dimanche 10 juillet 2011

Pina Bausch - Como el musguito en la piedra, ay si, si, si (Théâtre de la Ville - 3 Juillet 2011)

Voici donc la dernière création de Pina Bausch, décédée quelques semaines après. Mais ni cette triste circonstance particulière, ni le film de Wenders qui a initié un nouveau public à son art, ne modifient le fait que ce spectacle est dans le droit-fil de ceux créés par le Tanztheater Wuppertal depuis une bonne dizaine d'années, au point que relisant mes chroniques précédentes, il me semble que je pourrais presque intégralement rédiger celle-ci par des copiés/collés.

Ainsi, la troupe continue de rajeunir, par départ des plus anciens (ces absences se remarquent plus facilement que l'arrivée de petits nouveaux - les "diseuses de nom" Regina Advento ou Nazareth Panadero ne sont pas là par exemple). Et cela continue d'engendrer une énergie plus positive (Fernando Suels Mendoza s'imposant cette fois brillamment dans ce rôle, charisme, humour, générateur de confraternité et d'enthousiasme), et de diminuer les prises de tête sur les rapports de couple (une danseuse nous explique qu'en ce moment, elle apprend simplement à profiter du temps présent, ni passé, ni futur, et qu'elle aime beaucoup ça). L'exception la plus notable reste Dominique Mercy, qui peut simplement traverser la scène gravement chargé de l'historique de la troupe, puis s'élancer dans une danse de fantôme lunaire fragile comme une plume.
Le décor est de plus en plus minimal. Cette fois, on peut croire à son absence même, puisqu'il se présente comme un simple plateau nu et blanc. Mais ce sol est en fait constitué de plaques qui peuvent légèrement s'écarter, créant par moments un réseau de failles que les pieds doivent alors franchir. Souvenir de paysage desséché. Moins d'objets, aussi, un seul oreiller pour une nuit agitée de cauchemars d'une danseuse, quelques branchages pour s'embrasser à travers, pour soulever les cheveux en nettoyant le sol, ou à transporter dans un sac à dos. Et peu d'eau. Quelques bouteilles, renversées sur un visage qui se maquille sous l'inondation, quelques verres offerts et bus dans des positions extravagantes.
Le pays visité inspire quelques scènes. Cette année, c'est le Chili. Le livret explique que la première scène évoque les tortures (une femme à quatre pattes crie quand deux hommes la soulèvent pour la transporter d'un point à un autre - mais ces deux bourreaux sont trop déférents et comme attentionnés pour que je saisisse l'allusion tout seul), une nuit à regarder la constellation du poisson illustre les sites d'observation astronomiques. D'autres scènes peuvent faire échos à la vie observée, au Chili ou ailleurs, dont quelques flashs remarquablement montés, tranches de vie résumées en 30 secondes comme des sketches de films muets, enchainés à toute vitesse. D'autres conservent leur mystère, comme cette femme attachée à une corde qui tente de s'échapper tandis qu'un homme passe en s'accrochant à une autre corde ; on est parfois proche du surréalisme. Une femme veut aussi apprendre à marcher à son poisson rouge, mais c'est pas nouveau.

La plus grande nouveauté, c'est le retour des chorégraphies de groupe. On a bien moins l'impression d'une suite de solos. Duos, trios, et même donc des moments où tous dansent ensemble, corps alignés se caressant la tête les uns des autres et s'inclinant tel un seul long corps selon les impulsions donnés par Mercy, ou tous tournoyant, elles dans leurs habituelles splendides robes et balançant leurs amples chevelures (même si ce n'est pas de la hairography), eux dans leurs habituels tristes costumes. Il y a aussi beaucoup d'objets lancés par les hommes que les femmes essaient de rattraper (dont des bouchons, le Chili est aussi un pays viticole).
Avec une bande son aussi contrastée que d'habitude, et un rythme mieux maitrisé que parfois (la fin reprend en sens inverse les scènes initiales, mais d'une façon résumée qui fonctionne bien : certaines années précédentes, c'est toute la deuxième partie qui semblait une redite quelque peu assommante des idées de la première partie), ce spectacle passe bien dans sa durée. Il en reste une jolie moisson d'images et d'émotions.

la troupe du tanztheater wuppertal

Ailleurs: Palpatine, Amélie, Main tenant.
Spotify: Bande son très diverse, donc. Genre mélange de Amon Tobin – Supermodified, The Balanescu Quartet – Angels & Insects, Violeta Parra – Canciones reencontradas en París

vendredi 1 juillet 2011

Arnold Schönberg - Gurre-Lieder (Salle Pleyel - 25 Juin 2011)

Dernier concert programmé de l'année - et pas des moindres ! L'effectif orchestral démesuré impressionne (11 contrebasses d'un coté, 4 harpes de l'autre, 25 cuivres et 25 bois, etc.). Mais Marc Albrecht garde bien le contrôle sur la puissance de son orchestre philarmonique de Strasbourg, qui jamais ne saturera la salle Pleyel. La partition de Schoenberg y est aussi pour beaucoup, qui utilise cette profusion d'instrumentistes pour varier les effets et les textures, dans une extension du grand style wagnérien. Cette influence est particulièrement manifeste dans la première partie, grand duo d'amour entre le roi Waldemar et sa jeune maitresse Tove. Les deuxièmes et troisièmes parties accélèrent les ruptures de ton, accentuent le tragique, le lugubre, ajoutent du grotesque, des choeurs, et du parlé-chanté.
Il est difficile d'apprécier la prestation de l'orchestre, en absence de comparaison, pour une pièce qui n'est donnée que tous les 10 ans à Paris, et qui ne rend sur disque qu'une faible part de la splendeur largement déployée ici.
Coté voix, il y a du bon, et du moins bon. Le pire, c'est le parlé-chanté, avec voix très mal amplifiée, qui démarre métallique et irréelle, et qui va trop vite, Barbara Sukowa me donne l'impression d'un mauvais exercice de rap, qui me repousse très loin de toute émotion. Les deux voix principales, Ricarda Merbeth en Tove, remplaçante, et Lance Ryan, en Waldemar, sont passables, sans plus, souvent couverts par l'orchestre, et je n'aime pas le timbre de Ryan. Les seconds rôles sont bien meilleurs, Albert Dohmen en paysan effrayé, et Arnold Bezuyen en bouffon sardonique, des rôles à effets, où ils plongent avec gourmandise. Et enfin, le sublime est atteint par Anna Larsson, en colombe des bois, somptueuse, se jouant de la puissance orchestrale, une évidence et une émotion exceptionnelles.
Une longue ovation salue l'ensemble des protagonistes, Anna Larsson et Marc Albrecht en particulier, qui le méritent bien, pour cette pièce énorme, rare, et un peu orpheline, tant Schoenberg partira, pendant même son écriture, sur d'autres pistes, qui elles nourriront si profondément le siècle naissant (ça fait longtemps que je n'ai pas entendu le Pierrot Lunaire, tiens ...).

Dommage que le spectacle n'ait pas été enregistré, quand même (ni par Arte Live Web, ni par France Musiques !).

gurre lieder

Ailleurs: Palpatine, Corley, Musica Sola (en attendant d'autres encore plus en retard que moi ...)
Spotify: Gurre-Lieder, en version B.B.C. Symphony Orchestra - Pierre Boulez, Wiener Philharmoniker - Claudio Abbado, ou historique 1953 Paris New Symphony Society - René Leibowitz.