jeudi 28 mai 2009

Compositeurs d'aujourd'hui : Antoine Bonnet

Voici un compositeur que je pense n'avoir jamais entendu en concert, et dont je ne connais que ce disque. Le livret en est d'ailleurs fort atypique pour cette collection : aucune biographie (rien donc sur les influences, le parcours, les évolutions du style, etc.), uniquement une analyse des oeuvres, et en plus rédigée de manière moins technique, plus poétique, que d'habitude.

La Terre Habitable

Le premier morceau est de loin le plus gros : 40 minutes, 5 parties, 3 groupes instrumentaux. Je ne connais pas les textes inspirateurs de Julien Gracq, qui donnent les titres aux mouvements.

"Les Eaux Etroites" expose le matériel musical du cycle complet. Les 3 groupes instrumentaux sont utilisés, si bien que l'ambiance oscille entre musique chambriste (il y a même une presque cadence pour piano) et musique orchestrale. Une impression d'équilibre, ni trop rapide ni trop lent, ni trop virtuose ni trop trivial, s'impose.

"Aubrac" par contre s'engonce dans la lenteur, dans l'instant qui se fige, traversé d'éclats fugaces mystérieux. Seul joue le groupe instrumental "B". Pour donner une idée du livret, rédigé par Alain Franco, en voici un extrait : "La notion de continuité y est toujours paradoxale, puisque les figures rythmées nous disent surtout combien le temps ne passe pas, tandis que l'audition pure de temps (les lianes sonores) produit un effet d'étalement, à l'image d'une tache d'encre sur un buvard".

"Les Hautes Terres de Sertalejo" est une séquence de réveil, après l'engourdissement d'Aubrac. L'orchestre entier se secoue en une courte transe frénétique qui s'achève dans un grand tremblement.

"La Presqu'Ile" utilise les groupes "A" et "C" (le négatif d'Aubrac, donc). Cela sonne presque par moments comme un concerto pour violon. A d'autres, comme une juxtaposition de phrases prononcées tour à tour, sans qu'on puisse dire qu'il y ait vraiment dialogue. Le livret de nouveau : "l'accélération semble essentiellement intérieure, comme si le territoire à circonscrire faisait l'objet d'une inquiétude quant à son étendue réelle et comme si persistait un doute quant à la volonté d'aller jusqu'au bout de son exploration".


"Liberté Grande", en tant que dernier mouvement d'un cycle, se doit de le reparcourir en l'unissant, tout en offrant une nouvelle vision. J'y repère effectivement des éléments déjà entendus. Mais si je comprends quelques-unes des intentions, si je sens la structure de l'oeuvre, j'ai bien du mal à m'y intéresser. Il me manque quelque-chose, un élément qui focaliserait mon attention, qui exciterait un peu de passion. En l'absence de cet élément, j'écoute sans déplaisir, mais sans vrai plaisir non plus.

Nachtstrahl

On retrouve une formation souvent utilisée au XXème siècle (pour des oeuvres spectrales, entre autres) : flûte, clarinette, violon, violoncelle, piano. Formation à laquelle s'ajoute une voix, pour un poème de Paul Celan. Commençant en "Sprechgesang" puis passant sans discontinuité à du mélismatique presque extravagant, la mezzo-soprano Katherine Ciesinski a fort à faire, malgré la relative brièveté de la pièce (moins de 10 minutes). Les couleurs instrumentales sont tout aussi contrastées, touches violentes au début (piano percussif, flûte stridente, violon tendu), puis cela s'offre un peu de mélodique, menace de se taire tout à fait, repart en bribes éparses. La voix et les instruments s'accompagnent dans une construction pas à pas, souvent pointilliste, que les amateurs de post-romantisme schoenbergien (à la fois intense et secret) pourront apprécier.

Epitaphe

L'effectif est tout différent ici : grand ensemble et électronique. Le titre indique l'atmosphère générale, lugubre (surtout au début) et solennelle (une impression de rituel), et peuplée de fantômes. Des échos d'autres compositeurs (le livret propose Stravinski, Debussy, Mahler, Webern ...) passent comme à travers un brouillard, par la composition, et par l'électronique, qui nimbent les sons d'une aura nébuleuse. Cela n'empêchera pas des moments de force (choral de cuivres, cadence de piano).
Rien de puissamment original ou de révolutionnaire, mais une belle manière, du travail précis et profond, de la beauté. Même si j'ai toujours cette difficulté à accrocher vraiment, à rester concentré sur l'écoute, j'aimerais bien entendre cette oeuvre en concert, où elle doit déployer une présence assez captivante.

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