dimanche 16 octobre 2005

Posadas / Murail / Grisey (Cité de la Musique - 15 Octobre 2005)

Alberto Posadas - Oscuro abismo de llanto y de ternura

Ce jeune compositeur espagnol (il a mon age !) parle beaucoup de fractals, mais cela ne s'entend pas vraiment, car ils servent essentiellement à fabriquer les textures orchestrales, et ne semblent pas commander les mélodies ou les structures de l'oeuvre. Le livret indique trois matériaux principaux : un "son noir", tellurique et grave ; un choral de vent, aigu et liquide ; des cordes en mouvement brownien, gazeux et médian. Echange, passage de l'un à l'autre, etc. Pour l'instant, je trouve de fortes similitudes avec certaines pièces de Scelsi, dans la manière de travailler des blocs sonores de l'intérieur, en y fondant les instruments jusqu'à ce qu'on ne puisse les reconnaître, et créant des sonorités comme des forces primaires, élémentales (la terre, l'eau, le vent). Le langage reste à décanter ("Abîme obscur de pleurs et de tendresse" programme un brin trop ambitieux), mais certains passages sont déjà très réussis. Compositeur à suivre.

Tristan Murail - Désintégrations

C'est une oeuvre emblématique de la musique spectrale. Le travail sur bande magnétique est admirable : bien des oeuvres fusionnant bande et instruments réels vieillissent mal, le son électronique étalant sa technique sans émotion ajoutée ; ici, cela reste discret, souvent peu détectable, sauf parfois où sa mise en avant est vraiment justifiée par la structure musicale (surpassement et prolongation du piano vers l'aigu, par exemple). Mais la pièce reste théorique. Ecrite il y a plus de 20 ans, on continue d'y sentir la volonté d'établir un langage, de marquer un territoire stylistique, de prouver la validité de la démarche. Parfois, de l'émotion surgie, mais comme par inadvertance, pas comme but. L'écoute est agréable, mais il y manque quelque-chose ...

Gérard Grisey - Quatre Chants pour franchir le Seuil

15 ans plus tard, Grisey écrit cette oeuvre en méditation sur la mort, avant de disparaître à son tour. L'aspect "spectral" est totalement digéré, il s'agit de musique, simplement. Les chants sont très différents les uns des autres. "La mort de l'ange", le ressassement névrotique d'une mélodie ressérrée, ponctuée des cris de la soprano. "La mort de la civilisation", mon préféré sur le CD, une scansion minimaliste à la harpe, à la contrebasse et au violoncelle, à peine habillée de percussions ; mais Pierre-André Valade ralentit trop le tempo, et la soprano Sylvia Nopper n'articule pas suffisament, ce qui amoindrit l'impact émotionnel. "La mort de la voix", une charge d'énergie qui retombe peu à peu dans un marécage. Enfin, le plus impressionnant ce soir, "La mort de l'humanité", où surgit un monstre, d'abord seule ossature rythmique proliférante, qui récupère sa chair dans un chaos de trompes et de cris, puis se fige dans des vrombissements ; remplacé in extremis par une berceuse post-apocalypse, qui reprend le premier chant, mais avec une vraie ligne mélodique.
Sinon, c'était mon premier concert de l'année avec l'Ensemble InterContemporain, content de les revoir ; j'ai cru à l'arrivée d'une nouvelle pianiste, Tamaki Niga (belles interventions dans "Désintégrations"), mais elle était juste en "musicenne supplémentaire".

Mise à jour : Dans le Pot-Pourri, j'ajoute le premier mouvement de "Aion" de Scelsi que ma mémoire évoquait pour Posadas, "l'esprit des dunes" de Murail plus ouvertement poétique que "Désintégrations", et l'énumération ô combien funèbre de sarcophages égyptens du moyen empire, par Grisey.

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