jeudi 31 janvier 2008

Lisi Estaras - Patchagonia (Théâtre des Abbesses - 29 Janvier 2008)

Par rapport à sa description originelle, un personnage a disparu, l'hôtel aussi. Le décor, un arbre mort planté sur du sable, fait penser à du Beckett ; la situation des protagonistes, qui semblent forcés à cohabiter, fait penser à Huis-Clos ; de la quête d'un "état de bonheur absolu et éternel", seul le livret parlera. Tout cela fait comme une couche d'intentions, de références, un programme bien lourd, à porter par les danseurs, à digérer par les spectateurs.
Trois danseurs et une danseuse, donc, se livrent en solos et duos, exprimant colère et frustration, rare tendresse et absence au monde, domination et fuite, une gamme d'émotions assez vaste mais où l'amour est fort peu présent. La danse est physique, terrestre, solide. Mais me laisse froid. Les changements d'humeur de ces personnages ne me touchent pas, et me gonflent assez rapidement, parce que j'y sens de la complaisance, une théâtralité factice des sentiments, un effort sans réussite de me faire sentir la part d'humanité commune partagée avec eux.
La musique, jouée sur scène par le violoniste compositeur Tcha Limberger (déjà vu deux fois à coté d'Aka Moon) accompagné d'un guitariste et d'un contrebassiste explore des mélodies aux accents latino-américains, d'une manière agréable mais sans folie.
Lisi Estaras sort des Ballets C de la B. Elle en a malheureusement hérité cette tendance à trop penser, à vouloir dire, sans y arriver ; au moins l'ambition ici était-elle moins envahissante que pour Myth. Mais comme la danse y est aussi moins excellente, l'impression d'ensemble est un ennui légèrement agacé. Cela dit, l'accueil de la salle a été enthousiaste.

jeudi 24 janvier 2008

Ballet de l'Opéra de Lyon (Théâtre de la Ville - 22 Janvier 2008)

Rachid Ouramdane - Superstars

Sur la scène très blanche, délimitée par de hauts murs en toile tendue, trainent quelques écrans vidéos et mégaphones. Un guitariste, Alexandre Meyer, vient bidouiller quelques branchements, puis commence à jouer, des impros assez variées, en fonction du danseur présent. Il s'agit en effet d'une suite de solos, accompagnés par la voix de l'interprète racontant des souvenirs, d'enfance ou plus récent, liés, pour la plupart, à des bouleversements historiques. Sud-africaine blanche lors de la fin de l'apartheid, Russe assistant à la chute de la société soviétique, Brésilien fuyant son pays ... Les propos, entre intime et Histoire, sont fragiles, émouvants par moments, réveillant des échos (ainsi du Brésilien en exil en France, à qui l'administration, embêtée par l'absence du nom paternel sur le certificat de naissance, réclame une lettre expliquant pourquoi son père a refusé de le reconnaitre, ricochet d'un des billets les plus estomaquants lus chez Kozlika), ou tombent dans le nawak (une Française avoue sa passion pour Orson Welles ; so what ?!). Les écrans pleins de gros plans ou d'images d'archives se baladent d'un coté à l'autre de la scène, les lumières passent au rouge, il y a là-dedans tout un tas de clichés de danse contemporaine fana d'installation, de pluridisciplinarité, de concept et de discours, qui agace.
Et la danse ? On la sent réalisée en pleine collaboration avec chaque danseur, tant elle colle à leurs corps, et à leur envie de danse. Caelyn Knight, éblouissante de souplesse languide, croisement d'une chatte et d'une algue ; Pavel Trush, explosif, éruptif ; Yang Jiang (qui restera muet, bonne option), impressionnant de précision, de vitesse, de sureté. En général, c'est lent, tranquille, basé sur des gestes répétés, proche du minimal, mais intensément porté par chaque interprète.
Bilan : pas de quoi se relever la nuit, mais on ne s'ennuie pas, et passé le rideau des conventions modernistes, on découvre de chouettes danseurs et danseuses, avec qui on est content de passer un agréable moment.

William Forsythe - Enemy in the Figure

Changement de braquet. Chef d'oeuvre. J'avais vu il y a des années "Limb's Theorem" au Châtelet, cet extrait m'explose en plein coeur. Intense, à couper le souffle.
La scène est encombrée d'une structure courbe, en bois, qui en dissimule une part. La lumière, essentiellement un énorme projecteur sur roulettes promené de tous cotés, plonge souvent de larges portions de la scène dans des ombres épaisses. Autant dire qu'on ne peut pas tout voir. Il y a des couples qu'on devine à peine, des numéros qui nous échappent. Cela crée une tension continuelle, pour attraper le maximum de beauté. Il y en a tant, mais qui affame !
Les bras des femmes aussi, sont des compas, qui découpent l'espace en tous sens, lui donnant son énergie et son harmonie. Mais le mouvement surgit de partout, et entraine tout le corps, et tout l'espace autour. Tout vibre d'énergie, comme ces cordes régulièrement secouées, traversées d'ondes. Caelyn Knight happe l'attention, seule, en couple, en groupe, dès qu'elle apparait, il y a de la magie. D'autres (dont les noms me sont inconnus s'ils n'ont pas participé à la première pièce) sont tout autant éblouissants, un athlétique noir d'une vivacité incroyable, une asiatique qui danse les pieds au mur, un couple découpé en ombres chinoises, c'est une suite d'instants magnifiques en noir et blanc, mais enchainés à toute vitesse.
Sensation rare et précieuse, "je ne veux pas que cela s'arrête", ressentie avec une telle intensité lors du "Ulysse" de Galotta, du "Voyageur immobile" de Genty, quand d'autre ? Cela tient aussi à la musique, du Thom Willems caverneux et bondissant, énergétique, presque agressif mais seulement presque.
Voilà. Ca dure une demi-heure. Si Forsythe est parfois insupportablement intello, chichiteux ou pompeux, il est aussi l'auteur de pièces qui seront incontestablement partie des chefs d'oeuvres de la chorégraphie du XXème siècle. Celle-ci en fait partie.

jeudi 17 janvier 2008

Anne Teresa de Keersmaeker - Zeitung (Théâtre de la Ville - 16 Janvier 2007)

Scène quasi nue, à l'exception d'un piano à queue dans un coin (et quelques planches de décor retournées contre les bords, quelques chaises éparses, et une large bande noire au sol) : comme une salle de répétition, où les danseurs, presque exclusivement en petits groupes (solo, duo, trio), tour à tour se lancent. Jeu d'équilibre et de déséquilibre, désarticulations du corps, le langage est subtilement varié à l'intérieur de thématiques fortement cadrées.

La musique déroule sa propre logique en parallèle : une trilogie intéressante, Bach, Schönberg, Webern (le grand-père, le père, le saint-esprit ?), jouée live au piano par Alain Franco et en enregistrements pour le reste.

Pas de discours, pas de récit. Les seuls éléments un peu théâtraux (clin d'oeil aux obsessions circulaires de la chorégraphe, que ces couples s'amusant à tracer des cercles avec des bouts de ficelle ?) tombent à plat. C'est plutôt un carnet d'esquisses, des fragments du travail habituel et quotidien de la troupe, reproduits sur scène. Et une étude des possibilités du langage chorégraphique pour lui-même, aspect qui a pu guider le choix musical, où la même quête peut se percevoir (de Bach, nous aurons droit au Clavier bien tempéré et à l'Art de la Fugue, ouvrages assez théoriques, surtout quand ils sont exécutés d'une manière assez froide et scolaire ; de Schönberg et Webern, certains extraits choisis m'ahurissent de modernité, des moments orchestraux surgis de nulle part).

Je dresserai un bilan moins circonspect qu'Ali (oui, 1h45 c'est fort long ; et il y avait des redites, certainement ; et l'ennui menaçait bien souvent ; mais quand je forçais mon attention, je découvrais presque à chaque fois des éléments intéressants, des beautés d'interactions entre les danseurs, ou des liens, moins évidents que d'habitude, avec le contexte musical, bref c'est une pièce exigeante mais pas sans intérêt) mais moins enthousiaste que Damien (le bonheur de tout découvrir avec un oeil neuf qui n'est pas d'emblée fatigué par les clichés de la scène dépouillée, des interprètes qui restent en bord de plateau, de la lumière qui se donne des allures sophistiquées, tout ça ...).

Après les anniversaires, les retours sur le passé (glorieux) de la troupe Rosas, voici une pièce un peu aride, trop longue (mais cela faisait sans doute parti du concept - un carnet de croquis se doit d'être épais), où des pistes futures peuvent s'épanouir (un détour vers Forsythe ? Cunningham ? on était loin de la scène flamande ), et où on peut picorer de belles scènes, qui se livrent à la mesure de l'attention qu'on leur porte. Si des dizaines de spectateurs partent en cours de route, ils tenteront de le faire discrètement, comme presque un aveu d'échec plus que comme un refus du spectacle proposé comme il y a quelques années. Et ce qui est rassurant, c'est que Keersmaeker ne s'englue pas dans des formules, mais bouge encore, et cherche.

samedi 12 janvier 2008

Dvorak Smetana (Salle Pleyel - 9 Janvier 2008)

Ce billet vient certainement d'une demi-série où d'autres concerts m'intéressaient. Sinon, peu de chances que je choisisse un tel programme. Non pas que je déteste, pire, cette musique m'indiffère totalement, je la regarde passer en attendant la suite. Placé en arrière-scène, le plaisir de découvrir la salle Pleyel depuis ce point de vue nouveau, de voir mieux que de coutume les mimiques et gestuelles du chef d'orchestre, ici Pinchas Steinberg, d'analyser comment le son des instruments et de l'orchestre de Paris est ou non influencé par ce positionnement (en fait, ça ne change pas grand-chose, même si certains détails ressortent différemment), tout cela me tient à peu près attentif pendant l'ouverture "Carnaval" d'Antonin Dvorak. Mais le cycle "Ma Vlast / Ma Patrie" de Bedrich Smetana me lasse rapidement. M'endormant peu à peu (ce qui fut remarqué !), je ne vois guère l'intérêt de rester pour la seconde partie, et m'éclipse à l'entracte.

dimanche 6 janvier 2008

Florin Niculescu Quintet - Anniversaire Stéphane Grappelli (Salle Pleyel - 5 Janvier 2008)

Le violon dans le Jazz, dans ma discothèque cela ressemble plus à Mark Feldman ou Mat Maneri qu'à Stéphane Grappelli ou Didier Lockwood, mais les premiers ne passent pas souvent à Pleyel... Cette soirée, en hommage à Grappelli, né il y a un siècle le 26 Janvier 1908, et mort il y a un peu plus de 10 ans, est organisée autour de Florin Niculescu, entouré de son quintet, et de quelques invités.

Vu le contexte, échos du couple Grappelli / Reinhardt et Hot Club de France, ambiance manouche et pré-bop, la section rythmique ne s'aventurera que rarement dans des sentiers novateurs. Mais le batteur Bruno Ziarelli profitera de quelques occasions pour montrer une belle polyvalence, et offrira des couleurs délicates et une légèreté de bon aloi. Le bassiste Jean-Philippe Viret, que je connais sur disque par son trio, donnera plusieurs soli très chantants. Au piano, Peter Beets possède la nonchalance swinguante et l'élégance imperturbable d'un héritier de Horace Silver.
Mais l'essentiel est assuré par Florin Niculescu au violon, lyrique, généreux au possible, ample, prolixe. Comme ce n'est pas exactement mon univers musical, une certain sentiment d'uniformité finit par s'installer ; mais quelle santé, quelle fougue, et, de nouveau, quelle générosité, dans cette façon d'offrir sa musique aux spectateurs !

En première partie, viendront compléter ce quartet le guitariste Marc Fosset, sur guitare électrique, compagnon débonnaire, au style un peu mou à mon gout, puis la chanteuse Zarifa, la fille de Florin Niculescu, pour deux standards un peu convenus mais très classe.

La seconde partie est plus variée dans les arrivées et départs, voire agitée. D'abord une formule resserrée, contrebasse, violon, et deux guitares : Marc Fosset, et Martin Taylor, à la guitare sèche, virtuose technique. Mais il s'échauffe à peine que des problèmes techniques le rendent muet. Reste un trio ; Marc Fosset en profite pour balancer ses plus beaux solos, obligation faisant loi. Taylor revient, en empruntant la guitare de Biréli Lagrène, mais le son ne lui convient pas tout à fait.

On repart bientôt pour le quartet de départ, que vient complèter Didier Lockwood. A l'applaudimètre, on devine qu'une partie du public n'est venue que pour lui. A l'aide de pédales d'effet, il transforme le son de son violon en grincements métalliques, en résonances de guitares, en diverses choses plus ou moins intéressantes ; mais par rapport à Niculescu, on sent un art de la construction de solos beaucoup plus dramatiques, qui racontent une histoire, qui dessinent une trajectoire, alors que Niculescu a le souffle plus court et plus répétitif. Lorsqu'ils jouent ensemble, la superposition de leurs jeux est le sommet de ce concert, qui dessinent des lignes splendidement flexibles, se croisant et s'écartant à toute vitesse, tout en se suivant de l'oeil comme des oiseaux surdoués s'amusant dans la tempête.

L'intervention de Lockwood sera courte. Lui succède Biréli Lagrène, guitariste plus expérimental que les deux précédents, qui fracture son discours par des glissements hors-rythme ou hors-tonalité. Même si Niculescu ou Beets ne le suivent pas sur ces terrains-là, cela crée des coloris nouveaux qui font du bien à la soirée.

Pour le final, les deux autres guitaristes reviennent, Lockwood pas, quelques tubes de Grappelli / Reinhardt, et après près de trois heures de musique, on rentre se coucher.
Globalement, ce concert m'a donc plus plu que ce à quoi je m'attendais. En plus, je n'ai jamais été aussi près de la scène, en rang D ! Ce qui est un emplacement idéal pour du Jazz ; malheureusement, pour la Masada Night, je serai au premier balcon ...

Francesco Tristano Schlimé (Cité de la Musique - 4 Janvier 2008)

Dans le cadre du festival "Jeunes solistes", je découvre enfin ce pianiste tant apprécié par gV. Du coup savais-je à peu près à quoi m'attendre ; pièces personnelles plus ou moins improvisées, et oeuvres baroques et contemporaines, se succédant parfois sans aucune pause, le spectacle de ce soir semble assez typique de ce jeune artiste luxembourgeois.

Francesco Tristano Schlimé - Hello

Difficile de dire dans ce genre de musique la part d'improvisation. La structure et le langage sont trop simples pour que tout soit écrit, mais la part de risque, par rapport à des pianistes de Jazz Free, est bien mince. On est du coup dans un "entre-deux" qui ne m'emballe guère, quelque-part entre du Keith Jarrett peu inspiré, avec ces cavalcades répétitives sur un bâti tonal bien décevant, et du Sylvie Courvoisier qui ne ferait qu'aligner des trucs et astuces sans y mettre l'âme nécessaire à les faire vivre, avec ces jeux dans les cordes elles-même. La fin me plait plus, suite de grands accords plus dépouillés, entre lesquels passe de l'émotion, un peu genre Henry Torgue.

Girolamo Frescobaldi - Toccatas

La toccata IV du Second Livre devient presque debussyste, tant il la joue vaporeuse ; la toccata X du Premier Livre est plus enjouée, mais il y conserve un tempo flottant. Cela modernise ces pièces, sans pourtant faire oublier leur origine de clavecin, ce qui donne de curieux accents, comme une traduction un peu provocante. Première pause, par un salut (mais sans sourire, image oblige).

Johann Sebastian Bach - O Mensch, bewein dein Sünde gross BWV 622

Le pianiste est beaucoup plus convaincant ici, dans cette transcription de l'orgue vers le piano faite par Emile Naoumoff : tempo plus strict, atmosphère grave et recueillie, une certaine dignité règne.

Johann Sebastian Bach - Suite française 4 BWV 815

De même, les rythmes joyeux donnent un allant très agréable à cette suite de danses. Lecture très claire, la musique jaillit comme toute fraiche, du grand plaisir. Deuxième pause, cette fois-ci c'est l'entracte.

Justin Messina - NY Tectonics - 4 City Bridges

Schlimé expliquera après la pièce que Messina est un ami, qui lui a écrit cette pièce comme un hommage à NY mais aussi à Detroit, ville où naquit la techno : les quatre plages sont à présenter dans un ordre choisi par l'interprète, qui doit aussi passer au moment de son choix de l'une à l'autre, comme un DJ. On reconnait des éléments de langage de "Hello", le même type de modalité qui me surprend un peu chez des compositeurs de cet âge (ils ne semblent pas se poser la question d'écrire de la musique autrement, comme si chosir ce modèle de composition parmi les mltiples modèles que le XXème siècle a créé n'avait pas à être justifié, comme si ce modèle était le seul existant). C'est plutôt réussi, mais dans le cadre restreint de l'école répétitive américaine. Pause, donc, explicative.

Joseph Haydn - Sonate 58 Hob. XVI:48

Dans le premier mouvement, l'utilisation très ostentatoire des silences, subtilement renforcés jusqu'à déstructurer le mouvement, m'agace. Le second, "presto", me plait davantage, même s'il le saupoudre d'éclats un rien artificiels. Pause, ou pas, je ne sais plus.

Luciano Berio - Wasserklavier

Après quelques recherches, il semble que cette pièce dure moins de deux minutes. Ce qui fait que je n'ai guère eu le temps d'y reconnaitre quoi que ce soit qu'on était déjà dans la suite.

Francesco Tristano Schlimé - Nach Wasser, noch Erde

Cette fois, il précise : improvisation. Rapidement, le discours de nouveau fait appel à de larges accords pour canaliser l'énergie (il faudrait lui faire écouter du Cecil Taylor !). Je commence à avoir du mal à ne pas me désintéresser totalement. Applaudissements nourris (ceux qui ne supportent pas ce "Glenn Gould de supermarché" dixit un spectateur en partance sont partis à l'entracte).

Bis

Il nous joue "Mélodie", de lui je crois, une improvisation sur une bribe de thème qui me faisait penser à du Niagara ; puis "Tango" de Stravinsky, sommet du concert après Bach, courte pièce toute en ironie, en rythme trépidant et léger, en parodie de Kurt Weill, un bonheur de bis !

mardi 1 janvier 2008

Planning Janvier - Février 2008

Et c'est reparti. Petit exercice pour apprendre à écrire 08 au lieu de 07.