samedi 29 janvier 2005

Takemitsu : My Way of Life (Théâtre du Châtelet - 28 Janvier 2005)

Mort en 1996, Toru Takemitsu n'avait pu réaliser son projet d'opéra. A la demande de sa famille, voici par Peter Mussbach et Kent Nagano un hommage posthume en forme de collage enrobé dans une mise en scène.

Commençons par la musique, dont l'ossature consiste en cinq oeuvres de Takemitsu :
- "Requiem for Strings", pour orchestre à cordes. Facture très classique. Les textures sont belles, les mélodies un brin trop harmonieuses pour mon goût, mais surtout, il n'y a pas d'articulations rhythmiques. Tout est d'une seule lente coulée, tranquille et languide, sans accélération, sans fièvre, sans émotion.
- "November Steps", pour biwa, shakuhachi et orchestre. Fondée sur l'opposition orient/occident plutôt que sur le syncrétisme des cultures, la pièce est malheureusement beaucoup trop longue et répétitive. Le jeu assez limité de ces instruments traditionnels n'arrive pas à se renouveler, et rapidement ça lasse, puis ça agace.
- "Family Tree" pour récitante et orchestre. Là, les choses s'aggravent. Les poèmes de Tanikawa, traduits par Durastanti, sans si insupportables dans leur psychanalyse de bazar, dans leur étalage de poncifs, qu'il est impossible d'entendre la musique (qui de toute façon, reste au niveau d'une musique de film hollywoodien, dans des épisodes sentimentaux mélodramatiques). J'ai failli quitter la salle. D'autres le font.
- "Stanza 1", pour guitare, piano, célesta, harpe, vibraphone et voix de femme. L'instrumentation est originale, pointilliste, agréable. De loin la pièce qui me plaît le plus.
- "My Way of Life", pour baryton, choeur mixte et orchestre. Proche de Ravel, c'est une pièce solide, sans guère d'originalité, mais agréable. Dwayne Croft met dans sa voix puissante et pleine, des accents de crooner, qui conviennent bien à ces lignes vocales simples. Le choeur Accentus, invisible, lance ses interventions depuis les balcons supérieurs.

Autour de ces pièces, d'autres prennent place, comme "Parlez-moi d'amour" chanté par Greco, ou des extraits de bande radiophonique, ou des musiques de films, pour évoquer tout le panel d'activité de Takemitsu. Cela permet de profiter de "Munari by Munari", très beau solo de percussion spatialisé, mais cela rend souvent les choses plus confuses. Qu'entend-on nous ? Pourquoi ? Il y a dans cette démarche un manque de respect, puisque les oeuvres originales sont ainsi modifiées, coupées, superposées, sans que ne surgisse un surplus de beauté ou de sens qui validerait la démarche.

Mais le pire, c'est la mise en scène de Mussbach, ampoulée, ridicule, désastreuse. L'argument : une vieille femme revoit sa vie, et s'aperçoit qu'elle l'a ratée, restée seule de bout en bout. Pour évoquer ce passage de la vie, on a droit à :
- des ours en peluche qui défilent lentement, ou dansent la valse
- des barbarellas de manga, qui s'exhibent
- des trous dans le sol, où montent et descendent sans arrêt la femme à ses différents âges, en des poses savantes
- des cris et des rires dérangés, qui veulent sans doute évoquer la démence, ou la férocité des passions, ou que sais-je (encore une manière de mutiler la musique...)

Dans "My Way of Life", Croft est ainsi tout drapé d'un costume doré, évoquant une vieille femme nue, avec les seins qui pendent et des plis partout... Pitoyable.

Takemitsu était fasciné par Debussy. Malheureusement, je n'ai pas l'impression qu'il ait réussi à gérer cet héritage en fabriquant son propre langage, comme Dutilleux. Ses orchestrations sont ainsi assez basiques, nappes de cordes et éclats des cuivres, et le rhythme, qui depuis Stravinsky est devenu un des éléments de langage musical qui a le plus évolué, n'est quasiment pas travaillé.
Cette musique fonctionne très bien en complément d'un film. Mais prise pour elle-même, qu'en dire ? Que c'est une musique du rêve, de l'entre-deux, du flottement. Alors Mussbach fait aussi une mise en scène onirique à deux balles, avec de vagues concepts psy, du surréalisme de pacotille, et de l'occupation de scène pour meubler.

Au final de cette soirée presque éprouvante d'ennui et de prétention, quelques remarques :
- cela faisait fort longtemps que je n'avais pas entendu de huées à la fin d'un concert (c'est assez fréquent pour la danse ; mais tant de chefs d'oeuvre musicaux ont été mal accueillis à leur création que la prudence s'est maintenant imposée chez les mélomanes) ; les applaudissements ont ensuite pris le dessus, mais bon...
- Georgette Dee est "diseuse" ; c'est la deuxième fois que j'assiste à un spectacle où intervient cette personne ; je la range illico dans les signes de danger potentiel pour des specacles profonds dans le sens de creux.

mercredi 26 janvier 2005

Dmitri Chostakovitch - Le Nez (Cité de la Musique - 25 Janvier 2005)

Oeuvre étonnante ! Agé de 21 ans à peine, Dmitri Chostakovitch profite d'une relative tolérance du régime stalinien pour créer son premier opéra, et y incorpore une foison d'idées loufoques, pour un véritable feu d'artifice d'inventions, de pastiches, de coups d'éclat et de fantaisies diverses. La nouvelle de Gogol est respectée : un type trouve un nez dans une miche de pain et tente de s'en débarasser ; un autre se réveille un matin sans son nez, qu'il retrouve se pavanant devant la cathédrale. La foule s'enfièvre de l'histoire, qui se résoud sans explication par le retour du nez au milieu de la figure de son propriétaire.
L'absurde délirant de Gogol est encore amplifié par Chostakovitch, qui s'amuse à mélanger les genres et les registres, les instrumentations et les références, avec un impressionant solo pour 9 percussions, des ballades à la balalaïka, un splendide choeur d'hommes, des tohu-bohus presque Stravinskiens, des lambeaux de valses Malheriéennes...
L'Opéra de Chambre de Moscou, dirigé par Anatoly Levine, se tire à merveille de tous les pièges de la partition et brille des mille feux requis par une écriture détaillée pour chaque instrumentiste.
Pour les voix, c'est une autre histoire. L'ensemble des chanteurs et chanteuses fonctionne comme une troupe de théâtre, ou une compagnie de danse, privilégiant la vérité psychologique et la cohérence du groupe, à la virtuosité individuelle. Ce sont donc plus des comédiens qui chantent, et parfois récitent, psalmodient, crient, ou même hurlent à la mort (dans cette liberté parfois chaotique, l'oeuvre annonce autant Zimmermann que Ligeti)...
Il faut dire aussi que la mise en scène (de Boris Pokrovski) ne leur laisse pas le temps de paufiner des contre-ut. Changeant de costume directement sur scène, ils multiplient à leur tour les cocasseries burlesques, les exagérations proches des films muets, dans les déplacements, les mimiques, les interactions. Sans surtitres ni livret, l'action se suit cependant sans trop de problèmes, par leur jeu et par la musique.
La Cité de la Musique donnant des opéras, cela restera sans doute rare, la salle n'est pas vraiment adaptée. Beaucoup de fauteuils condamnés, l'orchestre installé devant la courte scène, les contraintes sont nombreuses. Mais les privilégiés ont pu découvrir un Chostakovitch étonnant, plein de verve et de gouaille, profondément russe, jeune chien fou, que la férocité du régime calmera rapidement...

Mise à jour : La radio.blog "Pot Pourri" propose des extraits des quatre premières symphonies de Chostakovitch.

dimanche 2 janvier 2005

Me and the Night and the Music

Bon, ben maintenant faut la remplir, cette radioblog !

Il y a quelques années, un animateur des matinées de France Musique (à l'époque, il n'y avait pas de "s") demandait à ses invités de choisir trois morceaux de musique, censés représenter respectivement "eux-même", "le matin", et "la musique".

J'ai préféré choisir la nuit plutôt que le matin, et remplis chaque catégorie de plusieurs titres.

Me: deux événements culturels qui m'ont fortement marqué, la pièce "Immer das selbe gelogen" de Wim Vandekeybus (une de mes premières visites au Théâtre de la Ville, et je crois ma première chorégraphie flamande), et "Répons", l'EIC dirigé par Boulez à la Cité de la Musique, en une sorte de pendaison de crémaillière jubilatoire.
The Night: Des musiques proches du silence, à écouter lumières éteintes. Ferneyhough parce que je l'ai découvert lui aussi sur France Musique, après minuit, dans le noir, soudain loin du sommeil, en tremblant littéralement d'excitation. Crispell parce que j'adore son parcours, exorciste bruitiste proche de Cecil Taylor, faisant ses classes chez Anthony Braxton, et maintenant découvrant la sobriété à fleur d'âme, avec Paul Motian et Gary Peacock.
The Music: Retour aux sources. Ellington, Bach.