dimanche 12 mars 2006

Kaija Saariaho - L'Amour de loin (Théâtre du Châtelet - 11 Mars 2006)

L'histoire de ce concert est assez originale, puisque basée sur une vengeance. En 2000, l'opéra était créé par Nagano et Sellars, à Salzbourg, avec le Châtelet en partenaire. Mais la captation en DVD a eu lieu sous la baguette de Salonen, à l'opéra d'Helsinski. L'équipe du Châtelet a ressenti cela comme une trahison ; et se venge en enregistrant entre leurs murs une version CD (avant le film, par Yves Angelo ; ensuite la BD ?). Ce concert est donc la prestation finale, après une semaine de travail en Allemagne, d'une nouvelle équipe : Kent Nagano, de nouveau, dirige le Deutsche Symphonie-Orchester Berlin, et Daniel Belcher (Jaufré Rudel), Magali de Prelle (Clémence), Marie-Ange Todorovitch (Le Pèlerin).
Un DVD, un CD, un film, cela fait beaucoup pour un opéra de musique contemporaine ... On pourrait presque trouver ça louche ... David LeMarrec commentait dernièrement la problématique particulière de cette catégorie musicale ; vu le coût de production (répétitions, personnel, décors, éclairages, etc.), et la séparation presque totale des deux publics (peu vont voir à la fois Verdi et Eötvös), faut-il accepter une certaine dose de simplification de son discours musical pour pouvoir être entendu ?
Je ne pense pas que les compositeurs se posent cette question de cette façon-là. Mais il est certain que Kaija Saariaho, depuis une dizaine d'années, a mis de la tonalité dans ses dérives spectrales ; certains trouvent le résultat trop mollement confortable, d'autres sensuel et somptueux. Je suis dans le second camp, tout en comprenant le premier. L'évolution de son style a été progressif, avec "Château de l'âme", créé en 1996 au Festival de Salzbourg, comme point limite de décrochage. Je mettrai tout ça dans la radio blog.

Revenons à la prestation de ce soir, donc. Opéra en version scénique, soit, mais ils ont du avoir peur que le public s'ennuie. On a droit du coup à de la vidéo, concoctée par Jean-Baptiste Barrière. Enluminures moyen-âgeuses, motifs arabisants, déformations liquides, tout cela est très décoratif et très vain. Ca occupe les yeux, mais ça bride l'imagination. N'est pas Bill Viola qui veut ... Du choeur, caché par l'écran, je ne verrais que les pieds. Au moins peut-on profiter de l'orchestre, qui est sans reproche.

Les voix ? Dans ce long oratoria, il y en a trois. Daniel Belcher (qui recevra en fin de représentation un prix pour son rôle dans Angels of America) possède un assez fort vibrato, et surtout un accent bien trop présent. Magali de Prelle ne fait pas oublier Dawn Upshaw, mais s'y efforce ; elle semble la plus immmergée dans son rôle, et y met le plus d'émotions. Enfin, pour le Pèlerin, Marie-Ange Todorovitch est excellente. Il est étrange que Saariaho dise "j'étais à la fois le compositeur et la dame", quand le rôle le plus intéressant est à mon avis celui du Pèlerin, personnage d'homme chanté par une femme, créature hybride, entre les sexes, entre les continents, peut-être amoureuse de l'un et de l'autre, qui les manipule pour les rapprocher, mais avec quel but final ? Assurer leur bohheur ou créer du mythe ? C'est le problème de ce texte, qui camoufle des thèmes secondaires passionnants sous des tirades parfois lourdement répétitives.

Et la musique ? J'aime beucoup, donc. Les cris lancinants de la flûte, les vrombissements des violoncelles, les atmosphères sont belles, répétitives et entêtantes. J'avais déjà mis des extraits dans la radio à l'occasion de ce billet, vous pouvez encore les écouter, dont le morceau de bravoure (totalement régressif ...) de ce chant de troubadour recréé, une merveille de chant modal.

J'ai ensuite appris, entre autre, que beaucoup de harpistes sont blondes, qu'un "piano sonore" n'a rien d'évident, et qu'à la Villa Médicis, il y a des privilégiés, des privilégiés, et des privilégiés.

Mise à jour : Dans le Pot-Pourri, j'ai donc mis une "vieille" oeuvre de Saariaho, "Lichtbogen", première fois qu'elle utilisait l'ordinateur pour composer de la musique purement instrumentale ; la flûte y est déjà prépondérante, qui crie déjà comme un oiseau marin ! Puis "Grammaire des rêves", où voix et orchestre tentent de trouver place et équilibre. Et enfin, les deux derniers chants du "Château de l'âme", qui préfigure les lignes mélodiques utilisées dans son opéra.

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