lundi 29 novembre 2004

Peter Eötvös - Angels in America (Théâtre du Châtelet - 28 Novembre 2004)

S'il y a deux sortes d'opéra, ceux qui s'écoutent ("60ème parallèle" de Manoury) et ceux qui se regardent ("Le grand Macabre" de Ligeti), celui-ci est plutôt dans la seconde catégorie. La puissance de la pièce de théâtre de Tony Kushner irrigue cette adaptation, qui tente d'en universaliser le propos en gommant les aspects les plus politiques (le thème "Dieu a envoyé le SIDA sur terre pour punir les pédés" a connu bien plus de succès aux Etats-Unis qu'en France) et peut-être anecdotiques, pour garder le mélange étonnant de thèmes forts : le SIDA, les homosexuels, les juifs, les anges, Dieu.
En mélangeant le glauque (l'hallucination au valium de Harper), l'ironie (l'érection de Prior devant l'ange), ou l'extravagant (Monsieur Bobart), au mystique ("prépare la voie"), au philosophique (prédestination, libre arbitre, responsabilité), sans oublier de l'émotionnel brut (la mort de Roy Cohn, accompagné de la comptine de Ethel Rosenberg venu le voir mourir dans des souffrances pires que les siennes, et finalement prise de pitié), Kushner et Mari Mezei (auteur du livret) arrivent à maintenir le spectateur en haleine pendant les quasiment deux heures, sans baisse de régime, renvoyé comme dans un flipper d'émotion en rire et d'interrogation métaphysique en surprise.
La musique est à l'avenant, la plupart du temps discrète, changeante incessament, jouée par 16 solistes seulement, mais aidée d'electronique. Certains personnages sont choisis par un instrument (la flute pour Harper, la guitare pour Louis), d'autres par un type d'instrumentation (c'est l'ange de Barbara Hebdricks qui a droit à la musique la plus étoffée, la plus classiquement lyrique). Mais si certains moments restent mémorable (très beau final, avec du saxophone et de la clarinette basse), la musique est la plupart du temps en arrière-plan, traversée d'influences multiples (des sons urbains ici, une batterie rock là, des cordes étales ailleurs...) mais sans caractère marquant.
Excepté l'ange Hendricks, les protagonistes passent à tout moment du parlé au chanté, aidés par des micros pour une fois très bien utilisés. Cette part importante de parole non chantée permet de rendre le texte plus accessible, et permet aussi de jolies scènes où l'homme oppose un parlé trivial au chant trop parfait de l'ange.
La lisibilité est aussi un aspect clé de la mise en scène (Philippe Calvario), aidé des décors astuciex de Richard Peduzzi, qui propose des boites sur roulettes contenant des morceaux de chambres ou de bureaux, et qui poussées tirées par des machinistes forment des rues cloisonnées, belle illustration de solitude urbaine. Les envolées de lit ou de plateaux sont moins réussis.
Face à un impressionnant casting féminin (Barbara Hendricks, Julia Migenes, et la moins connue Roberta Alexander), Daniel Belcher joue un extraordinaire Prior Walter, qui résiste à la douleur de la maladie et de l'abandon par un humour cinglant et un refus du divin.
La fin est un peu trop consensuelle, et le constat "the world only spins forward" aurait pu être mis en accusation, mais le "More Life" qui illumine le mur du fond a belle allure.
Bilan: une pièce forte, une interprétation excellente, une superbe mise en scène, une musique un peu trop discrète, pour un spectacle de très bonne qualité, et fort bien accueilli.

mercredi 24 novembre 2004

La Rose et la hache (Théâtre de l'Odeon Ateliers Berthier - 23 Novembre 2004)

Sympathique salle : pendant que l'Odéon se refait une beauté, le théâtre de l'Europe s'est installé dans cette ancienne fabrique, dont les murs bruts et la hauteur sous plafond donnent de l'authenticité à une avant-salle pleine de recoins et de charmes, avec un bel espace sans doute prévu pour les entractes, et une salle toute classique, aux fauteuils un peu étroits mais confortables, et une belle pente.
La scène, on n'en voit pas grand-chose, plongée qu'elle est quasi tout du long dans une obscurité mortuaire.

Lugubre spectacle, à l'hérédité chargée. D'abord le "Richard III" de Shakespeare, où un effroyable monstre escalade dans le sang la traitrise et l'infamie toutes les étapes nécessaires à s'installer sur le trone d'Angleterre. Ensuite il y a Carmelo Bene, qui a démonté la chronologie et conceptualisé le personnage. Enfin, nous avons aujourd'hui Georges Lavaudant qui mèle la pièce originelle et les idées de Bene.
Cela donne une série de scène, comme des instantanés, des souvenirs revécus, des fragments figés dans un lent cauchemar éveillé : des banquets, des rencontres, des ordres donnés pour assassiner tel ou telle, tous les efforts de Richard pour se donner un destin, ou peut-être simplement une vie.

Le dispositif est minimal, pour du Shakespeare. 3 acteurs (où Georges Lavaudant lui-même joue la mère de Richard), 2 actrices. Un décor unique, une longue table envahie de verres et de carafes, à demi pleins de vin rouge. Et au centre du dispositif, Richard, interprété par Ariel Garcia Valdès.

Il est clairement habité par ce rôle, déjà joué il y a 25 ans. Comme j'ai loupé cet épisode précédent, je ne peux que juger la performance actuelle. Et étrangement, sa façon de ricaner, de hurler, de maudire, de se déplacer en claudiquant, me font penser sans arrêt à Daniel Auteuil, croisement entre une version sous acide de "La Reine Margot" et ses prestations cabotinantes genre "Ma vie est un enfer".

Autre problème, certaines affèteries de mise en scène m'irritent, voire m'accablent. Pour donner un air de cauchemar à l'ensemble, les habits et les maquillages doivent enlever tout charme, même toute beauté. Il y a du coup beaucoup plus de hache que de rose. La scène de séduction de Lady Anne par Richard est amoindrie par le fait qu'Anne ne possède aucun attrait...
Mais surtout, les scènes sont séparées par de courts intermèdes dansés, ou bougés. Jean-Claude Galotta est chargé de la chorégraphie. L'auteur de "Ulysses", une des plus belles invitations au voyage que je connaisse, réduit à ses interruptions au ridicule parfois mal maitrisé ? Tristesse.

En conclusion, un spectacle court, une heure seulement, intéressant, avec des moments grandioses, mais un peu survendu par la presse. Sans doute ceux qui avaient vu le même spectacle il y a 25 ans, ou le travail de Garcia Valdès et Gevaudant chez Shakespeare entretemps, auront plus d'outils pour apprécier.

samedi 20 novembre 2004

Akram Khan - Ma (Théâtre de la Ville - 19 Novembre 2004)

Cette pièce se construit sur quelques oppositions, exploitant la tension entre les contraires. En premier lieu, l'opposition la plus douloureuse, entre l'obscurité totale, et l'éblouissement de spots violemment tournés vers le public (note aux éclairagistes : gaffe au gimmick, se faire aveugler devient rapidement lassant). L'opposition la plus fructueuse est musicale : d'un coté un percussioniste indien, accompagné parfois d'un chanteur, et de l'autre coté de la scène, une violoncelliste classique ; leur dialogue crée de très jolis moments.
Plus classiquement pour Khan, il s'agit aussi d'établir des ponts entre l'essence du Kathak, et des inspirations plus contemporaines. Des passages près du sol, en reptation ou en glissades, alternent avec des sequences debout, où les bras moulinent des mouvements spectaculairement vifs, comme des attaques d'art martiaux. Même si la troupe est d'un excellent niveau (toutefois pas intégralement homogène, l'ancienneté dans l'équipe est un atout visible pour se glisser dans l'esprit de cette danse qui cannibalise la tradition pour la revêtir d'atours tout ce qu'il y a de modernes), Akram Khan les surclasse tous. Dans les mouvements d'ensemble, il ajoute des fioritures pour rester dans les temps !
Malheureusement, il manque encore à ce jeune auteur un peu de maturité. Pour faire passer son discours, comme tout chorégraphe moderne qui se respecte, il décide de mettre du texte. Et alors qu'il est un prodigieux pédagogue dans ses spectacles de Kathak, il n'est pas un très bon dramaturge metteur en scène. Le récit du conte de la femme qui élève des arbres, effectué sans grande raison par deux danseuses tête en bas et une jambe tendue, alourdit, ralentit considérablement l'ensemble. Le spectacle, qui ne dépasse qu'à peine 1 heure, réussit à sembler long, principalement à cause de ses passages théâtraux mal maitrisés, et à peu près inutiles.
Cela dit, il réussit une nouvelle fois à prouver la validité du mélange danse indienne traditionnelle / danse occidentale contemporaine. Le reste viendra. A suivre avec passion !

samedi 13 novembre 2004

Sidi Larbi Cherkaoui - Tempus Fugit (Théâtre de la Ville - 12 Novembre 2004)

Quel décor ! L'arrière de la scène est un écran où sont projetées des images de forêts ou de ciels. Devant cet écran, deux rangées décalées de piliers dont le haut imite des arbres. Un mince courant d'eau court sur les cotés et le devant du plateau. Des plaques au sol se soulèvent pour révéler divers trésors. Certains éléments ne sont qu'à peine utilisés, mais les piliers sont essentiels au spectacle. Les danseurs/acteurs/chanteurs s'y accrochent, y grimpent et en redescendent de diverses manières, se balancent de l'un à l'autre, parfois à l'aide de cordes, parfois pas. Jungle urbaine, labyrinthe, ils se métamorphosent au gré des saynètes.

Quelle troupe ! Il y a les musiciens du groupe Weshm, menés par le chanteur Najib Cherradi, qui, avec un violoncelle, un qanoun, et un set de percussions, jouent des musiques très diverses, dans le temps (du moyen-age au temps des cerises), et dans l'espace (beaucoup de musiques arabes, mais aussi africaines ou corses).
Il y a aussi une chanteuse, Christine Leboutte. Mais qui est aussi danseuse. Et les danseurs doivent aussi chanter, parfois la tête en bas.
Ces performeurs multi-disciplinaires viennent des Ballets C de la B(ballets Contemporains de la Belgique, apprens-je à cette occasion ; je trouve ça décevant, comme explication, je croyais que c'était une allusion aux Bijoux de la Castafiore, allez savoir pourquoi !).
Venus d'horizon divers, ils aiment le danger, et les manifestations explosives. Sauts enchainés jusqu'à l'épuisement, solos frénétiques, acrobaties hip-hop, jeux du cirque, ils se nourissent d'influences multiples, et recrachent le tout avec une générosité débridée.

Le titre est curieux, car il n'est pas tellement question de temps (même si l'écran dit "quatre ans plus tard" ou "quelques années plus tôt"). Il est surtout question de brassage géographique et culturel. De nombreuses danses "locales" sont évoquées, depuis une parodie de Bollywood, à une danse africaine qui se transforme en quadrille irlandais, pour s'achever en duo amoureux et douloureux.
Les saynètes se succèdent avec une belle densité, et une profusion de sens qui peut malheureusement desservir le propos général, donnant une impression de déballage superficiel de thèmes rabachés, genre "one world for all of us". Mais je ne suis pas sur que Sidi Larbi Cherkaoui ait un "discours" à tenir sur l'état du monde. Il constate, et rapporte, tissant une scénographie autour d'anecdotes racontées par les membres de la troupe.
On a un asiatique découvrant la joie d'être grand chanteur, et la douleur quand s'achève le quart d'heure de gloire. Une femme coincée au milieu d'hommes qui en dansant la frappent. La même ou une autre, qui voilée, se voit rapetisser, transformée en naine. Une femme inanimée, réveillée par un baiser, qui seul la maintient en vie le long d'un tango, jusqu'à ce qu'elle aspire à son tour son partenaire.
La plus belle scène se joue sur "Le Temps des Cerises". Sous les arbres des piliers, tombent des feuilles mortes, des confettis de neige, ou de l'eau, et les chanteurs passent ainsi d'une saison à l'autre en passant d'un pilier à l'autre. Réunis tous sous des parapluies et des tentures, ils forment une belle unité de races et de cultures, bientôt interrompus par un pinailleur d'accentuation, qui explique que sans accents circonflexes et O ouverts, le temps des cerises deviendra le temps des bananes, puis se lance dans une suite de propos racistes, machistes, homophobes, de plus en plus délirants.
Cliché ? Si on veut. Mais peut-être simplement constat des difficultés, et acceptation lucide.

En conclusion, de la danse spectaculaire, de la musique excellente, des émotions fortes de diverses natures, des moments extraordinaires, demander en plus un discours politique pointu est peut-être trop exiger.

dimanche 7 novembre 2004

Grimaud et Järvi (Théâtre du Châtelet - 5 Novembre 2004)

Ludwig van Beethoven - Concerto pour piano n°4 en sol majeur opus 58

Le Cincinnati Symphony Orchestra a une drole d'habitude : bien avant le début du concert, des musiciens en grand nombre s'installent sur la scène et jouent dans le désordre, pour prendre peut-être la température de la pièce, ou du public, ou pour chauffer les instruments. Dès que la sonnerie de rappel retentit, ils sortent précipitamment, pour revenir ensuite cérémonieusement. Entre ensuite le premier violon, puis enfin le chef d'orchestre, Paavo Järvi, et Hélène Grimaud. En souple pantalon noir, bras nus, chignon strict, teinture brune, elle avance d'une démarche assurée de danseuse, s'asseoit au piano, se concentre un moment, et lance la phrase introductive solo du concerto. Dans le premier mouvement, elle se promène sereine, déambule entre les thèmes, accumule un peu trop ostensiblement les montées et descentes de clavier, et flotte un peu trop au-dessus de la partition, comme pas spécialement concernée. L'orchestre répond avec un éclat souvent spectaculaire, et une maellabilité remarquable. Dans le second mouvement, plus introspectif, elle, courbée, ramassée, se la joue plus tourmentée, mais la fièvre romantique n'est pas vraiment son truc, elle est trop zen pour ça. Le troisième mouvement est un grand jeu entre la pianiste et l'orchestre, qui dansent fort joyeusement ensemble. Triomphe modeste de la belle, qui aurait pu nous offrir un bis, quand même.

Gustav Mahler - Symphonie n°5 en ut dièse mineure

Si le son du London Symphony Orchestra ne m'avait pas plu dans la 7ème dirigée par Boulez, ce n'est pas la faute de la salle. Car le Cincinnati Symphony Orchestra est ici, dirigé par Järvi, tout à fait spectaculaire ! Trop, peut-être, et la même interprétation gonflée aux amphétamines serait sans doute insupportable en CD. Mais en concert, quelles claques ! Tout est lisible, marqué, et plein de détails surgissent, qui ne parasitent pas la partition (on n'est pas dans "Fantasia"), mais l'alimentent de suprises agréables ou insolites : un contrepoint au hautbois ici, un fond de percussion là, ou une métamorphose de la mélodie lorsqu'elle passe des violoncelles aux violons. La plasticité du son des cordes est particulièrement remarquable, et parmi elles, spécialement le premier violoncelle, dont la sonorité me fait penser à Yo-Yo Ma. Du coup, l'adagietto se suit avec un immense plaisir, et ne présente aucune trace de mièvrerie. Avec une telle aisance et une telle présence, j'aimerais entendre cet orchestre dans "Le Sacre du Printemps", ce devrait être de la dynamite !

lundi 1 novembre 2004

Journée Cambodge (Cité de la Musique - 30 Octobre 2004)

L'Armée des Singes - 15h

Après la présentation de l'association "Apsara" et de sa présidente, mise en avant comme une future canonisée, une danseuse fait une démonstration des mouvements de main, et des exercices d'assouplissements requis par la danse classique khmère. La musique se met peu à peu en place (percussion seule, plus xylophone, plus flute, plus un second xylophone, plus enfin du chant !), et le vrai spectacle commence.
C'est un extrait du Reamker, version khmère du Ramâyana, foisonnante histoire d'amour entre le prince Râma et la belle Sitâ. Dans cet épidode, le singe Hanuman, serviteur de Râma, doit délivrer Sitâ, prisonnière sur une ile. Comme son armée de singes construit une digue vers l'ile, il rencontre la sirène Suvan Machha. Ils tombent amoureux, et ont un enfant, Machanub. Hanuman, ne reconnaissant pas ce fils, le combat, mais la mère les présente l'un à l'autre, et tout finit bien.
Cette pièce est jouée par des enfants, recueillis et éduqués pas l'association Apsara, manière pour eux de regagner une identité, personnelle et culturelle. Nous sommes du coup dans de l'amateurisme, même s'il est de haute volée.
La danse offre un contraste entre les singes (joués par les garçons, masqués, cabriolant et se grattant les puces), et les poissons (joués par les filles, croisant et décroisant leurs trajectoires, avec des gestes qui, je le verrais plus tard, sont une simplification du vocabulaire traditionnel de la danse khmère).
Les costumes sont très beaux, très ornés ; la musique, basée sur des boucles rapides aux xylophones, pourrait être très répétitive mais se ressent plus comme une rivière de notes, cadencée par un percussioniste excellent, qui élabore des rythmes assez complexes (il jongle entre plusieurs instruments, jouent des contre-temps, ne s'enlise jamais dans des cycles simplement répétés) mais qui savent rester très naturels, très satisfaisants, évitant l'approche théorique et intellectualiste des talas indiens. Une flute puisamment nasillarde et quelques chants, viennent parfois orner ce canevas.
Le spectacle est proposé aux familles avec enfants à partir de cinq ans. C'est une bonne indication de son caractère : vif, simple, plaisant, fort sympathique.

Danse des paons - 19h

Les mêmes enfants jouent cette démonstration de danse populaire, dans une sorte d'apéritif gratuit au grand spectacle du soir. La musique est rythmique et chantée, fruste, répétitive, mais efficace. Malheureusement, pendant plus d'une demi-heure, la foule nombreuse empèche de voir quoi que soit, parce que la scène installée à l'entrée est ridiculement petite. Finalement ils se décident à faire bouger la troupe dans l'allée musicale. Les enfants paradent, déguisés en paons, ou mimant des manoeuvres de séduction, puis tentent avec un relatif succés d'entrainer dans la danse les spectateurs heureux.

Preah Sothum - 20h

Voilà de la vraie danse de cour, avec son apparat et ses délicatesses subtiles : rutilance des costumes, cousus d'or et de diamants, magnificence de la musique, qui offre le même instrumentarium que pour l'armée des inges, mais amplifiée, opulence du Ballet Royal (26 danseuses, 3 danseurs).
Tout est dans la sinuosité, le ralentissement, et les infinis variations. Les danseuses semblent flotter dans un temps incertain, dans un monde onirique, baigné de lumière tamisée et de mystérieuse fumée. Les visages restent impassibles, tendance Joconde, les doigts constamment retournés, se plient de mille manières, les jambes sont le plus souvent légèrement arquées.
Et nous sommes dans un récit chevaleresque d'amour compliqué d'obstacles et d'épreuves. Le livret indique que les chanteuses expliquent et commentent l'action. Mais pourquoi n'ont-ils pas mis de sur-titrage ? Du coup, un grand paquet de scènes sont incompréhensibles et peu intéressantes. Toutes ces réunions dans une grande salle de palais, presque statiques, et où la musique elle aussi se soumet au texte, deviennent des moments creux, où l'admiration des costumes ne tient qu'un moment. On aurait aimé mieux comprendre les allers-retours entre le palais et la forêt (des ombres projetées font office de décor ; joli et efficace), où le rôle de ce vieil homme, personnage de théâtre, qui ne danse pas. Sans explication, on subit l'intrigue, c'est frustrant.
Quand les danseuses reviennent, la beauté s'impose. Les scènes dans la forêt baignent dans une féerie magnifique, et les danseuses défilant dans le clair-obscur semblent des sculptures devenues chair.
C'est vraiment dommage que les organisateurs n'aient pas pensé au sur-titrage. Le public dépassait largement la sphère cambodgienne.

Cérémonie arak de guérison - 22h30


Dans la rue musicale, de grands pans de bois et de tissus ont été installés pour bricoler une salle de réunion traditionnelle, recouverte de tapis, avec un autel planté d'encens et surmonté d'un parapluie.
Des musicens commencent l'office. Pas de xylophone cette fois-ci, mais des luths et des vièles, qui donnent une musique beaucoup plus primitive, et plus étrangère à nos oreilles occidentales ; on est assez loin de nos modes harmoniques habituels.
Une femme médium entre ensuite en scène. Ce n'est pas de la transe spectaculaire. Elle s'imprègne de la musique et de la fumée d'encens, puis peu à peu se met en mouvement, choisit parmi quelques accessoires un long foulard, qui doit correspondre à l'esprit qui prend place en son corps, qui doit être un esprit bavard : elle se met à soliloquer de plus en plus rapidement, prise dans des grimaces et quelques tremblements ; quand la possession est suffisament complète, des spectateurs, entrainés par la troupe des enfants Apsara, viennent en ligne recevoir la bénédiction vaporisée de la médium.
Plus tard, elle reçoit une autre possession, plus guerrière apparement, puisqu'elle brandit un long sabre de carton. Parmi les musiciens, le chanteur se met à discuter avec elle, de manière sans doute plaisante, puisque quelques cambodgiens dans le public éclatent de rire.
Le problème avec ce genre de spectacle, c'est justement que c'est un spectacle, alors que c'est supposé être une cérémonie de nature religieuse. Un médium peut-il être possédé "à la demande", et feindre une telle rencontre n'est-il pas un manque de respect envers ceux qui y croient ? C'est intéressant, mais il y a quand même un fond de malaise.