samedi 25 juillet 2009

Strada Sextet (Arènes de Montmartre - 24 Juillet 2009)

Le temps incertain n'incitait pas à une réservation ; du coup, les petites arènes étant complètes, nous trouvâmes refuge au-dessus des grilles, à la merci des passants plus ou moins bruyants et déconcentrants, d'une acoustique pas tout à fait optimale, et d'une vision fort limitée. Par contre, le concert devient gratuit ...

La première demi-heure est une sorte d'échauffement. Chaque musicien prend son solo à tour de rôle, mais cela sonne un peu pilotage automatique. Plaisant, mais un peu trop facile, et déjà entendu. Et puis, le charme prend, des morceaux aux architectures plus complexes et aux risques plus grands apparaissent, des duos ou des trios, des plages plus bruitistes ; et flamboient dans la nuit qui s'installe quelques moments magiques : un ou deux solos extraordinaires de Manu Codjia, au milieu d'autres décevants de par leur prédictibilité ; un trio des vents (Corneloup Texier Kornazov) qui commence par un assez sidérant effondrement continu, qui mue ensuite vers une danse plus convenue ; l'énergie toujours aussi généreuse, mais toujours groovy même quand elle bouillonne, de Christophe Marguet ; le lyrisme plein d'inventions et de couleurs de Sébastien Texier, qui devient un musicien de plus en plus exceptionnel, il m'a ce soir bien plus passionné à chaque intervention que François Corneloup, régulier, propre, mais qui ne m'emporte pas, ou que Guéorgui Kornazov, que je trouve assez répétitif dans ses effets, ce qui finit par en rendre les aspects spectaculaires un peu lassant.
A la contrebasse, le maître Henri Texier propose des sonorités surprenantes, parfois rondes et moelleuses comme une basse électrique, qui se fond parfaitement dans la batterie, et parfois proches d'une sitar.
Au cours du long set, ils nous emmènent en voyage, où brillera particulièrement un air de bal populaire venu de "Holy Lola", un "Old Dehli" particulièrement rageur, suivi en conclusion d'une jolie berceuse ("Sommeil Caillou", peut-être). Le froid nous chasse vers un café, alors que quelques notes résonnent encore, un rappel de plus que je loupe donc.

dimanche 5 juillet 2009

Compositeurs d'aujourd'hui : Emmanuel Nunes

Pour mieux connaitre et apprécier un compositeur, le disque est souvent utile, voire indispensable. Dans le cas d'Emmanuel Nunes, c'est plus compliqué. En effet, une part importante de son oeuvre s'intéresse à la spatialisation, que cela soit par l'informatique, par la disposition des musiciens dans la salle, qui doivent parfois se déplacer tout en jouant, ou par une combinaison de ces différentes techniques. Tout cela, le CD a du mal à en rendre compte.

Comme cette série "Compositeurs d'aujourd'hui" est publiée par l'IRCAM, les pièces présentes sur ce disque utilisent bien évidement de la spatialisation informatique ; le livret indique donc la difficulté :

Ce disque revêt un caractère assez spécifique puisqu'il tente de réduire un ensemble instrumental et une diffusion de huit hauts-parleurs entourant le public, pour Lichtung I, à une écoute stéréophonique. Le pari est encore plus fort pour Lichtung II puisque le dispositif normal de concert met en jeu douze instruments et treize hauts-parleurs qui prennent aussi la dimension verticale de l'espace en compte. Une procédure spécifique de mixage a donc été nécessaire, et la simulation que vous pouvez entendre ici a été réalisée au Spartialisateur de l'Ircam.

D'une certaine manière, c'est d'une transcription qu'il s'agit, pour CD, comme il en existe pour quatuor à cordes ou pour grand ensemble.

Lichtung I

Nunes classe ses oeuvres dans de grands ensembles. Le cycle "Lichtung", qui comportera trois opus, fait partie de "La Création", basé (entre autres ?) sur des "paires rythmiques". Peut-être ce principe unificateur se perçoit-il si on écoute beaucoup de pièces, ici ce n'est guère le cas.
Ce qu'on entend peut se diviser en trois parties : une avancée lente à travers une forêt très dense d'événements sonores, à la fois instrumentaux et électroniques, où les percussions en résonances et les trilles jettent comme des taches de lumière, et où des fragments de mélodie dessinent peu à peu peut-être des chemins ; une accélération de l'orchestre débouche soudain sur une plage de sons de synthèse seuls (en concert, cela est bien plus perceptible, puisque visible ; cette synthèse utilisant aussi les sons instrumentaux préalablement stockés pendant la première partie, la césure est à l'audition du disque bien moins nette ; heureusement le livret aide), la "clairière" qui est un sens du mot "Lichtung", où les couches sonores s'allègent pour en arriver à de simples pizzicati virtuels escaladant l'échelle harmonique ; puis l'orchestre reprend, mais la forêt semble moins menaçante, les chemins plus clairs, la respiration plus ample, il y a même une jolie mélodie pour clarinette, rejointe bientôt par le violoncelle ; une dernière touche d'électronique, peut-être la sortie de cette forêt, permet de contempler les étoiles.

Lichtung II

Cette pièce, je l'ai vue en concert il y a deux ans. Je crois qu'à l'époque, j'avais oublié posséder ce CD. Il faut dire que si en concert, l'intérêt est dans l'étude des "trompe-l'oreille" distinguables par la comparaison entre ce qu'on voit et ce qu'on entend, sur disque, on ne peut guère jouer à cela. Il n'y a pas de structure aisée à définir, mais un ensembles de forces, de tensions, d'épisodes superposés qui se font échos, une complexité d'écriture que l'écoute seule ne permet pas d'analyser.
Du coup, je préfère me contenter d'un extrait musical, les dernières pages de l'oeuvre.

jeudi 2 juillet 2009

Anne Teresa de Keersmaeker - The Song (Théâtre de la Ville - 30 Juin 2009)

Je m'attendais à une atmosphère un peu particulière en me rendant ce soir-là au Théâtre de la Ville. Mais manifestement, peu dans le public étaient au courant. C'est Anne Teresa de Keersmaeker qui vient l'annoncer d'un fort douloureux "Pina Pina Pina Pina Pina Pina ... est partie." Tentant de trouver les mots pour exprimer son chagrin, tracer le portrait, remercier. Puis proposant une courte improvisation, quelques pas de danse, le corps qui se roule en boule, puis qui court vers le public, pour dire la douleur de la perte, la générosité de son art. Enfin fuyant le plateau, au bord des larmes, dans un cri "Noir ! Black ! Schwarz !".

avant "the song" de keersmaekerAprès, la pièce "The Song" commence. Mais comment la soustraire à l'annonce funèbre ? La tension est d'emblée différente, ou peut-être seulement mon attention. La place idéale, au cinquième rang, y fait aussi. Pas un instant je ne décroche pendant ces deux heures. Et pourtant.
Ce n'est pas une pièce qui tente de séduire. Pas de musique (à part un "When my guitar gently weeps" murmuré et un peu faux, et un "Helter Skelter" à fond les enceintes), seulement le bruit des corps, que double par moments une bruiteuse, frappant de sa chaussure au rythme des pieds nus d'un danseur, frappant dans un peu d'eau pour la peau contre la piste, ou envahissant la scène d'une corde tourbillonnante bientôt plongée dans le noir, vrombissement flottant.
Pas de décor, non plus, ou presque. Un grand carré au sol, pour marquer comme un ring, et une grande feuille translucide, suspendue au-dessus, qui sert aussi dans le façonnage de la lumière, et qui tombera très lentement, dans un extraordinaire crépitement sonore et lumineux.
9 hommes et 1 femme, en habits de tous les jours. Ils se positionnent autour du carré, puis courent, lignes qui se croisent et se décroisent, comme des oiseaux dans un essaim, dispersions et regroupements, ordre et chaos mêlés. Puis s'arrêtent et s'observent.
Beaucoup de solos et de duos. La grammaire gestuelle utilise énormément les épaules, les torsions à la fois fluides et énergiques, beaucoup de sauts aussi. C'est très abstrait, mais très corporel. Et magnifique, et passionnant de bout en bout.
Parfois, les mouvements de groupes et les solos tentent de se superposer, mais ce sont les moments qui me semblent le moins fonctionner.

L'absence de musique, l'absence de théâtre, l'absence de sentiments, c'est un peu trop pour une partie du public qui quitte les lieux peu à peu. Mais c'est bien ce qu'il me fallait ce soir. Et puis, un retour à certains fondamentaux de la danse, c'est parfois nécessaire.Et quand c'est aussi réussi que ce soir, quand cela résonne aussi avec le début de Rosas (un "Fase" sans la musique de Reich, ça donnerait quoi ?), c'est tout simplement splendide.

Ailleurs : Aligateau, Fluctuat, Miss Nahn, Native Dancer

Pina Bausch (27 Juillet 1940 - 30 Juin 2009)


"Comment peux-tu parler de Pina bausch, toi qui n'as jamais vu 'Café Müller' ?"



Je l'avoue, la première pièce que j'ai vu d'elle sur scène, ce devait être "Das Stück mit dem Schiff / Le Bâteau", en 1993-1994. Les chef-d'oeuvres de sa période tragique, je les ai découverts en vidéo, "Le Sacre du Printemps" ou "Barbe-Bleue", à Beaubourg ou sur Arte, à peu près à la même époque.



j'ai fait partie de ce public fidèle, qui tenait à assister chaque année à la nouvelle création. De 1993 à 2008, je pense ne l'avoir manqué qu'une fois, "Pour les enfants d'hier, d'aujourd'hui et de demain" en 2003, où arrivé aux portes du Théâtre de la Ville, je m'aperçus avoir oublié mon billet ...



Aurons-nous droit à la dernière pièce encore en préparation dans les ateliers de Wuppertal ? La troupe, cette étrange famille de bric et de broc avec qui nous avions tissé des liens au cours de toutes ces années, se dispersera-t-elle ?



Je ne sais si eux-même le savent, abasourdis sans doute encore par la soudaineté de cette disparition. Nous aurons de leurs nouvelles en Novembre, que le Théâtre de la Ville consacrera à sa célébration.