dimanche 29 mars 2009

Pascal Dusapin - Le Cycle des 7 formes (Cité de la Musique - 27 Mars 2009)

Si ce concert était annoncé comme l'intégrale des "Solos pour orchestre" de Dusapin, dont je connaissais déjà sur disque les numéros 2 et 3, je ne m'attendais pas à ce qu'ils constituent un cycle, désormais complet, créé pas à pas, par des commandes successives d'oeuvres pour orchestre, entre 1992 et 2009, permettant à Pascal Dusapin de créer du grand format orchestral impossible à mettre en oeuvre autrement.
L'ensemble est ... monumental. Ce ne sont pas les mouvements successifs d'une sorte de symphonie, mais bien des morceaux indépendants (on applaudit entre chaque, et les musiciens se repositionnent de l'un à l'autre) ; de plus, la longue période de composition implique des évolutions d'esthétique entre le 1 et le 7. Mais une réflexion commune les relie, de "forme" dit-il, ou d'allure : comment faire avancer un discours musical pour orchestre. Vivement le CD (double - on frôle les 100 minutes), qui devrait voir le jour, Dusapin étant fort bien publié, et permettra de rentrer plus dans les détails d'une partition impressionnante, et d'ambition assez rare - je ne vois guère que "Les Espaces Acoustiques" de Grisey, dans le genre.

Go

Faisant référence au "Allons-y" anglais mais aussi au jeu asiatique où la réflexion la plus poussée découle d'un matériel particulièrement simple, cette pièce inaugurale est sans doute la plus mélodique de toutes (on ira de l'horizontal au vertical). Seule pièce avec un vrai solo, de violon, guère convaincant. Puis on repart, dans une matière profonde, par moment tourbillonnante, où les percussions s'amoncellent, en une sorte d'artisanat furieux (mais rien de boulezien). Le final éclaircit le discours vers les aigus, ce qui est une sorte de constante du cycle, comme un "à suivre".

Extenso

Dans ce type de musique, l'écoute en concert transcende le disque. Je redécouvre ce début poignant aux cordes, très "Métaboles", qui enfle peu à peu, se charge de bruits, pour atteindre des climats beaucoup plus grondants, éruptifs, menaçants, Varèsiens, puis changeant encore, toujours lents, fascinés par les mystères de l'orchestre, plongeant dans des lumières aux échos mystiques, à la Scelci.

Apex

Dusapin est aussi un excellent présentateur de sa propre musique. Il en donnne des explications qui n'en épuisent pas les mystères, mais donnent des pistes imagées ; "Au début, l'orchestre apparait comme engourdi. Il est écrasé, tassé par des masses harmoniques sombres qui offrent à l'auditeur la sensation de purs volumes de timbres mélés à la clarté d'accords plus définis. [ ... ] La forme avance pourtant par contractions et spasmes. Oui, ce sont aussi des convulsions, précisément des apex. L'orchestre est parfois feuilleté de rythmes incisifs, soudainement obscurci par des agrégats harmoniques écrasants". A part ça, je n'ai pas vraiment accroché à cette forme-là.

Clam

Là aussi, les explications semblent à la fois claires et mystérieuses, qui parlent de "cloquage", où "la matière musicale se détache de sa surface harmonique telle une bulle". Il est question de couches superposées, d'éléments cachés qui surgissent à la surface. J'y entends un lent bouillonnement, une matière parcourue par des vagues discordantes qui la pétrissent en plusieurs directions qui se contrarient les unes les autres. C'est tourmenté, mais pas convulsif. Bourbeux. Une tourbe profonde et obscure à la surface de laquelle flamboient des couleurs fugitives, issues des courants puissants et enfouis que l'on devine à l'oeuvre.

Exeo

"L'orchestre claque fortissimo en se rétractant sur les registres aigus et graves, désignant subitement un espace harmonique creux, créant du même coup une cavité sonore et les contours d'un nouveau territoire". Cet espace est fascinant, la tension entre les deux pôles extraordinaire, d'une intensité dramatique et esthétique rare. Et puis cet espace se remplit, par des processus divers et peu analysables, les lignes semblent surgir sans origine, et engendrent une complexité qui me fait penser ... à du Xenakis romantique ; cette image, a priori incongrue, est soudain validée quand je découvre la dédicace : "à la mémore de Iannis Xenakis". On en trouve aussi l'aspect architectural. "L'orchestre est traité d'un seul bloc. Dans la masse. Avec force. Il n'y a qu'une seule direction !". Autre caractéristique de cette pièce, c'est la seule du cycle où il n'y a pas de percussions. Cela n'empêche pas l'énergie (essentiellement potentielle) d'y être suffocante.

Reverso

C'est le plus long des solos, mais aussi le seul écrit en mouvements enchainés, si bien que sa longueur ne se remarque guère. "Quatre panneaux de temps articulés et repliables, comme les ailes d'un improbable oiseau". Je n'ai guère de souvenirs précis.

Uncut

En création ce soir, la conclusion. C'est du brutal. Si "Go" était plutôt mélodique, ici on est dans les accords martelés. Même si on commence par une fanfare de cuivres. La masse orchestrale menace de nous écraser. Après pareil déferlement, on comprend Pascal Rophé qui, malgré les ovations du public, s'excuse de ne pas avoir de bis à proposer, son Orchestre philarmonique de Liège Wallonie-Bruxelles devant être proprement carbonisé ...

lundi 16 mars 2009

Répéter / Varier 1 (Cité de la Musique - 15 Mars 2009)

Gérard Grisey - Stèle

Deux grosses caisses, de part et d'autre de la scène. Une pièce à la construction assez étrange, pas totalement sans charme, pas vraiment captivante non plus.

Tom Johnson - Tilework

L'article est long, dans le livret, qui parle de colliers de perles aux motifs variés, puis de mathématiques, et conclut "l'un des aspects les plus merveilleux de la musique, c'est qu'elle nous permet de percevoir directement des choses que nous ne comprendrions pas intellectuellement". La pièce aussi semble longue, 9 minutes interminables, où le tuba émet des "pomp pomp pomp" lents, qui se compliquent en "pomp pamp pomp pamp pomp pamp", ose même des "pomp pamp pimp pomp pamp pimp pomp pamp pimp". Sauf que ça devient alors trop rapide à jouer, Arnaud Boukhitine est obligé de ralentir, et n'évite pourtant pas les fausses notes. Du coup, on revient à "pomp pomp pomp", et on recommence. Cela fait bien longtemps que je n'ai pas entendu d'aussi mauvaise et insupportable musique.

Steve Reich - Nagoya Marimbas

Ecrite en 1994, cette courte pièce reprend des principes développés par Reich dans les années 60 et 70, avec des canons entre les deux marimbas décalés d'un temps ou davantage. Mais la complexité nouvelle des mélodies, leur variabilité rythmique, donne un visage beaucoup plus brillant, une architecture sonore impalpable et fascinante. Splendide.

Philippe Hurel - Loops II

Pièce de concours pour vibraphone, où se succèdent les styles de jeu, transcendés par une virtuosité jubilatoire.

Dmitri Kouliandski - Broken Memory

Un percussionniste s'installe au piano avec un archet et un verre, tandis que violoniste et violoncelliste passent leur archet sur tous les rebords de leur instruments, pour des sonorités étranges, où se distinguent par moments d'étranges voix humaines, pleurs ou vagissements ; pas vraiment de notes, que des sons tenus le temps que passe l'archet. Et pourtant, ça tient la distance des 13 minutes ! On pourrait y entendre des scènes industrielles, elle m'évoque plus du vent dans les bois, dans un paysage enneigé, glacé, inhospitalier. Prenant, et surprenant.

Philippe Hurel - Loops III

Le refus d'un académisme, à force d'être répété, devient un nouvel académisme : par exemple refuser la volubilité d'oiseau de la flute, en lestant son jeu d'effets divers, et en la plongeant dans des couleurs agressives. Ici, on retrouve "sa souplesse, sa fluidité et sa virtuosité", mais en double : deux flutes qui jouent comme une seule, sans aucun mode de jeu, en homorythmie et harmonies croisées. Cherrier et Ophèle se font face et descendent lentement les pupitres alignés, visiblement heureuses de cette promenade toute vibrante.

Steve Reich - Music for pieces of wood

Une première clave en métronome, les quatre suivantes entrent l'une après l'autre et construisent note par note leur "tatata tate ta tata" qui se superposant en décalage devraient fabriquer une texture de plus en plus complexe. Mais ça ne fonctionne pas vraiment, et finalement, on s'ennuie assez rapidement.

dimanche 15 mars 2009

Cordes et Ames : Manu Codjia

La première fois que j'ai entendu le nom de Manu Codjia, c'était en Septembre 2003, lors d'un concert du Strada de Texier, qui, annoncé quintet dans les programmes, devenait ce soir-là un sextet, par l'adjonction du guitariste.
Il avait déjà une riche carrière à son actif (1er prix au Conservatoire National de Paris en 1998, 1er prix au concours national de Jazz de la Défense en 1999, participations à de multiples projets et disques ... ), mais ce soir-là, ce qui me frappa, c'était sa discrétion. Quand il s'empare d'un solo, le contraste est étonnant entre la musique de feu qui sort de ses mains et de ses pieds (il est toujours entouré de boitiers d'effets) et son attitude réservée, presque timide dans un coin de la scène, ne cherchant jamais à accaparer l'attention.

strada sextet au new morning

Je l'ai depuis vu dans plusieurs configurations, et c'est son coté caméléon qui en ressort chaque fois plus admirable. Il s'en explique un peu dans le livret de son disque en trio "songlines" :

"Suivant la musique que je joue, la mienne ou celle d'un autre, ou plutôt suivant le contexte musical dans lequel je joue, j'essaie de m'adapter aussi bien au niveau du son qu'au niveau du style. Je vais donc plus ou moins consciemment piocher dans plusieurs références, même si ce n'est pas très joli de décrire cela ainsi ... Au bout du compte, cela donne une espèce d'amalgame, une sorte d'unité. Et c'est pour cela que j'aime participer à des projets différents ..."

De fait, duo avec contrebasse, trio avec contrebasse et batterie, trio avec saxophone et batterie, quartet, quintet, sextet, ambiances jazz, jazz électrique, world jazz, jazz rock, punk jazz, jazz expérimental, mélangeant les générations les écoles et les influences, il sait profiter de la porosité du monde du Jazz pour se frotter à bien du beau monde, et développer des amitiés durables, qui l'inscrivent fortement dans le paysage du Jazz français et affinités.



Depuis quelques temps, il me semble abandonner la carte "guitar-hero" de son jeu, le coté "Hendrix", pour des influences plus subtiles, liquides et aériennes, où se conjuguent explorations sonores et mélodiques. Il est maintenant capable d'offrir à ses partenaires des éléments qui semblent parfois incongrus à prime abord, plus électrique ou plus vaporeux qu'attendu, et qui imposent ensuite leur évidence, complétant la construction du "moment" par une touche insolite qui en parachève la beauté. Et quand il accompagne par exemple le trio de Dave Liebman, il faut oser se lancer ainsi.
De fait, il est encore comme réservé sur scène, un peu ailleurs ; mais c'est qu'il écoute, intensément, plus attentif semble-t-il encore, à la musique qu'il reçoit de ses partenaires qu'à celle qu'il produit.

Voici pour finir un extrait de concert, au Sunside, le 28 Novembre 2008, où Codjia prend le relais de Simon Goubert jouant au piano "Auroville", un morceau de Michel Grailler (ce n'est sans doute pas le morceau le plus démonstratif du talent de Codjia, mais j'aime beaucoup cette musique, alors voilà).



Ce billet est écrit dans le cadre du collectif "Z Band", dont les membres étaient invités pour cette sixième session à parler de guitariste.

Ailleurs :
L’ivre d’image : Lionel Loueke ; Jazz Chronique & coup de coeur : Eric Lörher ; Mysterioso : Gabor Szabo ; Jazzques : Jacques Piroton ; JazzOcentre : John Scofield ; Native Dancer : Marc Ribot ; Maitre Chronique : John Mc Laughlin ; Backstabber : Bill Frisell ; Ptilou’s blog : Mike Stern ; Jipes : Charlie Hunter ; Belette & Jazz : Rémi Charmasson ; Jazz Frisson : Kurt Rosenwinkel

samedi 14 mars 2009

Déjà de son vivant il s'accordait mal


Je dédie cette angoisse à un chanteur disparu
Mort de soif dans le désert de Gaby
Respectez une minute de silence
Faites comme si j'étais pas arrivé


"J'croise aux Hébrides", pas exactement sa chanson la plus connue, en provenance de son album par moi préféré, "Play Blessures", écrit en 1982, en collaboration avec Serge Gainsbourg.

Bye, Monsieur Bashung.

Dave Liebman Project (Cité de la Musique - 12 Mars 2009)

Curieux et passionnant projet, initié par le tubiste de l'EIC Arnaud Boukhitine. Prenons deux solos de Dave Liebman, "The Tree" et "Colors". Demandons à des compositeurs habitués à l'improvisation d'écrire des pièces orchestrales à partir du matériel musical de ses solos, à la manière de Luciano Berio créant ses "Chemins" à partir des "Sequenzas". Confions à l'EIC le soin de jouer ces pièces orchestrales. Enfin, invitons Dave Liebman à y improviser de nouveau.

Riccardo Del Fra - Sky Changes, Tree Thrills

Très beau travail de Riccardo Del Fra pour les textures et la variété des climats. Il y a des passages où le fonds orchestral fait penser aux chef-d'oeuvres de Gil Evans. D'autres où s'instaurent de magnifiques dialogues (très beau duo avec la harpe). Dave Liebman est comme souvent à la fois lyrique et éruptif, et il semble prendre un grand plaisir à répondre aux défis de cet écrin de luxe.

Christophe Dal Sasso - L'Arbre, Couleur

L'orchestration est ici plus abrupte, moins raffinée, plus uniforme aussi. Le saxo aussi semble plus omniprésent et monotone. Bref, je n'ai pas vraiment accroché.

Timo Hietala - PlayPlayPlay

Fin en apothéose. Cela commence par un air de flute à bec, exotique et rêveur. Puis l'orchestre se lance. Avec certains des musiciens qui se lèvent à tour de rôle pour des solis terribles, auxquels Liebman répond avec fougue. Cela donne des climats fort variés, selon les instruments solistes. Mais Hietala est aussi le seul à vraiment utiliser les possibilités "contemporaines" de l'EIC : un peu d'ordinateur, des jeux de cordes bruitistes, etc. Pièce ludique (cf. le titre !), parfois extravagante, formidablement vivante, alternant énergie et mystère. A la fin, la flute à bec revient, reprend la même mélodie initiale, cette fois plus mélancolique. Oui, c'est fini.

Le concert était repris le lendemain à St-Quentin, et diffusé sur France-Musique. La musique était la même ou à peu près, mais pas l'émotion. Voir Dave Liebman sur scène, le jeu des regards avec Susanna Mälkki, les musiciens de l'EIC se lançant dans l'aventure avec un splendide enthousiasme, faisait partie du plaisir. Du Jazz à consommer sur place.

dimanche 8 mars 2009

Stockhausen Schoenberg Brahms (Salle Pleyel - 7 Mars 2009)

Si on ne veut pas acheter le programme des "Pollini Perspectives" à 10 euros, il faut se contenter d'une fort sommaire liste des oeuvres jouées et biographie des interprètes ; pourtant, ce sont là des pièces qui mériteraient un brin d'éclairage pour mieux les apprécier !
La scène est splendide : 3 pianos, celui du centre isolé, celui de gauche encerclé de percussions, celui de droite derrière deux rangs de pupitres.

Karlheinz Stochausen - Klavierstuecke VII, VIII, IX

Maurizio Pollini s'installe au piano du centre, et joue sans interruption ces trois pièces pour clavier. La première, VII, centrée sur quelques notes pivots, s'adosse fréquemment au silence, mais se permet aussi des passages virtuoses. Par contre, l'usage des "touches libres", enfoncées pour renforcer les harmoniques, ne m'a pas sauté aux oreilles avant la lecture de cette notice. La pièce VIII est la plus courte, la plus rapide, et la plus banale. La pièce IX, par contre, est magnifique. Alors que jouée par Bavouzet il y a quelques années en bis, elle ne m'avait guère passionnée, sous les doigts magiques de Pollini, ses accords martelés en vagues d'intensités, ses digressions pépiantes, son atmosphère sacrée, sont magnifiques, et par moments, bouleversants.

Karlheinz Stochausen - Kreuzspiel

Piano de gauche, cette fois, pianiste de dos, percussionnistes tout autour, encadré d'une clarinette et d'un hautbois, dont l'un sur une petite estrade. Peter Eötvös les dirige, assis à coté du pianiste. Les passages aux percussions sont doucement envoutants, les passages aux bois moins intéressants. Sous les techniques sérielles, on sent l'attirance pour les explorations plus purement sonores, ou les aspects cérémoniels (la disposition des instrumentistes). Pour un "opus 1", pas si mal !

Karlheinz Stochausen - Zeitmasze

Entendue il y a quelques mois, j'avais adoré ! Mais ce soir, pas du tout. La volubilité enjouée et printanière du quintette à vent du Klangforum Wien m'ennuie rapidement. Une question d'interprétation, sans doute, ou de contexte de programme !

Karlheinz Stochausen - Kontra-Punkte

Le Klangforum Wien aligne 10 instruments, dont un piano. Pièce de jeunesse, comme "Kreuzspiel", elle est plutôt agréable à écouter, mais un peu lassante à la longue.

Arnold Schoenberg - Trois pièces pour piano op. 11

Après l'entracte, retour de Maurizio Pollini. Ces trois pièces offrent un visage romantique funèbre pour les deux premières "Mässig", qui s'ouvre vers plus d'énergie pour la troisième "Bewegt". Splendide.

Johannes Brahms - Quintette pour piano et cordes op. 34

Aime-je Brahms ? Pas encore. Quelques passages, par exemple où le quatuor Hagen s'emporte énergiquement, m'intéressent, mais la plupart du temps, je n'écoute guère que d'une oreille, tranquillement bercé.

Ailleurs : Palpatine, Corley.