mardi 12 octobre 2010

Brendel - Aimard (Théâtre des Champs-Elysées - 10 Octobre 2010)

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Voilà un spectacle peu banal. Prenons Alfred Brendel, mais installons-le derrière une table, pour réciter des poèmes de sa composition. Pourtant, il y a bien un piano dans la salle. Mais c'est Pierre-Laurent Aimard qui s'y colle, pour y jouer du Ligeti et du Kurtag, entre les poèmes. Curieusement, le livret parle de deux recueils, l'un écrit en anglais, l'autre en allemand, et les textes qu'il présente en français sont indiqués comme traduits de l'allemand. Pourtant, Brendel les lira en anglais ! Et entre la version entendue et celle écrite existent de multiples différences, parfois assez surprenantes ! Pourquoi écrire "Charlemagne" quand il dit "Attila The Hun", parfois "sur le gazon" au lieu de "in the roses", quand ce n'est pas carrément des morceaux de phrases qui manquent, d'un coté ou de l'autre ! A se demander si Brendel n'improvise pas en partie ! Il faut dire que ses poèmes valent plus pour les histoires qu'ils racontent, entre humour cynique et surréalisme vachard, que pour leur qualité littéraire particulière. Il les récite, en anglais donc, avec un accent germanique assez prononcé, et une gourmandise distanciée de bon aloi.

L'accompagnement musical est assuré par Pierre-Laurent Aimard, non seulement dans les interprétations au piano elles-mêmes, mais j'en suis persuadé dans le choix aussi des morceaux et leurs agencements. On y sent sa passion de la pédagogie, son intelligence du propos ou du décalage. Pour commencer, quoi de mieux que le "Musica Ricercata 1" de Ligeti, cette note unique répétée sur tous les octaves, s'achevant en accords tonitruants pour accoucher d'une deuxième note ? Après un poème expliquant que c'est Beethoven qui, déguisé en Saliéri, a assassiné Mozart, parce que ce dernier avait percé le grand secret de Beethoven, qui est qu'il était noir, et qu'il en avait profité pour voler la tonalité de Do mineur, après ce poème donc, quoi de mieux que le "Prélude et Valse en Do" de Kurtag ? Je crois que je n'ai jamais autant apprécié Kurtag que ce matin, où les pièces extraites de "Jatekok" sonnaient insolentes et brillantes, épurées et grinçantes. C'est parfois entre les pièces qu'Aimard tisse des liens, en enchainant par exemple la "Colonna infinita (étude 14)" de Ligeti et le "Jeu avec l'infini" de Kurtag. Et certaines idées sont encore plus surprenantes, comme de faire naitre la deuxième partie des "Touches bloquées (étude 3)" de Ligeti à partir d'une trille de la sonate 111 de Beethoven.

Certaines pièces ne peuvent s'apprécier qu'en concert. Comme ce "Avec nonchalance", où le pianiste, qui avait précipitamment quitté la scène peu avant en claquant une porte, revient vers le clavier en minaudant, démarche lunaire, qui ose à peine frôler quelques touches de piano, avant de le parcourir en de bruyantes traversées de gammes. Ou cette "Pantomime (querelle 2)" qui ne comporte qu'une note, après laquelle les deux comparses se regardent fixement dans un dialogue muet genre "c'est tout ? ben oui".

Parmi les quelques centaines de personnes présentes dans la salle, certaines partent en cours de route, sans doute déroutées par la nature même du spectacle dont elles auraient mal lu la description. J'y ai pour ma part pris beaucoup de plaisir, à y entendre quelques études de Ligeti, qui jouées par Aimard sont toujours aussi formidablement lumineuses, à y découvrir les jeux de Kurtag, à me délecter de la complicité des deux pianistes et de leur humour.

Ailleurs: Musica Sola, grace à qui j'ai profité de ce concert de matinée
Spotify: Kurtág, Bach: Játékok, Ligeti: Études; Musica Ricercata, Beethoven: Sonates

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