mardi 1 juillet 2008

John Zorn - Masada Night (Salle Pleyel - 26 Juin 2008)

Il est donc possible de réaliser de beaux et grands concerts de Jazz à Pleyel - ce qui n'était guère évident vues les expériences précédentes. Pour cela, prévoir un groupe (ou plusieurs) d'exception, et attirant un public à lui, capable de mettre le feu aux murs trop propres et blancs de la salle.

Masada String Trio


Première apparition pour cette semaine Zornienne de Greg Cohen, qui s'est bien reposé pour attaquer ce concert où il sera omniprésent. A sa droite, Mark Feldman, à sa gauche, Erik Friedlander, accroupi à leurs pieds, John Zorn. Belle manière de commencer la soirée, un pont entre l'univers "musique classique" habituel de Pleyel et l'univers Masada (on aurait pu rêver la participation de Courvoisier, mais bon ...). Magnifiques croisements de lignes entre le violon et le violoncelle, avec Cohen en colonne vertébrale, mais n'hésitant pas à prendre des solos. Les frémissements de l'archet de Feldman, extirpant des sons éthérés ou suraigus, vrillent l'ame. C'est le musicien masadien le plus hanté par la douleur juive à son exacerbation (je lis en ce moment "Les Bienveillantes" avec le Book of Angels en accompagnement, et c'est avec lui, en duo ou trio, que le contrepoint est le plus intense, presque insupportable par moments). Friedlander y répond avec plus de douceur, de velouté dans le chant, des échos qui remontent aux suites de Bach, et qui apaisent. Musique magnifique et souvent bouleversante, où l'évocation par les cordes du passage d'un train est autrement plus subtil que chez Reich, et qui plonge souvent dans la nuit et le brouillard, avant de se lancer dans un petit chaos espiègle de pizzicati et de bruitismes divers. Dommage cependant qu'ils se bornent au répertoire de leur disque - ils auraient pu s'aventurer dans des pièces confiées à d'autres formations.

Bar Kokhba


Aux trois précédents s'ajoutent Joey Baron à la batterie, Cyro Baptista aux percussions et Marc Ribot à la guitare. Que dire que je n'ai déjà dit ? Que c'est magique, magnifique, miraculeux par moments ? Oui, sans doute. Mais bon, la fatigue commence à s'installer. Par rapport aux autres formations de taille équivalente, c'est ce qui me frappe ici, c'est l'homogénéité des textures : essentiellement de la peau et des boyaux, pas de clavier, pas sax, peu de fioritures en décoration. Le discours est plus serré, moins protéiforme que chez les Dreamers, moins explosif que chez Electric Masada. Ribot s'en tient presque à un seul son de guitare, assez tranchant, mais sait toujours glisser quand il le faut la petite déviation d'harmonie ou de timbre qui accroche l'oreille.

Acoustic Masada


En attendant la mise en place, une voix dans la salle se lance dans un improbable chant surprenant, que viennent accompagner bientôt les réactions diverses du public, applaudissements, rires, réprobations, huées des réprobations, le tout de manière aléatoire.
Puis arrivée des héros, Zorn, Cohen, Baron, et Dave Douglas. Le premier morceau est renversant de télépathie entre Zorn et Douglas, un ping-pong étourdissant de vélocité, de réactions instantanées, de petites phrases qu'ils se jettent l'un à l'autre, pour soudain s'y accrocher et se lancer dans des lignes plus continues aux superpositions éblouissantes, puis revenir à plus de hachage, c'est sidérant et vertigineux.
Comme leur prestation ne peut qu'être relativement courte, ils se livrent à une démonstration de leurs capacités, par quelques morceaux aux ambiances très différenciées : le coté énergique et épique, le coté chaotique et bruitiste, le coté mélodique et envoûtant, etc.
Je suis moins extatique que la première fois au Châtelet (never as good as the first time ?), mais c'est aussi que je suis un peu gavé de trop d'excellente musique après ces trois soirées (non pas "cracher dans la soupe", mais "froncer du nez sur le quatrième dessert").

En bis, Erik Friedlander vient calmer la salle chaude bouillante d'une pièce pour violoncelle seule, qui revendique clairement l'héritage Bach, et referme sur une note à la douceur d'éternité cette soirée extraordinaire.

Ailleurs : Allegro Vivace, Jazz à Paris, Jazzman

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