samedi 4 mars 2006

Marie Chouinard - bODY_rEMIX / vARIATIONS_gOLDBERG (Théâtre de la Ville - 3 Mars 2005)

"Marie Chouinard osera les pointes, sur les variations Goldberg !" annonçais-je. Et l'accroche n'était pas mensongère.
Les pointes, Marie Chouinard les considère comme une entrave douloureuse, et s'en venge, en les accompagnant d'autres instruments synonymes de handicaps, béquilles, déambulateurs, harnais, qui gauchissent le corps, le soumettent à contraintes, et dont les 10 danseurs et danseuses se serviront pour au contraire affirmer leur beauté et leur puissance de libération. A peine vétus, ils paradent, déploient leur architecture articulée d'os de muscles et de ligaments, ornée de barres, de roulettes ou d'élastiques, composent des tableaux à l'érotisme parfois affirmé, cris et souffle entre douleur et plaisir, fétichisme de la cheville massée, lavée, caressée ou caressante, confondue avec le poignet. Dès l'intro, un pied entravé dans un chausson de danse qui fait des pointes, l'autre libre et à plat, leurs grandes enjambées claudicantes ne manquent pas d'élégance irrévérencieuse. L'humour courra tout du long, dans l'ambigüité des poses, ou au contraire dans l'affirmation effrontée des pulsions sexuelles que la danse classique s'ingénie à recouvrir d'un voile plus ou moins transparent, dans la tension entre la vénération pour la beauté intemporelle du langage classique de la danse et sa subversion par le grotesque, sans jamais vraiment tomber dans la parodie.
Quant aux variations Goldberg, la version choisie sera celle de Glenn Gould en 1981, mais totalement remixée par Louis Dufort, qui n'en prend que de courts extraits qu'il met en boucle, au'il superpose, qu'il ralentit ou triture électroniquement ; de temps à autre, un morceau de mélodie en ressort intact, mais l'ensemble sonne bien plus comme une oeuvre minimale répétitive, qui convient bien à la danse. A cette mixture sont ajoutés des extraits de discours tenus par Gould (dont la voix hante tant ses disques), par exemple un sidérant "something like ya pa pa pa pii pa pa pa pa pa pa pa pa pa paa, which sounds okay when you sing it", qui, répété à volonté, se saisira du corps d'un des danseurs, dans une gesticulation de pantin de Saint-Guy, jusqu'à l'épuisement, scène particulièrement réussie, drole, mais dérangeante à cause de la présence d'une femme affalée telle un cadavre, mais chantonnant un gros micro planté dans la bouche, allusion SM cette fois clairement sordide.
Divisé en deux parties de 45 minutes chaque, la seconde bénéficiant d'un éclairage et d'une scénographie plus élaborés et par moments splendides, cette production offre de très belles performances, de magnifiques moments, et un terrain propice à réflexions. Pas la révolution du siècle, pas le choc de l'année, mais un très bon spectacle.

Mise à jour : Dans le Pot-Pourri, j'ajoute la version originale, les variations Goldberg 3 à 9 (du canon à l'unisson au canon à la tierce), jouées par Glenn Gould en 1981.

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