vendredi 2 avril 2010

Mauricio Kagel - Mare Nostrum (Péniche Opéra - 1 Avril 2010)

Un peu plus et je loupais ce spectacle, donné quasiment en bas de chez moi. Les dernières séances étaient complètes, mais pas celle prévue à Champigny (résidence de l'ensemble 2e2m), qui sera finalement conservée à Paris, faute d'aménagements nécessaires sur les quais pour accueillir la péniche.
Cet étrange endroit, la Péniche Opéra, est sans doute idéal pour cet étrange spectacle, un parfait exemple de théâtre musical, qui peut avoir du mal à respirer dans un lieu trop classique.

De quoi parle-ce ? D'une tribu amazonienne, qui ayant traversé l'océan, découvre les contrées autour de la mer méditerranée et leurs indigènes locaux, qu'ils conquièrent, convertissent, ou peut-être exterminent, dans une suite de rencontres burlesques et violentes, où se superposent les aspects les plus loufoques et les plus sérieux.
C'est le principe même de la colonisation, et son mépris meurtrier pour les populations envahies, qui est pointé de façon général, mais certains aspects particuliers des civilisations rencontrées sont aussi brocardées. Des Français, l'amazonien retiendra la devise (qui parle d'égalité, qu'il faut entendre comme dans "ça m'est bien égal", de solidarité, qui est un concept à vomir, et de libido), et une banderole qui disait "avant nous le déluge après nous les épaves". Des Grecs, il admirera les colonnes dignes de location, en divers états de délabrement, et se souvient que les habitants passaient leur temps à se crêper le chignon dans leur verbiage obscur (la démocratie, donc).
Pour s'exprimer, l'amazonien utilise un français fracassé, rempli d'approximations, de formulations décalées, fruit d'un travail de traduction remarquable par Vincent Bouchot, à partir du texte écrit par Mauricio Kagel en allemand, tout aussi incorrect, reflet de la captation castratrice des langues locales par la puissance colonisatrice.

Il n'y a pas que du texte, il y a aussi de la musique. Le moment le plus mémorable est la parodie de la "marche turque", dite "marche turque à la turque", mais d'autres détournements plus ou moins repérables hantent la partition, airs religieux ou danses profanes, que jouent six solistes de l'ensemble 2e2m, pour flûte, hautbois, guitare, percussion, harpe, et violoncelle.
Les deux acteurs et chanteurs jouent aussi d'une quantité d'instruments, percussions exotiques, bandonéon, flûte de pan ... Mais la part de théâtre est prépondérante par rapport au coté opéra. S'il chante effectivement, c'est plus par son jeu que nous laisse ébaudi Dominique Visse, qu'il imite le cri d'une mouette, danse le flamenco, contemple un crane comme une poule un couteau, secoue des reins un tambour tout en dévidant des tirades en latin, affublé d'une tiare et de lunettes de soleil, ou joue une anglaise effarouchée prisonnière de pirates. Son collègue Vincent Bouchot récite bien plus qu'il ne chante, mais sa présence peinturlurée se fait tout du long menaçante et gigantesque.
Tous deux tournent autour d'un bassin où les quelques centimètres d'eau peu à peu se remplissent des détritus venant de chaque scène, accessoires et éléments de décor qui permettent de situer les lieux et les actions par un bric-à-brac presque kitsch, dans une très réussie mise en scène de Mireille Laroche.

L'exigüité de la péniche permet de profiter pleinement de la présence si proche des acteurs, et des musiciens (c'est rare de pouvoir observer le travail de pédalier de la harpiste !). J'ai peur que la reprise l'an prochain à la Cité de la Musique ne soit pas aussi prenante.





Ailleurs : ConcertoNet, Trois Coups
Spotify : Des oeuvres pour choeur et orchestre de Kagel

2 commentaires:

zvezdo a dit…

j'ai du mal à visualiser le public: vous étiez tous autour de la flaque?

bladsurb a dit…

Une photo explicative peut-être :
Le public était installé d'un coté et de l'autre, avec derrière moi de mon coté le chef d'orchestre, et violoncelliste et percussionniste derrière le public de l'autre coté. Les musiciens du coup suivent le chef, qu'ils ne peuvent pas regarder, par le biais des petites télévisions.