samedi 26 février 2005

Radios : demandez les programmes !

Les radios blog c'est très bien, mais je déteste ne pas préfère savoir ce que j'écoute, et le seul nom d'un fichier ne saurait suffire à indiquer précisément de quoi il s'agit. Comme en plus je n'ai pas été très explicite dans mes billets, lors des ajouts de morceaux, je n'aimerais pas être client de mes propres playlists.
Pour ceux qui souffriraient du même handicap, voici de quoi les satisfaire : j'inaugure un site satellite, dédié à ces radios, et qui indique de façon plus détaillée l'origine de chaque pièce.
Ce site, logiquement appelé "Bien Culturel - Les Radios Blog", est aussi l'occasion d'essayer DotClear. Il est probable que l'aspect change pas mal, quand j'aurais mieux compris commment ça fonctionne. Pour l'instant, la fonctionnalité est là, c'est ce qui m'importe.
J'ai aussi changé l'aspect des "pop-ups RadioBlog", pour y mettre un lien vers les playlists. Si, en fonction de vos explorateurs et de vos OS, vous rencontrez des problèmes sur les radios ou sur le nouveau site, pouvez-vous me l'indiquer en commentaire ?

dimanche 20 février 2005

Pierre Hantaï (Cité de la Musique - 18 Février 2005)

William Byrd - Variations, Prélude

Dans le cycle de variations autour de la mélodie "The woods so wild", Pierre Hantaï choisit une pièce bucolique, évoquant un pique-nique mondain près d'une vive rivière, et une plus lente, où l'on s'aventure plus avant dans les bois, où l'obsucrité guette. Agréable entrée en concert.
Plus remarquable est le prélude "My Lady Nevell's Ground", une petite merveille d'architecture rhythmique, truffée de surprises, et pétaradante d'énergie.

Johann Sebastian Bach - Suite en mi mineur, BWV 996

Cette suite, initialement prévue pour luth, et souvent interprétée à la guitare, est assez typique, de Bach, et de son époque. Danses pleine d'allant, variations pétillantes d'intelligence, ok. Trop "classiquement classique" pour moi.

Johann Sebastian Bach - Variations Goldberg, BWV 988

J'en ai déjà mis des extraits dans ma radio, pour exemple de "musique représentant la musique". Dans un cycle "Musique pure, musique engagée" (en faisaient partie cet hommage pour l'anniversaire de Boulez, et ce récital vocal), ce monument de musique pure est un indispensable.
Les attaques de Hantaï sont déconcertantes de virtuosité désinvolte : ses doigts fusent sur le clavier et le reste du corps ne semble réagir qu'avec retard, comme si elles avaient d'elle-même commencé à jouer sans avertir. Les tempi sont plutôt rapides, et jouent sur les équilibres plus que sur les contrastes. Les variations s'enchaînent quasiment sans pause, comme les étapes successives d'une pièce prise comme un grand tout. De même, les mélodies principales et secondaires sont jouées avec le même soin, ce qui fond les lignes, comme une rivière où les lignes pulsent et se mèlent au gré du courant.
Je n'adhère pas entièrement à cette lecture, qui uniformise un peu trop ; de plus, les dérapages (fausses notes, disons le mot), parfois répétés, m'empèchent de m'abandonner complètement.

Peu expansif, Pierre Hantaï offre au public deux généreux bis, sans les présenter, une fugue rafraichissante, et peut-être un prélude, plus paisible.

Mise à jour :Dans la radio "Pot-Pourri", j'ajoute un peu de clavecin, des sonates de Scarlatti. Les K141 et K297 sont jouées par Scott Ross, les K145 et K43 par Pierre Hantaï.

mercredi 16 février 2005

Hervé Robbe - < < Rew (Théâtre des Abbesses - 15 Février 2005)

"Commande de Culturgest, Lisbonne 2003 - IRCAM, Centre Georges Pompidou". Initialement consacré au champ "Accoustique - Musique", l'Ircam depuis plusieurs années se diversifie : au sein de son pôle spectacle, les chercheurs et les musiciens collaborent avec des vidéastes, des chorégraphes, des troupes de théâtre, etc. Ici, la rencontre s'est faite entre Hervé Robbe, chorégraphe, Andrea Cera, compositeur, et Vincent Bosc, vidéaste. Oeuvre multimédia, donc.
Le dispositif sur scène est relativement simple : les deux danseurs, Hervé Robbe et la jeune et remarquable Alexia Bigot, ont, pour évoluer, un étroit territoire, délimité dans le fond par un mur de quatre grands écrans, base principale pour la projection des vidéos, et sur le devant, par un autre écran filet, utilisé par moments pour des projections complémentaires.
La danse est toute de rupture, de déhanchements, de plis et de replis, en angles, en jaillissements, à la limite de la brisure, mais basculant d'un déséquilibre à un autre, maintenue dans un mouvement tendu. Peu de tendresse entre ses deux corps, qui s'attirent et se repoussent plus selon des lois de gravitation ou d'électromagnétisme. Habillés d'un short noir et d'un pull marron, ou d'un costume bleu et d'une robe rouge, ils quittent parfois le plateau, le temps de se changer. La vidéo et la musique occupent alors le terrain.
Musique électronique, bruitiste, qui sait avec beaucoup d'intelligence s'arrêter au bord de l'aggressivité, et se renouvelle avec brio tout le long de l'heure de spectacle. On sent que pour Andrea Cera, né en 1969, "musique électronique" ne signifie pas seulement Pierre Henry et "Répons" de Boulez, mais aussi Autechre, ou Amon Tobin. Que puissent se croiser de tels profils à L'Ircam ne peut que lui être bénéfique...
La vidéo de Vincent Bosc est aussi, en partie, oeuvre de recyclage. Multiplication des personnages par clonages, comme dans de célèbres clips ; déformation des corps happés par le mouvement, revisite de Francis Bacon ; imageries médicales de globules sanguins... Et d'autres effets, qui sont ou pas inédits (je connais peu le monde de la vidéo): effets spéciaux de contraction/dilation de morceaux d'espaces au sein d'une photo ; découpage en lanière, puis reconstruction, d'une image fixe ou mobile... Le statut de l'image est le plus souvent légèrement énigmatique, insistant sur son mensonge potentiel : le fixe devient mobile, l'architecture des lieux filmés se révèle impossible, même les images répétées de mort se contredisent (un corps ne peut se scuicider à la fois par pendaison, par ouverture des veines et par coup de feu).
Il y a indéniablement un climat particulier, et brillament tenu. Un suspens, comme une énigme policière à résoudre, dans cette histoire de rencontre apparement fatale. Un beau et riche spectacle. Même s'il entre dans cette mystérieuse catégorie où, bien que fortement intéressé par ce qui se passe, je ne peux que plonger dans un demi-sommeil hypnotisé, ajoutant mes propres images à celles des écrans.

Mise à jour : Sur son site, Andrea Cera a mis des fichiers MP3, mais qui me plaisent moins que ce entendu ce soir-là. Pour donner une idée de l'ambiance musicale, j'ai mis dans la radio.blog "Pot Pourri" des morceaux plutôt sombres de Autechre, Amon Tobin et Skinny Puppy.

dimanche 13 février 2005

Jan Lauwers Needcompany - La chambre d'Isabella (Théâtre de la Ville - 11 Février 2005)

Difficile de passer après cet article d'Intimédia...
Avec pas mal de retard, du à l'occupation (pacifique) du théâtre par le collectif des sans-papiers, et après un de leurs discours usuels dans ce genre de circonstance, les comédiens s'installent sur scène, face au public, suivis de Jan Lauwers, qui nous les présentent, ainsi que leur rôle, avec une bienvenue pointe d'auto-dérision.
Il y a donc Isabella, à qui Viviane De Muynck, muse depuis longtemps de Lauwers, prête son vorace appétit de vivre, sa force féroce, son humour décapant ; autour d'elle gravitent ses parents, supposement adoptifs, ses amants les plus marquants, son cerveau représenté par deux danseuses, ainsi que sa zone érogène.
Isabella nous raconte sa vie, son enfance dans un phare, sa mère qui meurt de mélancolie, son père qui sombre dans l'alcool, son amant Alexandre, qui deviendra fou après Hiroshima, son amant Frank, qui est son propre petit-fils ... Une traversée du siècle, trajectoire individuelle singulière qui croise quelques grands mouvements et de plus menus détails (l'envoi d'un chien vers la lune, l'album de Ziggy Stardust ...).

Mais cette riche matière n'est pas traitée dans un contexte historique ou sociologique. Lauwers semble plus intéressé par de constants aller-retours entre des modes différents de présence sur scène, par des mélanges de toutes sortes. Zurban cite John Cage : "il faut au moins cinq sources d'énergie pour passer une bonne soirée". Elles y sont, surement.
Il y a les objets, d'abord. Le père de Lauwers collectionnait l'art Africain. Les masques, statuettes, pendentifs, et autres pénis de baleine pétrifiés, encombrent les quelques tables qui font l'essentiel du décor.
Le récit, et les voix. Isabella raconte sa vie. Il y aura des dialogues, des scènes théâtrales "normales". Mais la colonne vertébrale de la pièce, c'est le monologue de De Muynck, directement et ouvertement dirigé vers le spectateur. Parfois en français, parfois en anglais (sous-titré), les autres mèleront leurs accents nombreux dans une belle polyphonie, toujours compréhensible (ce n'est pas toujours le cas lorsque des danseurs prennent la parole).
Les corps, et la danse. En complément du texte, un ou plusieurs personnages se mettent à danser, parfois dans le récit (le père d'Isabella qui organisait des fêtes, et séduisait sa femme en dansant), le plus souvent non (les explications des deux hémisphères). Danse toute en sinuosités, en contorsions sensuelles, que chacun traduit dans son tempérament (le père, Benoît God, gros nounours au corps lourd, au visage jouant à l'abruti, et moonwalkant avec une grace aérienne ; le prince du désert, dévoilant son torse poilu en des mouvements "iguanesques" ; un des cerveaux, tout en athlétisme vengeur, l'autre tout en féminité vaporeuse).
La musique, et le chant. Autre complément/interruption. Hans Petter Dahl et Maarten Seghers ont composé des ritournelles obsédantes, que tous les acteurs prennent en choeur, ou en canon, "We are going on and on and on", ou "What a waste of time is pain", trop naïf pour être honnête.
Le théâtre. Seul le théâtre permet avec un tel naturel de basculer du particulier au collectif, de discuter avec les morts parce qu'ils sont encore sur scène, de passer des espaces réels de la salle et de la planche aux espaces évoqués par le récit, de mélanger les niveaux de représentation et de réalité, sans que cela ne choque ni même n'étonne.

Et tout ça pour quoi ? Dans la plaquette de présentation, Jean-Marc Adolphe explique que "pour Jan Lauwers, le monde est devenu obscène : une fiction mensongère qui se repaît d'illusions anesthésiantes mais engendre en sourdine la pire violence." Et ce spectacle serait quoi, un "soyons heureux malgré tout" ? Je ne crois pas. Isabella apprend qu'elle est issue d'un viol, que son enfance était batie sur des mensonges meurtriers, elle voit mourir ses parents et ses amants, elle devient aveugle, et pourtant jamais elle ne pleure, jamais elle ne craque, parce que, chante-t-elle, la douleur est une perte de temps ! Cette perte d'humanité, plutôt, est peut-être plus au coeur de ce récit, qui demanderait alors "quel est le prix du bonheur".
Mais donner des leçons n'est certainement pas le but de Lauwers. Texte complexe, personnages plus grands que nature, riche mise en scène, le charme opère en plein, et à chacun d'y puiser ce qu'il peut y trouver.

Mise à jour : La chanson "Rock'N'Roll Suicide" de David Bowie sert pour l'enterrement de Frank, le dernier amant d'Isabella. Je la mets dans le radio "Pot-Pourri" (histoire qu'elle mérite bien son nom, enchaîner Bowie et Schönberg, hum...).

samedi 12 février 2005

Vokalensemble Stuttgart et Ensemble Modern (Cité de la Musique - 9 Février 2005)

Arnold Schönberg - Dreimal tausend Jahre, De profundis

Dans l'oeuvre de Schönberg, les pièces vocales sont sans doute les plus abordables (ce disque est par exemple très recommandable). "Dreimal tausend Jahre" célèbre la création d'Israël en trois minutes sereines, dans une technique dodécaphonique assouplie, qui entremèles des lignes vocales presque moelleuses. "De profundis", également dédié à Israël, affiche une plus grande ambition, mélangeant les styles, du chanté au parlé, du chuchoté au clamé, des partitions d'ensemble aux exploits solitaires (splendide solo de la soprano Kirsten Drope). Un concentré d'émotions et de gravité, en 5 minutes.

Klaus Huber - Die Seele muss vom Reittier steigen

Un poème de Mahmoud Darwich est à l'origine de ce titre, qui dit "A l'âme de descendre de sa monture et de marcher sur ses pieds de soie". Longue pièce exigeante, en forme de concerto pour violoncelle, baryton (comprendre : un violoncelle baryton, qui ressemble à un luth), et contre-ténor (cette fois, c'est bien d'un chanteur qu'il s'agit). D'autres instruments plus ou moins étranges (théorbe, violons baroques, trombones baroques ...) et une inspiration d'origine soufiste (Huber a longuement étudié la musique classique arabe), apportent un léger souffle d'exotisme, à une pièce qui joue cependant beaucoup plus sur la gravité. Après une introduction apocalyptique où l'orchestre se déchaine en tous sens, la structure qui se met en place aligne plutôt d'austères solos, parfois à la marge du silence, le plus souvent gonflés d'émotions. C'est la beauté qui vient des frontières du pays aride.

Luigi Nono - sara dolce tacere, Cori di Didone

Revoilà du dodécaphonisme, mais cette fois beaucoup plus acerbe, tranchant, inamical. La première pièce me laisse peu d'impressions. La seconde travaille par vagues successives d'intensités, qui mèlent des bribes de mélodies, en cellules éclatées juxtaposées, mais sans grand charme. J'aime beaucoup certains morceaux de Nono, mais plus je découvre de nouvelles pièces, plus je m'aperçois que son oeuvre, en général, ne me touche pas.

Luigi Dallapiccola - Canti di Prigiona

Ce compositeur deviendrait-il à la mode ? Deuxième audition de ces chants du prisonnier en moins d'un an. Tant mieux ! C'est toujours aussi beau et émouvant, mais sans forcer sur le pathos. Après l'imposante prière de Mary Stuart implorant d'être libérée par la mort, où les lignes vocales dodécaphoniques encore, se tissent autour du Dies Irae, l'invocation à Boèce apporte une vivacité bienvenue et un réconfort de faible durée, l'adieu de Savonarole achevant le voyage dans un climat hanté par la désolation.

Pas gai, le concert, malgré Heinz Holliger, qui en tentant de corriger sa coiffure particulièrement grotesque de chauve honteux manque de déclencher un fou-rire chez les musiciens. De plus, il vient annoncer juste après que l'avenir du Vokalensemble de Stuttgart, dont nous venons d'apprécier l'équilibre et la sureté, est menacé. Les pétitions de soutien à la fin du concert ont un beau succés.

Mise à jour :Dans la radio Pot-Pourri, j'ai mis les morceaux du début et de la fin de ce concert (oeuvres chorales de Schoenberg, et dernier Chant du Prisonnier de Dallapiccola).

dimanche 6 février 2005

Birtwistle - Boulez (Cité de la Musique - 5 Février 2005)

Harrison Birtwistle - Theseus Game

Comme l'indique la brochure, "Harrison Birtwistle a toujours été fasciné par le théâtre". Du coup, il fait de la mise en scène. Pour diriger l'Ensemble InterContemporain ("grand ensemble", dit la brochure, pour 30 personnes ?!), il met deux chefs d'orchestre, qui sont ce soir David Robertson, qui a toujours aimé ce genre de spectacularisation de la musique, et Ludovic Morlot. Ils agitent les bras, parfois synchrones, parfois pas, ça fait du mouvement. Pour mettre un peu plus d'animation, il met sur le devant de la scène deux chaises. A tour de rôle, des musiciens viennent y prendre place, et jouent une partie soliste, en se relayant les uns les autres. Comme ça ne suffit pas, il met aussi vers l'arrière deux petites estrades, où des cuivres vont parfois jouer en échos l'un de l'autre.
Le problème, c'est que rien ne marche vraiment. Si les solistes sont supposés dessiner un fil rouge/fil d'Ariane, les fréquentes interruptions dans le relai entre musiciens ne sont guère rassurantes pour Thésée. Plus génant, il est de toute façon quasiment impossible d'entendre leurs interventions, absorbées par le fond orchestral, très bruyant. La répartition des rôles entre les deux chefs n'est pas évidente à comprendre, mais le résultat est une musique qui "frotte", ou qui "grince", avec une aggressivité abrupte et froide. Devant ce mur assez compact et vaguement menaçant, comme une coulée de lave presque figée, les décorations des solistes sont quasiment invisibles. Quant aux estrades du fond, leur intérêt est simplement nul.
Cette pièce me fait penser à "Jagden und Formen" de Wolfgang Rihm (entre la chasse d'une forme au milieu d'un forêt changeante, et la fuite loin d'un monstre dans un labyrinthe, les analogies sont faciles). Mais en beaucoup moins réussi...

Pierre Boulez - ...explosante-fixe...

Voilà une oeuvre quintessentielle de Boulez. A partir d'un hommage à Stravinski, mis et remis sur le métier, il a tiré cette pièce, en forme de concerto pour flute, mais aussi "Rituel: in memoriam Maderna" pour ensemble, "Mémoriale" pour flute et 8 instruments, ou "Anthèmes" pour violon seul !
Il y a trois mouvements, séparés par des intermèdes purement électroniques. Le premier se focalise sur le jeu de la flutiste Emmanuelle Ophèle, doublée par deux consoeurs flutistes, entouré d'un ensemble de bois, de cuivres, et de cordes (pas de percussion), amplifié par de la spatialisation. Le deuxième mouvement utilise beaucoup plus les cordes (Robertson ne peut s'empécher de "mettre en scène" lui aussi ; les lumières baissent, passent au rouge, puis reviennent, et les violonistes se lèvent et resteront debout tout ce mouvement ! Quel intérêt ?), et j'y reconnais même un passage à la rhythmique typiquement stravinskienne ! La flute apparaît comme en creux, comme une empreinte vide dans le moule qui l'entourait lors du premier mouvement. Le troisième mouvement, "Originel", donne une impression de reconciliation, de retour au calme.
Belle oeuvre, qui rassemble pas mal de caractéristiques bouleziennes. On y retrouve la beauté du timbre, très doré, lumineux jusqu'à l'incandescence ; la gestion du temps où s'oppose le lisse et le strié, avec de grands blocs architecturaux qui donnent une impression de statisme, et une profusion de détails qui peuvent plonger l'auditeur dans un hédonisme de la microforme ; la spatialisation Ircam, qui envoie tournoyer autour de la salle des bribes du jeu "en temps réel".
Cette partie électronique pose aujourd'hui problème, elle gène plus qu'elle ne ravit. Si les intersticiels, ces moments purement électroniques qui signalent le passage d'un mouvement au suivant, sont très beaux et fonctionnent bien, l'irruption de bruits de bouche ou de souffle démultipliés dans tous les sens ressemble à un système 5.1 mal réglé, qui au lieu d'immerger davantage dans le spectacle, nous en distrait. La problématique de la lutherie électronique et de sa fusion avec l'orchestre traditionnel est encore loin d'être réglée !

Mise à jour : J'ajoute dans la radio "Pot-Pourri" le deuxième mouvement du Concerto pour orchestre de Bartok (malheureusement dans une version mollassonne de Karajan, celle de Reiner est plus passionnante mais mon PC refuse de lire le CD !), où les solistes successifs n'avaient pas besoin de se lever pour briller ; un extrait de "Jagden und Formen" de Rihm, qui se situe vers la fin de la pièce ; et une oeuvre pour flute basse et bande pré-enregistrée, où Ferneyhough se montre sous un jour inhabituellement calme.

mercredi 2 février 2005

Dans la solitude des champs de coton (Théâtre des Abbesses - 1 Février 2005)

Je ne possède que deux textes de théâtre, acquis l'un comme l'autre non suite à une représentation sur scène, mais à une diffusion télévisée : "Pour un oui ou pour un non", de Nathalie Sarraute, ébloui par la version Trintignant / Dussolier, et "Dans la solitude des champs de coton", de Bernard-Marie Koltès, fasciné par la version Chéreau / Greggory.
Que j'aime ce texte ! Ses rhythmes, ses phrases interminables, qui tissent, répètent, scandent, comme des vagues successives, ses thèmes, son ambigüité, son clair-obscur permanent, c'est sans doute le texte le plus ouvertement poétique de Koltès (du moins, parmi les pièces que je connais de lui).

Pour incarner ce dealer et ce client, qui pendant 90 minutes se tournent autour, s'attirent, se repoussent, se menacent, se promessent ou se blessent, il faut des comédiens à la hauteur. Le casting de ce soir est parfait. Le dealer, que Koltès voyait comme un homme noir, est Natalie Royer, petite femme aux cheveux courts, à l'allure androgyne, à la gestuelle inquiétante, créature de la nuit, aux racines sorcières. Le client est Laurent Vercelletto, grand roux en costume, tout en tension intérieure.
Pour dire ce texte, il faut des voix. Natalie Royer susurre de sa voix cassée, Laurent Vercelletto déclame de sa voix gutturale, et jamais l'attention ne se relache, tous deux relancent sans cesse les interrogations, fouillent le mystère du texte et de ces personnalités, vont à la mine et en reviennent chargés de trésors puisés entre les mots.

Il faut aussi oser mettre ce texte en scène, qui ne l'a été que trois fois, et trois fois par Patrice Chéreau. Jean-Christophe Saïs relève le défi, et brillament. La scène nue est un ring de boxe métaphysique, une réplique dépouillée de la chambre du "Huis clos" de Sartre, une antichambre de l'enfer. Ou une de ces chambres même, où tel Sysiphe ou les Danaïdes, les occupants sont condamnés à se confronter encore et encore à la même impuissance, à répéter encore et encore la même désespérée et vaine tentative d'obtenir un résultat que la malédiction divine empèche d'atteindre.
Plongés dans une grisaille impeccablement travaillée, le dealer ne peut avouer ce qu'il a à vendre, et le client ne peut avouer ce qu'il est venu acheter. Alors, ils parlent de sentiments pour masquer les transactions financières, parlent d'argent pour masquer le trafic de sentiments, brandissent de vagues menaces, se livrent à d'incompréhensibles aveux, parlent par images et parfois par énigmes, et finissent en sang l'un et l'autre, blessés on ne sait par qui, on ne sait pourquoi.
Les derniers mots, aveu d'un nouvel échec, la malédiction n'a pas été brisée, le désir n'a pas été nommé, chuchotés dans le noir complet, sont suivis par une plage de silence d'une tension incroyable, que le public n'ose qu'avec peine déchirer par ses applaudissements.

Mise à jour : Oups, cette pièce a été montée par d'autres metteurs en scène que Chéreau et maintenant Saïs, et plus que trois fois... La phrase que j'ai mal lue signifiait en fait que c'est la quatrième mise en scène de Saïs...