dimanche 28 juin 2009

Bach Lachenmann Jodlowski (Cité de la Musique - 27 Juin 2009)

Johann Sebastian Bach - Suite pour violoncelle seul n°3 BWV 1009

J'avais choisi ce concert en partie sur le nom de Sonia Wieder-Atherton. Je ne pensais pas qu'elle ne ferait que jouer du Bach ! Ce qui surprend d'emblée, c'est le bruit de sa respiration. On a appris à supporter les pianistes qui chantonnent, voici une violoncelliste qui inspire et expire avec une rare intensité. C'est d'ailleurs l'ensemble de son interprétation qui est intense, mais malheureusement un peu trop forcée. Ici une pédale rythmique lourdement insistante, ici du métallique dans les cordes, là des crescendos trop marqués, généralement, elle en fait un peu trop. Plutôt que donner de la vigueur à de la musique qui n'a pas besoin de ces épices, cela fait perdre le fil général.

Helmut Lachenmann - Quatuor à cordes n°2 "Reigen Seliger Geister"

Deux types de matériau dans cette oeuvre : d'une part (je cite le livret) des sonorités étouffées, aériennes ou flûtées, d'autre part (en citant le livret qui cite sans doute Lachenmann) un "paysage de pizzicatos qui se dévoile peu à peu". La diversité et la subtilité des jeux des archets sur les cordes, la variété des types de pizzicato, le dialogue des yeux entre les membres du quatuor issu du Kammerensemble Neue Musik Berlin, maintiennent l'attention, et contribuent à la dramaturgie de la pièce. Comme l'oreille n'est pas forcément assez fine ou assez éduquée pour gouter ces minuscules différences d'attaques ou de tenues, le visuel permet de mieux pénétrer les arcanes de cette musique aux frontières du pur phénomène sonore, et gorgée de silences. En disque, cela doit être assez peu supportable. Sur scène, c'est plutôt fascinant.

Johann Sebastian Bach - Prélude de la suite pour violoncelle seule n°3 BWV 1011

Retour de Wieder-Atherton, qui cette fois, en plus, tape du pied ! Sinon, même qualité, et mêmes défauts.

Pierre Jodlowski - Is it this ?

Du même auteur, je n'avais guère apprécié Drones. Et c'est ici un peu pareil. Un percussionniste imite sur ordinateur une frappe sur machine à écrire (avec les "chding" de retour chariot), qui résulte en des messages qui s'affichent sur grand écran au-dessus de la scène : "Is this it ? Is it this ???? Is it really what it is ?? Eat this heat ? It is really as real as it seems to be ????? Really ??" etc. Sonorement ça ressemble à du Steve Reich, scéniquement c'est rigolo et vaguement angoissant. Puis viennent s'installer un violoniste et un clarinettiste. Mais ce qu'ils ont à faire est trop entre deux registres : c'est trop policé pour être convaincant dans le registre jazz bruitiste ou rock industriel, et ce n'est pas assez élaboré pour être convaincant dans le registre musique contemporaine. Pareil pour un passage où le percussionniste joue avec un fut métallique, un peu de sable et un gros caillou ; on est loin de l'émotion que savait tirer de semblables éléments FM Einheit pour "Stein". De la vidéo d'immeubles berlinois, ou un passage à la batterie, ne me convainquent pas plus.

jeudi 25 juin 2009

Johanne Saunier - Erase-e (X) (Théâtre des Abbesses - 24 Juin 2009)

Salle encore allumée et public finissant de s'installer, Johanne Saunier arrive sur scène en tenue d'échauffement, et danse une séquence de Keersmaeker, qui sera à l'origine de ce projet "Erase-e (X)", suite de variations confiées à des chorégraphes successifs, chargés d'effacer la phrase chorégraphique initiale sous leur propre réinterprétation. C'est une séquence assez neutre, avec de grands mouvements de bras et des rotations, puis des chutes, des roulades, etc., du matériel habituel de danse contemporaine.

Partie 1 : The Wooster Group
Les mouvements sont beaucoup plus saccadés, presque violents, ponctués de reniflements et d'essoufflements. En fond sonore, "Le Mépris", la musique de Delerue, le dialogue Bardot-Piccoli. Le début purement dansé me plait beaucoup, mais cela s'enlise un peu par la suite. Progression dramatique, avec des résonances psychologiques, entre la danseuse et Bardot. Mais cela ne fonctionne pas complètement. Elle a des boitiers attachés aux bras dont je ne comprends pas l'intérêt. Il y a des apostrophes vers les techniciens qui brisent le quatrième mur sans raison. Ca finit par tourner un peu en rond.

Partie 2 : Anne Teresa de Keersmaeker
Musique indienne percussive, qui entraine la danseuse dans des tournoiements énergiques et fort plaisants. Très bien. Bien mieux que son Raga. Et puis coupure, et passage à "Jolene" de Dolly Parton. Le passage de l'un à l'autre me laisse fort dubitatif, surtout que la chorégraphie aussi perd beaucoup de force et d'intérêt (étrangement, je comprends mal le texte, au lieu de "I can easily understand / How you could easily take my man / But you dont know what he means to me, Jolene", j'entends "I can easily understand / How you could easily take my name / But you dont know what it means to me, Jolene" - au lieu d'une femme demandant à une rivale de lui laisser son homme, j'entends une femme supplier qu'on lui laisse son nom parce que ce nom "Jolene" est vital pour elle - ce qui explique pourquoi elle le répète encore et encore comme une litanie).

Partie 3 - Isabella Soupart
Saunier est rejointe par Charles François, qui joue une sorte d'agent de sécurité chargé de protéger cette danseuse dont il ne comprend pas du tout les attitudes et les réactions. Il se confie à un téléphone portable, parle en signes d'une précision exacerbée jusqu'au comique, répète des "OK OK OK" jusqu'au hoquet, tandis qu'elle minaude et finit par le séduire. Amusant, et lui dégage une belle présence à la fois athlétique et poétique.

Partie 4 - Kurt d'Haeseleer
Une caméra est installée qui filme Saunier rampant à terre et insère son image dans une vidéo projetée au-dessus de la scène. Si la musique est celle de "Mulholland Drive", l'atmosphère évoque aussi "Lost Highway", et d'autres liens avec l'univers Lynchien. Il y a des renvois d'une partie à l'autre, par les mouvements bien sur puisque qu'ils viennent tous plus ou moins visiblement de la même séquence initiale, mais d'autres apparaissent, comme ici ce paysage vu en surexposé dont on ne sairt s'il est enneigé ou brulé de soleil, alors que Charles François disait dans la partie précédente "elle est belle comme un paysage en été ; elle est belle comme un paysage en hiver". Néanmoins, comme pour toutes les parties, une fois l'atmosphère bien implantée, il y a comme du remplissage, c'est à chaque fois un peu trop long.

Partie 5 - Georges Aperghis
Je n'aime guère le théâtre expérimental musical d'Asperghis, ce soir ne sera pas une exception. Deux danseuses, Anna Massoni et Julie Verbinnen, viennent rejoindre Johanne Saunier, et tout en dansant elles débitent un texte formé de mots répétés et variés qui doit être épouvantable à apprendre, et crée un tapis intéressant mais là encore rapidement lassant.

Partie 6 - Johanne Saunier
Je commence à avoir du mal à rester attentif. Surtout que dans cette partie il ne passe plus grand-chose. Quelques poses, des passages d'une danseuse à une autre. Fatigue.

Beaucoup de bonnes choses dans ces deux heures, mais un brin d'élagage n'aurait pas fait de mal ...

Ailleurs : Palpatine, FroggyDelight

mardi 23 juin 2009

Les échos de la fête (21 Juin 2009 - Cabaret Sauvage)

Parti en voisin au parc de la Villette, c'est guidé par le hasard puis par l'oreille que je me retrouve au Cabaret Sauvage, et finalement y reste, séduit par la programmation très éclectique mais de qualité. 5 groupes sélectionnés par le Forum des Instituts Culturels Etrangers à Paris.

- un groupe de Hip-Hop mexicain très énergique, Institudo del Sonido, qui firent bien danser l'assistance
instituto del sonido
instituto del sonido
instituto del sonido
instituto del sonido

- un groupe de rock gothique serbe, Vrooom, avec deux bassistes et une très jolie chanteuse, qui descendit dans la salle pour obliger le public à danser avec elle

vrooom
vrooom
vrooom
vrooom

- un groupe néerlandais de musique klezmer, Mazzeltov, avec un excellent guitariste

mazzeltov
mazzeltov
mazzeltov
mazzeltov

- un groupe belge autour de Mousta Largo, qui propose un spectacle de contes et de récits largement interrompus par des musiques arabes

mousta largo
mousta largo
mousta largo
mousta largo

- une chanteuse canadienne Ndidi O, qui mélange au blues diverses épices, du jazz au R'n'B

ndidi o
ndidi o
ndidi o
ndidi o

Chaque groupe ayant une session de 45 minutes, laissant un petit quart d'heure pour changer le plateau et installer les suivants (félicitations aux équipes techniques !), je commence alors à bien fatiguer. Plus d'une centaine de photos, j'en supprime une bonne quantité, mais renonce à une quelconque retouche. Diaporama complet sur Flickr.

dimanche 21 juin 2009

Gérard Pesson - Pastorale (Théâtre du Châtelet - 20 Juin 2009)

La musique de Gérard Pesson demande un peu d'acclimatation, je suppose. Après un premier rejet, puis un CD, un autre concert plus enthousiaste, et un autre et récent CD (mais quand Aeon mettra-t-il enfin son site Web à jour ?!), je suis désormais bien plus à même d'apprécier cette esthétique, fondée sur des modèles classiques plus ou moins profondément concassés à la mode bruitiste, puis apurés et décantés à la sauce minimaliste, comme du Ravel traduit par Lachenmann puis transcris par Webern, mais tout en gardant "l'esprit français" ...
Cette fois-ci donc, c'est un opéra, basé sur une idée assez amusante : et si l'émission de télé-réalité "L'Ile de la Tentation", c'était une transposition des épreuves d'Astrée et Célidon du roman d'Honoré d'Urfé ?
Comme je n'ai même pas vu le film de Rohmer, l'histoire mouvementée de ces amants m'est tout à fait inconnue ; mais ce n'est pas bien grave pour suivre l'action.
La musique est donc aussi ténue que d'habitude chez "Gérard Peu-d'sons", mais du coup légère et souple à loisir, le plus souvent aérienne et scintillante, fraiche, inventive, pleine de surprises, au niveau des instruments (tuyaux harmoniques, harmonica, cornemuse ...), ou des effets (les oiseaux, les machines ; souvent ils ne sont qu'indiqués, et non pleinement joués, toujours ce refus du trop démonstratif ou du trop marqué, Pesson préfère ne donner qu'un indice de ce qu'il veut faire entendre, au lieu de réellement le faire entendre ...).
Les chants sont par contre beaucoup plus présents et intelligibles que dans nombre d'opéras modernes. Non seulement ils échappent au traitement de soustraction qui frappe l'orchestre, mais viennent s'y rajouter deux chanteuses non lyriques, Hoda Sanz et Raphaëlle Dess, qui ont même à leur actif de petits passages très "comédie musicale", avec chanson tonale, et mise en scène adaptée.
Ces demoiselles empruntées à la Star'Ac et à la Nouvelle Star permettent le rapprochement entre le roman courtois initiatique et l'univers de la télé-réalité la plus prosaïque. Ce rapprochement se fait aussi par les interventions de la troupe de danse dirigée par Kamel Ouali. Comme je suis beaucoup plus Nouvelle Star que Star Académy, je ne le connaissais pas du tout. La vivacité de sa troupe, les mouvements issus du Hip-Hop et des sports de combat, liés aux vidéos omniprésentes, m'ont beaucoup fait penser à Montalva / Hervieu qui procédaient au même genre de mélange, mais avec plus d'inventivité et de folie, et il y a plus de 10 ans, dans Paradis ... Cependant, cela met beaucoup d'animation et de joie sur le plateau !
Et de la vidéo, il y en a ! Fabriqués en direct in-situ sur la scène avec des aquariums, de petits panneaux peints, des maquettes et des marionnettes, les bricolages de Pierrick Sorin sont diffusés sur des écrans de diverses tailles, et forment l'essentiel des décors. C'est généralement très joli, surtout toutes les évocations pastorales, prairies, forêts, saisons, et souvent légèrement décalé et drôle. Comme d'habitude avec ce vidéaste ici également transformé en metteur en scène, il est difficile de prendre tout ça vraiment au sérieux.
Ce qui convient parfaitement au spectacle dans son ensemble, qui dès le projet initial, est assez loufoque, ou alors profondément cynique (une dénonciation second degré du "tout vaut tout dans la culture", puisqu'ici sont mis sur le même plateau artistes lyriques et seconds rôles de radio-crochets, le "roman des romans" et la télé-réalité la plus sordide et la plus fausse, etc.). Mais le résultat en tous cas me plait beaucoup, je reste à peu près attentif tout du long, et je passe une excellente soirée !

sortie de salle

Ailleurs : Zvezdo, Palpatine, Papageno, Corley.

vendredi 19 juin 2009

Médéric Collignon et invités - Hommage à "Kind of Blue" (Duc des Lombards - 16 et 17 Juin 2009)

Des albums Jazz mythiques de 1959, oserai-je dire que je n'aime pas "Kind of Blue" ? L'exploration modale me laisse froid, en Jazz comme en classique, je ne vois guère la révolution qui consisterait à oser des grilles harmoniques nouvelles, quant on peut tout aussi bien se passer totalement des grilles. Et l'album sonne trop maitrisé à mon gout, je n'y entends pas assez les prises de risque, les vertiges au bord de l'abime que j'aime dans le Jazz. Trop propre, pas assez de fièvre et de sueur.
Mais une relecture avec Médéric Collignon, ça ne pouvait qu'être joyeusement aventureux ! Depuis un passage télé chez Zigel où il m'avait franchement éberlué, j'avais fort envie de voir l'énergumène sur une vraie scène. Et c'était suffisamment bien pour que j'y retourne le lendemain, même si je n'ai pris chaque soir que le premier set, alors que le second était beaucoup plus fou et exceptionnel, ais-je entendu ; tant pis pour moi.

Comme il l'avait fait pour un fameux "Porgy and Bess" (que Télérama avait salué d'un gros coup de canon, leur note la plus basse et rarissimement donnée, que les musiciens, un temps estomaqués, avaient repris avec humour en T-shirt), Collignon transpose et arrange les cinq morceaux de "Kind of Blue" pour son groupe "Jus de Bosce". Mais Collignon mixe chaque pièce avec une autre, apparemment chaque fois également du Miles Davis, "Johnny Bratton" ou "Decoy", par exemple.
On commence par "So What", cela lance rapidement le morceau dans une rythmique très funky, propulsée par la batterie volontiers explosive de Philippe Gleizes (beaucoup plus proche de Tony Williams que de Jimmy Cobb), la contrebasse sage et imperturbable de Frédéric Chiffoleau (sauf quand une pièce casse, ce qui est arrivé au second set du premier soir, obligeant Collignon à "chanter" la basse, en plus de son bugle ...), et le Fender Rhodes dont Franck Woste triture parfois les sons vers des déglinguages sci-fi un peu comme Bojan Z (mais qui s'embarque aussi dans des solos splendides d'émotions, mélancoliques et romantiques, parfait dans les ballades centrales de l'album).

médéric collignon invite géraldine laurentAu milieu de la piste, Médéric Collignon joue du bugle (phrases courtes, tendues, serrées, chatoyantes, énergiques), mais il chante aussi (entre scat yaourt, mélopées vaguement voyellisées, bruitages vocaux de toutes natures, utilisant bouche nez gorge pour émettre une gamme impressionnante et jouissive de sons divers et variés, bourdonnements, sifflements), et puis il anime le groupe, dirige du geste, du corps et des yeux, dansant, se trémoussant, puis se plantant face à l'un ou l'autre pour le lancer dans son improvisation, le défiant quasiment. Il assure aussi le spectacle entre les morceaux, blagues, anecdotes, accents, délires plus ou moins contrôlés, il est extraordinaire.

Pour compléter la mise, chaque soir, un invité.

Le mardi, c'est Pierrick Pédron, qui complète bien le trompettiste : plus lyrique, il décolle parfois lentement, et déroule plus en douceur un discours construit sur du plus long terme. Collignon parfois le ponctue alors de petites interventions.
Ce soir-là, les moments les plus forts furent les plus rapides, le "So What" initial, et le final "Freddie Freeloader" (oui, l'ordre originel n'a pas été respecté), suivi d'un sensationnel "Bitches Brew".

Le mercredi, c'est Géraldine Laurent, qui entre beaucoup plus dans le style de jeu de Collignon, aussi rapide, agile, fougueuse, énergique. Lorsqu'ils se lancent en parallèle et entrecroisent leurs voix, la magie se cristallise de fort excitante manière (dans ma faible expérience de Jazz, je n'ai guère à mettre en comparaison que Zorn et Douglas, mais en inversé, puisqu'ici c'est le trompettiste qui dirige).
Etrangement, les morceaux ne me semblent pas aussi différenciés sur le plan de l'énergie (la veille, on avait vraiment des morceaux funk/rock assez furieux, et des ballades vraiment douces) ; mais l'énergie non dépensée, ils la balancent dans un pot-pourri final renversant.
médéric collignon invite géraldine laurent

Ailleurs : mes photos, Ptilou

dimanche 14 juin 2009

Francesconi Berio (Cité de la Musique - 13 Juin 2009)

Luca Francesconi - Sirènes

Une quarantaine de musiciens sur scène (où les vents abondent, les rares cordes seront du coup amplifiées), en compagnie des hommes du choeur ; les femmes sont dispersées en petits groupes au-dessus du public. On retrouve un percussionniste et un trompettiste dans les étages. Comme si cette spatialisation des interprètes ne suffisait pas, on y rajoute de la diffusion électronique par l'IRCAM (nous sommes toujours dans le festival Agora).
Est-ce que me trouver sur les gradins latéraux aurait empêché aux charmes de cette oeuvre de se manifester correctement, l'équilibre spatial en étant bien perturbé ? Peut-être en partie. Le fait est que je n'ai pas du tout accroché. Même me focalisant uniquement sur l'orchestre, je trouve ces charivaris de cuivres et de bois bien lourds et confus, et assez répétitifs. Les parties chorales m'intéressent plus, mais sans marquer vraiment non plus. Une grosse demi-heure, globalement assommante.

Luciano Berio - Coro

Voilà une pièce géniale, mais sans doute fort complexe à mettre en place. Musiciens du Brussels Philarmonic Orchestra of Flanders et choristes de la Radio Flamande se mélangent sur scène. Interviewé il y a quelques jours sur France-Musique, Michel Tabachnik expliquait (outre qu'il avait reçu la partition de Francesconi uniquement la semaine précédente, écrite à la main et difficilement lisible, et en plus mal photocopiée, ce qui faisait que certains accords de quatre notes devaient être dévinés sous des taches d'encre ...) que chaque membre du choeur devenait partiellement soliste, ce qui représentait un gros défi. Mais il y a aussi des questions d'équilibre général, entre les épisodes chambristes où quelques voix accompagnées de leurs instruments associés évoquent des chants traditionnels venus du monde entier revus et transformés à la sauce Berio, et les épisodes "Pablo Neruda" où les tutti clament l'horreur et la violence du monde ("Le jour livide paraît / avec une déchirante odeur de froid / avec ses forces en gris / sans grelots / dispersant l’aube goutte à goutte / de toutes parts / cerné / de pleurs // vous demanderez pourquoi cette poésie / ne nous parle-t-elle pas de rêves, de feuilles, / des grands volcans du pays natal ? / Venez voir le sang dans les rues").
Le début me fascine : piano sombrement romantique, plusieurs femmes prenant le relais, chaque voix très caractéristique (alors que le travail choral gomme habituellement ces différences dans le son collectif). Le premier tutti est impressionnant, en vagues puissantes. Mais curieusement, j'ai du mal à retomber dans l'écoute des chants suivants. Plus qu'un patchwork de petites communautés célébrant leurs cultures, que submerge de temps en temps la violence et la révolte commune, je n'entends plus qu'un déferlement des vagues plus ou moins intenses. En quelque sorte le problème inverse de la fois précédente où j'avais entendu cette pièce en concert, David Robertson y ayant privilégié l'aspect folklorique et décoratif. Je ns sais pas si c'est lié à l'interprétation de Tabachnik, à ma position dans la salle, ou à mon humeur du moment.

Ailleurs : Corley

samedi 13 juin 2009

Berio Webern Mantovani (Salle Pleyel - 11 Juin 2009)

Luciano Berio - Formazioni

Prenons un orchestre et éparpillons-le façon puzzle sur la scène, les instruments graves devant les aigus, les familles séparées entre droite et gauche, des cordes un peu tout partout. Pourtant, au début, c'est surtout la musique qui m'intéresse : elle me semble immobile, descriptive, et à épisodes, j'y vois comme un monument qu'on observe successivement sous différents angles. Mais les effets sonores finissent par attirer l'attention sur ce que crée l'étrange disposition sur scène, et qui est fort intéressant : des duos entre instruments normalement voisins et ici lointainement séparés, qui donnent des impressions paradoxales de masse orchestrale, avec peu de matière sonore ; des liens (ou absence de) entre amplitude et densité ; des textures et des couleurs qui ne se déploient pas comme d'habitude. Résultat intriguant, impressionnant, et superbe.

Anton Webern - 5 pièces pour orchestre op. 10

Cette fois, l'orchestre est totalement redisposé autour du chef Jean Deroyer ; plutôt un ensemble de solistes, d'ailleurs. On peut mieux apprécier la poésie et la construction millimétrée de ces miniatures aux expressivités mystérieuses. Les noms des mouvements, par la suite supprimés, "image originelle, transmutation, retour, souvenir, âme", n'aident guère à décoder les intentions.

Bruno Mantovani - Le Livre des Illusions

Ce n'est pas un hommage à Paul Auster, mais à Ferran Adrià, chef cuisinier au "El Bulli" à la fréquentation particulièrement élitiste, qui n'hésite pas à plonger des pamplemousses dans de l'azote liquide pour pouvoir les trancher plus finement, entre autres techniques regroupées sous la dénomination (bien entendue refusée par le chef !) de "cuisine moléculaire".
En compagnie du chef catalan à l'accent quasiment incompréhensible et qu'il semble parfois difficile de faire taire, le compositeur explique quelques passages, de manière fort agréable, puis laisse la place à l'orchestre de Paris, entouré des hauts-parleurs de l'IRCAM (nous sommes en effet dans le festival Agora).
En 30 minutes, Mantovani tente de transcrire pour orchestre et électronique les 35 plats du menu 2007. Spectaculaire, très divertissante, plus captivante que les "Quelques effervescences" qui m'avaient laissé sobre, cette suite enchainée de miniature réussit à échapper au catalogue, pour épouser une forme rhapsodique, où je tente parfois (et vainement) de retrouver le plat décrit (ces explosions percussives sont-elles pour les "ravioles de graines de pimientos del Padron" ?). C'est plus ludique qu'émouvant, ça n'échappe pas totalement au futile, mais l'aisance orchestrale, la facilité d'invention, et l'absence de prise de tête par rapport au langage, qui semble couler naturellement de l'idée de départ, y compris pour l'électronique, qui crée les illusions du titre, en faussant les emplacements des musiciens par leur projection dans la salle, continuent de propulser Mantovani comme un compositeur phare de sa génération.

Ailleurs : Palpatine, Corley, Native Dancer

mercredi 10 juin 2009

Wim Vandekeybus - nieuwZwart (Théâtre de la Ville - 9 Juin 2009)

Après un bilan en forme de Spiegel, Wim Vandekeybus a décidé de relancer les dés. Entouré d'une nouvelle troupe venant majoritairement des pays de l'Est, trois femmes, quatre hommes, il commence par une sorte de "tabula rasa". De recommencement. Et autant le faire en plongeant dans le mythique. Donc, une scène à peine éclairée, comme une grotte utérine, où des corps que l'on devine nus se lèvent et marchent. Une mer métallique (comme ces couvertures de survie, fines, dorées et argentées) agitée par les corps qu'elle recouvre, avant que, se retirant, elle ne les laisse frénétiques et suffocants. Ces humains découvrant la station debout, les vêtements, la socialisation. Prêts à gagner une individualité ? Comme c'est le début d'une nouvelle troupe, on fait connaissance, avec celle aux gestes empreints de danse classique, avec celui qui sait tournoyer sur une main, cet autre qui se jette avec une énergie impressionnante sur ses congénères. Mais on ne se refait pas : ça reste du Vandekeybus, donc il y a des sauts, des accrochages, des chutes, des cavalcades (mais moins), énormément d'énergie.

Au-dessus de la scène, sur une sorte de plate-forme nacelle, Mauro Pawlowski, du groupe dEUS, accompagné du guitariste Elko Blijweert et du batteur Jeroen Stevens lance du rock parfois psychédélique (il y a même une citation de "Set the Control for the Heart of the Sun" !), parfois plus lourd et direct, avec des rythmiques parfois très complexes, une excellente bande son tout du long du spectacle.

La scène elle-même restera assez vide. Les couvertures métalliques referont des apparitions, dont une sorte de monstre tout en reflets changeant et en mouvements rapides, entre tournoiements et glissages virevoltantes, assez fascinant. Mais pas de vidéo, pas d'histoire non plus, assez peu de mise en scène. Le scénario du départ finit par se perdre, les scènes se succèdent sans fil conducteur décelé (mais j'ai pu juste une nouvelle fois ne rien comprendre ...) Du coup, peu d'images marquantes à garder en mémoire. Pour un premier spectacle, l'accent est mis sur les interprètes. Pourquoi pas, ça a sa logique. A voir si la suite de leurs aventures continuera à se focaliser sur l'aspect purement "danse" ou si le volet "théâtre" reviendra plus en force...

Ailleurs : Aligateau

dimanche 7 juin 2009

Copland Stravinski Weill (Salle Pleyel - 6 Juin 2009)

Aaron Copland - Music for the Theatre

Voici un début de concert bien pétaradant, et assez réussi. Ce n'est pas de la musique révolutionnaire, quelque-part entre Gershwin et Bernstein, tentant de fonder une musique américaine, entre structures symphoniques européennes et influences du Jazz africain, avec d'amusants passages dont le but évident est de choquer le bourgeois, mais c'est globalement de fort bonne facture, avec des rythmes urbains bien menés, des nocturnes bien doucereux, de jolis solos pour hautbois ou pour cor anglais. De nouveau, le public applaudit en fin de mouvement ! Cette ignorance des règles s'explique cette fois par la présence massive de fans de Mariannne Faithfull, qui rongent poliment leur frein en attendant leur idole en deuxième partie.

Igor Stravinski - L'Oiseau de feu (suite de 1919)

Dennis Russell Davies conduit son orchestre "Bruckner Orchester Linz" sans faute, mais sans guère de passion non plus, dans cette suite. Je n'ai en CD que les versions longues et courtes de 1910, du coup je ne sais ce qui tient à la prestation de ce soir, ou vient de la partition elle-même, mais je me suis un peu ennuyé, ce qui est quand même rare pour du Stravinski de cette époque.

Kurt Weill - Les Sept Péchés Capitaux

Deuxième écoute en concert, et c'est pas encore ça. Le problème étant toujours la chanteuse. Avec Marianne Faithfull, on a droit à une version en anglais, une octave plus bas que normalement, chantée au micro (mais parfaitement dosé, cela dit), et une optique délibérément cabaret plus qu'opéra. Faithfull n'est plus l'innocente amoureuse du diable Jagger, ni la survivante aux brisures déchirantes de "Broken English". Elle ressemble à ces vieilles chanteuses de club de Jazz, revenues de tout, posant sur la vie un regard sans illusions que le whisky permet d'adoucir d'un peu de pitié. Son interprétation pleine de gouaille met bien en avant l'ironie mordante du texte, et en "écrasant" un peu les mélodies, les rapproche de façon très intéressante du Sprechgesang de Schoenberg ! Mais l'émotion est un peu tenue à distance.
L'orchestre non plus n'est pas tout à fait assez "dedans". Certains traits de flute manquent d'acidité, les pages finales (L'Envie), qui devraient être presque effrayantes de monumentalité et de férocité, ne sont pas à la hauteur.
Les héros de la soirée, ce sont les quatre hommes du groupe vocal Hudson Shad, voix magnifiques, présence brillante, petit jeu théâtral, leur performance est tout simplement parfaite, et du coup, "La Gourmandise" est le meilleur passage (avec énumération de petits plats en français dans le texte !).

En bonus, voilà la première impression que j'ai eu de ces péchés capitaux.
La voix de Teresa Stratas, l'intelligence de Peter Sellars, la beauté de Nora Kimball, peut-être que je mets la barre un peu trop haut ...





Ailleurs : Palpatine, Aligateau, Paris-Broadway

vendredi 5 juin 2009

Saison 2009-2010 : Théâtre de la Ville et des Abbesses

Voici une saison un peu spéciale : Anne Teresa De Keersmaeker et Pina Bausch ne proposent l'une et l'autre que des reprises ! "Rosas danst Rosas" est un incontournable chef d'oeuvre, mais je l'ai déjà vu deux fois, j'attendrai encore un peu ; le reste ne m'attire guère.
Le nouveau directeur Emmanuel Demarcy-Mota semble vouloir réorienter les spectateurs vers les pièces de théâtre, en proposant une formule d'abonnement spéciale ; ce qui est moins désagréable que certaines contraintes que posait à une époque son prédécesseur. Mais parmi les spectacles mis en avant pour bénéficier de ces réductions, il n'y en a que 3 qui m'intéressent, sur les 4 nécessaires.
Du coup, je choisis quelques classiques ("Die Dreigroschenoper" et "Richard II" par le Berliner Ensemble ; "Sous le volcan"), des plus ou moins habituels (Jan Lauwers, François Verret, Lucinda Childs, Sankai Juku, Ballet de l'Opéra de Lyon, Susanne Linke), de l'indien (Shantala Shivalingappa, Padmini Chettur, Akram Khan), et des petits nouveaux (Lia Rodrigues, Lemi Ponifasio, Hofesh Shechter, Gregory Maqoma) !

Ailleurs : L'Octuple Sentier

jeudi 4 juin 2009

Salia Sanou, Seydou Boro - Poussières de sang (Théâtre de la Ville - 2 Juin 2009)

Ce spectacle aurait-il pris de l'ampleur depuis sa préparation l'an dernier ? Initialement prévu aux Abbesses, il a été déplacé au TdV, du coup en placement libre. L'énervement habituel en ces occasions se calme assez vite lorsque s'élève la voix de Djata Melissa Ilebou, voix nue, fragile mais inébranlable, magnifique. Deux hommes en fond de scène courbent leur dos puissant, s'étreignent lentement, luttent et tombent. Relevés, un coup leur renvoie au sol ; parfois y suffira la voix de la chanteuse devenue parleuse, lancée dans une longue déclamation entre harangue et complainte, en kassena. Les corps seront souvent à terre, se tournant, rampant, se maculant de sable et de poussière. Il s'agit de s'arracher à cette terre. Quand péniblement ils y parviennent, une autre danseur ou danseuse les frappant les y renvoient. Des musiciens sur scène lancent des séquences de groupe plus marquées, où sur une épaisse et complexe couche rythmique parfois trouée de saxophone ou de voix, la troupe martèle le sol, toujours aussi présent.
Les épisodes ainsi se suivent, assez peu variés en définitive, mais où l'intensité physique (quels athlètes !) devient de plus en plus impressionnante. Tiens, pour une fois, je vais citer le livret, de Gérard Mayen, dont certains aiment à moquer le ton dit incompréhensible, mais que je trouve parfois fort précis derrière des formulations un brin tarabiscotées :
"La matière corporelle de la pièce est celle des postures effondrées de ces corps en flexions infinies, repliés, défaits. Le déploiement ou la déroute des verticalités sculpturales, la clarté rhétorique, incantatoire, des gestuelles, la retenue méditative des énergies, la scansion lancinante, déplorante, en sont la signature physique. A partir de chaque expérience individuelle de tension hiératique, d'empêchement de gestes inaboutis, de saccades convulsives - où peuvent se déceler des emprunts à des motifs traditionnels, réinterprétés - la propension cérémonieuse se résoud dans l'intensité obsessionnelle d'unissons, obstinés à questionner le sol."
Les musiciens, danseurs, et danseuses, tous noirs (à une exception près) burkinabés, reçoivent une ovation, prolongée, un peu exagérée.