samedi 17 décembre 2011

Guy Cassiers - Coeur ténébreux (Théâtre de la Ville - 11 Décembre 2011)

Le titre est en référence à "Au coeur des ténèbres" de Joseph Conrad, qui a inspiré ce spectacle, et ce de manière bien plus directe que pour "Apocalypse Now" : nous restons au Congo belge, à la poursuite de M Kurtz, trafiquant d'ivoire aux méthodes terribles. Il y a un seul acteur sur scène, Josse De Pauw, qui récite le lent et envoutant monologue, ponctué de dialogues où il parle à un double vidéo, projeté sur le décor minimal, constitué de pans qui peuvent avancer ou reculer sur scène, et continuellement recouverts de projection vidéo. Celle-ci est constitué de différentes matières : de l'abstrait en taches pour la découverte de la jungle profonde, du semi-abstrait pour le sang en longues dégoulinades, du semi-figuratif pour les incendies, du figuratif pour la rencontre avec le russe. Le décalage des pans permet de mettre littéralement en avant, dans l'espace scénique, un personnage projeté sur un pan isolé en avant, ou par de subtils décalage créer un trouble, que le texte augmentera en malaise. Au-delà de l'efficacité de cette mise en scène, à la fois simple et complexe, et de la performance de l'acteur, qui ne force jamais le trait, et impose sa présence physique, jusqu'à en conférer une part aux mots récités, c'est la force du texte qui sort victorieuse. Les échos de "Apocalypse Now" sont paradoxaux, mais ne peuvent pas ne pas surgir : l'attaque des flèches dans le brouillard, les dialogues avec l'intermédiaire subjugué ... Mais la mort de Kurtz, et la rencontre finale avec sa fiancée, sont d'autres moments d'une grande force. Ce deuxième volet d'une trilogie en cours m'a fait beaucoup plus forte impression que Sous le volcan : au-delà des conditions alors désavantageuses, c'est aussi le minimalisme plus poussé qui me semble une grande réussite.

Ailleurs: ToutelaCulture, Allegro Théâtre, Le Beau Vice, ...

Aka Moon (Le Triton - 10 Décembre 2011)

Cela faisait bien longtemps que je n'avais pas vu Aka Moon en concert, surtout dans sa formule en trio simple, sans invités ! Il n'y a guère que dans cette configuration que Stéphane Galland soit capable de vraiment donner libre cours à sa technicité éblouissante, et en effet il se donne ce soir à fond : visage fermé, très concentré, mais mains et pieds de virtuose, en rythmes continuellement perturbés, émaillés de dérapages, de petites explosions, d'inventions, mais dans une maitrise du flux et du tempo exceptionnelle. C'est à ce point sidérant, ce qu'il fait derrière ses futs et ses cymbales, qu'il en devient difficile d'écouter ses collègues. Et pourtant ! Michel Hatzigeoriou me semble avoir changé son jeu : pas de pédales sur sa basse, mais du slapping, moins de Jaco, plus de Funk ! Il y a de la joie dans son groove, et il essaie, et parfois réussit, à dérider son voisin batteur. A l'entracte, j'entends certains trouver le saxophoniste banal. Ca peut donner cette impression, comme Fabrizio Cassol se refuse à des facilités spectaculaires. Mais faire passer pour simples de telles lignes mélodiques, les boucles enchevêtrées, les escapades harmoniques, c'est là l'exploit !

aka moon au triton aka moon au triton aka moon au triton

Au deuxième set, Stéphane Galland devient plus brutal, voire violent. Cette baisse d'intensité permet de mieux profiter des deux autres. La magie opère de façon plus équilibrée. Au final, grande énergie, et grand plaisir. Merci messieurs !

aka moon au triton

mardi 13 décembre 2011

Médéric Collignon - Jus de Bocse joue King Crimson (New Morning - 7 Décembre 2012)

Contrairement à la soirée Amnesty deux jours avant, cette fois le New Morning est bien bien plein. Du coup, le présentateur de la soirée en profite pour faire de la retape pour d'autres concerts, du Jazz manouche, du Big Band, d'autres encore. Dommage qu'il soit très lourd, et que ça n'en finisse pas. On a droit en plus à une première partie, un chanteur camerounais à la fort jolie voix, s'accompagnant à la guitare sèche, et aidé par un deuxième guitariste. Fort joli, donc, mais un peu hors-propos. Puis le présentateur revient, et il refait de la retape, cette fois par l'intermédiaire d'une tombola, et il est toujours aussi lourd, et ça n'en finit toujours pas, mais quand est-ce que la musique qu'on est venu écouter va enfin commencer !?

jus de bocse joue king crimson

Enfin, à 22h, Médéric Collignon arrive sur scène, accompagné de son Jus de Bocse habituel, et de deux quatuors à cordes, qu'il utilisera comme un mini orchestre à cordes. La sono a quelques difficultés à trouver les bons réglages : larsen, micro éteint, cordes inaudibles, tout cela mettra plusieurs morceaux à bien se caler. Cela n'empêche pas Médo de se lancer à fond, à la trompette et à la voix. A la base, des morceaux de King Crimson, donc. Mais bien revisités : on est plus proche du Miles électrique ou de Weather Report que du Rock progressif. C'est donc une sorte de grand melting-pot culturel, avec de l'énergie rock, du groove, des rythmes impairs, des boucles, des parties très écrites pour les cordes, de longues impros au Fender Rhodes ... Mais les ingrédients essentiels sont la batterie de Philippe Gleizes parfaitement à son aise dans ce registre de puissance propulsante, et bien sur le délire de Médéric Collignon, entre chaos et maîtrise.

jus de bocse joue king crimson

Un seul set de deux bonnes heures explore de fort diverses facettes de la musique de King Crimson, revisitant toute son histoire. Collignon passe même quelques extraits d'improvisations de Robert Fripp, qui permettent de bien voir que ça n'a pas grand-chose en commun avec ce qu'ils nous proposent ce soir. On en ressort un peu groggy. Mais vaguement déçu, aussi, par l'ambiance gâchée par l'attente et les soucis techniques, et aussi par l'écart entre l'ambition des moyens mis en oeuvre, et le résultat, qui manque paradoxalement de personnalité, sans doute parce qu'il y a trop d'ingrédients dans la sauce, et de pertinence, genre "oui, et alors, à quoi bon tout ça ?", ce que je n'avais pas ressenti dans les concerts où le Jus de Bocse reprenait Miles Davis.

jus de bocse joue king crimson

Ailleurs: quelques vidéos sur Youtube, de la même musique mais au Triton :
Part 1, Part 2, Part 3

jeudi 8 décembre 2011

Added Courtois, Texier Nord-Sud (New Morning - 5 Décembre 2011)

C'est complètement par hasard que je découvre le jour même l'affiche fort alléchante de ce concert de soutien à Amnesty international, qui sans doute par manque de publicité suffisante, n'attirera que bien peu de monde, laissant la salle au moins à moitié vide.

Jeanne Added - Vincent Courtois

Ca pourrait être une version réduite du quartet de Vincent Courtois. Mais l'équilibre des forces y est fort différent. Si la formule d'une chanteuse et d'un musicien évoque par moment le dialogue entre Youn Sun Nah et Ulf Wakenius, on est plus encore dans une approche d'une émotion nue, d'une musique sans artifices. Vincent Courtois s'est débarrassé de ses pédales d'effets et de son appareillage électronique, et joue en pizzicati ou à l'archet, soutien mélodique parfois lyrique, parfois plus recueilli. Ce qui ne m'empêche pas de parfois sonner comme un instrument exotique orientalisant, parfois comme un banjo. Jeanne Added se glisse entre fragilité désarmante et ironie légère et ravageuse, des cocktails d'émotions qu'elle maitrise à merveille. On retrouve certaines des balades déjà entendues en quartet, et ce soir ce n'est pas "Faible et Faiblissant" qui sera le sommet du concert, mais plus "I Carry Your Heart" ou "The World Tonight". Il y a aussi une délicieuse chanson sur l'ivresse, qu'elle délivre avec une douce ironie soudain brisée d'un long cri qui renverse. Formidable performance.

vincent courtois + jeanne added vincent courtois + jeanne added vincent courtois + jeanne added

Henri Texier Nord-Sud Quintet

Deuxième fois que je vois cette formation, et deuxième fois en faveur d'une cause (après les maladies dégénératives du Brain Festival, c'est cette fois Amnesty International, donc). Depuis un an, le groupe a eu le temps de bien digérer le répertoire du disque "Canto Negro", et chaque morceau ressort plus dense, mieux caractérisé, plus abrupt ou plus poignant, que lors de leur premier concert.
Le premier solo sera du batteur Christophe Marguet, ce qui n'est pas habituel, aussitôt suivi par Henri Texier, qui multipliera ses interventions tout au long du set, souvent doucement accompagné par la guitare de Manu Codjia. Entre les deux souffleurs Sébastien Texier et Francesco Bearzatti, les interactions sont aussi plus profondes, dans les chorus lancés à deux mais avec une belle liberté, ou dans les solos, plus virtuoses et abstraits chez Sébastien Texier, plus brutaux et émotionnels chez Francesco Bearzatti. Grand plaisir.

henri texier quintet nord-sud

Spotify: Vincent Courtois Quartet - Live In Berlin, Henri Texier Nord-Sud Quintet - Canto Negro

dimanche 4 décembre 2011

Levinas Asperghis Birtwistle Lachenmann (Cité de la Musique - 29 Novembre 2011)

Michaël Levinas - Appels

Ce court morceau introductif date de 1974, et marque, dit le compositeur dans le livret, le début de l'aventure de la musique spectrale. En effet, dans cet appel répété où se combinent le son du cor et de la caisse claire et des traitements numériques, on sent la fascination pour le son en tant que matière première de la musique. Mais il manque la notion de processus de transformation, et autour de ce son primaire, les autres instruments viennent se greffer de manière encore très classique. L'oeuvre indique une révolution à venir, mais sans en être un chef d'oeuvre.

Georges Asperghis - Pièce pour douze

Je me souviens m'être dit que pour une fois, je trouvais pas mal cette pièce d'Asperghis, auteur d'un théâtre musical qui m'horripile bien souvent. Ici, c'est de la "musique pure", sans voix. Mais le problème, c'est que je ne me souviens plus de rien d'autre ...

Harrison Birtwistle - Cortège

Dans Theseus Game, il y avait deux chaises où se relayaient les solistes. Cette fois, c'est debout qu'ils viennent l'un après l'autre se positionner au centre des musiciens disposés en demi-cercle. A part ça, pas grand-chose à en dire. Là aussi, ça laisse bien peu de souvenirs.

Helmut Lachenmann - Concertini

Pour cette pièce plutôt récente de Lachenmann (2004-2005), de nombreux musiciens supplémentaires gonflent l'effectif de l'ensemble intercontemporain, qui est éclaté entre la scène et les gradins. Le langage de Lachenmann s'est déradicalisé, et il conjugue maintenant les moments bruitistes habituels (beaucoup de grattements) avec des passages où les instruments sont joués normalement. Comme le titre l'indique, il s'amuse avec la notion de concerto, et de fait, on a de magnifiques solos, à la guitare, à la harpe, ainsi que de splendides dialogues à quelques-uns. Et il y a suffisamment de variété pour que les 40 minutes passent sans aucun ennui, entre les différentes oppositions qui structurent l'oeuvre (sons bruités / sons normaux, effectifs différents des groupes instrumentaux sur scène et ceux spatialisés). Très réussi.

eic, mälkki, lachenmann

Spotify: Michaël Lévinas: Par-delà, Georges Asperghis - Simulacres, Harrison Birtwistle - Secret Theater

mardi 29 novembre 2011

Transgender Warriors (Cité de la Musique - 25 Novembre 2011)

No Bra

Susanne Oberbeck, une grande Allemande qui vit à New-York, débarque sur la scène, remercie la Cité de cette invitation à venir à Paris, s’excuse de ne pas parler français, et lance le programme sur son laptop. La musique démarre, un mélange bien pêchu de basse lourde et de saxophone râpeux, sur lequel elle place ses mots. Dès que la chanson finit, l’ordinateur en balance une autre. Et c’est bien là le problème : l’artiste semble prisonnière du tempo imposé par la machine, parfois en retard, et sans jamais avoir le temps d’accrocher le public. Quelques chansons me plaisent par leur climat un peu lourd, mais d’autres me semblent à peine ébauchées, un squelette sonore qui soutient à peine le texte. Comme celui-ci n’est pas assez compréhensible pour me captiver, et comme il n’y a aucun jeu de scène (elle reste plantée immobile – et habillée normalement - à coté de son micro et de son laptop), il n’y a pas grand-chose pour retenir l’intérêt.

Cindytalk

Cette seconde partie tient beaucoup mieux le choc de la scène, quitte à proposer une ambiance assez différente de celle de ses derniers disques (de l’electro dark très ambient). Sur scène, Gordon Sharp, en robe rouge et hauts talons, chante beaucoup, dans un registre où on retrouve les échos de sa participation au premier "This Mortal Coil", et est accompagné par Robert Hampson, un guitariste expérimental et bruitiste (qui travaille aujourd’hui avec le GRM ...), qui a à sa disposition un appareillage électro-informatique divers.
La musique que ce duo crée est du coup beaucoup plus improvisée, et assez dense, un lent fleuve puissant qui nous submerge et nous entraîne dans un voyage très prenant. Une projection vidéo complète le dispositif, images d’eaux, de foules floues, de jeunes gens, en noir et blanc ou en couleur, un contrepoint réussi.
Pour conclure cette prestation assez captivante, Gordon Sharp s'installe au piano, et y plaque des lambeaux de mélodie, des accords ambigus, un final teinté d'une nostalgie pas forcément très originale, mais très réussi.

cindytalk

Spotify: No Bra - Dance and Walk, Cindytalk - Hold Everything Dear, Robert Hampson - Vectors

Lemi Ponifasio - Birds With Skymirrors (Théâtre de la Ville - 24 Novembre 2011)

Dans ce deuxième spectacle présenté par le chorégraphe samoan au Théâtre de la Ville, on retrouve bien les éléments de fascination éprouvée l'an dernier : l'obscurité qui mange une bonne partie de la scène et parfois le corps des danseurs dont ne subsiste plus que les mains ou le visage, ces gestuelles énigmatiques et récurrentes, bras tendus en V et mains tremblantes, attitudes très droites et pieds qui glissent en de rapides mouvements qui donnent l'impression de flotter, moulinages soudain des avant-bras entre grâce et art martial, les frappes sonores sur le torse, etc. Les séquences les plus spectaculaires sont sans doute le jonglage avec des boules tenues par des ficelles, qui virevoltent autour des mains et du buste.
Mais si le discours de "Tempest" était presque incompréhensible à cause de références trop peu maîtrisées par un public occidental, il est ici quasiment invisible. A part la projection d’un oiseau englué dans du pétrole, peu d’éléments nous permettent de saisir le but de cette pièce, que le livret place sous le poids du "souci écologique au sens large". Comme tout ceci est long (1h30) et assez répétitif, et sans réelle ligne directrice, l’ennui, malgré la fascination, guette.

Ailleurs: MHF, TouteLaCulture

mercredi 23 novembre 2011

Inde : danses et travestissement (Cité de la Musique - 19 Novembre 2011)

Manzoor Shah & Party - Chant et danses chakri, rauf et bacha nagma

Cette première partie se focalise plus sur la musique que sur la danse. D'ailleurs, l'estrade où prennent place Manzoor Shah et ses acolytes est en plein centre de la scène. Cette musique, le chakri, "est un genre très populaire au sein de la société musulmane cachemiri." Populaire est bien le mot : on est assez loin du registre savant d'autres styles de musique indienne plus fréquemment entendus. Le rythme surtout souffre d'un binaire inébranlable rapidement lassant, perturbé par de rares solos malheureusement très sommaires ; et les lignes mélodiques se répètent sans grande inventivité.
De temps en temps surgit un jeune homme, en habits habituels, qui danse, dans une gestuelle très souple, qu'on peut effectivement qualifier pourquoi pas de féminine. Mais sans chorégraphie à proprement parler, l'intérêt est faible. En fait, on pourrait se croire dans un village, lors d'une fête locale, où chantent et dansent les habitants du coin les plus doués, mais sans ambition artistique élevée. Bref, bof.

Tamil Nadu - Danse sacrée kuchipudi

On retrouve des territoires plus usuels : estrade sur le bord, musique plus élaborée, entrée de l'artiste. Première originalité : il s'agit d'un homme, mais habillé comme une danseuse indienne classique. Deuxième originalité : la partie théâtrale est bien plus présente que d'habitude. Un des musiciens parfois se lève et vient rejoindre le danseur, qu'il accompagne de quelques gestes peu élaborés, et surtout avec qui il discute, dans des scènes de dialogue malheureusement pas sous-titrées, donc incompréhensibles. Il semble n'y avoir qu'une seule histoire racontée, celle de Bhama Kalapam, une querelle entre Satyabhama et Krishna, où la princesse fait montre d'orgueil devant son seigneur, puis se repentit et réussit à se faire pardonner. Comme c'est du kuchipudi, il y a un passage avec un plateau doré, mais il aurait fallu être dans les gradins pour en profiter ... La salle des Abbesses me manque.
Cette deuxième partie est bien plus intéressante que la première, et je retrouve avec plaisir les subtilités et les virtuosités de cette danse parfois si abstraite et architecturale, et parfois si concrète et figurative. Par contre, la partie "travestissement" ne présente qu'un bien faible intérêt. Que ce soit un homme qui danse, ou une femme, ou un homme déguisé en femme, quelle différence cela fait-il ?

kuchipudi à la cité

dimanche 13 novembre 2011

Stravinsky Cage Dusapin (Cité de la Musique - 12 Novembre 2011)

Igor Stravinsky - Requiem Canticles

En prolongation du concert de Mercredi, celui-ci commence par deux pièces "finales" de leur auteur. Ce requiem abstrait me rappelle par moment Messiaen (lenteur, couleurs, religiosité distanciée), mais dégage une atmosphère tout à fait particulière : c'est une cathédrale, mais à ciel ouvert, et aux colonnes de cristal ; une architecture hiératique, mais transparente et lumineuse. Neuf mouvements en un quart d'heure, c'est une mosaïque précise, aux assemblages subtils, entre l'orchestre aux pupitres réduits, le choeur, et les deux voix solistes.

John Cage - Seventy-Four

S'installent sur le plateau 74 musiciens de l'Orchestre Symphonique du SWR Baden-Baden & Freiburg. Le chef Jonathan Stockhammer est remplacé par deux écrans faisant métronome. Aux musiciens de savoir comment jouer leur partition minimaliste, individuellement et collectivement. Le résultat pour ce soir me semble consister à passer de note à note, de manière relativement synchrone, comme à travers un sas, puis à creuser la note atteinte en en variant les couches instrumentales. C'est plutôt beau et reposant, mais pas forcément une expérience inoubliable.

Pascal Dusapin - La Melancholia

Là on sort le grand jeu. Orchestre massif, choeur puissant (le SWR Vokalensemble Stuttgart), quatre solistes, une bande magnétique pour quelques récitations, du texte composé d'extraits érudits anciens et multi-langues, c'est du lourd. Et en effet, c'est parfois, souvent, un peu lourd. Le traitement de l'orchestre offre quelques moments de métamorphoses ou de transmutations, préfigurant les fantastiques "solos", mais cela n'est qu'épisodique. On est plus souvent dans un déferlement qui nous submerge, tant en puissance sonore qu'en pathos revendiqué, mais qui me passe à travers, sans vraiment me toucher.

Ailleurs : Simon Corley
Spotify : Igor Stravinsky – Canticum Sacrum / Agon / Requiem Canticles, John Cage - The Piano Concertos / Fourteen, Pascal Dusapin - 7 solos pour orchestre

samedi 12 novembre 2011

Parra Kagel (Cité de la Musique - 9 Novembre 2011)

Hèctor Parra - Caressant l'horizon

Quand le livret explique que le compositeur veut évoquer "les ondes gravitationnelles engendrées par la collision de deux trous noirs", on peut deviner que ça va être bruyant. Et ça l'est. L'EIC, dirigé à grands gestes expressifs, quasiment villepiniens, par Emilio Pomarico, rugit, convulse, explore les stridences ou les grondements, louvoie entre éruptions et frémissements, et se calme par moments pour qu'un ou deux solos s'installent, avant de repartir dans le fracas et le tumulte. Mais pour dire quoi ? Ici on entend la frénésie rythmique d'un Stravinsky, là les harmoniques violentes d'un Varèse. Et pas grand-chose d'intéressant, au final, pendant cette grosse demi-heure passablement ennuyeuse.

Mauricio Kagel - In der Matratzengruft

Changement radical d'acabit. Ici, chef d'oeuvre. Dernière composition de Kagel, écrite sur son lit d'hôpital, elle tire sa matière des derniers cycles de poèmes écrits par Heinrich Heine, paralysé et bloqué dans son lit. Dans la variété des accompagnements musicaux (les duos et les trios pullulent, genre harpe-tuba-trombone, ou violoncelle-clarinette, etc, dans un renouvellement constant de texture), on pourrait lire l'influence du Pierrot Lunaire. Mais la ligne vocale (le ténor Markus Brutscher y est magnifique d'émotion et de dignité) reste plus classique, même si, quand on l'observe de plus près, elle ose le cri de désespoir à peine camouflé, ou la parodie de grand air d'opéra.
Pourtant, l'atmosphère générale est à une certaine retenue, malgré la mort qui hante toute la musique. Une pudeur automnale. Un équilibre délicat, entre l'angoisse, la résignation, de brefs éclats de révolte, et l'humour qui bien que camouflé, reste un soubassement essentiel de l'esthétique Kagelienne. J'espère vraiment qu'il y aura enregistrement discographique, parce que c'est une musique que j'aimerai beaucoup écouter à nouveau, par exemple pour analyser davantage le lien entre la musique et le texte.

Ailleurs: Un très beau billet de David Sanson.

mardi 8 novembre 2011

Berliner Ensemble - Lulu (Théâtre de la Ville - 5 Novembre 2011)

En ce moment à Paris, une Lulu peut en cacher une autre, et tandis que la version d'Alban Berg se joue à l'Opéra, la pièce originelle de Wedekind est donnée au Théâtre de la Ville. Ou plutôt, la version de Robert Wilson et de Lou Reed, puisque la pièce représentée ici, quoique inspirée parait-il de la "Lulu des origines", bouscule la chronologie en débutant par quelques premières évocations de la mort de l'héroïne, et se trouve rythmée par des chansons de Lou Reed, interprétées par une poignée de musiciens dans la fosse et les acteurs sur la scène.
Ces chansons sont certainement le point faible du spectacle. Non seulement elles ne brillent pas particulièrement par leur force ou leur originalité, mais en plus elles ne collent pas du tout avec l'atmosphère générale donnée par les costumes, les maquillages, les décors, etc. Les effets de distanciation, pourquoi pas. Mais là, il y a tentative de téléportation temporelle, une greffe qui échoue totalement entre les mélodies rock modernes de Lou Reed et la stylisation si particulière de Bob Wilson.
De l'histoire de Lulu, je n'ai pas compris grand-chose. C'est l'inconvénient d'être à une place qui aurait été incroyablement réjouissante pour d'autres spectacles, milieu du premier rang, quand les seuls sous-titres disponibles sont affichées bien tout en haut de l'espace scénique. Regarder ou lire, il faut choisir. Mais même sans cela, la présence des chansons de Lou Reed me semble avoir nécessité quelques coupures dans l'intrigue, et je ne me repère guère entre tous ses hommes successifs. Quant à la Comtesse, son rôle me semble bien peu clair. Et quand je lis le synopsis (L'Esprit de la Terre / La Boîte de Pandore), de larges morceaux semblent avoir été omis (le passage par la case prison, par exemple).
Mais si le spectacle n'est vraiment pas sans défauts, il n'est pas non plus sans quelques qualités ! Angela Winkler est une Lulu au sourire douloureux, aux yeux d'enfant prêt à pleurer, aux rires d'oiseau, présence tranchante et tremblante, fragile et fantomatique, plus que fantasme. Parmi ses compagnons, son père s'avère le plus répugnant, et le Jack de Londres exhibe une silhouette effilée et un charme de fou dangereux à la puérilité attendrissante assez envoutant.
Si les décors de la partie allemande n'excitent guère d'émotions (c'est du Wilson bien estampillé, avec néons et sièges étranges), son Paris, en lustres et cyprès, éveille beaucoup plus la curiosité, et me fait penser, je ne sais pourquoi, à du Paul Delvaux (mais un monologue répétitif récité en voix-off monocorde m'énerve assez vite) ; quant à Londres, perdue dans un brouillard qui efface les pieds, avec cette galerie d'hommes déchus en fond de scène, elle plonge dans un sordide bien réussi.
Mais cela ne suffit pas à renouer avec les éclatants succès du Berliner Ensemble de l'an dernier ...

lulu

Ailleurs: MusicaSola

dimanche 30 octobre 2011

Planning Novembre - Décembre 2011

Gardons le rythme d'un à deux spectacle par semaine, avant les vacances !

David Krakauer joue John Zorn (Salle Pleyel - 27 Octobre 2011)

Avec cette tournée, David Krakauer prépare son prochain enregistrement d'un "Book of Angels", cette formidable série instituée par John Zorn, et qui arrive à sa conclusion. Il réunit autour de lui quelques musiciens habituels, et alterne entre les anges de Zorn, des compositions personnelles et quelques standards revisités.
Aux machines (boîte à rythmes, synthés, ordinateur) nous avons, non pas Socalled, mais Keepalive, qui crée une toile de fond. Du coup, le batteur Michael Sarin peut parfois se contenter de décorations, dans une frappe précise et sèche, mais assure sinon un rythme solide quoiqu'un peu pâle. A ses cotés, Jerome Harris donne à la basse électrique une profondeur funk bienvenue. Devant, la guitariste Sheryl Bailey, nourrie de blues, bondit dans des improvisations très rock'n'roll.
Mais le héros de la soirée est bien sur David Krakauer, à la clarinette virevoltante et inextinguible, à l'enthousiasme et énergie extraordinaire, et qui en plus présente les morceaux dans un excellent français. Son morceau de bravoure sera un solo strident, avec technique de souffle continu, qui à quelques mètres de distance de la scène, me vrille quelque peu les oreilles mais impressionne, c'est certain.
Les compositions de John Zorn proposent de courts morceaux intenses proches du chaos, et des ballades splendidement mystérieuses, où les musiciens entrecroisent de courtes interventions. Les compositions de Krakauer offrent des occasions de solos plus franches, et permettent aux musiciens de s'épancher avec un bonheur plus direct et immédiat, qui révèle l'habitude qu'ils ont de ce répertoire.
Pour les bis, une bonne partie des spectateurs se lèvent, c'est l'effet Klezmer Madness, et c'est bon. J'en sors avec les oreilles qui bourdonnent un peu, c'est rare en sortant de Pleyel, mais avec le sourire.

sheryl bailey david krakauer

Spotify: David Krakauer – The Twelve Tribes, The Sheryl Bailey 3 – Bull's Eye, Robert Dick - Third Stone From the Sun

mercredi 26 octobre 2011

Hindemith Schoenberg (Cité de la Musique - 25 Octobre 2011)

Paul Hindemith - Quatuor op. 16

Même si les frappes de pieds et certaines approximations me gênent au démarrage de ce 3ème quatuor de Hindemith, les Prazak finissent par me convaincre du sérieux de cette oeuvre, un brin austère, et pas bien gaie. L'énergie du premier mouvement est comme corsetée de solennité, et malgré la sinuosité des lignes, quelque-chose de froid et de rigide persiste tout du long. Le deuxième mouvement, le plus long, offre des solos et des accompagnements souvent surprenants, mais l'atmosphère est à la tristesse quasi désespérée. En comparaison, le troisième mouvement semble une explosion de vitesse, mais qui ne dégage nulle chaleur.
Le tout me donne bien envie d'écouter de plus près les quatuors de ce compositeur que je connais assez peu, en fait.

Arnold Schoenberg - Pierrot lunaire

Les Prazak restent là, quoique dans une configuration originale (Pavel Hula en chef d'orchestre ; Josef Kluson et Vlastimil Holek alternant entre le poste de violon/alto et celui de tourneur de page pour le pianiste ; seul Michal Kanka reste à son violoncelle de façon habituelle), rejoints par quelques autres musiciens, et par la cantatrice Alda Caeillo. Sur elle repose une bonne partie de la réussite ou non du Pierot : et elle s'en tire fort bien, chantant mais sans projection, parlant mais en suivant les lignes mélodiques, forçant l'expressivité et la théâtralité jusqu'au point nécessaire de presque parodie.
Des trois cycles de sept poèmes chacuns, c'est le deuxième que je préfère, qui sombre dans une forme de folie impressionnante, depuis les "sinistres papillons noirs géants" de "Nacht" aux "poètes muets et exsangues" de "Die Kreuze", en passant par une eucharistie sanguinolente ou la lune vue comme un cimeterre décapitant. Et l'instrumentation trouve des configurations chaque fois originales, un moteur rythmique ici, une cantilène là, chaque fois deux ou trois instruments, jamais les mêmes et jamais comme on s'y attend, c'est vraiment très prenant.
Le troisième cycle, où plus de monde joue en même temps, me satisfait du coup moins. Mais il permet une sorte de retour à la normale, avec de l'humour, de l'ironie, de la tendresse même.

pierrot lunaire

Ailleurs: Joël

Spotify: Quelques versions du Pierrot lunaire, Schönberg Ensemble + Barbara Sukowa, Ensemble Intercomtemporain + Christine Schäfer, Contemporary Chamber Ensemble + Jan De Gaetani ...

mardi 18 octobre 2011

Stravinsky Widmann (Salle Pleyel - 14 Octobre 2011)

Igor Stravinsky - Scènes de ballet

Cette pièce en 11 épisodes n'est pas très connue, et à l'écoute ça se comprend, c'est assez terne, et anecdotique. En plus, la mise en place de l'orchestre philharmonique de Radio-France, dirigé par John Storgards, n'est pas parfaite, avec des solos qui se perdent un peu dans la nature, et une impression de flottement pas très attachante. La fin, qui se veut apothéose, sonne plutôt lourde et tonitruante.

Jörg Widmann - Concerto pour violon et orchestre

Dans le lyrisme parfois exalté, parfois désespéré, du violon omniprésent, que l'orchestre parfois soutient et parfois contrarie par des zébrures de dissonances, j'entends du Schnittke, mais Stéphane Guy évoque le concerto à la mémoire d'un ange d'Alban Berg, et en effet, à la réécoute, cette influence sonne par moments évidente.
Christian Tetzlaff danse avec son violon, en grandes flexions des genoux. Le chef Storgards semble plus impliqué, les couleurs orchestrales sont mieux définies. Mais l'émotion reste fluctuante, sans doute à cause de la difficulté de saisir une ligne directrice qui permettrait d'être vraiment embarqué au long de cette demi-heure de musique.
storgards / tetzlaff

Igor Stravinsky - Symphonie en Ut

Une toute jolie symphonie aux allures bien classiques, avec une forme sonate pour démarrer, de jolis moments solistes, d'autres plus sombres, le tout bien agréable mais qui s'oublie vite.

Ailleurs: ConcertoNet, Klariscope

dimanche 16 octobre 2011

Steve Reich - Pulsations 1 (Cité de la Musique - 11 Octobre 2011)

Steve Reich - Drumming (part 1)

Après de longues et pénibles minutes d'accordage des bongos à coup de clef de 12 et de tapotages divers, les quatre musiciens, dont Steve Reich lui-même, se mettent en action l'un après l'autre. Mais je ne suis pas pris dans le flux mouvant des patterns rythmiques, ça n'agit pas. Du coup, je me rend compte que c'est assez gonflant, comme musique, quand elle n'hypnotise pas l'auditeur.

Steve Reich - Double Sextet

Quoi, trois ans d'écart entre la création mondiale et la création française de ce soir, je pensais Reich suffisamment célèbre pour que l'on se précipite sur toute nouvelle oeuvre. L'ensemble orchestral est fort intéressant : deux sextets, chacun composé d'une flûte, clarinette, vibraphone, piano, violon, et violoncelle. Pour établir un équilibre sonore correct, certains instruments sont amplifiés. Mais cela donne du coup un son très dense, sec, où l'air ne circule pas. C'est surtout sensible dans les mouvements rapides (comme dans la quasi intégralité des oeuvres de Reich, il y a trois mouvements, rapide, lent, et rapide), où la pulsation piano/vibraphone, sur un rythme très ferroviaire, me sature. Du coup, je préfère et de loin la section centrale, où les cordes osent une mélodie pleine d'émotions, avec des couleurs d'accordéon surgies de je ne sais où, et une atmosphère nocturne superbe (comme une revisite en plus réussie du mouvement portuaire de "City Life"). Finalement, il y a encore quelques pépites de beauté dans la musique de Reich, c'est bien.

Steve Reich - Music for Eightteen Musicians

Steve Reich s'installe au piano dans un coin, les Synergy Vocals démontrent leur habituelle exceptionnelle compétence à utiliser des microphones, des musiciens de l'Ensemble Modern attendent assis que leur tour vienne de frapper sur tel clavier ou autre percussion, la musique commence à mettre en place ses vagues lentes et irrépressibles. Là, je suis pris dans le flux, dans le sac et le ressac des respirations. C'est agréable et reposant, doucement euphorisant, mais pas grandiose. Jusqu'à l'arrivée des maracas, en section 7 je crois, qui conclut une lente élévation vers une lumière plus vive entamée quelques sections préalablement, et c'est une sorte d'apothéose jubilatoire, un sentiment de libération, un moment de grand bonheur. La redescende est lente.

Je ne sais pas si Reich avait donné des consignes spéciales, mais c'est la première fois que je me fais gronder par le personnel de la Cité parce que je prends en photo le salut final. Tans pis, c'est fait.

steve reich

Spotify: Drumming, Double Sextet, Music for 18 Musicians.

mercredi 12 octobre 2011

Ring Saga (Cité de la Musique - 7 au 9 Octobre 2011)

En ces temps où accéder à l'Opéra Bastille devient de plus en plus difficile, assister à un cycle de l'Anneau des Nibelungen dans le confort et les prix de la Cité, en un week-end, voilà une excitante idée ! Pour se faire, il fallait quelque peu raboter les pièces, en réduire l'ampleur instrumentale et la durée, et opter pour une mise en scène moins encombrante qu'habituellement. Mais ces accommodements préservent-ils la magie et la puissance des opéras wagnériens ? En bonne partie, oui, même si tout n'est pas parfait. Disons que c'est un excellent "proof of concept" ...

La musique a donc été réduite à un orchestre de chambre de 19 musiciens (et non 18 comme écrit partout : le Remix Ensemble aurait-il ajouté un musicien spécialement pour la Cité ?), et il s'agit malheureusement bien d'une réduction et non d'une transcription : c'est la plupart du temps bien réalisé et efficace, on profite bien des thèmes, la réussite de certaines plages est même surprenante, comme l'introduction de l'Or du Rhin, mais c'est un travail scolaire, qui manque de génie et d'audace dans les alliages de timbres : Jonathan Dove n'est sans doute pas très féru de musique spectrale, et c'est dommage. De plus, la composition de cet orchestre n'est pas très équilibrée, qui privilégie très fortement les cuivres aux cordes, dont il ne reste qu'un quatuor et une contrebasse. C'est joli quand ils jouent effectivement en quatuor, ça l'est moins quand ils doivent lutter contre force cors et trombones ... Et un problème récurrent sera la harpe, qui quand on l'entend sonne la plupart du temps comme extérieure à la texture générale, avec des notes trop cinquantes ou trop sèches, je ne sais trop, mais qui réussissent à me gâcher le réveil de Brünnhilde.

Pour réduire la durée, il faut couper. Cela ne va pas sans heurts, on a tous quelques airs, quelques épisodes, ou même quelques personnages, qui ont disparu au montage. C'est dans le Crépuscule des Dieux que l'opération ressemble le plus à du charcutage : ayant décidé de se passer de choeur, ce qui se comprend dans l'optique mini-Ring, les scènes où il intervient sont soit brusquement coupées et du coup peu compréhensible, comme l'appel au peuple de Hagen, soit disparaissent totalement, comme Siegfried racontant sa vie après avoir bu la coupe lui redonnant la mémoire, enchanteur enchaînement de thèmes, ici cruellement absent.

Le décor est unique pour toute la Tétralogie : deux plans inclinés, séparés par un espace vide où on peut se glisser. Pour Siegfried, une cabane sera installée sous l'un des plans. L'espace autour sera parfois utilisé, par exemple en y installant des chaises hautes où se juchent Siegfried et Brünnhilde, qui échangent serments et anneau tout en étant séparés de quelques dizaines de mètres (c'est l'une des plus mauvaises idées de cette mise en scène).
Au-dessus, un écran permet d'afficher de la vidéo. C'est la plupart du temps moche, et souvent inutile. Parfois illustrative, comme les flammes au-dessus de la forge, parfois joliment évocatrice, comme ces gerbes scintillantes pour l'arrivée du printemps, ou symboliste, comme ces deux colonnes grises derrière les géants pour accentuer leur taille, ou parfois abstraite et peu claire, comme la figuration du Walhalla, cette vidéo est terne, pixellisée, elle fait vieillotte.

La mise en scène essaie avant tout de raconter l'histoire de façon bien compréhensible, sans chercher à y apporter un point de vue particulier. Si les moments qui emportent vraiment sont rares (j'y mettrais la mort du dragon Fafner, avec un drap gonflé, simple et beau, et le combat Hunding - Siegmund, violent et bien clair), les fautes le sont également (en plus des amants sur tabourets déjà indiqués, j'y mettrais la marche des Walkyries qui arpentent ridiculement les plans de bas en haut et de haut en bas).

La distribution vocale offre des niveaux et des types de voix très divers. Pour réduire là encore, certains prennent plusieurs "petits" rôles. Etrangement, ils ne font pas forcément la même impression d'un personnage à l'autre. J'apprécie par exemple Fabrice Dalis en Loge, très souple, mais beaucoup moins en Mime, pas assez fourbe. Ou Johannes Schmidt, un Fafner correct sans plus, sera un excellent Hagen.
Les plus grandes performances seront celles de Lionel Peintre en Alberich, au timbre comme rugueux, créature de souffrance ; Ivan Ludlow en Wotan (meilleur qu'en Wanderer), qui brille par une grande subtilité tant qu'il n'a pas à forcer le volume ; et puis surtout Cécile de Boever, une Brünnhilde impériale de puissance naturelle, quitte à écraser ses partenaires, de Jef Martin, Siegfried sans grand éclat, à Donatienne Michel-Dansac, Gudrune totalement falote.

Dans ce cycle, ce sera la Walkyrie qui sera le plus intense en émotions, depuis Wotan terrassé par les arguties de sa femme (Nora Petrocenko), à la punition de Brünnhilde, qui chante et pleure en même temps, en passant par la passion de Sieglinde (Jihye Son). Dans Siegfried, les voix peu satisfaisantes de Siegfried et de Mime plombent la représentation, et Le Crépuscule des Dieux souffre de coupes trop brutales.
Mais l'immersion en un week-end dans cette musique reste une grande joie, j'en ressors avec plein de thèmes qui ne veulent plus quitter ma tête, et me poussent vers la réécoute des disques.

l'or du rhin

la walkyrie

siegfried

le crépuscule des dieux

ArteLiveWeb a enregistré le cycle au Festival de Strasbourg.

Ailleurs: Joël, MusicaSola, Paris-Broadway, Palpatine ...

Spotify: Version Böhm Bayreuth 1967, Boulez Bayreuth 1976, ou Karajan Berliner 1967-70 ?

dimanche 9 octobre 2011

DV8 - Can We Talk About This ? (Théâtre de la Ville - 3 Octobre 2011)

C'est la première fois que je vois un spectacle de DV8, et je comprends maintenant qu'ils se présentent sous la dénomination "physical theater". A la base, c'est bien du théâtre, et dans ce spectacle, le plus important, ce sont les mots.

Dans une salle de classe à l'ancienne, divers personnages se succèdent, qui restituent les discours de personnes réelles, et nous parlent d'intolérance religieuse, essentiellement islamiste. Si certains épisodes nous sont bien connus (fatwa contre Salman Rushdie, assassinat de Theo Van Gogh, caricatures danoises ...), d'autres sont plus liés à l'histoire du multiculturalisme à l'anglaise, comme des heurts raciaux dans une école de Bradford en 1985, ou la lutte difficile d'une élue contre les mariages forcés. Mais le discours ne reste pas focalisée sur l'Angleterre, terre d'accueil de l'australien Lloyd Newson. Une liste des meurtres de personnalités arabo-musulmanes tentant de modérer les islamistes (poètes, cinéastes, mais aussi des hommes politiques au Pakistan), des témoignages de femmes ayant fui un mariage forcé et devant se cacher de leur famille à cause des crimes d'honneur, ou une sorte de reportage sur l'ONU, l'UNESCO et la Charia, donnent une vue globale d'un phénomène contre lequel, dit Lloyd Newson, l'occident refuse de lutter par peur, peur de se faire attaquer ou tuer suite à une quelconque fatwa, et peur de passer pour islamophobe. Du coup, on n'en parle pas. Et il faut en parler.

C'est un spectacle qui avance en terrain miné. Parler de l'Islam et de la violence que certains exercent en son nom, c'est le plus souvent matière à simplisme et à généralisations abusives. Mais pas ici. Le discours tient. Et ils remettent certaines choses bien en place. Par exemple sur l'histoire du Coran brulé dans une paroisse américaine, qui a provoqué des dizaines de morts dans le monde, alors que des Bibles sont très régulièrement détruites en Arabie Saoudite, puisque interdites, sans qu'il y ait pour autant appel au meurtre ou même à une quelconque violence.

Pour faire passer ce message de lutte contre l'intolérance, la troupe réunie dans ce DV8 est multi-raciale, et multi-âge. Mais tous sont au diapason de l'aspect physique de ce théâtre. Parfois le rapport entre le discours prononcé et les gestes qui l'accompagnent est évident, parfois cela reste obscur. Par exemple les politiciens qui passent à Bradford délivrer leur message habituel et inutile s'agitent tous comme des marionnettes un peu folles. Certaines femmes sont entourées d'hommes qui, sans être explicitement menaçants, les cernent suffisamment pour créer une tension sur scène. Le directeur du Jyllands-Posten fait les pieds au mur et tente d'enfiler un pantalon. La réprésentante anglaise, vieille dame fort charmante, boit du thé assise sur un bonhomme en constant mouvement. Ce sont des numéros de danse d'une extrême précision, dans les tempi, et dans les mouvements, particulièrement des mains. Danser ainsi, tout en continuant à parler, et ce dans un tel tempo, est une remarquable et parfois stupéfiante performance.

C'est un spectacle qui frappe fort, et dont on ressort plein de questions. La manière de traiter du multiculturalisme, de la laïcité et de la tolérance religieuse, est très différente entre la France et l'Angleterre. Mais la difficulté de discuter de ces sujets sans polémique xénophobe et sans bisounoursisme, est sans doute la même. Bien sur, aucune réponse n'est donnée. Mais si quelques questions restent, c'est déjà bien.

can we talk about this ?

Ailleurs: TouteLaCulture, Tadorne

vendredi 30 septembre 2011

Pierre Boulez - Pli selon pli (Salle Pleyel - 27 Septembre 2011)

Cette fois, ce ne sont pas seulement les 3 improvisations centrales, mais bien les 5 mouvements qui nous sont offerts.
Après le grand poum initial et la phrase chantée, la matière devient aussitôt rare, éparpillée dans un grand orchestre où pullulent les percussions et se distinguent cinq harpes, une guitare, une mandoline, ce qui donne une de ces couleurs orchestrales qu'on appellera ... boulézienne ! Mais ce qui me frappe ce soir particulièrement, c'est la sensation d'un temps suspendu, presque immobile, un midi éternel sous le soleil écrasant des crotales.
Après ce "Don" dirigé sans lunettes, Pierre Boulez part en coulisses pour en récupérer une paire correcte, les Improvisations nécessitant apparemment une meilleure vision de la partition. Par sa grâce et son talent, Barbara Hannigan transforme la ligne de chant acrobatique en poésie vocale, de plus en plus distendue et envoutante. L'orchestre réduit dans cette partie centrale continue de scintiller comme une poudre de neige ou de sable, où on s'enfonce dans un inconnu qui creuse (comme dirait l'autre poète), guidé par la voix d'Hannigan. Les petites cymbales qui tintent comme autant de "i" sur "le vierge le vivace et le bel aujourd'hui", les crotales qui s'offrent presque un solo sur "une dentelle s'abolit", me fascinent particulièrement. Sur "a la nue accablante tu", retour des instruments. Tandis que le chant devient encore plus dérangé, parcellaire et particulièrement inintelligible, les flûtes, les vibraphones, la paire guitare-mandoline, ou plus tard les violoncelles, viennent remplacer la ligne lyrique défaillante. Mais dans la fin de cette dernière Improvisation, qui frôle le silence, il y a comme un relâchement de la tension qui m'étreignait jusqu'ici, et on côtoie l'ennui.
Enfin, "Tombeau" renoue avec la formation grand orchestre, Ensemble Inter Contemporain mélangé aux jeunes musiciens du Lucerne Festival Academy Ensemble. La matière y est plus dense, le rythme plus soutenu. Devant les percussions se font soudain entendre les violons ou les clarinettes. Des séquences répétées d'accords me font penser à Messiaen. Puis le chant surgit soudain, impérieux, comme irrépressible. Poum again, et c'est fini. Quoi, déjà ?

pli selon pli

Le concert est disponible pendant quelques semaines sur ArteLiveWeb.

Ailleurs: Klariscope, Joël, Paris-Broadway ...
Spotify: Deux versions existent sur Spotify, toutes deux dirigées par Pierre Boulez, l'une avec Halina Lukomska, l'autre avec Christine Schäfer.

dimanche 25 septembre 2011

Anne Paceo Quintet (Studio de l'Ermitage - 21 Septembre 2011)

Ce Quintet n'est pas exactement celui que j'ai vu il y a quelques mois à la péniche Anako. Mais comme le site d'Anne Paceo indique toujours les musiciens vus alors, peut-être les changements de ce soir ne sont-ils que circonstanciels : à la contrebasse, Joan Eche-Puig remplace Stéphane Kerecki, et à la guitare Federico Casagrande remplace Pierre Perchaud. De plus, la scène de l'Ermitage permet l'installation d'un piano.
Du coup, on retrouve le trio Triphase (Anne Paceo - Leonardo Montana - Joan Eche-Puig) dans son intégralité. L'entente entre ces trois musiciens fait basculer la physionomie du quintet, qui au lieu de se présenter comme un assemblage de paires en subtils équilibres, devient plus un trio augmenté d'un guitariste et d'un saxophoniste. On y perd un peu, surtout pour le guitariste, qui ne noue pas avec les autres musiciens d'aussi riches échanges que Perchaud (mais il n'a débarqué dans le groupe que depuis une semaine, difficile de lui en demander plus !).
Au fil des concerts, Anne Paceo devient de plus en plus à l'aise dans le dialogue avec le public, présentant les morceaux qu'elle a tous composés, de l'emblématique "Schwedagon" joué en premier morceau et repris en fin, à l'hommage à la peinture de sa mère "Toutes les fées étaient là", de morceaux vifs et bondissants à des ballades toutes douces. Les morceaux voisinent souvent les 15 minutes. Elle ne prendra pas un seul solo, mais irradie toujours d'une sereine exubérance pleine d'allant et de souplesse.
Antonin Tri Hoang passe fréquemment du saxophone alto à la clarinette basse, et beaucoup de ses solos se construisent sur des boucles qui se déforment à chaque tour. En ce qui concerne Leonardo Montana, j'avais je pense préféré le son du Fender Rhodes, pour les fusions possibles avec les autres musiciens. Le mieux serait qu'il utilise l'un ou l'autre en fonction des morceaux, comme Bojan Z par exemple.
En somme, le groupe est encore en rodage, et si les membres continuent de changer, ça peut durer longtemps. Mais les compositions murissent, et le groupe a un plus grand potentiel que Triphase. Affaire à suivre attentivement, donc.

anne pacéo quintet

Spotify: Federico Casagrande – Spirit Of The Mountains

mardi 20 septembre 2011

Simon Tanguy - Noé Soulier (Théâtre des Abbesses - 17 Septembre 2011)

Le Théâtre de la Ville et le Musée de la Danse à Rennes ont organisé en Juin 2010 la première édition d'un concours intitulé "Danse élargie". Le programme de ce soir permet d'en découvrir les respectivement 2ème et 1er prix.

Simon Tanguy - Japan

C'est un solo, sur le thème de la mort et de l'agonie. On a droit du coup à des chutes, comme un homme frappé d'un arrêt cardiaque, ou comme une marionnette dont les fils sont coupés, des crises d'épilepsie, des cris, etc., et pourtant un enfant dans les gradins n'arrête pas de pouffer de rire. C'est qu'il perçoit dans la gestuelle élastique du danseur-chorégraphe son passé de clown, qui allège considérablement le propos, et rend la pièce ma foi fort sympathique. Vers la fin, allongé au sol, il débite à toute vitesse un texte dont je ne me souviens plus du tout.

Noé Soulier - Le Royaume des Ombres

C'est aussi un solo, en 5 parties, dont le danseur-chorégraphe nous expose préalablement le contenu, habillé en t-shirt, short et chaussettes particulièrement triviales.
1/ Un abécédaire des mouvements de danse classique (arabesques, sauts, etc.). C'est surement plus drôle pour les personnes capables de reconnaitre les figures et tentant de deviner où on en est dans la progression alphabétique.
2/ Une séquence uniquement composée de "pas de préparations", ces mouvements intermédiaires permettant de passer d'une figure à une autre. Ca joue sur la frustration et l'ironie.
3/ Une séquence de "La Bayadère", mais où ne sont conservés que les pas de préparation. Cette fois, le corps se fige quand aurait du avoir lieu un vrai saut, une vraie pirouette, etc. Le décalage joue excellemment entre le ridicule de l'exercice, la banalité de la tenue vestimentaire, et la pureté classique du langage chorégraphique utilisé en détournement.
4/ La même séquence de "La Bayadère", mais cette fois avec tous les pas, mais mis dans le désordre. Cela permet d'admirer la technique du danseur.
5/ Pour la dernière séquence, il nous avait expliqué vouloir citer tous les ballets écrits au XIXème siècle. De fait, il enchaîne de courtes citations d'une vingtaine de pièces plus ou moins connues. Il les énonce d'abord, en esquissant les gestes, puis le danse. C'est virtuose, mais toujours d'une façon détachée.
Le tout donne un exercice de style, drôle, intellectuellement simulant, certainement plus riche pour les personnes qui connaissent bien le langage de la danse classique, qui donne à la fois l'impression d'un hommage et d'un atelier de réflexion autour de ce langage, et l'impression d'une presque parodie, d'un décalage ironique qui revivifie ce langage classique, et le fait passer d'une langue morte en un matériau fructueux.

Noé Soulier - D'un Pays Lointain

Une danseuse seule enchaîne des positions simples, qu'une voix off bientôt explicite comme des illustrations de mots : "effrayé", "embrasser", "lac", "tirer à l'arc", etc. Un danseur vient la rejoindre, la voix se dédouble. A la fin, ils sont 4, à rester sur place à coté les une des autres, en enchaînant les positions au rythme immuable des voix off décalées et superposées. C'est malheureusement un peu vide et répétitif. L'aspect pantomime de la danse, tout amateur de danse indienne le connait parfaitement. Et ici, l'idée n'est pas assez variée : le passage du solo au quatuor ,'apporte quasiment rien, si ce n'est des sortes de points d'orgue où des gestes très semblables sont effectués par tous au même moment. Des passages où mots et gestes ne correspondent plus, se décalent ou se répondent, sentent vite le procédé facile. Seul éveille mon attention une sorte de résumé de "La Belle au bois dormant". C'est trop long pour trop peu de matière.

Noé Soulier - Petites Perceptions

C'est dommage de présenter trois pièces de moins en moins intéressantes. Celle-ci se base sur une théorie développée par Leibnitz sur la perception globale d'un mouvement sans en percevoir les éléments séparés. En pratique, on a un trio, qui se lancent dans de courtes séquences explosives où bras et jambes s'agitent et se lancent dans tous les sens, séparées par des immobilités pleines du bruit des respirations; C'est pas vraiment esthétique à regarder, ni passionnant en tant qu'objet théorique, je ne comprends rien à ce qu'il veut démontrer, bref, je m'ennuie pas mal.

Ailleurs: Toutelaculture

samedi 10 septembre 2011

Hell's Kitchen / Rodolphe Burger & James Blood Ulmer (Cabaret Sauvage - 7 Septembre 2011)

C'est déjà mon dernier concert dans le cadre de "Jazz à la Villette 2011". Et ce n'est même pas vraiment du Jazz !

Hell's Kitchen

C'est bel et bien de Blues qu'il s'agit, mais joliment décalé. Dans ce trio suisse, nous avons un chanteur guitariste, Bernard Monney, à la voix éraillée et perçante, un contrebassiste Christophe Ryser, plutôt minimal, et un percussionniste, Cédric Taillefer, qui a agrémenté sa batterie d'éléments disparates, tambour de machine à laver ou diverses barres de métal. La couleur que prend la couche rythmique en devient assez urbaine, avec des accents industriels, et une belle complexité. Le guitariste joue assis, mais se lève de temps en temps pour danser et faire un peu de spectacle. Les chansons s'enchaînent dans des tempi assez variées, et ont souvent un aspect comme déglingué, dévié du modèle originel. Un show fort sympathique.

Hell's Kitchen

Rodolphe Burger & James Blood Ulmer

Et là, il n'y a plus rien de déglingué, au contraire. Batteur, bassiste, et orgue, créent un arrière-plan particulièrement solide, carré, et manquant quelque peu de fantaisie. Mais ils ne sont là que pour fournir le décor qu'investissent les deux héros guitaristes et chanteurs. Le premier morceau sera le plus déchainé, avec des guitares mugissantes ou vrombissantes, dans la rage ou dans la plainte. On a ensuite un partage : à James Blood Ulmer les morceaux les plus rapides, à Rodolphe Burger les plus planants. De légers problèmes techniques émaillent la soirée (la voix si grave de Burger qui sature, la guitare de Blood Ulmer qui tombe en panne ...), mais l'ambiance demeure, une belle union entre ces deux-là et le public, qui se laisse emporter avec plaisir.

Rodolphe Burger & James Blood Ulmer

Ailleurs: Le Hamster et la Frite, Toute la Culture
Spotify: Hell's Kitchen – Doctor's Oven, James Blood Ulmer & Rodolphe Burger – Guitar Music, Rodolphe Burger – Valley Session

mardi 6 septembre 2011

Yaron Herman / Abdullah Ibrahim Trio (Cité de la Musique - 2 Septembre 2011)

Je retrouve avec plaisir le confort de la salle de concert de la Cité. Nouveauté de cette année : ils ont refait le bar !

Yaron Herman - solo

Cela commence par une mélodie, qui prend rapidement un bel essor, avant de se métamorphoser encore et encore, au gré des idées fort nombreuses qu'il applique avec virtuosité. Différents climats s'enchaînent avec un grand naturel, le cerveau ayant comme de l'avance sur les mains, ce qui lui permet de fignoler les transitions. Il est surtout question de vélocité, d'énergie, de course parfois effrénée, mais toujours soutenue par des arches mélodiques ou des systèmes modaux (ce n'est pas du Free Jazz). Après ce long premier morceau en forme de patchwork, les suivants sont plus classiquement brodés autour d'un thème dérivé d'un standard ou d'une composition personnelle, mais dont seules des bribes restent, au milieu d'envolées furieuses ou de dérivations songeuses. Il profite aussi du beau piano pour l'utiliser en percussion, et pour jouer un peu dans les cordes. La beauté semble souvent un peu masquée par la technique assez ébouriffante, mais elle est là, affleurante, à nous de la capter. Au final, sur "Hallelujah", l'émotion est plus facile, peut-être un peu trop, je préfère un morceau précédent, inspiré par Radiohead.

Yaron Herman

Abdullah Ibrahim Trio

Changement radical d'atmosphère. Abdullah Ibrahim n'a plus rien à prouver, ni au public, ni à lui-même. Il joue, avec cette simplicité qu'il faut des décennies pour acquérir. Ces compagnons, Belden Bullock à la contrebasse et George Gray à la batterie, sont sur la même longeur d'onde. Le temps en est suspendu, une bulle onirique où chaque note brille avec une sereine évidence. Les morceaux sont enchainés en de longues suites. A force, la couleur devient un peu trop monolithique, et au lieu d'avoir l'impression de partager une musique intime, j'ai vers la fin plus celle d'assister à une leçon, magistrale soit, mais un peu trop distanciée.

Abdullah Ibrahim Trio

Ce concert était diffusé en direct par France Musique, et peut être réécouté pendant un mois.

Ailleurs: Dernières Nouvelles du Jazz
Spotify: Yaron Herman – Variations, Abdullah Ibrahim – African Magic

lundi 5 septembre 2011

Mulatu Astatke / Cinematic Orchestra (Grande Halle de la Villette - 1 Septembre 2011)

Pour commencer cette année en douceur, voici un concert plutôt tranquille donné à la Grande Halle, dont les bancs ont été remplacés par des sièges du genre stade de foot, relativement confortable quoique un peu serrés.

Mulatu Astatke

De "Broken Flowers" je me rappelle plus les mines de Bill Murray que de la BO. C'est pourtant ce film qui a fait connaître à un certain public ce vétéran fondateur du Jazz éthiopien. Les rythmes sont plutôt mid-tempo et langoureusement élastiques, maintenus avec maestria par le contrebassiste Neil Charles, que viennent soutenir le batteur David De Rosen et le percussionniste Richard Olatunde Baker, sans oublier Mulatu Astatke lui-même, parfois aux congas mais essentiellement au vibraphone, où il essaime des ponctuations de couleurs flottantes, ou se promène armé de trois marteaux, le long de solos nonchalants et chantants. Aux cotés du trompettiste Byron Wallen, du saxophoniste James Arben et du pianiste Alexander Hawkins, on remarque la présence plus étonnante d'un violoncelliste, Danny Keane. Tout cela permet des étalages et des mixages de matières et de couleurs fort agréables. Que plus de la moitié des musiciens soient blancs montre aussi que l'authenticité musicale n'a rien à voir avec la couleur de la peau. Je me surprends finalement à reconnaître certains airs, sans doute passés sur Nova. Vers la fin du concert, les tempi accélèrent, les solos se font plus enflammés. L'heure tourne, ils ne respectent guère l'horaire de "première partie", mais c'est qu'ils étaient initialement prévus en "deuxième partie", et personne ne se plaint qu'ils fassent du rab.

Mulatu Astatké

Cette partie a été enregistrée par Arte et est donc disponible sur ArteLiveWeb.

Cinematic Orchestra

Alors, comment passe sur scène ce groupe aux disques si finement travaillés en studio ? Comme ci comme ça. Dans les déceptions, il y a des tentatives d'allonger les morceaux, mais au prix d'articulations qui sonnent artificielles, des relances comme forcées pour placer des solos. On "voit" bien sur beaucoup mieux comment Jason Swinscoe contrôle ses musiciens depuis ses machines électroniques et claviers d'ordinateur, lançant des boucles, indiquant les départs et parfois les arrêts des interventions. Mais cela reste un peu froid. Ca s'améliore quand la chanteuse Heidi Vogel peut profiter de vrais textes, qu'elle balance avec une conviction suffisante pour faire oublier Fontella Bass. Par contre, dans les parties uniquement vocalisantes, elle en fait un peu des tonnes, catégorie chanteuse exotique à voix. Dernière petite déception : Richard Spaven, par ailleurs brillant, n'est pas, dans "Flite", à la hauteur de l'album. Mais il y a quand même de grands moments : quelques minutes où ils s'adonnent à du Free Jazz bien pêchu, un passage presque trance techno, et une version impeccable de "Man with a Movie Camera".

Cinematic Orchestra Cinematic Orchestra

Ailleurs: bazarmusikal
Spotify : Mulatu Astatke – Mulatu Steps Ahead, The Cinematic Orchestra – Every Day, The Cinematic Orchestra – LIVE at The Royal Albert Hall

jeudi 25 août 2011

Planning Septembre - Octobre 2011

Cette année, je vais écrire ce billet de planning avant le commencement des réjouissances !

dimanche 10 juillet 2011

Pina Bausch - Como el musguito en la piedra, ay si, si, si (Théâtre de la Ville - 3 Juillet 2011)

Voici donc la dernière création de Pina Bausch, décédée quelques semaines après. Mais ni cette triste circonstance particulière, ni le film de Wenders qui a initié un nouveau public à son art, ne modifient le fait que ce spectacle est dans le droit-fil de ceux créés par le Tanztheater Wuppertal depuis une bonne dizaine d'années, au point que relisant mes chroniques précédentes, il me semble que je pourrais presque intégralement rédiger celle-ci par des copiés/collés.

Ainsi, la troupe continue de rajeunir, par départ des plus anciens (ces absences se remarquent plus facilement que l'arrivée de petits nouveaux - les "diseuses de nom" Regina Advento ou Nazareth Panadero ne sont pas là par exemple). Et cela continue d'engendrer une énergie plus positive (Fernando Suels Mendoza s'imposant cette fois brillamment dans ce rôle, charisme, humour, générateur de confraternité et d'enthousiasme), et de diminuer les prises de tête sur les rapports de couple (une danseuse nous explique qu'en ce moment, elle apprend simplement à profiter du temps présent, ni passé, ni futur, et qu'elle aime beaucoup ça). L'exception la plus notable reste Dominique Mercy, qui peut simplement traverser la scène gravement chargé de l'historique de la troupe, puis s'élancer dans une danse de fantôme lunaire fragile comme une plume.
Le décor est de plus en plus minimal. Cette fois, on peut croire à son absence même, puisqu'il se présente comme un simple plateau nu et blanc. Mais ce sol est en fait constitué de plaques qui peuvent légèrement s'écarter, créant par moments un réseau de failles que les pieds doivent alors franchir. Souvenir de paysage desséché. Moins d'objets, aussi, un seul oreiller pour une nuit agitée de cauchemars d'une danseuse, quelques branchages pour s'embrasser à travers, pour soulever les cheveux en nettoyant le sol, ou à transporter dans un sac à dos. Et peu d'eau. Quelques bouteilles, renversées sur un visage qui se maquille sous l'inondation, quelques verres offerts et bus dans des positions extravagantes.
Le pays visité inspire quelques scènes. Cette année, c'est le Chili. Le livret explique que la première scène évoque les tortures (une femme à quatre pattes crie quand deux hommes la soulèvent pour la transporter d'un point à un autre - mais ces deux bourreaux sont trop déférents et comme attentionnés pour que je saisisse l'allusion tout seul), une nuit à regarder la constellation du poisson illustre les sites d'observation astronomiques. D'autres scènes peuvent faire échos à la vie observée, au Chili ou ailleurs, dont quelques flashs remarquablement montés, tranches de vie résumées en 30 secondes comme des sketches de films muets, enchainés à toute vitesse. D'autres conservent leur mystère, comme cette femme attachée à une corde qui tente de s'échapper tandis qu'un homme passe en s'accrochant à une autre corde ; on est parfois proche du surréalisme. Une femme veut aussi apprendre à marcher à son poisson rouge, mais c'est pas nouveau.

La plus grande nouveauté, c'est le retour des chorégraphies de groupe. On a bien moins l'impression d'une suite de solos. Duos, trios, et même donc des moments où tous dansent ensemble, corps alignés se caressant la tête les uns des autres et s'inclinant tel un seul long corps selon les impulsions donnés par Mercy, ou tous tournoyant, elles dans leurs habituelles splendides robes et balançant leurs amples chevelures (même si ce n'est pas de la hairography), eux dans leurs habituels tristes costumes. Il y a aussi beaucoup d'objets lancés par les hommes que les femmes essaient de rattraper (dont des bouchons, le Chili est aussi un pays viticole).
Avec une bande son aussi contrastée que d'habitude, et un rythme mieux maitrisé que parfois (la fin reprend en sens inverse les scènes initiales, mais d'une façon résumée qui fonctionne bien : certaines années précédentes, c'est toute la deuxième partie qui semblait une redite quelque peu assommante des idées de la première partie), ce spectacle passe bien dans sa durée. Il en reste une jolie moisson d'images et d'émotions.

la troupe du tanztheater wuppertal

Ailleurs: Palpatine, Amélie, Main tenant.
Spotify: Bande son très diverse, donc. Genre mélange de Amon Tobin – Supermodified, The Balanescu Quartet – Angels & Insects, Violeta Parra – Canciones reencontradas en París

vendredi 1 juillet 2011

Arnold Schönberg - Gurre-Lieder (Salle Pleyel - 25 Juin 2011)

Dernier concert programmé de l'année - et pas des moindres ! L'effectif orchestral démesuré impressionne (11 contrebasses d'un coté, 4 harpes de l'autre, 25 cuivres et 25 bois, etc.). Mais Marc Albrecht garde bien le contrôle sur la puissance de son orchestre philarmonique de Strasbourg, qui jamais ne saturera la salle Pleyel. La partition de Schoenberg y est aussi pour beaucoup, qui utilise cette profusion d'instrumentistes pour varier les effets et les textures, dans une extension du grand style wagnérien. Cette influence est particulièrement manifeste dans la première partie, grand duo d'amour entre le roi Waldemar et sa jeune maitresse Tove. Les deuxièmes et troisièmes parties accélèrent les ruptures de ton, accentuent le tragique, le lugubre, ajoutent du grotesque, des choeurs, et du parlé-chanté.
Il est difficile d'apprécier la prestation de l'orchestre, en absence de comparaison, pour une pièce qui n'est donnée que tous les 10 ans à Paris, et qui ne rend sur disque qu'une faible part de la splendeur largement déployée ici.
Coté voix, il y a du bon, et du moins bon. Le pire, c'est le parlé-chanté, avec voix très mal amplifiée, qui démarre métallique et irréelle, et qui va trop vite, Barbara Sukowa me donne l'impression d'un mauvais exercice de rap, qui me repousse très loin de toute émotion. Les deux voix principales, Ricarda Merbeth en Tove, remplaçante, et Lance Ryan, en Waldemar, sont passables, sans plus, souvent couverts par l'orchestre, et je n'aime pas le timbre de Ryan. Les seconds rôles sont bien meilleurs, Albert Dohmen en paysan effrayé, et Arnold Bezuyen en bouffon sardonique, des rôles à effets, où ils plongent avec gourmandise. Et enfin, le sublime est atteint par Anna Larsson, en colombe des bois, somptueuse, se jouant de la puissance orchestrale, une évidence et une émotion exceptionnelles.
Une longue ovation salue l'ensemble des protagonistes, Anna Larsson et Marc Albrecht en particulier, qui le méritent bien, pour cette pièce énorme, rare, et un peu orpheline, tant Schoenberg partira, pendant même son écriture, sur d'autres pistes, qui elles nourriront si profondément le siècle naissant (ça fait longtemps que je n'ai pas entendu le Pierrot Lunaire, tiens ...).

Dommage que le spectacle n'ait pas été enregistré, quand même (ni par Arte Live Web, ni par France Musiques !).

gurre lieder

Ailleurs: Palpatine, Corley, Musica Sola (en attendant d'autres encore plus en retard que moi ...)
Spotify: Gurre-Lieder, en version B.B.C. Symphony Orchestra - Pierre Boulez, Wiener Philharmoniker - Claudio Abbado, ou historique 1953 Paris New Symphony Society - René Leibowitz.

samedi 25 juin 2011

Fête de la musique "Bee Jazz" (Théâtre du Châtelet - 21 Juin 2011)

Le label Bee Jazz organise au Châtelet cette soirée où se succèdent trois formations, piano solo, duo piano saxophone, trio piano basse batterie. C'est bien sur l'occasion de faire un peu de promotion pour leurs albums récents, surtout pour "Aéroplanes" de Hoang et Delbecq, que Bee Jazz pousse en avant assez agressivement. Pas mal d'invités dans le foyer du théâtre ne semblent venus que pour eux ...

Guillaume de Chassy


soirée bee jazz

Pour lutter contre la morosité, explique-t-il, le pianiste décide de nous offrir un bouquet de chansons. Les sources sont très diverses : folklore hongrois, Charles Trenet, Neil Young, du Prokofiev ... Les thèmes sont développés avec une grande assurance, et l'exploration mélodique des thèmes bénéficie de son sens de la construction, très solidement charpentée (les surprises rythmiques sont du coup rares). J'ai particulièrement aimé le traitement de "Like a Hurricane", avec une tension grandissante, par une saturation harmonique puissante, pédale de droite enfoncée, jusqu'à créer une chambre d'échos impressionnante, au milieu de laquelle il reprend la mélodie à nue, très bel effet de contraste. Jolie idée aussi pour le Charles Trenet, de ne donner la mélodie qu'à la fin, après avoir longuement cheminé loin du thème.

Antoni-Tri Hoang / Benoît Delbecq


soirée bee jazz

On change de registre avec ce duo, à la musique plus aventureuse, plus fragile, qui me convainc plus sur leur disque que lors du concert. Delbecq prépare un peu le piano, puis reste toujours comme en arrière-plan (mais c'est je crois son style, il accole son univers original à celui de ses camarades de jeu, comme pour ne pas s'imposer). Hoang joue doucement, se lance dans ses compositions aux équilibres subtils, alterne entre saxophone alto et clarinette basse. Improviser avec un matériel si délicat et peu conventionnel, demandera peut-être un peu plus de temps à ces deux musiciens pour que ça fonctionne vraiment (ou à moi de me familiariser plus avec leur musique, le CD est là pour ça). Mais ce soir, moi, ça ne m'a pas emporté comme je l'aurais espéré.

Edwin Berg / Eric Surmenian / Fred Jeanne


soirée bee jazz

Et pour finir, un trio à l'esthétique très inspirée des premiers trios de Bill Evans, que ce soit chez le batteur Fred Jeanne, finement coloriste, chez le pianiste Edwin Berg, sensible et frissonnant, jusqu'à son attitude corporelle de romantique torturé par les affres de la création, ou le contrebassiste Eric Surmenian, qui m'a fortement impressionné, touche délicate, solos poétiques, émotion à fleur de cordes, non pas en simple héritage plaqué de Scott LaFaro mais intégré dans son son personnel, superbe découverte.

dimanche 19 juin 2011

EIC + Neue Vocalsolisten Stuttgart (Cité de la Musique - 17 Juin 2011)

Troisième concert de suite à la Cité, mais celui-ci était prévu au programme ! Inscrit dans la Biennale d'Art Vocal, il comportera une pièce purement vocale, puis une pièce purement instrumentale, puis une pièce mixte.

Ivan Fedele - Animus Anima II

Les 7 chanteurs et chanteuses commencent par des bruits vocaux puis lancent des mots en italien, difficile de ne pas penser à Berio. Mais il y a quelque-chose de plus structuré dans cette pièce de Fedele, qui coupe ses 20 minutes en 4 parties, et sans vraiment ennuyer, ne passionne pas non plus.

Johannes Maria Staud - Par ici !

Deuxième pièce que j'entends de ce jeune compositeur autrichien, et j'aime beaucoup. Si elle ne dure que 8 minutes, elle me semble particulièrement dense en événements, et réussit à caser dans cette période beaucoup d'excellente musique, avec une bonne dramaturgie, un début en aplat ("la mer des Ténèbres" des vers du "Voyage" de Baudelaire qui sert de thème ?), une fin en appel vif ("Par ici ! Vous qui voulez manger le Lotus parfumé !" ?). Le livret insiste sur le rôle du piano où un dispositif Ircam ajoute des quarts de tons mouvants. Comme d'habitude, j'absorbe cette micro-tonalité sans même m'en rendre compte !
Cette pièce est un travail préparatoire à une mise en musique de tout le poème "Le Voyage" de Baudelaire, que j'attends maintenant avec gourmandise !

johannes maria staud

Bruno Mantovani - Cantate n°1

C'est le gros morceau du concert, plus de 40 minutes de musique pour 6 musiciens et 7 chanteurs et chanteuses, autour d'une dizaine de poèmes de Rilke. Les variations dans le traitement vocal (plus prononcées que pour son dernier opéra !), les fins arrangements instrumentaux, qui renouent avec les alliages étranges qui sont l'une des forces de Mantovani (même avec si peu d'instruments, il crée des mixtures genre alto / clarinette, comme si chacun s'approchait du son de l'autre par la technique de jeu, le résultat est plusieurs fois très troublant et beau), les interludes entre les poèmes souvent très sobres, donnent à cette cantate une force maintenue sur la longueur.
Dans le livret, Mantovani s'inquiétait de donner un "n°1" en titre si jamais ne venait un "n°2", mais en fait, il y a déjà désormais une "cantate n°2".

bruno mantovani

Spotify: Johannes Maria Staud – Tempo rubato, Bruno Mantovani: Concerto pour deux altos, Time Stretch & Finale, Ivan Fedele: Mixtim

Matteo Cesari - Autour de Ferneyhough et des mythes grecs (Cité de la Musique - 16 Juin 2011)

Dans l'amphithéâtre est donnée une série de concerts gratuits présentant de jeunes solistes du conservatoire voisin, qui aurait mérité un peu plus de publicité ! Je tombe sur ce concert totalement par hasard, en découvrant un dépliant de présentation lors du concert de la veille, où j'étais déjà par le hasard d'une invitation de dernière minute.
Bref, c'est devant une salle bien trop peu pleine que se produit le flûtiste Matteo Cesari, accompagné par le pianiste Fuminori Tanada.

Brian Ferneyhough - Cassandra's dream Song

Cette pièce, réputée injouable encore dans les années 70', est maintenant au programme des élèves de conservatoire qui veulent interpréter du contemporain ... Ce pourrait être un simple étalage de techniques hallucinantes, genre jouer plusieurs notes à la fois tout en utilisant les clés comme éléments de percussion, mais c'est aussi une atmosphère légèrement cauchemardesque, une nuit fiévreuse traversée de visions inquiétantes. Cesari accentue il me semble cet aspect onirique, qui sera présent sur plusieurs pièces. La mise en scène y contribue, qui plonge la salle et la scène dans presque l'obscurité, lui éclairé par l'écran d'une tablette informatique où défile la partition.

Giacinto Scelsi - Krishna et Rada

Je ne sais pas très bien pourquoi la soirée est intitulée "autour des mythes grecs", on en est ici assez loin quand même ... Cette pièce est assez différente du Scelsi que je connais, c'est en fait du Scelsi tardif (écrite en 1986). Le piano y est très classique, déroulant lentement une mélodie à la limite du post-romantisme. La flûte s'inscrit par incises, en-dessous ou au-dessus de cette mélodie. Le livret n'indique rien sur les oeuvres, j'apprends en fouillant un peu qu'il s'agit d'une improvisation de Giacinto Scelsi lui-même au piano et du flûtiste Carin Levine.

Brian Ferneyhough - Sisyphus Redux

"Comprendre" une pièce de Ferneyhough à la première écoute serait un peu présomptueux. J'entends un retour périodique, du temps qui tourne en rond, je suppose, par le titre, qu'il y a une suite de variations qui échouent à nous entrainer ailleurs et retombent donc au même point de départ. En tous cas, c'est moins agressif techniquement que "Cassandra Dream's Song" ou "Unity Capsule". Qu'il s'agisse ici de la "création française" montre que Cesari n'est pas vraiment un simple élève de conservatoire ...

Salvatore Sciarrino - D'un faune

Pas beaucoup de souvenirs. Cesari passe à une flute alto (entre la traditionnelle traversière et la basse). Ca commence par des grognements et feulements. On y voit une jungle et des jeux de lumière. On y entend des échos de Debussy. Mais je ne sais plus du tout ce que joue le piano.

Brian Ferneyhough - Mnemosyne

Pour flûte basse et avec bande magnétique. Donnée ici isolément, elle ne donne pas l'apaisement qu'elle procure en fin du cycle "Carceri d'invenzione", mais l'atmosphère onirique joue à plein, dans les vrombissements mystérieux de la flûte basse.

Jonathan Harvey - Nataraja

Encore un mythe pas vraiment grec ! Ce n'est pas la première fois qu'une partition de Harvey me laisse totalement indifférent, pour me plaire plus tard après quelques écoutes. L'atmosphère n'est plus du tout onirique, normal pour ce "seigneur de la danse", mais offre une alternance entre flûte et piccolo, des rythmes acides, des sonorités aigües frôlant la stridence. Peut-être le contraste avec la pièce précédente était-il trop rude sans préparation.

matteo cesari, fuminori tanada

Spotify: Carin Levine – Flutes Without Borders, Giacinto Scelsi – Complete Works for Flute and Clarinet, Jonathan Harvey: Works for flute and piano

Il Giardino Armonico - Bach et l'Italie (Cité de la Musique - 15 Juin 2011)

Arcangelo Corelli - Concerto grosso n°4 op. 6

Ce soir le Giardino Armonico ne comporte que des cordes (y compris un théorbe et un clavecin). Le chef Giovanni Antonini agite largement les bras, surtout quand il s'agit de ralentir. Par rapport à la première fois que je les avais vus, il y a une quinzaine d'années (époque de leur "4 saisons" si spectaculaire), ils se sont bien assagis. Au point de sous-dramatiser l'adagio de ce concerto grosso. Mais belles couleurs, ensoleillées à travers une légère brume.

Francesco Bartolomeo Conti - Cantate "Languet anima mea"

Entrée en scène de Roberta Invernizzi. Sa voix flotte un peu au début, puis s'affirme. Dans cette cantate arrangée par Bach, c'est la deuxième aria que je préfère, où la soprano dialogue avec un violon affable et sereinement mélancolique. P retrouve dans toute cette première partie une atmosphère très vénitienne.

Giuseppe Torelli - Concerto en ré mineur

Pas de souvenirs.

Johann Sebastian Bach - Psaume 51 "Tilge, Höchster, meine Sünden"

Cette adaptation par Bach du "Stabat Mater" de Pergolèse, qui en change le texte pour utiliser le psaume 51 (le livret explique qu'on parle alors de "contrafactum"), est bien évidemment le sommet de ce concert. Mais le fait que je connaisse pas le "Stabat Mater" me prive d'une clé d'appréciation importante. J'apprécie les échanges entre les deux sopranos Bernarda Fink et Roberta Invernizzi, reconnaît quand même les airs les plus célèbres, mais j'ai du mal à trouver l'unité de l'oeuvre, je la perçois comme une suite d'épisodes parfois un peu trop disparates pour être pris dans l'émotion.
Le public emballé réclame un bis et obtient une redite de l'extatique "amen" final.

giardino armonico

Spotify: Arcangelo Corelli : Concerti Grossi, Op. 6, Nos. 1-6, Balthasar-Neumann-Chor – Aus Der Notenbibliothek Von Johann Sebastian Bach Vol. I, Johann Sebastian Bach – Psalm 51 Cantatas 82

dimanche 12 juin 2011

Anne Paceo Quintet (Péniche Anako - 9 Juin 2011)

Depuis quelques mois, Anne Paceo a un nouveau groupe, un quintet, où elle compose tous les morceaux. Mais comme pour son trio Triphase, elle cherche un équilibre et un partage entre tous les musiciens, sans se mettre particulièrement en avant. Et de fait, ce quintet est splendide d'équilibre, parfois délicat, un assemblage subtil de duos entrecroisés.
C'est leur troisième concert, annonce-t-elle en préambule. Et il commence fortement en retard, Stéphane Kerecky arrivant sur les lieux après l'heure théorique de début. Les derniers ajustements de positionnement et de balance se feront donc lors des premiers morceaux. De plus, la petite scène de cette péniche où Anne Paceo tient une résidence mensuelle depuis le début de l'année ne pouvant contenir de piano, Leonardo Montana a opté pour un Fender Rhodes, ce qui impose un réglage fin pour ne pas empiéter sur le territoire de la contrebasse.

anne paceo quintet à la péniche anako

Et pourtant, la magie opère rapidement, dès la première chanson "Schwedagon" (une vidéo en a été enregistrée en Février). On y sent le plaisir que prend Anne Paceo à jouer sa musique, et qui irradie toujours aussi magnifiquement de son visage (à l'opposé de Kerecky qui restera comme crispé et fermé pendant une bonne partie du concert). On y entend l'excellent niveau des musiciens, autant les aguerris comme le guitariste Pierre Perchaud ou Stéphane Kerecky, ou les petits nouveaux comme Antonin-Tri Hoang, que je découvre et qui m'estomaque, par son assurance et sa grâce, sa manière de construire des solos comme des numéros de danse dans un escalier (montées et descentes à la limite de l'acrobatique mais en restant d'une grande musicalité, toute en virtuosité rythmique et subtilité harmonique).
Mais au-delà des solos, ce que je préfère sont leurs duos. Les échanges de Perchaud et Hoang, de Perchaud et Montana, de Montana et Kerecky, sont pleins d'un sentiment d'écoute, de respect, d'équilibre à trouver entre des sonorités parfois proches. C'est une musique qui respire, et qui emporte, dans de grands voyages où en entend parfois une patte Henri Texier, et à d'autres des souvenirs de pays lointains.
Si elle s'impose dans ce groupe comme une compositrice très attachante, elle reste aussi une batteuse. Dans ce rôle, elle se montre à la fois discrète et pleine d'énergie, une position assez paradoxale, où elle n'empiète pas sur les autres musiciens, mais où il suffit de l'écouter plus attentivement pour se rendre compte de la densité de son jeu, en plusieurs couches, joyeux et fluide.

anne paceo quintet à la péniche anako

Sur la page dédiée à ce quintet, on peut écouter quelques morceaux, en démo ou en live. Je mesure les progrès faits en quelques mois. Encore un peu de rodage, et ce sera un très grand groupe.
Pour le dernier morceau, Gueorgui Kornazov, venu avec quelques exemplaires de son nouveau CD, vient sur scène pour rugir férocement sur "Toutes les fées étaient là". Et Antonin-Tri Hoang lui répond sur le même registre, on peut ajouter la capacité d'adaptation aux cartes nombreuses de ce jeune homme ! (qui a par ailleurs rédigé un très intéressant mémoire sur "Finir la musique", disponible sur son éphémère blogue).

Spotify: Pierre Perchaud – Par quatre chemins, John Taylor Stéphane Kerecky – Patience