jeudi 28 octobre 2004

Shantala Shivalingappa - Shiva Ganga (Théâtre des Abbesses - 27 Octobre 2004)

Dans la notice du spectacle, Shivalingappa, déjà vue chez Pina Bausch dans "Néfes", explique que le kuchipudi "est aussi précis que le bhârata natyam mais moins codifié. Du coup, on peut être inventif, presque contemporain d'une certaine façon." Est-ce du à cette danse, ou à son interprétation personnelle, en tous cas ce spectacle mélange en effet la dramaturgie et les effets habituels de la danse indienne, et des touches beaucoup plus modernes.
En introduction, l'habituelle pièce uniquement musicale, jouée live par deux percussionnistes, un flutiste et un chanteur. Et la courte pièce dansée, en hommage aux dieux. Suivie de pièces plus longues et plus complexes. Du très classique, donc.
Par contre, la différentiation entre danse pure et danse narrative est plus ténue que d'habitude. Plutôt que de mimer, Shivalingappa évoque : d'une lente ondulation du dos, du buste et des bras, elle imite la trompe d'un éléphant à la fois puissant et protecteur ; d'un rapide mouliné des poignets et des mains, elle fait pousser un arbre dont les feuilles tremblent. Mais ces mouvements sont aussi des merveilles de technique fluide et naturelle, se figent en des postures d'une beauté de statue dans un temple, ou sont rompus par des surprises, un saut, une cheville qui déclenche une pirouette ...
Après une courte pause, elle revient en tenue plus décontractée, pour une pièce basée sur le rythme (un peu trop longue introduction musicale aux talas, continuée par le dialogue avec la danseuse, terminée avec les déplacements typiquement kuchipudi sur un plateau de cuivre), puis le morceau de bravoure, "Shiva Ganga", un tryptique entre énergie virile et énergie gracieuse.
Shivalingappa irradie, d'un généreux bonheur d'offrir la beauté lumineuse de sa danse. Elle flotte légèrement au-dessus du sol, ne le touchant que pour frapper un rythme. Après un tournoiement où elle trace un grand cercle en sautant d'un genou à l'autre, elle termine allongée et agitant lentement les bras, évoquant le fleuve Gange prodiguant sa force liquide au monde. Miraculeusement splendide.
Pour se remettre de tant d'émotions, elle offre un court bis plus classiquement bondissant.

MAJ : Zvezdoliki y était aussi !

samedi 23 octobre 2004

Mathilde Monnier - Publique (Théâtre de la Ville - 22 Octobre 2004)

Suite à la crise de l'intermittence, certains artistes, dont Monnier, ont peur de s'être trop éloigné du public ; et pour séduire à nouveau, elle propose de ne plus utiliser de concept compliqué, mais choisit un alibi fort simple : sur un plateau presque nu (à part un "mur pour skate" vers le fond), neuf femmes dansent sur du PJ Harvey. C'est une danse assez brute de fonderie, qui reprend des pas de discothèques, jusqu'au clin d'oeil ou à la parodie. Mais qui extrait l'energie et le plaisir immédiat qu'il y a à se laisser aller dans la danse. Comme ce sont tout de même des danseuses qui s'exécutent, elles ont suffisament de maîtrise de leur corps et du langage de la danse, pour que l'intérêt demeure.
Malheureusement, Mathilde Monnier ne sait pas être suffisament radicale pour abandonner toute radicalité. Chassez l'intellect par la porte, il revient par la fenêtre.

D'abord par des touches parfois bienvenues, comme le fait que certaines figures d'ensemble se mettent en place entre les danseuses, ou même quelques éléments de scénographie, voire de scénario, telle la rencontre entre de fausses jumelles qui s'imitent et se jalousent, et par des touches plus crispantes, comme le montage de la musique de PJ Harvey, où les chansons, au lieu d'être données dans leur intégralité, se voient mélangées, voire hachées menu, commme au début du spectacle.

Mais c'est la fin qui saborde l'ensemble de l'entreprise. Les danseuses se mettent à réciter, dans des micros trimballés d'un coté à l'autre de la scène, les paroles des chansons. La sympathie bienveillante suscitée par l'absence d'ambition de l'artiste disparait, remplacée par un profond énervement : pourquoi ces micros, ces textes, ce théâtre du pauvre, ce retour aux mots, alors que le seul intérêt était dans l'abandon de ces artifices pour se contenter du seul mouvement des corps, du bonheur de s'abandonner à la musique, de renoncer à essayer de faire du sens ?
Du coup, elle perd sur les deux tableaux. Car si on est dans une "vraie" pièce de danse, alors elle est trop pauvre, trop primaire, dans un êtat bon pour la répétition, pas pour la représentation finale.

Boulez et Mahler (Théâtre du Châtelet - 21 Octobre 2004)

Pierre Boulez - Livre pour cordes

Issue d'une oeuvre pour quatuor à cordes écrite dans les années 50 et abandonnée parce qu'elle s'était avérée quasiment injouable, cette pièce, élargie pour orchestre à cordes, plusieurs fois remaniée, est désormais d'un seul tenant, "variation". C'est bien de cela qu'il s'agit : un thème, aux caractéristiques si typiquement post-sérielles (sécheresse des articulations, malléabilité de la mélodie), est énoncé puis repris, varié, encore et encore, dans toutes les sortes de déclinaisons possibles, souvent simultanées, superposées, composées, pour former un réseau très riche d'idées, de sentiers qui bifurquent sans arrêt, qui se dissolvent pour céder leur place à de nouvelles lignes.
C'est intéressant mais un peu long et cela manque d'émotions. On se rapproche dangeureusement de l'absence de charmes de "Sur incises". Mais la subtilité sans cesse changeante de l'orchestration, ses lignes qui s'échappent de toute part pour disparaitre, me font penser à l'héritage debussyste qu'on retrouve dans "Ainsi la nuit". Je n'aurais jamais cru que du Boulez pourrait me faire penser à du Dutilleux...

Gustav Mahler - Symphonie n°7

Après le choc du "Chant de la Terre" d'il y a quelques jours, cette interprétation est une déception. L'oeuvre n'est pas facile, et même si je l'écoute relativement souvent en CD (dirigée par Boulez, en plus), je m'aperçois que c'est avec une assez faible qualité d'écoute, car elle me reste ici, en concert, largement inconnue, et presque impénétrable.
Boulez la dirige clairement dans un sens prophétique, dans ce qu'elle annonce du siècle musical naissant. Le premier mouvement est rempli de thèmes chostakovitchiens ; le quatrième mouvement débute par une splendide mélodie de timbres. Mais l'organisation interne des mouvements, faits de gros blocs sonores compacts et souvent antagonistes, donne une impression à la fois de répétition et de ruptures de ton incompréhensibles.
Etre perché assez haut dans le théâtre n'aide peut-être pas, mais le son qui se dégage du London Symphony Orchestra n'est pas mirobolant. Si les vents sont agréables, les percussions sont parfois déroutantes (est-ce que les cloches de vache doivent forcément avoir un son aussi aigre et moche ?!), et les cordes sont fades, manquant d'à peu près tout, vivacité, couleur, précision.
J'espère avoir plus de chances avec la 5°, dans quinze jours.

mercredi 20 octobre 2004

Kabuki (Chaillot - 19 Octobre 2004)

Le spectacle commence dans les hideux escaliers et corridors de ce monstrueux palais de Chaillot : s'y assemblent nombre de splendides geishas, en kimono ou robe de soirée, et une jungle de cultureux divers, dont malheureusement l'une des pires sous-espèces colonise la rangée au-dessus de ma place. Heureux d'être contents d'eux-mêmes, ils se félicitent de tous connaître "Dominique", de s'être vus à l'anniversaire de "Nelly" (qui a un reportage photo dans le dernier Obs, n'est-ce pas) et se mettent à glousser à la vue des onnagata, les confondant sans doute avec des drag-queens.
Mais c'est l'inconvénient d'être à un emplacement parfait : à quelques mètres de la scène, et devant le chemin de sortie des acteurs, une allée de tissu qu'un personnel bilingue tente de protéger du public inattentif et pressé de couper au plus court pour rejoindre sa place.

La soirée s'annonce longue : théâtre, puis cérémonie rituelle, puis danse. Avec des entractes d'une demi-heure.

Théâtre d'abord. "Double suicide au mont Toribé" est une histoire d'amour tragique entre un samourai et une courtisane ; parce que, ivre, il a accepté un duel où il a tué le frère de son meilleur ami, et parce que, encore vierge, elle ne peut accepter d'aller avec un autre sans se déshonorer, ils décident de se suicider de concert.
Le splendide décor est une radicale solution au problème de cette scène immense, piège souvent fatal : presque totalement frontal, très plat, il l'escamote ! Le raffinement somptueux des costumes, le hiératisme solennel des attitudes et des positions visiblement précisément codifiées, impressionne. Sur le fond sonore formé par les musiciens (shamisen - luth à trois cordes, tambours et percussions aigües) et les récitants (qui commentent l'action et les sentiments), les voix des acteurs (rôles males et femelles) frôlent le parlé-chanté, dans des inflexions absolument non naturelles, des ruptures de rythme qui, là aussi dans un langage parfaitement codifié, traduisent les émotions, les transmettent avec une acuité remarquable, même si on ne connaît absolument pas les codes.
Les pleurs de la coutisane, l'emportement sanguinaire du frère, l'ivresse du samourai, la bonhomie touchante du père, dans tout cela l'exotisme l'emporte sans doute un peu sur les intentions originales de la pièce, mais une part importante de beauté nous est heureusement néanmoins accessible, et suffisante pour notre plaisir ébahi.

Après un premier entracte, une petite cérémonie de prise de nom. Shinnosuke Ichikawa VII devient Ebizô Ichikawa XI, salué par son père et ses pairs, qui récitent de petits discours de félicitation, avec de vrais morceaux en français dedans. Le nouvel élu (qui deviendra peut-être un jour Danjûrô XII, si le monde du Kabuki l'en juge digne), nous gratifie d'un "regard intense", une contraction du visage qui fait flamboyer terriblement les yeux, pratique censée chasser les rhumes, explique-t-il avec une humilité déconcertante.

Après un nouvel entracte, le spectacle de danse, "Le Lion au miroir". Dans un décor encore plus beau de peintures de pivoines, toute une troupe musicale se déploie, avec les shamisen, les diverses percussions, une flute de bambou, et des chanteurs, qui parfois poussent aussi diverses formes de cris et de feulements.
Ebizô Ichikawa, en femme, vient danser avec des éventails, puis est remplacé par un couple de papillons, puis revient en lion, pour un final féroce et virevoltant.
Je comprends pourquoi cette forme de danse est souvent caricaturée dans les films d'arts martiaux : la beauté des mouvements n'empèche pas une forme de préciosité un peu ridicule, une esthétique trop alambiquée pour toucher les spectateurs novices.
L'émotion déployée dans la pièce de théâtre demeure ici trop cachée. Reste la suprème élégance des costumes, les admirables performances physiques, la rigueur technique des gestes, mais on sent un niveau de compréhension de l'oeuvre qu'on ne sait pas atteindre, faute de connaissance et d'accoutumance.

samedi 16 octobre 2004

Sasha Waltz - Impromptus (Théâtre de la Ville - 15 Octobre 2004)

La scène, comme fracassée en deux plaques, impressionne, et les angles en contre-plongée donnent, de la hauteur de ma place, un début de vertige.
Dans un angle, sur l'avant, trone un piano. Cristina Marton y joue, sans la ramener, presque discrètement, les impromptus de Schubert (d'où le nom de la pièce ...), ainsi que quelques lieds, chantés avec coeur et profondeur par Judith Simonis ; chaque morceau est encadré de plages de silence.
Sur la scène se succèdent des couples, parfois plusieurs en même temps, et quelques groupes plus indifférenciés. La danse tente un équilibre pas toujours évident entre des positions parfois acrobatiques (comment un corps peut-il s'enrouler en tous sens autour d'un autre, sans jamais toucher terre : exercice intéressant mais relativement vain), un langage chorégraphique moderne (courses à la Keersmaeker, mais sans la fonction de pulsion énergétique ; mouvements élastiques à la Forsythe, malheureusement un cran en-dessous ; etc.), et des figures assez classiques (des pas de deux racontant des histoires d'amour, des scènes de groupes pour montrer l'aliénation de la vie sociale...).
Quelques éléments de théâtre ponctuent les 90 minutes de la pièce : un couple entre chaussé de bottes remplies d'eau, ce qui fait de charmants glou-glous quand ils se promènent. Des craies rouges et noires apparaissent, dont les danseurs se servent pour maculer le plancher et leurs corps. Les bottes, vidées sur la craie, font des coulures aux couleurs tragiques. Des danseuses se baignent pour se laver. Et c'est tout. On dirait du Pina Bausch, mais minimalisé, tant dans la durée que dans l'intensité, et comme les intentions de la pièce restent floues, le résultat reste faible.
Comme en plus, et j'en ai ici la confirmation, la musique de Schubert m'indiffère totalement, cette soirée a été globalement décevante. Rendez-nous "Körper" !


mercredi 13 octobre 2004

Sinfonia Varsovia (Cité de la Musique - 13 Octobre 2004)

Giacomo Meyerbeer - Ouverture de Robert le Diable

En trois minutes, l'orchestre se réveille, par quelques coups de percussion, une montée en puissance par paliers et rechutes, pour finir avec une mer de violons déchainée, dominée par des cuivres tonitruants, dont un trio de trombones particulièrement en forme ! Revigorant, et rudement efficace !

Felix Mendelssohn - Concerto pour violon n°2

Ah, d'accord. Quand retentit le premier thème, on se dit : "Ah c'est ça !", en reconnaissant cet air fort connu, légèrement tzygane. Un air vif et entrainant, suivi d'autres thèmes eux aussi vifs et entrainants, et repris, recommencés et répétés jusqu'à plus soif, sur un fond d'orchestration qui frise l'académisme. Malgré quelques surprises, comme la cadence de violon qui n'intervient pas à l'emplacement habituel, le tout lasse rapidement.
Pour remercier le public qui lui fait un triomphe, Laurent Korcia revient se venge et se transcende dans un morceau inconnu, entre post-romantisme et avant-garde, où les miélismes, les doubles notes, les jeux multiples, célèbrent en pyrotechnie sa formidable technique.

Gustav Mahler - Le Chant de la terre

Et là, miracle. Une oeuvre admirée, souvent écoutée, déjà vue en concert (il y a quelques années au Chatelet, dans une version mise en scène, avec donc les musiciens dans la fosse), s'éclaire de nouvelles révélations, met à jour de nouveaux trésors, et s'offre dans une interprétation absolument magnifique, voire fabuleuse.
Ma position dans la salle était a priori un peu inquiétante : en balcon, juste deux rangs devant le chef d'orchestre (Tadeusz Wojciechowski, à l'impeccable crinière blanche) ; je craignais un son déformé par la proximité de certains pupitres, j'avais tort : la vue me permet de distinguer à tout moment qui joue, et l'accoustique sans défaut de la salle fait le reste. Du coup, je profite dans toute sa plénitude du son extraordinaire de la Sinfonia Varsovia (orchestre fondé en 1984, formé de jeunes virtuoses polonais) : des basses précises et effrayantes quand il faut, des médiums moelleux, voluptueux, presque gras, et des aigus rutilants, éblouissants, coupants comme l'eau claire. En particulier, le jeu flutes/piccolos/clarinettes est d'une beauté et d'une clarté extraordinaires.
Le rôle du ténor est assez ingrat : ses airs parfois presque triviaux sont souvent noyés dans l'orchestre. Adam Zdunikowski fait ce qu'il peut, mais comme toujours c'est la femme qu'on attend. Et là, la mezzo-soprano Ekaterina Gubanova est fabuleuse. Elle épouse l'orchestre, qui la nourrit et la propulse, parfois vers l'avant, parfois vers le haut. Quand elle chante uniquement soutenu par une ligne de contrebasse presque inaudible, et un ou deux vents, c'est de la beauté magique.
Le chant de l'adieu est particulièrement une révélation. Les mélodies y éclosent, l'orchestration enfle puis retombe, le silence est presque atteint, puis le cycle reprend. Le fait que la musique répète plusieurs fois de cette manière ce qui sera chanté à la fin, à savoir la pérénnité des cycles des saisons, ne m'était jamais apparu ! Et quand cela est chanté, c'est dans une stase, comme un gigantesque zoom arrière, pour indiquer l'éternité de ce caractère cyclique. Cette fin est particulièrement bouleversante : la cantatrice sait comment murmurer "Ewig Ewig" en faisant entendre toute la douleur et la douceur de cette révélation, tandis que l'orchestre se fige dans une couleur glacée et crépusculaire.

dimanche 10 octobre 2004

Kurt Weill (Cité de la Musique - 9 Octobre 2004)

Der Silbersee - extraits

Oui, "extraits" seulement. Ce qui nous est proposé n'est pas une suite orchestrale, pensée par le compositeur en oeuvre musicale spécifique, mais des morceaux découpés dans la pièce d'origine (le livret n'est pas très clair : une pièce de théâtre avec musique ; j'ignore la proportion et la quantité de musique en jeu), et mis à la queue leu leu sans structure ni raison.
Du coup, à part le premier extrait, qui est l'ouverture et qui propose deux thèmes qui s'affrontent mélodiquement et rhythmiquement, les autres ne se basent que sur une seule idée, exposée, à peine variée, rapidement conclue. Sans l'alibi théâtral où ces morceaux musicaux accompagnaient l'intrigue ou présentaient les personnages, l'intérêt est fort faible.
Heureusement, quelques musiciens, et en particulier le trompettiste, Yohan Chetail, se distinguent par des solos particulièrement finement ciselés.

Symphonie n°2

Entendre de la vraie musique, structurée sur des durées plus longues que quelques minutes, avec plusieurs thèmes, des variations dans les couleurs orchestrales, etc., est un soulagement. Mais la pièce est curieusement froide. Le second mouvement est une marche funèbre, le troisième est plus vif, mais peu enthousiasmant non plus. Malheureusement, Weill n'est pas Malher. Le pathos passe mal, et cette symphonie sonne, non pas triste ou tragique, mais simplement lourde et quelque peu ennuyeuse. La fin, en cavalcade tonitruante, n'est guère plus convaincante.
Ce sera la dernière oeuvre non vocale de Weill. On peut comprendre pourquoi.

Die sieben Todsünden

Autrement dit, les 7 péchés capitaux. Cette collaboration avec Brecht est un de leurs chefs d'oeuvre. Première fois que j'entends cette oeuvre en concert, et je découvre avec joie des particularismes dont je n'avais pas conscience, comme l'alliance des pizzicati aux violons avec le banjo, ou le jeu des cuivres en fanfares de cirque.
Le choeur masculin est excellent, sans reproche. Par contre, la cantatrice Nancy Gustafson ... . Elle est tout simplement inadéquate. Elle manque de force vocale, et de précision dans l'articulation (dans la langue allemande, et dans la tenue de la mélodie). Apparement, elle tente de compenser en théâtralisant son interprétation, se penchant de droite, de gauche, faisant des courbettes au public, que sais-je encore, ce qui égare encore plus sa voix. Bref, une partie non négligeable de son discours (texte et musique) ne nous parvient pas, complètement noyé sous l'orchestre. Entre autres, les exquis "Nicht Wahr, Anna ? Ja, Anna" qui ponctuent la soumission de la soeur artiste à sa soeur imprésario (et maquerelle à l'occasion).
Au bout d'un moment, je décide de suppléer à ses carences en ne l'écoutant plus, me concentrant sur l'orchestre. C'est une bonne idée, car l'Orchestre Philarmonique de Radio France joue ces mélodies à la naïveté blindée d'ironie avec une délectation communicative. Et le jeune chef d'orchestre, Kirill Karabits, les entraine avec fougue et enthousiasme.

jeudi 7 octobre 2004

The Elephant Vanishes (MC 93 Bobigny - 5 Octobre 2004)

D'abord, un mot sur le restaurant de la MC93, et son service spectaculairement inefficace. Assis à 19h30, servi (raviolis, basiques mais à prix correct) à 19h50, fini à 20h05, et à 20h20 toujours personne pour encaisser, alors qu'une bonne vingtaine de personnes attend de pouvoir s'installer à son tour. Le manque de personnel a créé le Slow-food...

Mais on est là pour du théâtre. Alors que les gens finissent de s'installer dans la grande salle, sans âme mais confortable, une femme entre en scène, s'excuse du retard que va prendre le spectacle, à cause d'un problème de compatibilité entre les projecteurs japonais et le système électrique français, puis dérive sur la consommation en lumière de Tokyo la nuit, sur la vitesse de la lumière (Tokyo-Paris en deux battements d'aile d'oiseau-mouche, "amazing" ; "étonnant" traduit avec retard une interprète peu utile), l'irreversibilité du temps (expérience à l'appui : on ne peut inverser le mélange eau-encre), et sujets annexes... Prélude décalé, vif, drolatique, très réussi.

Puis la pièce commence vraiment. Etrange pièce ! Basée sur trois nouvelles de Haruki Murakami, jouée en japonais (surtitré), mise en scène par Simon McBurney, et produite par l'équipe Complicité, elle déconcerte, étonne, peut rebuter certains par une certaine superficialité, et ses maniérismes de mise en scène, ou au contraire fasciner par la magie des transformations du plateau, et par l'originalité des thèmes abordés.

De quoi s'agit-il ? D'un éléphant, mascotte d'un quartier de banlieue, qui a disparu soudain, au grand désarroi d'un vendeur d'électroménager qui lui rendait visite chaque semaine ; d'un couple qui, pour se défaire du mauvais sort acquis par le mari lors du cambriolage raté d'une boulangerie, décide d'attaquer un McDo ; d'une femme qui n'ayant plus sommeil passe 17 nuits à revoir sa vie et s'aperçoit qu'elle en déteste l'essentiel.
Des ruptures, et de leurs conséquences. Comment réagir quand la vie déraille, quand des béances se font jour ? Y résister ou s'y engouffrer ? En profiter pour devenir autre, malgré le danger de ne plus savoir qui on sera ?

La mise en scène de Simon McBurney (aidée par la scénographie de Michael Levine) est extraordinaire. A l'aide de quelques éléments de mobilier, et de beaucoup de vidéos, il crée des moments magiques, évoquant le rythme de la ville, ou plutôt cette juxtaposition de rythmes disjoints et simultanés ; invoquant des souvenirs, comme ce boulanger qui vient pétrir un oreiller ; invitant par une télé montrant son oeil et poussant son cri, un éléphant à traverser d'une énigmatique mais forte présence la scène de part en part ; créant pour la femme insomniaques des doubles inquiétants, des clones en pyjama qui transforment sa veille en long cauchemar peut-être pas si éveillé que ça.

"Le plus important pour une kitchen, c'est l'unité", répète à loisir le vendeur admirateur de l'éléphant, déboussolé par sa disparition. C'est ce qu'il y a sans doute de plus dur de trouver dans ce spectacle. En combinant ces trois nouvelles, il propose un univers, sans doute celui de Murakami, où transparaissent des thèmes communs, mais sans plus. L'invention de la mise en scène, le talent des comédiens, l'humour présent dans les situations et dans les dialogues, la complicité qui se crée malgré tout entre ces personnages peu normaux et nous, font de ce spectacle incongru une excellente soirée, divertissante et enrichissante.
Si des lecteurs peuvent me conseiller certains livres de Murakami, je suis intéressé.

dimanche 3 octobre 2004

Karlheinz Stockhausen - Mixtur (Cité de la Musique - 1 Octobre 2004)

L'Ensemble InterContemporain, plus les musiciens complémentaires, sont divisés en groupes intrusmentaux, séparés par des plaques de verre. Leur jeu est capté par des micros, mélangé et mixé par des modulateurs en anneau, redistribué sur des hauts-parleurs. Cela donne des textures plutôt métalliques, mais variées, et un étonnant spectre de couleurs, depuis des aigus agressifs mais relativement habituels, jusqu'à des basses vrombissantes beaucoup plus originales.
Comme le jeu direct des instruments est presque totalement absorbé par les transformations électroniques, il est parfois difficile mais toujours amusant de déterminer quel instrumentiste est à l'origine de telle ou telle sonorité.

Non content de réaliser la première oeuvre pour ensemble orchestral et électronique "Live" (créée en 1964, modifiée en 1967), Stockhausen y ajoute quelques éléments d'ouverture, comme des passages aléatoires, et deux trajectoires possibles, qui nous sont toutes deux données ce soir : les 20 épisodes sont d'abord traversés dans l'ordre rétrograde, puis après l'entracte, dans l'ordre normal.

Que ces oeuvres électroniques vieillissent bien est un très bon signe. Ce que le son perd en spectaculaire, il le regagne en prenant un aspect vintage très agréable, comme de vieux effets spéciaux réalisés avec soin. Les glissandi intemporels des cordes, les crissements des cymbales suspendues, les tutti chaotiques, plus les générateurs d'ondes sinusoïdales et les fameuses modulations en anneau, permettent de varier les effets, et donnent une oeuvre très agréable donc, même si elle n'est pas forcément inoubliable.