mardi 20 avril 2010

Anthony Coleman Trio, Jim Hall Trio (Salle Pleyel - 18 Avril 2010)

Anthony Coleman, Henry Grimes, Joey Baron

La première partie de cette soirée aurait du être le Marc Ribot Trio, une version réduite du "Spiritual Unity", mais le nuage de cendres volcaniques ayant coincé au loin Ribot et Taylor, on a droit à une rencontre plus inédite entre le rescapé contrebassiste Henry Grimes, le batteur Joey Baron déjà prévu pour le deuxième partie de soirée, et le pianiste Anthony Coleman présent sur Paris pour "Banlieues Bleues" et le festival "Radical Jewish Culture" du MAHJ. L'ambiance est au Free Jazz. Anthony Coleman scotche des feuilles dans son piano pour réduire les harmoniques, joue en densité et en vitesse, mais avec une approche souvent Monkienne, aidé en cela par Joey Baron, qui joue aussi avec les sons : ils établissent un dialogue où les silences, les contretemps, les échanges et les pièges, créent une belle complicité, pleine de sourires et d'étincelles.
Entre eux deux, il y a Henry Grimes, qui semble un peu débarqué d'une autre planète. Il s'accroche à une sorte de logorrhée de notes un peu monotone, qu'il interrompt de temps en temps pour jouer du violon, ou même, lors du premier morceau, pour réciter quelques pages de poésie. Ses deux camarades de soirée semblent parfois un peu décontenancés par sa présence, qui ne s'inclut pas vraiment dans leur paysage.
Cela donne une performance assez courte (une grosse demi-heure) et assez surprenante. Mais c'est aussi de cela qu'est fait le Jazz.

Jim Hall, Scott Colley, Joey Baron

Quand s'avance Jim Hall, blanchi, courbé, boitant, aidé d'une canne, grimpant sur son haut tabouret, puis descendant régler sa sono, ce qu'il fera encore et encore presque tout au long du concert, on peut un peu s'inquiéter. Et quand les premières notes surgissent, comme hésitantes, fragiles, les interrogations demeurent. Mais c'est une forme de délicatesse. Il avance dans chaque chanson comme sur la pointe des pieds. Et reste ensuite léger, économe, cherchant la meilleure note, la mélodie la plus directe en terme d'émotion. Souvent, il coupe l'électrification de sa guitare, la jouant en acoustique, un son parfois très ténu, proche du silence. Il y a une intimité et une recherche de sincérité nue qui me fait penser aux grandes heures de Bill Evans. A ses cotés, Joey Baron pousse son jeu vers Paul Motian, une simplicité coloriste pour entourer le guitariste et le porter tranquillement. De grands espaces sont laissés au contrebassiste Scott Colley, qui ondule autour de son instrument dans de grands et solides solos. Standards, balades, blues, et deux totales improvisations, c'est un concert très agréable, doux et chaud.

Spotify : Anthony Coleman Plays Gebirtig, un Best Of Jim Hall (1971-2000)

Et une vidéo du Jim Hall Trio avec Bill Frisell en plus

lundi 19 avril 2010

Lucinda Childs - Songs from before, Dance (Théâtre de la Ville - 17 Avril 2010)

L'ordre prévu a été finalement inversé, entre la création et la pièce classique.

Songs from Before

Le décor est très beau : 3 grandes plaques se meuvent lentement d'un bord à l'autre de la scène. Constituées de lamelles séparées et garnies de miroirs, elles créent des effets changeants de transparence, de reflets, d'opacité, qui sont par moments kaléidoscopiques. Les danseurs et danseuses sont du Ballet de l'Opéra National du Rhin : les femmes ont des jambes interminables qui découpent l'espace avec grâce, les hommes ont des muscles qui savent ne pas être trop saillants. Bref, tout va bien. Sauf qu'il ne se passe rien. Ces hommes et ces femmes traversent la scène de part en part, sans jamais dévier de leur trajectoire rectiligne, et parfois en se croisant entament un éphémère pas de deux avant de reprendre leur route, d'un pas ample et gracieux et d'une allure modérée et uniforme. Et ça dure 30 minutes. Bref, c'est chiant. Et c'est très applaudi ! Le livret explique qu'une émotion particulière vient du fait que sur la bande son de Max Richter, Robert Wyatt récite des textes de Haruki Murakami, qu'il marmonne suffisamment pour les rendre incompréhensibles. Ah.

Dance

Et en plus, elle se répète. "Dance" dure quasiment une heure et est divisé en trois parties. Et la première est quasiment la même que dans "Dance from Before", Wyatt en moins. Et un décor différent : au lieu des élégantes plaques, on a une résille en avant-plan sur laquelle un film est projeté, qui montre la troupe de 1979 dansant la même pièce. Effet de semi-transparence, qui laisse voir la troupe actuelle sur scène, ou la troupe ancienne sur le film, ou les deux superposés. C'est bien conceptuel, et plutôt moche en résultat. Ce dialogue, entre les époques et les médias, m'a de fait laissé totalement indifférent. Il faut dire que le tout est écrasé par du Philip Glass particulièrement pénible dans son matraquage imperturbable d'accords parfaits mineurs. Dans une deuxième partie, une danseuse prend un solo qui enfin la fait dévier de la ligne droite et l'amène à explorer la profondeur de la scène. En troisième partie, la troupe revient qui boucle aussi plus librement dans l'espace scénique.
Et pour la première fois depuis que je fréquente le Théâtre de la Ville, je fais la grève des applaudissements en partant avant la fin.

Ailleurs : Des critiques plus élogieuses par La boîte aux sorties, Danse Aujourd'hui, Delétraz.
Spotify : "Songs from Before" utilise "Blue Notebooks" de Max Richter, et "Dance" utilise "Dance" de Philip Glass.

Et certains dans le public ont même sorti leur caméscope :


dimanche 18 avril 2010

EIC - Répons, Répons (Cité de la Musique - 15 Avril 2010)

Voilà une idée de concert remarquable d'intelligence, autour de ce passionnant chef-d'oeuvre, "Répons" de Pierre Boulez. Je crois que c'est la troisième fois que je l'entends en concert. La première avait été une intense célébration boulézienne puisqu'il y coiffait les casquettes superposées de compositeur, chef d'orchestre, fondateur de l'IRCAM, fondateur de l'EIC, et initiateur de la Cité de la Musique (concert au sortir duquel j'avais traversé Paris à pied, le temps de me remettre de la dose d'énergie et de sensations), et la deuxième avait été plus une déception, que j'avais mise sur le compte d'un placement moins chanceux dans la salle.
En effet, le dispositif de l'oeuvre pose de manière particulièrement aigüe le problème du placement du spectateur : il y a un orchestre au centre de la pièce, du public très proche tout autour, et à l'étage encore du public plus éloigné donc de l'orchestre, mais entouré par six solistes, dont la proximité relative modifie grandement la perception de certaines parties de l'oeuvre. Le tout est chapeauté par de la spatialisation électronique en temps réel.
En bas, en fonction de la partie de l'orchestre la plus proche, et en haut, selon les solistes les plus proches, la perception varie. Et pour permettre de mieux s'en rendre compte, Susanna Mälkki explique que "Répons" sera jouée deux fois de suite, et que pendant l'entracte, les gens d'en bas sont priés de monter à l'étage, et les gens d'en haut de descendre.

Pierre Boulez - Répons



avant répons 1

Je me retrouve pour la première écoute en bas, du coté des cordes. Dans les parties purement instrumentales (par exemple l'introduction) cela me permet d'admirer les jeux des violonistes altistes et contrebassiste, ainsi que des cuivres un peu en arrière, qui doivent par moments tenir des sortes de staccatos impressionnants. Entendre les bois est un peu plus compliqué. Quand l'électronique se déploie, cela ouvre un espace immense au-dessus des têtes. Par contre les solistes de l'étage apparaissent plus comme des éléments de décor. Je ressens particulièrement ce soir des couleurs, certaines venues de Messiaen, chaudes ou glacées, étales ou épaisses, une peinture abstraite et expressionniste. La gamme de coloris établie par les cordes (ponctuations grondantes d'énergie de la contrebasse, vernis d'un bleu glacé des cordes juste avant le final) est spectaculaire à admirer de si près.
Ma partie préférée est la "section Scriabine", en 4, où sur une rythmique lente s'empilent les couches sonores, dans une pulsation d'énergie colorée exaltante. La coda finale par contre me semble bien longue.

Pierre Boulez - Répons



avant répons 2

Les gens donc se replacent comme ils peuvent. Certains à l'étage finissent sur les marches, mais tout semble bien se passer. Cette fois, je suis derrière l'orchestre, entre le piano de Vassilakis et le cymbalum de Cerutti. C'est un excellent placement, parce qu'assez éloigné des percussions qui ont vite fait de trop accaparer l'oreille.
L'introduction des solistes est beaucoup plus intéressante à suivre quand on les voit jouer. Et par moments, le piano semble jouer un concerto ! L'orchestre apparait beaucoup plus comme une entité, qui crée un son d'ensemble et mutant, alors que j'en voyais bien plus les différentes composantes en première partie. Il faudrait que je m'installe la prochaine fois du coté des bois, que je n'ai pas pu suivre cette fois !
La partie "Scriabine" change radicalement. L'énergie qui était euphorisante en bas devient plus écrasante en haut, surchargée par le piano si proche et insistant, et par l'électronique ; on y étouffe, manque d'air. C'est du coup le "finale" qui devient le meilleur moment, d'une richesse prodigieuse. La coda reste aussi longue, avec ces morceaux d'arpèges répétés au piano, comme une lente déflation d'énergie, un peu trop lente.

En conclusion, une telle expérience soulève bien des questions. Pierre Boulez explique qu'il a conçu ce dispositif (orchestre proche du chef, solistes éloignés) pour mettre en place une différence de contrôle sur les tempi (strictement contrôlés pour l'orchestre, beaucoup plus libres pour les solistes). Cela donne effectivement une magnifique chorégraphie de direction à Susanna Mälkki, entre les gestes fins et précis destinés à l'orchestre, et les plus amples et génériques destinés aux solistes. Mais cette différence dans la perception par les spectateurs était-elle prévue dès le concept, prise en compte dans l'écriture ? Y a-t-il une "place idéale" pour entendre cette oeuvre ? Il n'est pas certain que la place du chef d'orchestre soit la plus intéressante. Et comment rendre cela sur un disque ? A quel emplacement correspond-il ?
Il me semble que ce serait là une vraie révolution dans la captation / enregistrement / restitution. Plus que le SACD ou que le 6+1, il y aurait là quelque-chose de vraiment nouveau et excitant : la possibilité de définir son emplacement (virtuel) dans la salle (virtuelle) afin d'entendre la musique telle qu'elle arrive à cet endroit-là. Définir qu'on veut écouter une symphonie en s'installant à la place du chef d'orchestre, ou au contraire dans un rang un peu éloigné de la scène, ou un concerto en se posant juste à coté du soliste, etc. Cela serait la seule manière de rendre correctement sur "disque" une telle oeuvre, en permettant d'en apprécier les divers visages offerts par les divers emplacements d'écoute.

En attendant cela, il ne reste plus qu'à attendre les prochains concerts !

l'eic à la cité

Ailleurs : ConcertoNet, MusikZen
Spotify : Répons est dans leur base, ainsi que toute la collection DG 20/21, mais n'est pas autorisé pour la France.
Mais vous pouvez l'écouter sur Youtube (avec des explications !): 1 2 3 4 5

Et dans le genre "point de vue particulier", celui du cymbaliste:

mardi 13 avril 2010

Berliner Ensemble - Richard II (Théâtre de la Ville - 11 Avril 2010)

"Richard II" est la première partie de la tétralogie "Henriad". Cela commence par un duel, que Richard laisse faire, puis interrompt au dernier moment, bannissant les deux accusateurs mutuels, l'un à vie, l'autre, Henry Bolingbroke, pour 10 ans, qu'il ramène finalement à 6. Tout cela sent l'arbitraire, le manque de conviction, l'indécision. Quand il confisque ensuite toute la fortune du père de Bolingbroke pour financer la guerre, le banni revient pour prendre le pouvoir. Richard lui donne sa couronne, finit en prison, puis finalement assassiné.

Le Berliner Ensemble joue la pièce en allemand, dans une traduction de Thomas Brasch, que le livret dit remarquable, mais que je ne suis que traduite à nouveau, en français, en surtitres que le rang assez élevé permet pour une fois de lire confortablement tout en suivant l'action sur scène. Une part de musicalité pourtant transpire.
Le décor est unique mais se modifie, pour passer d'une salle de trône à une rue, d'une bâtisse isolée à un jardin. Une des idées fortes de la mise en scène de Claus Peymann, c'est que ce décor peu à peu s'encombre de détritus, de terre, d'éléments de costumes abandonnés, d'eau, se dégrade, graffitée, saccagée, jusqu'à ce que Henry IV, le nouveau roi, ne règne sur un territoire dévasté par l'incurie et la violence.
Les acteurs sont formidables. Michael Maertens joue un Richard II infantile, qui hurle pour se faire entendre mais ne sait pas gagner le respect, et qui quand le pouvoir l'abandonne devient plus adulte, forcé d'assumer sa chute, et y gagnant un peu d'humanité et de profondeur. Veit Schubert campe un Henry Brolinbroke souvent dépassé par les événements, mais qui prend goût au pouvoir finalement, et qui peut-être saura être à la hauteur de son rôle. Un autre personnage fascinant est le duc de York, qui au nom de l'ordre, est capable de dénoncer son propre fils, et qui, dans une variation par rapport au texte habituel, finira par tuer Richard II en croyant obéir à une injonction non-dite de Henry.

Le jeu de tous les acteurs est souvent à la limite de la bouffonnerie (les éclats de voix puérils de Richard, les évanouissements répétés de la reine Isabelle, Henry nettoyant les graffitis à la main, les jardiniers trempant la reine, etc.), et pourtant le texte regorge de larmes et de drame. Dans cet équilibre subtil se tient la force de cette extraordinaire représentation.

berliner ensemble - richard ii

Ailleurs: Les 3 coups, Palpatine, Candoni, Quirot ...

dimanche 11 avril 2010

Wolfgang Mitterer - Massacre (Cité de la Musique - 8 Avril 2010)

Après Laurie Anderson, voici la deuxième soirée du cycle "Multimédia et temps réel" dans laquelle je n'entre pas. Pour cet opéra de chambre, Wolfgang Mitterer s'inspire de la pièce "Massacre à Paris" de Christopher Marlowe, basée sur les massacres de la Saint-Barthélémy. Marlowe amplifiait son discours sur une durée historique plus longue, et Mitterer veut invoquer d'autres massacres et violences plus contemporains.
Sur une scène essentiellement plongée dans l'obscurité, les personnages se détachent sur un fond d'écrans vidéo, où passent leurs visages captés et traités en temps réel. Cette mise en scène de Ludovic Lagarde est cohérente et efficace.
Une danseuse, Stéfany Ganachaud, nue, court par moments sur place, ou le plus souvent figure un cadavre (et il y en a beaucoup dans cette histoire) que les protagonistes transportent ou pleurent. Là encore, pourquoi pas.

Mais le problème vient de la musique et des lignes de chant. Mitterer pousse tous les interprètes vers le suraigu, entre glapissements et sirènes d'incendie. L'effet, qui devrait être un sentiment d'effroi, est au contraire de rapidement anesthésier l'oreille, qui n'écoute plus, ayant instauré un filtre anti-douleur.
Quant à la musique, elle utilise des citations classiques en copié/collé, elle utilise contrebasse et batterie comme dans un groupe de Jazz, elle inclut des éléments électro-acoustiques, il y a même un peu de boîte à rythmes à un moment donné, bref, elle mange dans beaucoup de râteliers, mais sans que la fusion entre ces éléments disparates ne se fasse, sans qu'aucun langage ne se dégage.
De plus, il y a dans cette pièce une tentative d'actualiser le propos de la pièce de Marlowe qui ne me convainc absolument pas, sans doute parce que c'est trop forcé.



Ailleurs: ConcertoNet, où j'apprends qu'un enregistrement paraitra chez Aeon ...

mardi 6 avril 2010

Johann Sebastian Bach - Johannes Passion (Salle Pleyel - 3 Avril 2010)

Le livret annonçait trois surprises : pas d'entracte, pas de choeur, et un choral en plus. Comme l'ensemble des Musiciens du Louvre-Grenoble joue sur instruments d'époque, une pause de réaccordage s'avère quand même nécessaire, mais elle sera moins longue et pénible qu'au TCE il y a 3 ans. Quant à l'absence de choeur, c'est une option que j'avais déjà entendue pour des cantates, et cela s'avère tout aussi convainquant pour cette Passion. On y perd par moments en puissance, bien sur, mais on y gagne en intimité, et les choix de Marc Minkowski offrent une version cohérente du drame, sans esbroufe, intense et concentré. Je mets cependant un petit moment avant d'entrer dans l'oeuvre. Le "Herr, unser Herrscher" introductif me semble mal mis en place, comme une mécanique légèrement grippée et qui frotte. Le premier air d'une des sopranos ne me convient pas du tout. Il y a quelques canards venant des violons. L'orchestre est très fortement dominé par les cordes, et j'ai peur d'une couleur orchestrale trop monotone.
Mais ces défauts rapidement s'atténuent ou même disparaissent, sous la beauté des voix (Owen Willetts, Christian Immler, et surtout l'évangéliste Markus Brutcher sont absolument remarquables), la tenue des récitatifs (le violoncelliste Nils Wieboldt est prodigieux d'assurance et de douceur), et les grands moments s'épanouissent comme il faut ("Es ist vollbracht", ou la coda finale, après l'interminable choeur "Ruht wohl", le choral "Ach Herr, lass ein lieb Eingelein" impeccable d'équilibre et de justesse émotive).

les musiciens du louvre-grenoble

Ailleurs : Joël, Palpatine, ConcertoNet
Spotify : Forster 1961, Harnoncourt 1965, Harnoncourt 1993, et un volumineux coffret Gardiner.

dimanche 4 avril 2010

Tchamitchian Corneloup (Atelier du Plateau - 2 Avril 2010)

La seule fois où j'étais déjà venu dans cette petite salle, c'était il y a presque 5 ans, et à l'époque ça me semblait au bout du monde. C'est désormais près de chez moi ! Par contre, l'aspect "associatif" se renforce encore quand on décide d'y manger, pour découvrir le plat unique du soir, les caisses séparées du comptoir "cuisine" et du comptoir "bar", l'inconfort de ces comptoirs où on ne peut pas ranger ses jambes, etc.
Mais l'avantage, c'est d'être au plus près des musiciens, et cette proximité est très profitable pour des rencontres rares aux ambiances non traditionnellement formatées.

Tchamitchian Corneloup à l'Atelier du Plateau

Ce soir se retrouvent Claude Tchamitchian à la contrebasse, et François Corneloup au saxophone baryton.
Corneloup, je le connais principalement dans le Strada Sextet de Texier, mais l'apprécie plus dans quelques autres CD, particulièrement sur "Trois Plans sur la Comète" du Raulin Trio. Ce soir, il privilégie une veine mélodique, aux sonorités fragiles, souvent pleines de souffle, tendres et attentives. Mais quand son partenaire l'y pousse, il sait mettre toute l'énergie nécessaire.
Tchamitchian, je croyais ne pas le connaitre, mais en fait si (Pentacle, Andy Emler MegaOctet). S'il possède toute la dextérité digitale pour un accompagnement de contrebasse Jazz classique, il a recours assez rapidement à divers archets, pour jouer des notes, ou pour provoquer des sonorités plus bruitistes de diverses natures, frottements, grognements, sifflements ...
Facilement blagueurs entre les morceaux, ils sont d'une totale concentration dès la première note jouée. Je ne sais pas de qui sont les compositions, ni les parts entre écriture et improvisation. Tchamitchian souvent pousse Corneloup vers plus d'agressivité, ne serait-ce que pour être entendu ! L'étendue de chacun de leurs jeux, et la belle complicité qui les unit, permet à cette presque 1h30 de passer comme un charme, sans lasser ni se répéter.
Une soirée d'un excellent niveau, et par moments passionnante.

Ailleurs : quelques photos
Spotify : "Andy Emler Mega Octet - Crouch, Touch, Engage" où joue Claude Tchamitchian, "Strada Sextet - (V)ivre" où joue François Corneloup.

vendredi 2 avril 2010

Mauricio Kagel - Mare Nostrum (Péniche Opéra - 1 Avril 2010)

Un peu plus et je loupais ce spectacle, donné quasiment en bas de chez moi. Les dernières séances étaient complètes, mais pas celle prévue à Champigny (résidence de l'ensemble 2e2m), qui sera finalement conservée à Paris, faute d'aménagements nécessaires sur les quais pour accueillir la péniche.
Cet étrange endroit, la Péniche Opéra, est sans doute idéal pour cet étrange spectacle, un parfait exemple de théâtre musical, qui peut avoir du mal à respirer dans un lieu trop classique.

De quoi parle-ce ? D'une tribu amazonienne, qui ayant traversé l'océan, découvre les contrées autour de la mer méditerranée et leurs indigènes locaux, qu'ils conquièrent, convertissent, ou peut-être exterminent, dans une suite de rencontres burlesques et violentes, où se superposent les aspects les plus loufoques et les plus sérieux.
C'est le principe même de la colonisation, et son mépris meurtrier pour les populations envahies, qui est pointé de façon général, mais certains aspects particuliers des civilisations rencontrées sont aussi brocardées. Des Français, l'amazonien retiendra la devise (qui parle d'égalité, qu'il faut entendre comme dans "ça m'est bien égal", de solidarité, qui est un concept à vomir, et de libido), et une banderole qui disait "avant nous le déluge après nous les épaves". Des Grecs, il admirera les colonnes dignes de location, en divers états de délabrement, et se souvient que les habitants passaient leur temps à se crêper le chignon dans leur verbiage obscur (la démocratie, donc).
Pour s'exprimer, l'amazonien utilise un français fracassé, rempli d'approximations, de formulations décalées, fruit d'un travail de traduction remarquable par Vincent Bouchot, à partir du texte écrit par Mauricio Kagel en allemand, tout aussi incorrect, reflet de la captation castratrice des langues locales par la puissance colonisatrice.

Il n'y a pas que du texte, il y a aussi de la musique. Le moment le plus mémorable est la parodie de la "marche turque", dite "marche turque à la turque", mais d'autres détournements plus ou moins repérables hantent la partition, airs religieux ou danses profanes, que jouent six solistes de l'ensemble 2e2m, pour flûte, hautbois, guitare, percussion, harpe, et violoncelle.
Les deux acteurs et chanteurs jouent aussi d'une quantité d'instruments, percussions exotiques, bandonéon, flûte de pan ... Mais la part de théâtre est prépondérante par rapport au coté opéra. S'il chante effectivement, c'est plus par son jeu que nous laisse ébaudi Dominique Visse, qu'il imite le cri d'une mouette, danse le flamenco, contemple un crane comme une poule un couteau, secoue des reins un tambour tout en dévidant des tirades en latin, affublé d'une tiare et de lunettes de soleil, ou joue une anglaise effarouchée prisonnière de pirates. Son collègue Vincent Bouchot récite bien plus qu'il ne chante, mais sa présence peinturlurée se fait tout du long menaçante et gigantesque.
Tous deux tournent autour d'un bassin où les quelques centimètres d'eau peu à peu se remplissent des détritus venant de chaque scène, accessoires et éléments de décor qui permettent de situer les lieux et les actions par un bric-à-brac presque kitsch, dans une très réussie mise en scène de Mireille Laroche.

L'exigüité de la péniche permet de profiter pleinement de la présence si proche des acteurs, et des musiciens (c'est rare de pouvoir observer le travail de pédalier de la harpiste !). J'ai peur que la reprise l'an prochain à la Cité de la Musique ne soit pas aussi prenante.





Ailleurs : ConcertoNet, Trois Coups
Spotify : Des oeuvres pour choeur et orchestre de Kagel

jeudi 1 avril 2010

Laurie Anderson - Un délire (Cité de la Musique - 31 Mars 2010)

"Big Science" a été mon premier CD acheté (ex-aequo avec "Victorialand" des Cocteau Twins), mais je n'avais jamais vu cette grande dame en concert. Le problème étant que ce n'était pas non plus un concert hier soir, mais plus un spectacle, supposé être multimédia, si tant est que suffisent pour cela un écran vidéo en fond de scène, accompagné de deux petits frères sur les cotés, et un effet électronique pour transformer sa voix en masculin. Il n'y a donc pas grand-chose à voir, puisqu'à part ça Laurie Anderson est seule, voyageant entre deux micros, deux voix, deux personnages. Sans doute avoir les yeux rivés sur la traduction à en avoir mal au cou n'aide pas à entrer vraiment dans l'histoire racontée, qui commence par un âne guidé par une carotte jusqu'à soudain tomber raide mort, parle de science (le Grand collisionneur de hadrons et les peurs qu'il suscita), d'animaux (une histoire de chienne cousue en soi pour pouvoir en accoucher), de filiations (on termine par l'évocation de la mort de sa mère), et beaucoup, donc, de la mort. Elle s'accompagne de son violon électronique comme d'un drone rapidement soporifique, et les quelques interludes plus musicaux sont assez bruitistes d'allure. Devant moi, un couple se délecte de l'humour assez noir qui parsème le texte, à mes cotés, une dame âgée est émue aux larmes par un "trinkle trinkle little star" où les deux voix/personnages se rencontrent, moi je somnole.

Ailleurs : Miklos
Spotify : Une compilation "Talk Normal" qui permet de se délecter de "Born, Never Asked", "Speak My Language", "Excellent Birds" ou "Night In Baghdad".