mercredi 9 février 2011

Anne Teresa de Keersmaeker - En Atendant (Théâtre de la Ville - 6 Février 2011)

Au début était le souffle. Celui d'un flûtiste, Michael Schmid. Il se place au devant de la scène, approche l'embouchure de son instrument de son nez, un son fragile et comme irrésistible, puis de la bouche, et entame une note, une seule, grave. Et la maintient, pendant 10 minutes, par une plus qu'impressionnante technique de souffle continu, en la faisant très lentement monter vers l'aigu. De ma place au troisième rang, je profite de tous les bruits qui rythment cette épopée minimaliste, les prises d'air par le nez en petits coups de plus en plus rapides, puis l'expiration qui bruite le son de la flûte d'harmoniques ronronnantes puis sifflantes. Enfin, parvenu au bout du voyage, il laisse échapper son bras, et pousse un vigoureux et libérateur soupir.
Arrive alors sur scène une chanteuse, qui a capella déroule le vieux français d'un poème sur l'attente subie comme une épreuve acceptée.
Et enfin, les huit danseurs et danseuses, parfois, mais rarement, accompagnés de trois musiciens jouant de l'ars subtilior, cette musique extrêmement savante de la fin du Moyen-Age.

On pourrait croire que les croisements en ligne droite ont remplacé les vastes cercles d'antan, chez Rosas. Mais ces simples marches d'un bord à l'autre du plateau ne sont sans doute pas si anodines. Leurs décompositions rythmiques en semblent bien complexes, en suspensions, reprises, accélérations, cela ne m'étonnerait pas qu'il s'agisse d'une transcription en pas d'une musique non jouée, comme une "musique fictive".
Cette complexité se retrouve aussi dans les séquences chorégraphiques pour groupes, qui s'agrègent en magma rempli de lignes de force, qui me fait plusieurs fois penser aux corps éparpillés d'un radeau de la Méduse.
Mais le moment le plus fort est dans un solo masculin, je suppose par Bostjan Antoncic, d'une vigueur, d'une subtilité, d'une âpreté magnifique, qui me sidère et me laisse pantelant. Plus beau solo masculin depuis le Néfes de Bausch en 2004 ...

A part ça, le décor nu (à part une bande de terre qui sera plus ou moins fougueusement balayée par les pieds la traversant et volera vers les premiers rangs, obligeant une petite fille juste à mauvaise hauteur de se protéger des projections en se réfugiant sous le manteau de sa maman ...), l'éclairage qui consiste en une simple rangée de lumières qui vers la fin s'éteignent l'une après l'autre, ne parviennent pas à recréer la magie du plein air et du soir qui descend sur un lieu bien choisi. Il y a des jeux sur les vêtements (et un homme nu dans la pénombre presque finale) que je n'ai guère compris. Et des longueurs, même si rien de rédhibitoire.
Etrangement, des critiques relevaient l'émotion de la pièce, une sensation d'humanité naissante, alors que m'a surtout frappé la subtilité des figures, et l'impression d'être dépassé par l'intelligence de la chorégraphie, ce qui convient bien à un hommage à l'ars subtilior ...

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