Des moments, des instants de beauté, dûs la plupart à la force brute des chevaux. Un simple cheval blanc qui se roule dans la poussière. Un groupe de chevaux qui tournoient au galop autour d'un vieux agitant des grelots hystériques. De splendides jeux d'ombres. De courts moments de magie et de vie. Quand la durée s'installe, l'ennui s'impose.
Reste enfin, heureusement, la musique. Le toujours phénoménal Jean-Pierre Drouet, ici accompagné d'un acolyte, Gaston Sylvestre, se promène autour de machines belles et mystérieuses créées par Claudine Brahem, et en extrait une musique d'eau, de vent, et de grondements sismiques, une nappe sonore fluctuante et puissamment élémentale.
Le public, plein d'enfants qui s'agitent avant de s'endormir, et d'escogriffes qui se plaignent de l'exigüité des places, doit provenir de Zingaro plus que du Châtelet. Il n'a même pas le temps de donner son verdict dans les applaudissements : le rideau tombe et la lumière revient presque tout de suite.

jeudi 9 septembre 2004

Pandémonium et Dave Douglas Quintet (Cité de la Musique - 7 Septembre 2004)

Pandémonium - François Jeanneau


François Jeanneau, saxophoniste et chef de groupe, dirige sa douzaine de musiciens, grace à un langage des signes ostentatoire, amusant, et assez fascinant, et promène sa musique, jouée quasiment sans interruptions, en des paysages fort variés, depuis des marches big-bands matinées d'harmonies est-européennes (à la Téxier ?), des passages bops classiques et virtuoses (un quartet ornant un très impressionnant solo de saxophone), des assemblages sonores originaux (un accordéon, une vocaliste, un tuba, permettent des configurations peu fréquentées, à la Threadgill ?), ou des séquences plus expérimentales, avec des articulations savamment déstructurées (à la Braxton, cette fois ?).

Bref, l'histoire du Jazz est parcourue en tous sens, heureusement dans un tempo plus calme que chez Zorn par exemple, ce qui permet de profiter des étapes.

Dans cet assemblages hétéroclite de styles et d'influences, d'idées et de surprises, il est difficile de tout aimer, et chacun selon ses gouts préférera tel ou tel ingrédient. Mais la musique est là, indubitablement, et l'esprit du Jazz aussi.


Dave Douglas Quintet


Le concert est trop court, sans doute, pour que le groupe se mette vraiment à bruler. Il se contente de briller, et reste lisse, trop parfait, trop professionnel.

Pourtant, difficile de trouver un défaut. Les musiciens sont tous de premier ordre. Dave Douglas semble ne connaitre aucune limite pour sa trompette, qui fuse en tous sens, et dans un "Seventeen" d'anthologie, clôt le concert par une exploration bruitiste explosive et passionnante. Marcus Strickland, le frère de EJ vu avec Ravi Coltrane, adopte une pose imperturbable, saxophone tenu droit, dodelinant à peine de la tête dans les moments les plus fiévreux. Uri Caine ne joue malheureusement que du Fender Rhodes, et malgré son immense virtuosité, ne parvient pas à donner de la chair à ce son si décoratif, presque vain. James Genus à la contrebasse et Clarence Penn font un énorme travail, mais restent dans le background, ne se mettent jamais en avant, mais c'est peut-être aussi un problème de balance (ils se plaignent plusieurs fois, mais je ne sais pas trop de quoi exactement).

Le concert est basé quasiment exclusivement sur des morceaux de "Strange Liberation", avec un morceau plus vieux au milieu, et se complète d'un "Unison" (de Björk) en rappel. Les solos sont excellents, mais la structure des morceaux un peu trop sage (introduction, exposition du thème en duo trompette/saxophone, solos, et répétition conclusive du thème ; efficace, mais trop répété), et malheureusement donc, le courant passe mal, la glace ne fond pas, l'armure ne se fend pas. Dommage.

dimanche 18 juillet 2004

Ravi Coltrane Quartet (Sunside - 17 Juillet 2004)

Cette fois-ci, le spectacle est dans la salle du haut, parce qu'il n'y a pas la place pour un piano sur la minuscule scène de la cave. On y perd en charme, mais tant pis, on n'est pas là pour contempler les murs non plus.
 
Plutôt pour écouter la jeune troupe, avec dans un ordre subjectif d'excellence :
- au piano, Luis Perdomo ; son jazz, matiné d'origines latines, ne brille pas particulièrement : la main gauche, quelque peu paresseuse, plaque des accords convenus, et la main droite mouline en amples mouvements les mélodies. Au bout d'un moment, son jeu répétitif devient essentiellement fonctionnel, n'apportant ni intensité ni émotion.
- à la basse, Lonnie Plaxico ; sur les trois sets, il ne s'offre qu'un seul solo, c'est dire si son truc c'est bien plutôt le rôle discret du phare dans la tempête, solide, élégant, efficace, et à l'attitude presque caricaturalement "cool".
- à la batterie, le programme annonçait le vétéran Billy Hart ; mais c'est EJ Strickland qui s'y colle. Excellent batteur, spectaculaire et explosif ! Son jeu intense s'est nourri en-dehors du jazz, où il apporte des sonorités volontiers aggressives (cymbales cloches, caisse claire très sèche...), et des rythmiques qui ne swinguent pas de manière naturelle, mais parviennent pourtant à alimenter la course de ses partenaires, en une énergie hachée, mais continue. Impression assez déconcertante. Ses solos sont presque aussi nombreux que ceux du pianiste, et beaucoup plus passionnants, des montées en charge d'adrénaline où il se lance visiblement des défis d'en faire toujours plus, sans se perdre non plus dans trop de tumulte.
- enfin, au saxophone, et aux commandes, Ravi Coltrane ; lourd héritage familial (papa John repris, mais comme il reprend du Monk, donc sans expliciter la filiation sans doute suffisament évidente, connue et pesante ; maman Alice citée plusieurs fois, mais aussi pour raisons commerciales : ils sortent ensemble un disque cet automne, et il tenait à le faire savoir...), mais son jeu me fait penser beaucoup plus à Steve Coleman (fondateur de M-Base, où Ravi a fait un tour). Plasticité des lignes, harmonies alambiquées,  vivacité des rythmiques, son langage est cohérent, incisif et imaginatif. On peut aussi rapprocher d'un Kenny Garrett (quand celui-ci explore). Jazz non trivial, plutôt à la pointe, mais sans jamais être inaccessible ou abstrus.
 
Trois sets bien pleins. Le premier est le plus "M-Base", avec il me semble uniquement des compositions personnelles. Le second set reprend du Monk ("Round Midnight" parait-il, mais irreconnaissable), et du Alice Coltrane (du prochain album, donc ; c'est la ballade la plus calme, et la plus directement émouvante de la soirée). Arrive en milieu de set un guitariste invité, "Michel Michel" ou un nom similaire. Son jeu, agréable au début, devient malheureusement de plus en plus stéréotypé et monotone, comme un Kenny Burrell accéléré et sans inspiration. Même problème que le pianiste, en quelque sorte. Le troisième set est un mélange des deux premiers, et se termine par une boucle interminable, qui laisse les musiciens et les spectateurs un peu groggy (il est alors près de 2h du mat).
 
En tout, un concert bien (de grands solos, et la découverte de deux très bons musiciens).
 

lundi 28 juin 2004

Ahmad Jamal Trio (Cité de la Musique - 27 Juin 2004)

Et voilà, dernier concert "par abonnement" de l'année. Ahmad Jamal, encore un pianiste Jazz listé dans les guides comme un "essentiel", et largement inconnu du public (pareil pour Andrew Hill, par exemple).
Et du coup, quelle baffe ! La musique fuse de sous ses doigts avec une générosité, une classe, une fougue extraordinaire ! Il prend un immense plaisir à jouer des thèmes de Broadway (en tous cas, c'est le programme ; il annonce quand même des morceaux dont il est le compositeur...), et nous fait passionnément partager cette joie.

Pour l'accompagner, le batteur Idris Muhammad, au look improbable composé d'un bérêt blanc, de lunettes de soleil aux montures fuschia, d'une barbe-moustache à la George Michael, et d'un chewing-gum, et le bassiste James Cammack. Leurs solos sont rares, intéressants pour Muhammad (une étude des teintes combinées des cymbales...), moins pour Cammack (très applaudi pourtant, alors que je trouve ses solos approximativement maitrisés, et sans grandes idées ; mais les solos de basse m'impressionent rarement).
Par contre, en duo, quelle efficacité ! Une énorme machine à groover, dense mais jamais opaque, énergique et fasteuse sans lourdeur. On est proche du Soul-Funk de Martin et Wood (ceux de Medeski). C'est un engin tout terrain, prêt à foncer sans jamais verser. Ca tombe bien, le pilote qui s'installe aux commandes à envie de voir du paysage.

S'il n'y avait pas de Monk au programme (oui, "Straight, no chaser", c'est bien l'allure de la paire rythmique), son esprit est là, mais digéré, baigné d'autres influence, et recraché dans un style absolument personnel : Ahmad Jamal.
Grand étalage technique : il sprinte quand il veut aussi vite que Cecil Taylor, s'interrompt abruptement comme Monk, lance des lignes fluides aux évidences à la Bill Evans, mais le tout fondu dans son langage, son vocabulaire, qu'il me faudra plus d'un concert pour comprendre et apprécier...
Un point particulièrement saillant, c'est son utilisation de la dynamique. Il alterne des lignes piano avec des staccato fortissimo, frappant si fort que toutes les cordes en tremblent (pédales, surement), ce qui, avec les cymbales "ride" très longues de Muhammad, crée un halo harmonique fort riche.

Bref, pour un concert que j'ai failli ne pas voir (ayant oublié mon billet chez moi, j'ai dû après quelque hésitation en racheter un sur place...), je lui accorde finalement le titre de concert le plus jouissif de l'année.

Place maintenant aux plus rares festivals d'été, aux concerts glanés ça et là, et retour dans le grand circuit des abonnements en Septembre.

dimanche 27 juin 2004

Ornette Coleman Quartet (Théâtre du Châtelet - 26 Juin 2004)

Ornette Coleman traverse la scène d'une démarche hésitante de big cat vieillissant, élégamment chapeauté et cravaté, et après quelques mots glissés dans des micros que l'écho rend incompéhensibles, embouche son saxophone et attaque, furieusement épaulé par son fils Denardo à la batterie, et par deux bassistes, Greg Cohen qui assure la partie classique de basse Jazz, presque tout le temps en pizzicato solide, et Tony Falanga, à l'archet, qui crée des contre-lignes mélodiques, ou des introductions au lyrisme assumé, avant qu'Ornette n'impose ses miaulements plaintifs, ses lignes écorchées, son univers musical si personnel qu'il n'a pratiquement pas eu besoin de changer en 50 ans.

Malgré quelques numéros plus abruptement rageurs, où Denardo Coleman affiche une puissance de feu de boxeur Free impressionnante, le ton général est plutôt mélancolique, dans un tempo moyen, et c'est bien Ornette Coleman qui assure l'essentiel du travail. Ses solos sont tous gorgés d'idées, d'émotions, d'intensités. Même si, à force, les morceaux tendent à se ressembler un peu les uns les autres, c'est par l'excellence qu'ils partagent. "Beauty is a rare thing" ? Ce soir, pas tant que ça...

Quelques moments choisis : un duo des bassistes jouant tous deux sul ponticello, et Ornette surfant sur ce son presque fantomatique avec des mélodies particulièrement magnifiques ; un passage où Ornette joue du violon, très convaincant et original (il joue aussi deux trois fois de la trompette, comme pour continuer vers plus d'aigu certains de ses solos de saxophone) ; et la fin, en deuxième bis, avec un "Lonely Woman" qui crée des frissons partout.

lundi 21 juin 2004

Bill Holman Big Band (Cité de la Musique - 20 Juin 2004)

Bill Holman, grand ours octogénaire, dirige des Big Bands depuis plus de 50 ans. Autant ajouter quelques difficultés pour redonner du goût à l'exercice : par exemple orchestrer du Thelonious Monk, et travailler avec un orchestre de débutants.
Monk en Big Band, le mariage n'a rien d'évident : les rythmes instables, acrobatiques, les mélodies nerveuses, les couleurs acides, se prètent mal au passage orchestral, qui se nourrit essentiellement de swing débonnaire ponctué d'interventions solistes brillantes. Bill Holman s'en tire avec les honneurs, s'accrochant d'abord aux mélodies, tout en évitant (parfois de justesse) de les transformer en simples rengaines (pour "Straight, No Chaser", par exemple, il se focalise sur la contre-mélodie, rendant le morceau presque inidentifiable). Il ménage aussi quelques mélanges de couleurs intéressants (éclat violemment métallique du début de "Brilliant Corners"), et des zones presque expérimentales, où les lignes mélodiques se multiplient en une densité évoquant rapidement le Free.
Les solis sont nombreux, qui permettent à l'improvisation de reprendre ses droits. Dans ce "Big Band du Conservatoire de Paris", tous les instrumentistes ne sont pas à la hauteur de l'événement. Le pianiste Paul Lay fournit deux solis, dont un excellentissime hommage à Monk. Et rattrappe et relance très joliment un de ses camarades en panne d'idée. Les saxophonistes sont plutôt corrects, avec de bonnes interventions, chacun dans son style, volontaire et incisif, explosif et flamboyant, ou lyrique et émouvant. Les trompettes sont nettement moins convaincantes. Batteur et bassiste font leur boulot, ni plus ni moins.
Au bilan, un concert d'après-midi qui ressemble à une épreuve scolaire, réussie avec mention, mais sans qu'on approche jamais des hautes zones de la musique...

samedi 19 juin 2004

New-York (Cité de la Musique - 18 Juin 2004)

Conlon Nancarrow - Pièce n°2


Même quand il ne joue pas avec ses pianos mécaniques, Nancarrow s'intéresse quasiment exclusivement aux rythmes, qu'il superpose, confronte, ou distord avec maestria. Ici, le petit orchestre est divisé en blocs, qui chacun vit sur son propre tempo, la difficulté étant dans la coordination, qui impose une base rythmique de subdivision commune.
Malheureusement, les autres dimensions passent un peu à l'as : mélodies neutres, et surtout textures sonores sans imagination.
Dans le même genre, Charles Ives est infiniment plus intéressant, à la fois plus émouvant et plus radical. En abandonnant les rouleaux, avec lesquels il inventait la musique pour ordinateur sans ordinateur, Nancarrow s'est volontairement bridé, sans récolter de bénéfices tangibles. Dommage.

Ron Ford - Salomé Fast


Prenons, dans un opéra célèbre ("Salomé" de Richard Strauss), le livret. Réduisons-le à sa quintessence originelle (l'argument biblique). Donnons ce texte à une récitante experte en araméen, Naures Atto, une magnifique impératrice syriaque drapée de rouge. Entourons de musique fluide, nerveuse et mutante.
On obtient une pièce courte, forte, énergique, palpitante. Après un dense développement instrumental, la récitante déclame son texte avec une conviction et une théâtralité exemplaire. Sa voix se fait peu à peu trafiquer électroniquement, tandis que l'orchestre plonge dans un abîme sonore dominé par des percussions aux sonorités incongrues. Excellent.

John Zorn - For Your Eyes Only


Autant j'aime passionnément le travail de Zorn au sein de Masada, autant son coté "improvisation structurée" m'agace.
Cette pièce, écrite tout en regardant la télévision, zappe toute seule d'un climat à un autre, d'une évocation de tango à un clin d'oeil à Stravinsky, d'une fanfare de Jazz à un morceau atonal, sans jamais rester stable plus de 30 secondes. Ca peut être amusant un moment, mais l'absence totale de "discours" musical rend cette musique stérilement superficielle.
Cette inutilité est peut-être assumée, comme une critique du zapping culturel de la vie post-moderme, ou autre justification du même acabit bidon. Alors que l'oeuvre est juste ennuyante. Sans zapette à ma disposition, je me contente d'attendre que ça passe.

Steve Reich - Tehillim


C'est une pièce importante dans l'évolution de l'oeuvre de Reich : première fois qu'il met un texte en musique, utilisé aussi pour générer le rythme (de "Different Trains" à "The Cave", les enfants seront nombreux et fort vivaces). Il sort du minimalisme de "Come Out", même si la pièce reste dans le cadre de la musique répétitive !
Le chef d'orchestre, Peter Rundel, coupe la pièce en deux parties (alors qu'elle comporte 4 mouvements), d'une pause où un public étrangement inhabituel pour la Cité (d'où sortent ces ex Punks ?) essaie d'applaudir !
L'interprétation de l'EIC est bien évidemment impeccable (la simplicité de la partition permet à Desjardins de frôler la crise de rires !), celle des Synergy Vocals aussi. Mais pourquoi ces chanteuses passent-elles par les micros ? C'est un problème récurrent avec Reich, qui gâchent la beauté des voix par cet appareillage. Peut-être est-ce dù à l'utilisation dans son propre groupe, de voix au professionalisme insuffisant ? Ou est-ce un problème plus général avec l'équilibre sonore des pupitres ? Par exemple, les petites cymbales finales sont trop fortes. Sur disque, c'est aisément réparé. En concert par contre ...
Il est en fait tout à fait possible que Reich écrive plus pour le disque que pour la scène (sauf ses oeuvres multimédia ça va de soi)...

dimanche 13 juin 2004

Pina Bausch - Néfes (Théâtre de la Ville - 12 Juin 2004)

De la résidence à Istanbul ne restent que des traces (la nourriture, les bains, l'eau ...) et des allusions (des jeux sur le voile, l'ancienneté de la culture ...). Comme d'habitude alternent les sketches et scènes théâtrales, et les morceaux de danse pure.

Cette fois-ci, les sketches sont peu convaincants : trop anecdotiques, ou trop personnels, il leur manque souvent la charge d'absurde et d'universel. Pourquoi ces ronds sur le sol ? ou ces casiers sur roulettes ? Certains sketches font mouche néanmoins : le couple qui escalade le bord de scène pour déguster des friandies cachées, l'homme qui bondit pour embrasser une belle qui n'est plus là, les deux femmes qui échangent un même verre d'un bord à l'autre du fleuve...
Il y a aussi ces intermèdes théâtraux, qui souvent permettent d'évoquer au mieux la ville visitée, ou de donner le "message" de la pièce. Ils sont ici plus rares : un pique-nique avec apparement une invitée prestigieuse, une terrasse de café où les femmes sont comme de splendides toutous, plusieurs jeux sur le hammam, avec de blocs de bulles de mousse. Et il n'y aucune interaction avec le public (mis à part les sourires et les regards...).
Cette diminution de l'aspect théâtre se ressent aussi dans le décor : le plateau est quasiment nu, avec des rideaux tirés parfois pour passer de courts films d'ambiance, et un creux, peu discernable au début, où sourd peu à peu en une lente marée une eau inquiétante, à la "Dark Water", évocation de fleuve ou de lac.

Reste enfin la danse, pleine de duos et de solos. Les duos sont devenus presque classiques, avec des femmes qui provoquent gentiment, puis se laissent séduire par des princes charmants, qui les portent et les transportent, des couples qui s'enlacent et se délassent, une innocence des rapports homme/femme qui évitent les conflits trop heurtés et brutaux pour trouver des gestes d'entente et de conciliation. Quelques figures légendaires du Tanztheater Wuppertal ont quittées l'aventure, une nouvelle génération s'installe, qui visiblement se prend moins la tête pour ces histoires d'amour, se pose moins de questions, et laisse les relations se dérouler plus sereinement.
Les solos, enfin, sont l'essentiel du spectacle. Ils sont ciselés autour de chaque personnalité, mélangeant les gestuelles de la danse classique, des mouvements de la pantomime, et les apports de chacun chacune (danse indienne par exemple...), le tout mixé avec un art consommé de la sinuosité. Dire qu'ils sont superbes est en-deça de la vérité. Certains d'entre eux sont bouleversants, d'autres époustouflants, voire magiques.
La suite de solos féminins est extraordinaire, mais ce que ma mémoire choisit comme sommet, c'est ce solo masculin qui finit sous la pluie, tout en désespoir extraverti converti en énergie déployée ; et le solo féminin de danse indienne, répété devant témoin, est aussi splendide.

Il semble qu'au fil des années, Pina Bausch cesse de plus en plus de déverser ses angoisses et ses doutes sur le public ; au contraire, elle ne cesse d'offrir plus de beauté, dans des bijoux de danse imprégnés d'amour et de compassion. Le parcours de la Dame met d'autant plus de prix à ce cadeau : la danse comme meilleur moyen de prouver la beauté de la vie.

vendredi 4 juin 2004

Gielen - Kremer (Cité de la Musique - 3 Juin 2004)

Charles Ives - Central Park in the Dark + The Unanswered Question


Ces deux pièces jumelles sont jouées en suivant. Dans les deux cas, un tapis de cordes, stable, et un petit orchestre, dirigé indépendament, pour des épisodes variés.
Dans Central Park, les cordes jouent la nuit, l'orchestre joue toute une série d'événements bruyants qui viennent perturber la douce quiétude estivale du parc. Agréable, mais un peu superficiel.
La question sans réponse est d'un autre acabit. Les cordes jouent l'univers, la pure musique des sphères (superbe son du SWR Sinfonieorchester !), la trompette joue l'humanité qui pose encore et encore la même question de 5 notes ("qu"est-ce que la vie ?" j'imagine ce soir-là), et les vents sont les dieux, qui répondent de plus en plus énervés, des réponses de plus en plus complexes et incompréhensibles. Un vrai dialogue de sourds, surtout que la vraie réponse est dans l'harmonie éternelle des cordes. Une tragédie philosophique. L'interprétation est parfaite. Aidées par les réminiscences du film "La ligne rouge", les larmes me viennent aux yeux (alors même que dans le film, l'utilisation de cette musique m'avait énervé).

Dmitri Chostakovitch - Concerto n°1 pour violon


Des épisodes au lyrisme douloureux, rêveries remplies de désespoir accepté, comme un deuil depuis longtemps porté, et des danses villageoises, sauvages et ironiques, on est bien chez Chosta, cette oeuvre pourrait servir de résumé pour le caractère de sa musique.
Le violon est omniprésent. La dernière fois que j'ai vu Gidon Kremer, c'était dans le "Concerto Grosso n°5" de Schnittke. Depuis, il a plutôt salement vieilli, mais il danse toujours sur scène, et emporte le morceau par un allant, une rage joyeuse, une démonstration de virtuosité qui flirte avec les libertés (fausses notes dans les aigus ? est-ce si important, lorsque cela donne un coté "recherche de la blue note", renouant les cadences extraordinaires du concerto avec des improvisations Jazz).
En bis, et en solo, Gidon Kremer joue une "aurore" toute impressioniste (dont j'ai oublié l'auteur).

Béla Bartok - Musique pour cordes, percussion et célesta


On n'est pas au niveau de Fritz Reiner... Mon voisin le remarque fort justement : "Le début doit être pianissimo, ici il était seulement piano. C'est une interprétation trop rationnaliste." Tout à fait, Monsieur. Le premier mouvement doit être presque effrayant de tension, ici le climax est presque calme, trop soigneux dans les détails, pas assez halluciné. Je préfère les fausses notes de Kremer à cette perfection trop lisse.
Les autres mouvements sont mieux, avec un piano impeccable en percussions ou en glissandis, et quelques surprises scéniques : au cours du dernier mouvement, la joueuse de célesta doit se glisser périodiquement à coté du pianiste, pour y jouer à quatre mains. Dans l'espace encombré de la scène, elle s'acquitte de ce parcours avec une grace chaloupée très féline. Pour notre plaisir, elle se doit de recommencer lors du "bis" du Finale, joué d'ailleurs de manière plus détendue et du coup plus enlevé, donc plus réussi !

mercredi 2 juin 2004

Musicatreize (Cité de la Musique - 1 Juin 2004)

Maurice Ohana - Nuit de Pouchkine


Courte pièce de 8 minutes, pour choeur et haute-contre, accompagnés d'un violoncelle. Les circonstances de composition (écrite en deux jours pour un remplacement !) ont peut-être aidé à lui donner une fraicheur et une spontanéité très agréable. Parfaite pièce apéritive.

François-Bernard Mâche - Heol Dall


Ca commence par les deux pianistes se livrant à un concours de machines à écrire, et se termine par le choeur caquetant des onomatopées. Dans le catalogue d'effets déployés entretemps se glissent quelques épisodes plus heureux, comme des glissandis vocaux presque Xenakiens, ou des phrases enlevées jetées au pianos. C'est peu. Du coup, c'est long.

Iannis Xenakis - Nuits


Inécoutable sur CD, l'oeuvre doit se vivre en live. Les aigus funèbres déchirent, les basses monastiques tremblent. La barbarie déferle dans un raffinement d'écriture aux inventions fertiles. Xenakis ne cherche pas à séduire, mais à creuser. Et il pose ici une marque indélébile.

Luigi Dallapiccola - Canti di prigionia


Vraiment étrange et triste que Dallapiccola ne soit pas plus connu (mais je n'ai moi-même aucun CD ! C'est à réparer...) ! Car cette musique est à la fois belle, évidente et profonde. Les lignes vocales, de nature dodécaphonique, sont enchassées dans un écrin de pianos de harpes et de percussions légères, qui dans leur invocation répétée du Dies Irae, font comme des colliers de larmes étincelantes (l'image est curieuse, mais j'assume). Emotion drapée d'élégance. Magnifiquement triste.

samedi 29 mai 2004

Bartok - Eötvös (Cité de la Musique - 28 Mai 2004)

Béla Bartok - Deux images pour orchestre


La première, "En pleine fleur", est une sorte de méditation nocturne, empreinte de Debussysme, mais qui a du mal à dépasser l'exercice scolaire. La seconde, "Danse au village", se nourrit de mélodies et rythmes paysans, mais les plonge dans une orchestration convenue, limite pataude, qui les affaiblit totalement.
Du Bartok tiédasse, en fait ! Une oeuvre de jeunesse, écrite à 29 ans ? Mais l'opus suivant, c'est Barbe-Bleue !

Peter Eötvös - Replica


Concerto pour alto et orchestre, en prolongement de son opéra "Les trois soeurs". On est dans un certain conformisme de musique contemporaine, pour la durée (petit quart d'heure), pour la mise en scène (un orchestre assez classique, mais disposé originalement, ce qui permet de dire quelque-chose sur la plaquette mais ne change rien à la musique), pour l'orchestration (post-machin ou néo-truc, très "Schnittkienne", genre "j'ai digéré trois siècles de musique", mais du coup ne propose rien de vraiment neuf), pour le soliste (partition virtuose, surement, mais dans des limites qui permettenr à un non spécialiste de musique contemporaine de la jouer). Bref, pas grand-chose à dire...

Béla Bartok - Le Château de Barbe-Bleue


Enfin les choses sérieuses ! Ce récit simple (un homme dévoile chambre après chambre son âme à une femme...) et mystérieux (... et du coup l'emprisonne à son tour ; l'amour est-il donc impossible, ou est-il incompatible avec la connaissance de l'autre ?) est un de mes opéras préférés. Classicisme du déroulement du récit, mais variété et précision des climats, émotion de la musique et des voix...
L'Orchestre Philarmonique de Radio France est excellent, avec de splendides solos aux cuivres et aux bois. Ildiko Komlosi interprète Judith avec une puissance extraordinaire, une diction remarquable (non, je ne comprends pas le Hongrois ... Mais on "sent" la poésie des rythmes et des sonorités, qui ne peuvent découler que d'une parfaite maitrise de la langue, et ça tombe bien, elle est d'origine Hongroise...), bref elle est formidable. Peter Fried, par contre, ou du coup, est quelque peu écrasé par sa partenaire, son timbre sonne sec, et son interprétation semble sans direction précise, il est un peu perdu dans les limbes...
Une belle représentation, mais pas le sommet d'émotion que j'espérais...

mercredi 26 mai 2004

Varèse - Eötvös (Cité de la Musique - 25 Mai 2004)

Edgard Varèse - Ecuatorial


L'architecture de l'oeuvre est directement visible sur la scène. Au fond, une martiale rangée de percussionnistes. A gauche, une phalange de cuivres tranchants. A droite, un choeur d'hommes bien massif (le Choeur de l'Armée française, impeccables en uniformes). Et devant tout ça, deux joueuses d'ondes Martenot.
Inspirée de monuments précolombiens, la musique évoque de façon relativement convaincante des rituels barbares, grandioses, austères et sanglants.
Malheureusement, sans doute suis-je trop près de la scène pour bénéficier du mixage approprié ; du coup, les cuivres escamotent le choeur, peu audible, et les ondes se superposent en lézardes rapidement exaspérantes. La version initiale, pour Theremin, aurait eu l'avantage d'un impact visuel plus amusant.

Edgard Varèse - Déserts (avec vidéo de Bill Viola)


Un des chef-d'oeuvre emblématiques de Varèse. Une ascèse, avec ces accords de cuivres construits par étages, ces percussions hantées par le vide, ce statisme paradoxal... Et ces interpolations électroniques, concassages de sons bruts industriels, aujourd'hui filtrés par le temps et par la technique de l'époque, recouverts d'une irrésistible patine Vintage.

Depuis la vidéo de Bill Viola, ces interpolations sont réhabilitées, même si leur fonction n'est sans doute plus du tout celle que leur avait assignée Varèse ! Ce n'est plus un agrandissement de la furie orchestrale dans le monde concret, mais au contraire une prolongation purement mentale de la solitude affolante.

Aux passages instrumentaux, la vidéo accole des représentations de transformations d'énergie, dans une gradation de l'antédiluvien (courants marins, conquète de l'air, éclairs...), vers la civilisation, avec des rappels et des parallèles (incendies, lampadaires, arbres...). Et lors des passages électroniques, elle montre un homme qui s'asseoit, mange une soupe, fait tomber un verre d'eau. Le bruit semble très clairement venir de sa tête, remplie du tumulte énorme du mental.
Vers la fin, l'homme se fracasse dans l'énergie du monde. Une lampe allumée au fond de l'océan conclut par une note d'humour étrange.

Vidéo magique, profonde et pourtant si immédiatement lisible ; Varèse/Viola, une rencontre de ... génies ? (mot galvaudé, mais là...)

Peter Eötvös - Chinese Opera


Eötvös rend hommage à quatre metteurs en scène :
- Peter Brook, dans une intro trop rapide pour que je remarque quoi que ce soit
- Luc Bondy, dans un tableau aux raffinements fort travaillés, un souci des textures diaprées et des couleurs acidulées, un charme un peu stérile
- Klaus Michael Grüber, dans un développement plus lourd, une continuation mais dans un ton plus emphatique et un résultat plus ... théâtral (!)
- Patrice Chéreau, dans une conclusion qui se rapproche finalement de Varèse, par l'utilisation hiératique des percussions, le dégraissage des jeux instrumentaux, les scansions affirmées, puis adoucies.
Par cette dernière partie, l'oeuvre échappe au seul exercise de décoration, pour trouver une force plus authentique. Mais il reste quand même trop de sucre, et pas assez d'os.

samedi 22 mai 2004

Aka Moon (Sunset - 21 Mai 2004)

La soirée au Sunset commence vers 21:30, par un passage au SunSide (la salle au rez-de-chaussée), avec un quatuor italien, mené par Rosario Guiliani. Batteur et bassiste sont aussi enjoyés que des gardiens de prison, le pianiste réussit à ne pas faire applaudir ses solos, tant ils sont péniblement plats, et le saxo lui-même joue un hard-bop légèrement encombré de clichés et de formules, et de toute façon sans originalité ni grâce particulière.

Heureusement, rapidement, on descend dans la cave (le SunSet proprement dit), où Aka Moon s'installe vers 22h30.
Finalement, Magic Malick n'est pas venu, il est en vacances au Mexique... Pas de guests, reste le trio magique :
- Stéphane Galland à la batterie. La vision de Monk, la puissance d'Elvin Jones (rip). Le rythme hocquette, dérape, se divise, se multiplie, explose en tous sens. Un flux d'énergie mutante, un chaos bouillonnant. Tout ça avec un set de batterie presque minimal, mais une technique fabuleuse (roulements avec une seule main, rythmes indépendants entre les deux mains, frappes iconoclastes des symbales...) !
- Michel Hatzigeorgiou à la basse. A lui de contrôler le flux. Il le dompte avec rondeur, et s'envole de temps en temps dans des explorations plus guitaristiques.
- Fabrizio Cassol au saxophone. A lui de tournoyer, en galipettes et voltiges. Un débit impressionnant, mais une certaine aridité dans l'expressivité.

Généralement, on est plus dans le régime de l'énergie que de l'émotion. Exception notable, un solo extraordinaire de Hatzigeorgiou, sur une boucle de basse qu'il enregistre "au pied", puis sur laquelle il improvise sur un mode guitaristique, s'autorisant des pédales whawha (une ombre lointaine de Hendriks passe...), complétant et déformant la boucle, saturant le champ...

Sinon, donc, on est plutôt dans le registre jazz-punk, mais avec élégance, par exemple celle de ne jamais hurler dans le sax, alors même que l'accumulation d'énergie semblerait réclamer ce genre de paroxisme exultatoire. L'énergie va alors plutôt être fondue dans une débauche de cymbales, ou dans la répétition férocement virtuose d'une phrase synchrone pour une fois par les trois compères.

Le spectacle est en trois sets, 22:30-23:30, 00:00-01:00, 01:30-02:00, plus un bref rappel. Le public, dense au début, se clarsifie de set en set. Pour le troisième, on est enfin à notre aise, et on peut se rapprocher de la scène. Dans ce dernier set, Galland donne tout ce qu'il a en réserve pour piéger ces camarades, dont la communication et l'interaction fait plaisir à voir et à entendre.

On sort rassasié, et pour ma part gonflé à bloc. Suffisament pour commencer ce blog !