dimanche 30 mars 2008

Pierre-Laurent Aimard - L'Art de la fugue (Cité de la Musique - 29 Mars 2008)

Je pense que la dernière fois que j'ai vu Pierre-Laurent Aimard en solo, c'était lors de la création du deuxième livre des études pour piano de Ligeti, un des concerts les plus forts de ma vie de spectateur. Il s'était alors préalablement excusé de ne pas respecter l'ordre des études, pour des raisons techniques liées à la difficulté des pièces.
Mais ce soir non plus, l'ordre des contrapunctus et des canons n'est pas exactement régulier, alors que son disque récent chez DG semble respecter les enchainements habituels. Le concert suivra la progression suivante : Contrapunctus 1, 2, 3, 4, 6, 13.1, 7, 13.2, 5, 9, 10 ; entracte ; canons alla duodecima, alla ottava, alla decima, per augmentationem, contrapuunctus 14, 12.1, 8, 12.2, 11.
Je ne connais qu'à peine l'Art de la fugue (un CD multi-instrumental peu convaincant m'en a tenu éloigné), je ne sais donc pas trop ce que ce changement induit. Si les premières pièces me marquent par leur caractère propre et distinctif (le 1 monumental, le 3 comme une prière, le 4 quasi jazz), c'est bientôt l'impression d'ensemble qui m'emporte, chaque contrepoint présentant une facette, avec sa couleur, sa densité, sa vitesse, mais s'assemblant dans un vaste courant tourbillonnant.
Après l'entracte, les canons semblent plus austères, plus abstraits, plus difficiles aussi, et très différents les uns des autres (le "duodecima" vertigineux de vitesse, le "augmentationem" comme un dialogue confrontation débat philosophique). C'est par moments la joie intense et sereine de la foi qui déborde, à d'autres un dénuement désespéré devant la condition humaine.
La fameuse page finale (dernière page écrite par Johann-Sebastian Bach avant de devenir aveugle, finissant par sa signature musicale B A C H), intervenant ici en pleine seconde partie et non en conclusion du cycle, sonne juste comme un ralentissement au terme d'une progression élévation impressionnante, comme un simple incident de parcours, le franchissement presque anodin d'un "peu profond ruisseau".
Vers la fin, Aimard reprend une technique de jeu utilisée dans le 1, une articulation très, trop, prononcée, comme soulignant à l'excès chaque syllabe. Sinon, sa maitrise des dynamiques est fantastique, qui lui permet de mettre en avant une ligne par rapport à l'entrelacs des autres, de souligner les nouvelles entrées, ou sur un plan plus général, de donner comme un vaste rythme de vague à l'ensemble, musique soulevée par la houle.
Bref, un concert mémorable, sans bis, dommage.

vendredi 28 mars 2008

Solistes EIC - Champs libres (Centre Pompidou - 26 Mars 2008)

Faut-il chroniquer ce concert, alors que je suis complètement passé à coté ? Dès l'entrée dans la Grande Salle, je me suis senti mal à ma place, comme de mauvaises ondes. J'ai eu un mal fou à écouter vraiment la musique, et n'ai quasiment rien gardé en mémoire. Je vais donc les lister rapidement, sans plus.

Gilbert Amy - Trio Alto pour un alto virtuose, une clarinette posée, une percussion tirant vers la batterie de Jazz.
Ivan Fedele - Modus pour clarinette basse et vibraphone, dialogue équilibré.
Martin Matalon - Traces II pour alto et bande, une électronique cataclysmique en 6 pistes, avec des problèmes de mise en place.
Bruno Mantovani - Quelques effervescences pour alto et piano, une série de miniatures s'inspirant de cépages - la première titubante, d'autres pleine d'effets impressionnants, mais tout assez futile.
Marco Stroppa - Hommage à Gy. K. pour alto, clarinette et piano, où les instrumentistes se déplacent sur scène, parfois inutilement (la clarinette cachée par le piano), parfois très bien (clarinette et alto très éloignés).

Triste de ne pas avoir su profiter davantage des performances d'Odile Auboin, Alain Billard, Michel Cerutti et Hidéki Nagano. Question de salle, peut-être. Dans l'amphithéâtre de la Cité, aurais-je mieux ressenti ?

mercredi 26 mars 2008

Compositeurs d'aujourd'hui : Philippe Hurel

C'est l'un des premiers CDs de cette collection qui m'ait vraiment frappé, les précédents ayant été achetés plus tard.

Six miniatures en trompe-l'oeil

Il y a deux façons possibles d'écouter ces miniatures : soit dans l'ordre du CD (1,2,3,4,5,6), auxquelles cas elles apparaissent assez autonomes les unes des autres, avec des échos qui les unissent néanmoins ; soit dans l'ordre "1,4,2,5,3,6", qui donne alors une longue plage continue. Passer d'un ordre à l'autre est passionnant, car cela permet de comprendre comment cette musique est fabriquée, d'entrer plus profondément dans ses rouages. Chaque miniature part d'une situation donnée (caractérisée par une figure rythmique, ou une ambiance sonore, ou un mouvement harmonique, etc), par arriver à une autre, en suivant un chemin utilisant des processus de transformation du matériau musical (à la façon de la musique spectrale, donc). L'ordre "1" insiste sur les parcours particuliers à chaque miniature, l'ordre "2" permet de constater que les situations sont répétées d'une miniature à l'autre, l'arrivée de l'une étant le départ d'une autre. Mais c'est plus subtil que ça : dans ces situations, l'oreille n'est pas attentive aux mêmes éléments, en fonction du contexte, un rythme ici primordial devient là secondaire, une strate de violon presque inaperçue ici sera prépondérante là parce que continuation d'une nappe de cordes précédente, etc. C'est à la fois ludique et pédagogique, sans oublier d'être musical (vivacité des rythmes et des couleurs, fignolages des détails d'écriture, cette musique respire de bonheur).
Je mets en extrait trois miniatures, que vous pouvez écouter de manière autonome, ou dans l'ordre continu "5,3,6".



Leçon de choses

Ici, il y a de l'électronique, et de la spatialisation. D'où problème, en CD. La structure de l'oeuvre, bien expliquée par le livret, est simple. En première partie, des éléments musicaux très hétérogènes sont présentés par l'orchestre et par l'électronique, qui peu à peu érodent leurs caractéristiques trop différenciées. En deuxième partie, une vaste redistribution des instruments a lieu, par l'électronique, qui transforme et déplace la clarinette dans la flûte, la flûte dans le violon, etc. En troisième partie, les éléments retrouvent peu à peu leurs sonorités de départ. Il me semble que beaucoup des paramètres permettant de suivre ces transformations et ces mouvements sont mal perceptibles sur CD, l'écoute en concert doit être une expérience radicalement différente. La partie centrale est ainsi beaucoup moins spectaculaire qu'elle devrait l'être, et certains signaux (le double coup promp-promp) deviennent envahissants, masquant nombre de détails. C'est juste joli, et un peu anecdotique.

Opcit

Pour changer radicalement d'ambiance, un solo de clarinette ! Le fait que ce soit une transcription d'une pièce pour saxophone, qui citait déjà une pièce précédente pour flûte, on s'en fout un peu, sauf peut-être à connaître les dites pièces (ce qui n'est pas mon cas). Il y a quatre parties, de plus en plus complexes, en termes de polyphonie notamment (la première est une mélodie au mouvement général ascendant assez simple, les dernières incrustent plusieurs lignes en une seule par des techniques inspirées des suites pour violoncelle de Bach). Le climat, mesuré, sereinement lumineux, rapide mais sans excès, ne ressemble ni à Berio, ni à Boulez ...

Pour l'image

C'est une pièce pour ensemble, où la fusion entre les instruments est telle qu'on pense à de l'électronique. Mais non! Tout est naturel ! Magnifique pâte sonore, où brillent les cordes graves puis les vents, et d'où se détachent des lignes de plus en plus distinctes (à la flûte, hautbois, clarinette, saxophone, liste gentiment le livret ; mais le violon aussi devient de plus en plus distinctif). La trame devient comme de plus en plus transparente, comme une guirlande rythmique élancée. Dommage qu'un signal sonore (un tutti aigu) soit trop présent vers la fin, agaçant sans qu'on en voit l'intérêt.

mardi 25 mars 2008

Musique flibuste

Maintenant que l'affaire est médiatisée, que non seulement les sites internet, mais aussi la radio et la télé parlent de l'affaire, je me sens plus libre d'en parler. Il est possible de télécharger de la musique sur Internet. Je ne parle pas des derniers succès de sonnerie pour téléphones portables, ni des sites où chacun peut déposer des titres libres de droit, et où l'amateurisme épuise les oreilles.
J'ai plus envie d'indiquer deux sites, qui proposent des musiques indisponibles ailleurs, ce qui ne change rien du coté légal, mais peut satisfaire coté éthique :
- Dime a Dozen propose des enregistrements de concert, captés dans le public, à la console de mixage, ou lors de passages radios ; c'est en fait le descendant de Easytree, et comme je l'expliquais, tout ce qui disponible officiellement sur disque ou DVD est exclu du site. Le choix est vaste, pléthorique même, du Jazz au Rock, de l'avant-garde la plus pointue aux idoles pop les plus connues. Les qualités sonores vont de l'excellent au médiocre à l'exécrable, il faut un peu de temps pour repérer les "déposeurs" qui conviennent à vos gouts.
- Avant garde Project propose des digitalisations de disques 33 tours jamais parus en CD, et du coup quasiment introuvables aujourd'hui ; certains auteurs sont connus (Cage, Kagel, Takemitsu ...), d'autres un peu moins (qui connait la musique de Jean Dubuffet ?)... J'ai découvert ce site il y a peu, mais sens que je vais y passer pas mal de temps (je me régale actuellement du Harry Partch, et suis atterré par le peu disponible dans les boutiques officielles).

Ceci est ma participation au Sablier du Printemps 1.

lundi 24 mars 2008

Compositeurs d'aujourd'hui : Frédéric Durieux

Dans l'entretien très intéressant du livret (un des plus accessibles, au niveau du contenu - la mise en plage continuant de m'agacer fortement, avec des descriptions des oeuvres très didactiques), Frédéric Durieux explique qu'il se sent héritier de la musique d'avant-garde des années 50, devant gérer les avancées de Berio, Boulez ou Stockhausen tout en évitant certaines impasses de cette période. Parmi ces influences revendiquées, c'est celle de Boulez que je remarque le plus, à la limite de l'envahissement. Une nouvelle monographie est annoncée, où des oeuvres récentes permettront de savoir s'il a pu de se dégager un langage plus personnel de ces influences prégnantes.

So schnell, zu früh

La pièce est dédiée au chorégraphe Dominique Bagouet et utilise le texte "Ach wie flüchtig, ach wie nichtig" de la cantate BWV 26 de Bach, que Bagouet avait utilisée pour son ballet "So schnell". Elle alterne des passages instrumentaux et des épisodes chantés, par Sharon Cooper, rigoureusement incompréhensible. Les lignes vocales se présentent très fortement mélismatiques, avec des sauts par moments considérables censés augmenter l'impact dramatique ; mais elles me laissent froid. Les passages instrumentaux m'intéressent plus, avec de puissantes alternances de tempi, très bouleziens (temps striés, temps lisses ?), dans la lignée de "Pli selon Pli" pour l'instrumentarium, ou de "Répons" pour l'électronique.

Devenir

Partition pour clarinette solo et électronique. Comment ne pas songer au "Dialogue de l'ombre double" ? La différence fondamentale est qu'il n'y a pas ici alternance entre partie interprétée et partie enregistrée, mais accompagnement électronique continu en temps réel, progrès oblige. La pièce est néanmoins formée d'épisodes, dont certains me rappellent fortement, par le jeu des figures utilisées ou par les climats engendrés, "l'ombre double" (certains balancements mélodiques pleins de douceurs, par exemple) : est-ce inhérent à la clarinette (mais la "Sequenza IX" de Berio, sans électronique il est vrai, sait créer des ambiances bien différentes) ? Ceci dit, difficile de ne pas aimer cette pièce, si on aime la clarinette, les possibilités mélodiques et rythmiques y sont très correctement exploitées, les sonorités électroniques bien choisies ; se mettre dans l'ombre tutélaire d'un tel chef-d'oeuvre que "l'ombre double" permet difficilement de mettre en avant sa personnalité spécifique, mais aboutit à un morceau parfaitement plaisant.

Là, au-delà

Là encore, c'est "Répons" qui me vient aux oreilles, alors qu'il n'y a pas d'électronique. Mais le type de tension généré entre les lignes instrumentales, la division de l'effectif orchestral en petits groupes qui se concurrencent, le déroulement du temps, à la fois volubile et engendrant des effets de statismes paradoxaux (une sensation d'équilibre immobile obtenu par une grande vitesse), ce sont des éléments que je rapproche ordinairement à Boulez. C'est peut-être injuste. L'orchestration brillante, étincelante même par moments, la tension virtuose des cordes en particulier, méritent sans doute plus, mais l'impression d'écho est trop forte pour ne pas perturber mon écoute. Le livret indique que "le dénouement [...] a un caractère directionnel évident en renforçant l'impact émotionnel de l'oeuvre". Humm ... Cette grande scantion où l'orchestre se fracasse dans le silence en grandes vagues successives me semble au contraire trop longue, finissant lourde.

dimanche 23 mars 2008

Vous Savez Que Vous Regardez Trop La Télé Quand ...

Regardant un petit film indépendant américain sympathique, vous vous demandez quel est le mariage le plus improbable, celui de Sydney Bristow et Michael Bluth (une rencontre entre membres de familles dysfonctionnelles ?), ou celui de C.J. Cregg et Dr. Emil Skoda.
(bon, je triche : je n'ai jamais vu "Arrested Development")

samedi 22 mars 2008

Compositeurs d'aujourd'hui : Denis Cohen

Ce compositeur n'est jamais apparu sur ce blogue, et à vrai dire, je ne sais pas si j'ai vu une seule de ces compositions en concert.

Transmutations

C'est un concerto de chambre, pour 16 instruments, dont une contrebasse amplifiée. Le livret place cette oeuvre dans une tradition française mixée d'éléments de langage germaniques. C'est en effet très typique d'une certaine musique contemporaine (je suis très peu sensible par contre à la notion d'écoles nationales) : des bribes de mélodies, des cellules rythmiques très éclatées, vents et percussions très en avant (et la contrebasse amplifiée pourrait presque être une percussion elle-même !), une suite d'instants, mais pas de direction dans le discours, il me semble que tous ces moments musicaux pourraient être permutés sans problème, et cela, justement, me pose problème. Denis Cohen explique cette pièce sur son site, citant deux types d'écoutes : "l'instant, la jouissance du moment présent d'une part, son passé (sa reconstitution) et son futur (sa projection désirante) d'autre part." Je ne perçois pas suffisamment cette seconde part pour être vraiment accroché.

Jeux

C'est la pièce la plus longue (plus d'une demi-heure), pour piano Midi et ordinateur. Il y a pour moi deux problèmes : la succession des sections ici encore ne me parle pas et me semble passablement aléatoire, et de plus l'habillage électronique est souvent vraiment laid. On est au milieu des années 80, et un énorme travail a lieu à l'IRCAM autour des systèmes suiveurs de partitions, permettant au musicien de dicter sa volonté à la partie électronique, au lieu de subir le déroulement inéluctable d'une bande pré-enregistrée. Fort bien, mais ici, les sonorités aigrelettes ou grésillantes manquent particulièrement de charme. Il y a des passages forts, comme cette accumulation d'énergie par une note et quelques accords martelés, mais c'est l'intérêt même de la partie électronique qui aujourd'hui se pose, quand l'étape d'évolution qu'elle représentait dans les possibilités de dialogue homme-machine a été franchie depuis longtemps, et avec des succès plus éclatants (Manoury, par exemple).

Il sogno di Dedalo

C'est la pièce la plus récente, et ça tombe bien, c'est celle que je préfère ! Ici je perçois les signes qui me guident dans la succession des événements, qui parlent de passé et de futur dans le discours. Pas d'électronique, des lignes de présence par instruments plus stables et plus longues, un flux rythmique peut-être plus simple, mais du coup mieux appréhensible , il me semble déceler ici des échos de langage spectral (une influence Hurel ?), des mécanismes qui déforment les lignes et mettent plus de liant dans les passages d'une section à l'autre, pour un fondu-enchainé bien plus confortable. C'est un morceau à la fois ludique et mystérieux, d'une belle lumière légèrement tamisée, que j'aimerais bien entendre en concert, ce qui n'est guère le cas des deux premiers.

vendredi 21 mars 2008

Pierre Henry - Expériences intérieures (Cité de la Musique - 20 Mars 2008)

La salle, que j'aurais pensé plus pleine pour un concert de Pierre Henry, est envahie de fumée, et la scène plongée dans l'obscurité ; elle est encombrée de haut-parleurs, certains installés sur des piédestaux ayant des silhouettes vaguement anthropomorphes, et de projecteurs, qui tout le long du concert changeront lentement les ambiances lumineuses (splendides, et variées), permettant au public d'avoir quelque-chose à regarder. Au milieu du parterre, la table de mixage où s'installera le maestro, drapé d'une chemise rouge vif, qu'un faisceau lumineux gardera visible.

Pierre Henry - Grande Toccata

C'est une pièce presque courte (moins de 20 minutes !), avec des sons purs et pleins, presque abstraits, mais qui gardent des échos, évocations d'ambiances urbaines, de ports, d'activités machiniques. Une sorte de souffle de respiration anime la première partie. Des pleurs de bébé. Des bruits de paroles. Peut-être une visite de l'humanité à travers le cerveau d'un robot. La présence du son est formidable, et le travail des lumières magnifique ; un voyage dans des ambiances un brin convenues, mais bien prenant.

Pierre Henry - La Noire à soixante + Granulométrie

C'est la superposition de deux pièces très différentes de nature. "La Noire à soixante" est une étude sur la perception du temps, où un métronome est de plus en plus perturbé par des manipulations sonores ; pièce théorique, abstraite, en un sens, froide. "Granulométrie" s'attaque à la voix, ou plutôt aux sons émis par la bouche, la langue, la gorge, raclements, claquements, cris, sifflements, borborygmes ; tout cela est filtré, amplifié, dispersé, etc ; pièce organique, et en un sens, violente.
La superposition des deux semble naturelle, tant les deux parties diffèrent : elles se complètent parfaitement, permettent à l'audition de passer d'une couche à l'autre. Cela date des années 60, ça s'entend ; aussi bien dans les intentions (le minimalisme de "la Noire à soixante" fait penser aux "variations pour une porte et un soupir" ; le travail sur la voix fait penser à Berio, avec ici François Dufrêne dans le rôle de Cathy Berberian), que dans les sonorités, admirablement conservées mais néanmoins un peu mâtes, qui manquent de claquant et de brillant. Une pièce d'archive.

Pierre henry - Pleins jeux

C'est une création, commande de la Cité de la Musique. Oeuvre longue cette fois - plus de trois quart d'heure, en quatre parties dont les noms ("Pressentiment", "Expérience", "Croissance", "Plénitude") sont tout un programme ! Mais que je ne ressentirai pas, malheureusement. La majorité des sons utilisés vient de pianos, pincement des cordes, frappe de la caisse, accords joués et malaxés par la suite, le son global est extrêmement dense, en couches de rythmes multiples, qui charrie une énorme énergie. La marche est implacable, mais m'apparaît trop monolithique. Les différences entre les mouvements me semblent anecdotiques, on passe d'un son de surface en corde pincée à celui de cloches, mais le fond reste la même accumulation insondable. Impressionnant plus que passionnant.

jeudi 20 mars 2008

Compositeurs d'aujourd'hui : Michael Jarrell

Après la Finlande, la Suisse, mais on reste sur la même année de naissance : 1958 !
Ce CD se concentre sur une période assez courte de la production musicale de Jarrell (1988-1993), si bien que les oeuvres présentent une forte unité stylistique ; des disques ultérieurs, chez Aeon par exemple, permettront d'en suivre l'évolution et la diversification.

Assonance V

Ou devrais-je donner son titre de l'époque, disparu depuis ? "... chaque jour n'est qu'une trêve entre deux nuits ... chaque nuit n'est qu'une trève entre deux jours ...". Ce poème a-t-il donné la structure de l'oeuvre, une alternance de solos de violoncelle (les nuits) et de dialogue avec des groupes instrumentaux successifs (les jours) ? Musique sombre, où le violoncelle explore peu son registre aigu, souterraine, qui évoque un cheminement tortueux d'un groupe à l'autre, où l'énergie ne jaillit que sporadique, pour vite retomber dans une atonie un peu fiévreuse.

Rhizomes (Assonance VIIb)

Deux pianos, deux percussions, électronique. Un climat nocturne, diaphane, comme une nuit froide illuminée d'étoiles. Sur le CD au moins (faudrait voir en concert), la partie électronique est très réussie : elle nimbe de mystère les notes esseulées des pianos, fond les percussions dans un halo indéfini, tout n'est qu'attente et espace. Des crotales finissent par réveiller les instruments, les pianos répondent presque en imitation. Cet accès d'excitation passé, on retombe lentement dans le climat initial, comme aspiré vers le silence par l'électronique. Quelques échos des pianos, qui rêvent peut-être encore de mélodies, une ritournelle rythmique qui s'évanouit, silence.

Assonance IV

Une rencontre peu fréquente : alto, tuba, électronique. Pièce courte (8 minutes) mais néanmoins divisée en 4 sections, où les deux instruments se confrontent sur une sorte de thème imposé (jouer une figure rapide, fixer un son ...). L'électronique suggère une sorte de chant féminin lointain. C'est la pièce la moins envoutante du CD.

Congruences

Flûte, hautbois, ensemble, et électronique. C'est la pièce la plus longue et la plus ancienne. Elle s'ouvre sur un épisode virtuose au hautbois, qui pourrait laisser croire à un opus concertant usuel. Mais la flûte Midi impose rapidement des climats plus lents et éthérés, que prolongent l'électronique qu'elle déclenche. Malheureusement, cette spatialisation reste bancale : Jarrell semble par moments ne pas trop savoir qu'en faire, des sons surgissent, qui ne semblent là que pour le plaisir de l'effet. Il y a des passages intéressants, mais globalement, je reste peu intéressé par le déroulement des événements.

mercredi 19 mars 2008

Compositeurs d'aujourd'hui : Magnus Lindberg

Le premier disque de la série "Compositeurs d'aujourd'hui date de 1994, et est consacré à Magnus Lindberg.

UR

Voilà de la musique âpre, qui gratte et qui grince ! C'est un morceau que j'ai vu dernièrement en concert. Sur CD, le trio à cordes passe assez loin derrière la clarinette puissante d'Alain Damiens et le piano toujours élégant de Vassilakis, comme un fond de paysage tourmenté, secoué également par les interventions électroniques, moins génantes qu'en concert, parce que mieux mixées dans la pâte sonore. C'est un morceau qui réclame l'attention de l'auditeur pour être apprécié, sous sa surface rugueuse d'instruments poussés vers les stridences, se cachent des virtuosités assez impressionnantes.

Corrente

Tiens, elle aussi, je l'ai vu en concert, encore plus récemment ! Après l'énergie forcenée de "UR", on tombe dans une musique bien plus consonnante, où l'EIC prend des allures de grand orchestre symphonique. Belle matière, déployée comme un fleuve rapide mais majestueux, au grè d'ambiances rythmiques souplement variées, fondées sur des ostinatos mais acceptant des pauses respiratoires fort belles. J'aime beaucoup la fin, un bel accord massif et lumineux à la fois.

Duo concertante

Petit concerto pour clarinette et violoncelle, accompagnés d'instruments tintinnabulants typiques de la musique contemporaine post-Boulez, guitare, harpe, mandoline, vibraphone ... Agréable et léger, vif, raffiné même, mais un peu vide. Trop élégant, pas assez nourrissant.

Joy

C'est le morceau le plus long (presque une demi-heure), écrit pour grand ensemble et électronique, autour de deux pianos et de pas mal de percussions résonnantes. Le livret, copieux mais mal foutu, mettant en colonnes parallèles les textes français et anglais avec des effets de typographie qui les rendent peu lisibles, rapproche cette oeuvre des symphonies de Sibelius, que je connais fort peu. On est dans des climats de musique tonale, où les dissonances sont rares. J'ai tendance à m'y ennuyer gentiment : si le Duo était un peu léger, ici c'est un peu lourd. Trop mollasson, pas assez surprenant.

Collection "Compositeurs d'aujourd'hui"

Critiquer des disques, donc, disais-je. Lesquels ? Peu enclin à laisser le hasard guider mes choix éditoriaux, il me faut un critère assez strict, au moins pour commencer. J'ai décidé de passer en revue une série de CDs qui offrent l'avantage d'être cohérents avec le climat musical habituel régnant en ces pages, et d'être encore disponibles sur le marché même s'ils datent d'il y a plusieurs années.
Cette série s'appelle "compositeurs d'aujourd'hui", est enregistrée par l'EIC, et est disponible dans la boutique de l'IRCAM.

J'aime les séries discographiques. Une fois la relation de confiance créée par quelques disques particulièrement appréciés, je peux acheter des CDs simplement parce qu'ils appartiennent à cette série identifiée. Ce fut le cas du début de la collection "20-21" chez DG, mais trop de titres légers, trop anecdotiques ou même sirupeux, ont brisé l'achat automatique ; je regarde désormais leurs productions avec un brin de méfiance. C'est aujourd'hui encore le cas pour la série aeon contemporain.

La série "Compositeurs d'aujourd'hui" a commencé en 1994. Elle consiste en des monographies (disques où tous les titres sont écrits par le même compositeur) mettant en avant des artistes ayant travaillé à l'IRCAM ; nombreuses sont les oeuvres utilisant des systèmes de musique électronique pour prolonger ou spatialiser les instruments, puisque c'est une spécialité maison, mais cela n'est pas systématique.
La série propose pour l'instant 13 volumes. Le rythme de parution a fortement décru, de quelques CD par an au départ, à un par an de 1997 à 2000, puis plus rare encore, le suivant et dernier datant de 2005.
Le début d'une nouvelle série "Sirènes", éditée par Kairos, marque je suppose la fin de "Compositeurs d'aujourd'hui".

Mozart Berg (Salle Pleyel - 18 mars 2008)

Wolfgang Amadeus Mozart - Sérénade n°10 Gran Partita K361

Première fois que j'entends cette oeuvre, que Gvgvsse aime tant. Etrange répertoire pour les musiciens de l'EIC, dirigés par Pierre Boulez ! Je peux supposer que toutes les notes y étaient, dans le bon ordre, les bons tempi, avec toutes les harmonies et les contrepoints, précis, d'une lisibilité évidente, et lumineux. Mais l'esprit ? C'était fort plaisant, tour à tour majestueux, tendre, bucolique, charmant, gentiment ironique, follement dansant. De l'ensemble de 13 instruments à vent (l'EIC est complété par 5 musiciens supplémentaires), Mozart tire des effets d'orchestre symphonique, de percussions, de quatuor à cordes, c'est assez magique. Mais ça n'a pas déclenché une compulsion d'achats de CDs, ouf !

Alban Berg - Concerto de chambre

Voilà qui justifie la première partie, l'effectif orchestral étant similaire, 13 instruments à vents - dont cette fois un contrebasson, auquel s'ajoute un piano et un violon, en solistes.
Découverte de Mitsuko Uchida - et quelle claque ! Fougue sous contrôle, remplie de romantisme mais sans que jamais cela ne déborde, elle correspond parfaitement à cette musique de Berg, corsetant l'émotion et les sentiments par des contraintes d'écriture, de peur de trop se révéler. Chacune de ses cadences est un délice de beauté à la fois souple et libre, et précisément articulée. Le violoniste Christian Tetzlaff me plait moins, qui sonne parfois confus, trop post-romantique quant à lui, cela part parfois un peu dans tous les sens, j'ai beaucoup plus de mal à le suivre que sa collègue. Les trois mouvements joués d'un bloc, avec cette sonorité de vent déjà bien explorée par la première partie du concert, ce n'est pas facile à avaler, finalement. Je décroche par moments, connaissant peu l'oeuvre (encore un CD peu écouté, apparement !).
Lors de l'ovation (assise) finale (automatique aujourd'hui dès que Boulez dirige), Uchida extrait deux roses blanches de son bouquet pour les offrir aux deux seules femmes présentes de l'EIC (les flûtistes), joli geste !

Disques

L'idée germe depuis un bon moment : ajouter une rubrique "critique de disques" à ce blogue. Je sens que ça pourrait intéresser une part de mon lectorat, et l'offre est rare sur le web (je parle bien sur de musique contemporaine ; pour la musique classique ou pour le Jazz, il y a déjà de quoi lire).

Mais l'exercice est, je trouve, bien plus difficile que la chronique d'un concert. Il n'y a pas l'excuse de l'écoute unique et donc forcément partielle, de la découverte qui empêche une juste compréhension de l'oeuvre, de l'état mental plus ou moins approprié. Je rappelais dernièrement en commentaire ce texte de Pierre Boulez déposé au dos des livrets d'une série de CDs Erato/EIC, et qui réume bien ce que devrait permettre le disque par rapport au concert :

Ecouter, réécouter l'oeuvre - ce que le disque nous facilite à l'extrême - ce n'est pas exactement "s'y habituer", jusqu'à l'indifférence, la satiété ou l'allergie. C'est plutôt la connaître, la reconnaître, l'identifier, se l'identifer ; dépasser l'étrangeté, l'obscurité de la première approche pour se laisser gagner par un mystère fait à la fois d'évidence et d'inexpliqué.

Comment rendre compte de ce mouvement, de cette appropriation, et que dire quand elle ne se produit pas, ou peu, ce qui est souvent le cas ?

Enfin, il y a le problème des lecteurs. J'écris essentiellement pour moi-même. Les chroniques de concert me sont utiles, pour en garder la mémoire, pour pouvoir en consulter les archives, pour choisir ou rejeter certains concerts proposés en abonnement par rapport aux plaisirs éprouvés ou non à l'écoute de tel compositeur, tel orchestre, tel soliste.
A quoi me serviraient des critiques de disques ? Je bloquais sur ce point (ce qui provoquais un arrêt du style "feuille blanche"), jusqu'à ce que je me dise que critiquer des disques, cela me permettrait aussi de les réécouter, peut-être plus attentivement que d'habitude.

Donc, c'est ce que j'ai l'intention de faire : critiquer des CDs, mais moins dans l'optique d'une analyse absolue des oeuvres et des interprétations proposées, mais comme une chronique de mon écoute actuelle, savoir ce qu'aujourd'hui j'apprécie ou pas en eux.
Je commencerai donc par des disques un peu anciens, écoutés souvent à une époque puis un délaissés au profit des nouveautés. Occasion de redécouvertes, ou de déceptions, donc.
Pour le reste, on verra à l'usage ! Y aura-t-il plus de billets dans cette rubrique que dans celles déjà abandonnées comme "Photographie" ou "Lecture" ? Les paris sont ouverts !

samedi 15 mars 2008

Créations Kaija Saariaho (Salle Pleyel - 13 Mars 2008)

Kaija Saariaho - Mirage

Voilà une commande, venant de la soprano Karita Mattila, assez inhabituelle. Pièce pour soprano, violoncelle et orchestre : donc, le croisement d'un lied orchestral, et d'un concerto pour deux instruments. La structure de la pièce reste, en ce sens, expérimentale, cherche son équilibre entre les deux solistes, flotte un peu. Sur le texte d'une shaman mazatèque sous emprise hallucinogène, qui parle de métamorphoses en aigle ou en étoile filante, Karita Mattila s'engage avec tout son coeur, et tout son corps, qui se contorsionne en postures extraverties, qui me gênent fortement (la regarder m'empêche de l'écouter, à s'agiter ainsi, elle me brouille l'écoute). De toute sa voix, aussi : quelle puissance ! Mais les lignes vocales parfois me transportent, parfois m'indisposent ; bilan mitigé, donc.
Pour le reste du matériau musical, je ne me souviens déjà plus trop ... Un violoncelle virtuose, mais Saariaho a déjà tant écrit pour cet instrument, que je n'entends ici rien de vraiment nouveau. Et aucun souvenir de ce qui se passe dans l'orchestre ...

Kaija Saariaho - Orion

Le livret m'apprend qu'elle a écrit cette pièce juste après l'opéra "L'amour de loin". On devine le plaisir pris à remettre les mains dans une partition pour grand orchestre ! La matière, les textures, y sont triturées de manière très physique, presque brutale par moments, du gros son, étalé, sculpté en gros blocs. J'ai l'impression qu'elle renoue avec une manière de produire de la musique datant du début de sa carrière. Mais l'effet "compositeurs post-spectraux" joue fortement, qui fait qu'à l'écouter, j'ai immanquablement une forte envie de m'endormir (même phénomène pour Manoury) ; alors même que j'adore cette musique, elle a sur moi un effet hypnotique, et des couleurs de rêve plus ou moins éveillé. Bref, c'est à moitié endormi que je me laisse aller dans le flux massif, voire furieux, tentant d'ouvrir l'oeil lors des passages particulièrement caillouteux ou turbulents.

Kaija Saariaho - Notes on Light

Mieux réveillé après l'entracte, je suis plus attentivement Anssi Karttunen dans ce nouveau concerto pour violoncelle (encore un !). Les cinq mouvements parlent donc de lumière, de ses états, de ses mouvements. Cette fois, elle donne au violoncelle tout l'espace pour s'exprimer, et il y flamboie magnifiquement. Qu'il joue en fondu avec l'Orchestre de Paris (dirigé par Eschenbach), la fin de ses lignes dans "Translucent, secret" disparaissant dans celles des violons par exemple, ou en opposition, dialogue véhément dans "On fire", ou en solo, âpre, cordage grinçant rugissant transperçant, Karttunen est extraordinaire. Certains passages me font penser à Dutilleux. Bref, encore un excellent concerto pour violoncelle !

Mirage

Et on recommence. Comme le concert est enregistré pour une sortie discographique, et que cette pièce est une création, cette reprise sert sans doute comme deuxième prise pour le mixage. Mattila s'est un peu calmée. Karttunen continue d'assurer, ce qui après un tel programme relève de l'exploit. Eschenbach impose, comme après chaque pièce, un long silence après la dernière note, en levant bien haut les bras. Puis c'est le tumulte, l'ovation, le délire. Comme Palpatine, je trouve ça un peu exagéré. Mais si "Notes on Light" sort en CD, je me précipiterai !

samedi 8 mars 2008

Brad Mehldau Trio (Salle Pleyel - 7 Mars 2008)

Les trois comparses arrivent sur scène avec un bon quart d'heure de retard, et presque tout de suite surgit un solo de contrebasse. Durant la première demi-heure, c'est Larry Grenadier qui m'impressionne : lyrique, rapide, souple, généreux, ses solos sont nombreux et magnifiques. Brad Mehldau me donne le sentiment de forcer son jeu, de chercher les notes, de compliquer les accords et les mélodies de manière trop volontariste pour sonner naturel. L'éclaircie intervient soudain dans une improvisation fuguée, où les lignes superposées coulent limpides et lumineuses, et où s'épanouit la poésie dans le jeu et les couleurs, puis dans un morceau plus bossa, d'une belle nostalgie. Mais cela ne dure guère. Une reprise de Costello, ballade sobre et finement émouvante, s'orne d'une coda en forme de gâchis, solo empesé de romantisme grandiloquent, avec balayages de clavier et pédale d'échos. Autre problème, les morceaux sont souvent trop longs, et finissent par prendre le goût d'un chewing-gum trop mâché. Pendant ce temps, le batteur Jeff Ballard remplit tranquillement son office, mais semble encore un peu à l'écart, ne participe que peu au dialogue du trio. Au total, une soirée grisâtre, mais éclairée par quelques moments superbes.

jeudi 6 mars 2008

L'Autre Coté - Bruno Mantovani (Cité de la Musique - 4 Mars 2008)

Ecrire un opéra à la fois contemporain et accessible, serait-ce possible ? Mais oui ! Bruno Mantovani, l'étoile montante des compositeurs français (auquel l'EIC consacre le premier disque de sa nouvelle collection "Sirènes" chez KAIROS) s'y attelle, et réussit !

Il faut d'abord une histoire, à la fois suffisamment linéaire et compréhensible pour maintenir l'attention, mais pleine d'échos et de symboles pour permettre diverses lectures, évitant le purement anecdotique autant que l'abscons déconstruit. François Régnault s'est inspiré du roman "L'autre coté" d'Alfred Kubin, un dessinateur dont KA a bien entendu parlé.
Le narrateur, Kubin, reçoit la visite d'un émissaire lui annonçant que son ami d'enfance, Claus Patera, est devenu richissime, et a fondé un empire, l'Empire du Rêve, où tout progrès est interdit, et y invite Kubin et sa femme. Elle rechigne, mais ils acceptent. Ils découvrent un pays triste, sans soleil, où Patera est un tyran invisible, et où règne une bureaucratie vaine et molle. La femme de Kubin meurt, suite à un effondrement mental. Kubin souffre d'hallucinations. Un américain débarque, qui déclare vouloir conquérir le pouvoir. Au milieu de la ville qui plonge dans le chaos, il affronte Patera, le tue, puis repart aux Etats-Unis. Kubin, devenu fou, rentre aussi chez lui, accompagné d'un médecin.
On peut voir dans cet Empire des Rêves une allusion à la tour d'ivoire d'un artiste paralysé par les références du passé, ou une allégorie prémonitoire des pays communistes, ou une sorte de pays du magicien d'Oz croisé du Chateau Kafkaïen. Il y a une invasion de la ville par des animaux, diverses hallucinations fantasmagoriques, un combat de géant où le mort irradie de beauté. Tout un matériel qui ne demande qu'un metteur en scène pour en fabriquer des images scéniques potentiellement extraordinaires !
Mais ce soir, c'est version de concert, donc nada.

Il faut une technique de chant. Mantovani laisse parler les interprètes, récitant parfois tout simplement, souvent glissant de façon continue entre parlé et chanté, parfois enfin chantant vraiment, mais toujours des lignes vocales aux ambitus restreints, sans aucune acrobatie stupéfiante ou morceau de bravoure anthologique. Ce parti-pris permet de rendre le sur-titrage presque inutile, le sens étant quasiment toujours audible et compréhensible, ce qui est vraiment rare pour un opéra contemporain !
Dans les chanteurs qui ont aussi à être acteurs (non par la gestuelle, mais par les intonations des passages parlés), je retiendrais le ténor Fabrice Dallis (omniprésent Kubin), le contre-ténor Robert Expert que j'aimerais entendre à nouveau pour apprécier sa voix particulièrement puissante pour cette tessiture, et la basse Jean-Loup Pagésy, d'une texture très riche.

Il faut aussi de la musique. L'Orchestre National d'Ile-de-France dirigé par Pascal Rophé est complété par les Percussions de Strasbourg, spatialisé dans les hauteurs à droite et à gauche, et par le Choeur de chambre les éléments de Joël Suhubiette. Mantovani ne craint pas de recourir à des procédés faciles, mais fortement efficaces, à l'impact direct : une augmentation par palier du rythme lors du voyage en train, un effet de stéréo entre les percussions vibrantes, des tohu-bohus monumentaux qui parfois concurrencent sévèrement les chanteurs. Beaucoup de pulsations régulières très marquées, beaucoup aussi de sons tenus et frémissants. Il sait aussi se faire plus léger, il y a de merveilleux moments pour violon (bravo à la supersoliste Ann-Estelle Medouze), en solo, en duo avec une percussion, ou avec les bois.

A lire : l'analyse de DavidLeMarrec, le compte-rendu de Corley.

samedi 1 mars 2008

Planning Mars - Avril 2008

Une erreur de programmation s'est infiltrée dans cette liste.
Sauras-tu la trouver ?

Berg Webern Fuchs Zimmermann (Cité de la Musique - 29 Février 2008)

Anton Webern - Six pièces op. 6

Cette restitution d'expériences de deuil est toujours aussi forte. Entre glaciations tétanisées et hurlements déchirants, les tempi trèèès lents empêchent le temps de s'écouler. La marche funèbre du quatrième mouvement est particulièrement hallucinée, entre roulements de tambours voilés, mélodies blafardes et bravaches des bois, c'est un moment de non-vie, où tout flotte et titube, rien ne prend corps, anéanti dans la douleur et l'incompréhension. Les derniers mouvement offrent une possibilité d'espoir. La dynamique de cette musique, souvent pianissimo, et la variété et subtilité des couleurs, imposent de l'écouter en concert pour l'apprécier à sa juste mesure !

Alban Berg - Trois fragments de Wozzeck op. 7

Splendides plages musicales, et cette fois une cantatrice à la hauteur, Angela Denoke. Face à l'Orchestre du Conservatoire de Paris où sont noyés les membres de l'EIC, Susanna Mälkki se régale de puissance, ordonnant des tutti ravageurs. Belles couleurs naturalistes.

Reinhard Fuchs - Blue Poles

Le livret explique l'inspiration d'origine, un tableau éponyme de Pollock, et suggère la difficulté d'apprécier la richesse de la pièce à la première écoute. De fait, si on perçoit aisément une structure en couche de fond en belles textures variées, et en motifs de premier plan plus ou moins virtuoses, la subtilité qui les lie et les fait se répondre ne saute pas aux oreilles. Ca se suit sans trop d'ennui, mais ça ne me laisse guère de souvenirs (si : une série de déflagrations que Mälkki numérote consciencieusement en tendant les doigts).

Bernd Alois Zimmermann - Photoptosis

A l'EIC, seul sur scène pour Fuchs, se joint à nouveau l'Orchestre du Conservatoire, pour un effectif plantureux, qui permet de délivrer un son énorme, rempli à ras bord de cordes, de bois, de cuivres, de percussions, en fait tout semble énorme dans cette pièce ! Une énergie impressionnante, qui aurait pu me galvaniser dans d'autres circonstances, mais ce soir m'assomme.

A lire : Zvezdo, Sok (ah ben non, finalement toujours pas), Corley, Haegele.