dimanche 30 octobre 2011

Planning Novembre - Décembre 2011

Gardons le rythme d'un à deux spectacle par semaine, avant les vacances !

David Krakauer joue John Zorn (Salle Pleyel - 27 Octobre 2011)

Avec cette tournée, David Krakauer prépare son prochain enregistrement d'un "Book of Angels", cette formidable série instituée par John Zorn, et qui arrive à sa conclusion. Il réunit autour de lui quelques musiciens habituels, et alterne entre les anges de Zorn, des compositions personnelles et quelques standards revisités.
Aux machines (boîte à rythmes, synthés, ordinateur) nous avons, non pas Socalled, mais Keepalive, qui crée une toile de fond. Du coup, le batteur Michael Sarin peut parfois se contenter de décorations, dans une frappe précise et sèche, mais assure sinon un rythme solide quoiqu'un peu pâle. A ses cotés, Jerome Harris donne à la basse électrique une profondeur funk bienvenue. Devant, la guitariste Sheryl Bailey, nourrie de blues, bondit dans des improvisations très rock'n'roll.
Mais le héros de la soirée est bien sur David Krakauer, à la clarinette virevoltante et inextinguible, à l'enthousiasme et énergie extraordinaire, et qui en plus présente les morceaux dans un excellent français. Son morceau de bravoure sera un solo strident, avec technique de souffle continu, qui à quelques mètres de distance de la scène, me vrille quelque peu les oreilles mais impressionne, c'est certain.
Les compositions de John Zorn proposent de courts morceaux intenses proches du chaos, et des ballades splendidement mystérieuses, où les musiciens entrecroisent de courtes interventions. Les compositions de Krakauer offrent des occasions de solos plus franches, et permettent aux musiciens de s'épancher avec un bonheur plus direct et immédiat, qui révèle l'habitude qu'ils ont de ce répertoire.
Pour les bis, une bonne partie des spectateurs se lèvent, c'est l'effet Klezmer Madness, et c'est bon. J'en sors avec les oreilles qui bourdonnent un peu, c'est rare en sortant de Pleyel, mais avec le sourire.

sheryl bailey david krakauer

Spotify: David Krakauer – The Twelve Tribes, The Sheryl Bailey 3 – Bull's Eye, Robert Dick - Third Stone From the Sun

mercredi 26 octobre 2011

Hindemith Schoenberg (Cité de la Musique - 25 Octobre 2011)

Paul Hindemith - Quatuor op. 16

Même si les frappes de pieds et certaines approximations me gênent au démarrage de ce 3ème quatuor de Hindemith, les Prazak finissent par me convaincre du sérieux de cette oeuvre, un brin austère, et pas bien gaie. L'énergie du premier mouvement est comme corsetée de solennité, et malgré la sinuosité des lignes, quelque-chose de froid et de rigide persiste tout du long. Le deuxième mouvement, le plus long, offre des solos et des accompagnements souvent surprenants, mais l'atmosphère est à la tristesse quasi désespérée. En comparaison, le troisième mouvement semble une explosion de vitesse, mais qui ne dégage nulle chaleur.
Le tout me donne bien envie d'écouter de plus près les quatuors de ce compositeur que je connais assez peu, en fait.

Arnold Schoenberg - Pierrot lunaire

Les Prazak restent là, quoique dans une configuration originale (Pavel Hula en chef d'orchestre ; Josef Kluson et Vlastimil Holek alternant entre le poste de violon/alto et celui de tourneur de page pour le pianiste ; seul Michal Kanka reste à son violoncelle de façon habituelle), rejoints par quelques autres musiciens, et par la cantatrice Alda Caeillo. Sur elle repose une bonne partie de la réussite ou non du Pierot : et elle s'en tire fort bien, chantant mais sans projection, parlant mais en suivant les lignes mélodiques, forçant l'expressivité et la théâtralité jusqu'au point nécessaire de presque parodie.
Des trois cycles de sept poèmes chacuns, c'est le deuxième que je préfère, qui sombre dans une forme de folie impressionnante, depuis les "sinistres papillons noirs géants" de "Nacht" aux "poètes muets et exsangues" de "Die Kreuze", en passant par une eucharistie sanguinolente ou la lune vue comme un cimeterre décapitant. Et l'instrumentation trouve des configurations chaque fois originales, un moteur rythmique ici, une cantilène là, chaque fois deux ou trois instruments, jamais les mêmes et jamais comme on s'y attend, c'est vraiment très prenant.
Le troisième cycle, où plus de monde joue en même temps, me satisfait du coup moins. Mais il permet une sorte de retour à la normale, avec de l'humour, de l'ironie, de la tendresse même.

pierrot lunaire

Ailleurs: Joël

Spotify: Quelques versions du Pierrot lunaire, Schönberg Ensemble + Barbara Sukowa, Ensemble Intercomtemporain + Christine Schäfer, Contemporary Chamber Ensemble + Jan De Gaetani ...

mardi 18 octobre 2011

Stravinsky Widmann (Salle Pleyel - 14 Octobre 2011)

Igor Stravinsky - Scènes de ballet

Cette pièce en 11 épisodes n'est pas très connue, et à l'écoute ça se comprend, c'est assez terne, et anecdotique. En plus, la mise en place de l'orchestre philharmonique de Radio-France, dirigé par John Storgards, n'est pas parfaite, avec des solos qui se perdent un peu dans la nature, et une impression de flottement pas très attachante. La fin, qui se veut apothéose, sonne plutôt lourde et tonitruante.

Jörg Widmann - Concerto pour violon et orchestre

Dans le lyrisme parfois exalté, parfois désespéré, du violon omniprésent, que l'orchestre parfois soutient et parfois contrarie par des zébrures de dissonances, j'entends du Schnittke, mais Stéphane Guy évoque le concerto à la mémoire d'un ange d'Alban Berg, et en effet, à la réécoute, cette influence sonne par moments évidente.
Christian Tetzlaff danse avec son violon, en grandes flexions des genoux. Le chef Storgards semble plus impliqué, les couleurs orchestrales sont mieux définies. Mais l'émotion reste fluctuante, sans doute à cause de la difficulté de saisir une ligne directrice qui permettrait d'être vraiment embarqué au long de cette demi-heure de musique.
storgards / tetzlaff

Igor Stravinsky - Symphonie en Ut

Une toute jolie symphonie aux allures bien classiques, avec une forme sonate pour démarrer, de jolis moments solistes, d'autres plus sombres, le tout bien agréable mais qui s'oublie vite.

Ailleurs: ConcertoNet, Klariscope

dimanche 16 octobre 2011

Steve Reich - Pulsations 1 (Cité de la Musique - 11 Octobre 2011)

Steve Reich - Drumming (part 1)

Après de longues et pénibles minutes d'accordage des bongos à coup de clef de 12 et de tapotages divers, les quatre musiciens, dont Steve Reich lui-même, se mettent en action l'un après l'autre. Mais je ne suis pas pris dans le flux mouvant des patterns rythmiques, ça n'agit pas. Du coup, je me rend compte que c'est assez gonflant, comme musique, quand elle n'hypnotise pas l'auditeur.

Steve Reich - Double Sextet

Quoi, trois ans d'écart entre la création mondiale et la création française de ce soir, je pensais Reich suffisamment célèbre pour que l'on se précipite sur toute nouvelle oeuvre. L'ensemble orchestral est fort intéressant : deux sextets, chacun composé d'une flûte, clarinette, vibraphone, piano, violon, et violoncelle. Pour établir un équilibre sonore correct, certains instruments sont amplifiés. Mais cela donne du coup un son très dense, sec, où l'air ne circule pas. C'est surtout sensible dans les mouvements rapides (comme dans la quasi intégralité des oeuvres de Reich, il y a trois mouvements, rapide, lent, et rapide), où la pulsation piano/vibraphone, sur un rythme très ferroviaire, me sature. Du coup, je préfère et de loin la section centrale, où les cordes osent une mélodie pleine d'émotions, avec des couleurs d'accordéon surgies de je ne sais où, et une atmosphère nocturne superbe (comme une revisite en plus réussie du mouvement portuaire de "City Life"). Finalement, il y a encore quelques pépites de beauté dans la musique de Reich, c'est bien.

Steve Reich - Music for Eightteen Musicians

Steve Reich s'installe au piano dans un coin, les Synergy Vocals démontrent leur habituelle exceptionnelle compétence à utiliser des microphones, des musiciens de l'Ensemble Modern attendent assis que leur tour vienne de frapper sur tel clavier ou autre percussion, la musique commence à mettre en place ses vagues lentes et irrépressibles. Là, je suis pris dans le flux, dans le sac et le ressac des respirations. C'est agréable et reposant, doucement euphorisant, mais pas grandiose. Jusqu'à l'arrivée des maracas, en section 7 je crois, qui conclut une lente élévation vers une lumière plus vive entamée quelques sections préalablement, et c'est une sorte d'apothéose jubilatoire, un sentiment de libération, un moment de grand bonheur. La redescende est lente.

Je ne sais pas si Reich avait donné des consignes spéciales, mais c'est la première fois que je me fais gronder par le personnel de la Cité parce que je prends en photo le salut final. Tans pis, c'est fait.

steve reich

Spotify: Drumming, Double Sextet, Music for 18 Musicians.

mercredi 12 octobre 2011

Ring Saga (Cité de la Musique - 7 au 9 Octobre 2011)

En ces temps où accéder à l'Opéra Bastille devient de plus en plus difficile, assister à un cycle de l'Anneau des Nibelungen dans le confort et les prix de la Cité, en un week-end, voilà une excitante idée ! Pour se faire, il fallait quelque peu raboter les pièces, en réduire l'ampleur instrumentale et la durée, et opter pour une mise en scène moins encombrante qu'habituellement. Mais ces accommodements préservent-ils la magie et la puissance des opéras wagnériens ? En bonne partie, oui, même si tout n'est pas parfait. Disons que c'est un excellent "proof of concept" ...

La musique a donc été réduite à un orchestre de chambre de 19 musiciens (et non 18 comme écrit partout : le Remix Ensemble aurait-il ajouté un musicien spécialement pour la Cité ?), et il s'agit malheureusement bien d'une réduction et non d'une transcription : c'est la plupart du temps bien réalisé et efficace, on profite bien des thèmes, la réussite de certaines plages est même surprenante, comme l'introduction de l'Or du Rhin, mais c'est un travail scolaire, qui manque de génie et d'audace dans les alliages de timbres : Jonathan Dove n'est sans doute pas très féru de musique spectrale, et c'est dommage. De plus, la composition de cet orchestre n'est pas très équilibrée, qui privilégie très fortement les cuivres aux cordes, dont il ne reste qu'un quatuor et une contrebasse. C'est joli quand ils jouent effectivement en quatuor, ça l'est moins quand ils doivent lutter contre force cors et trombones ... Et un problème récurrent sera la harpe, qui quand on l'entend sonne la plupart du temps comme extérieure à la texture générale, avec des notes trop cinquantes ou trop sèches, je ne sais trop, mais qui réussissent à me gâcher le réveil de Brünnhilde.

Pour réduire la durée, il faut couper. Cela ne va pas sans heurts, on a tous quelques airs, quelques épisodes, ou même quelques personnages, qui ont disparu au montage. C'est dans le Crépuscule des Dieux que l'opération ressemble le plus à du charcutage : ayant décidé de se passer de choeur, ce qui se comprend dans l'optique mini-Ring, les scènes où il intervient sont soit brusquement coupées et du coup peu compréhensible, comme l'appel au peuple de Hagen, soit disparaissent totalement, comme Siegfried racontant sa vie après avoir bu la coupe lui redonnant la mémoire, enchanteur enchaînement de thèmes, ici cruellement absent.

Le décor est unique pour toute la Tétralogie : deux plans inclinés, séparés par un espace vide où on peut se glisser. Pour Siegfried, une cabane sera installée sous l'un des plans. L'espace autour sera parfois utilisé, par exemple en y installant des chaises hautes où se juchent Siegfried et Brünnhilde, qui échangent serments et anneau tout en étant séparés de quelques dizaines de mètres (c'est l'une des plus mauvaises idées de cette mise en scène).
Au-dessus, un écran permet d'afficher de la vidéo. C'est la plupart du temps moche, et souvent inutile. Parfois illustrative, comme les flammes au-dessus de la forge, parfois joliment évocatrice, comme ces gerbes scintillantes pour l'arrivée du printemps, ou symboliste, comme ces deux colonnes grises derrière les géants pour accentuer leur taille, ou parfois abstraite et peu claire, comme la figuration du Walhalla, cette vidéo est terne, pixellisée, elle fait vieillotte.

La mise en scène essaie avant tout de raconter l'histoire de façon bien compréhensible, sans chercher à y apporter un point de vue particulier. Si les moments qui emportent vraiment sont rares (j'y mettrais la mort du dragon Fafner, avec un drap gonflé, simple et beau, et le combat Hunding - Siegmund, violent et bien clair), les fautes le sont également (en plus des amants sur tabourets déjà indiqués, j'y mettrais la marche des Walkyries qui arpentent ridiculement les plans de bas en haut et de haut en bas).

La distribution vocale offre des niveaux et des types de voix très divers. Pour réduire là encore, certains prennent plusieurs "petits" rôles. Etrangement, ils ne font pas forcément la même impression d'un personnage à l'autre. J'apprécie par exemple Fabrice Dalis en Loge, très souple, mais beaucoup moins en Mime, pas assez fourbe. Ou Johannes Schmidt, un Fafner correct sans plus, sera un excellent Hagen.
Les plus grandes performances seront celles de Lionel Peintre en Alberich, au timbre comme rugueux, créature de souffrance ; Ivan Ludlow en Wotan (meilleur qu'en Wanderer), qui brille par une grande subtilité tant qu'il n'a pas à forcer le volume ; et puis surtout Cécile de Boever, une Brünnhilde impériale de puissance naturelle, quitte à écraser ses partenaires, de Jef Martin, Siegfried sans grand éclat, à Donatienne Michel-Dansac, Gudrune totalement falote.

Dans ce cycle, ce sera la Walkyrie qui sera le plus intense en émotions, depuis Wotan terrassé par les arguties de sa femme (Nora Petrocenko), à la punition de Brünnhilde, qui chante et pleure en même temps, en passant par la passion de Sieglinde (Jihye Son). Dans Siegfried, les voix peu satisfaisantes de Siegfried et de Mime plombent la représentation, et Le Crépuscule des Dieux souffre de coupes trop brutales.
Mais l'immersion en un week-end dans cette musique reste une grande joie, j'en ressors avec plein de thèmes qui ne veulent plus quitter ma tête, et me poussent vers la réécoute des disques.

l'or du rhin

la walkyrie

siegfried

le crépuscule des dieux

ArteLiveWeb a enregistré le cycle au Festival de Strasbourg.

Ailleurs: Joël, MusicaSola, Paris-Broadway, Palpatine ...

Spotify: Version Böhm Bayreuth 1967, Boulez Bayreuth 1976, ou Karajan Berliner 1967-70 ?

dimanche 9 octobre 2011

DV8 - Can We Talk About This ? (Théâtre de la Ville - 3 Octobre 2011)

C'est la première fois que je vois un spectacle de DV8, et je comprends maintenant qu'ils se présentent sous la dénomination "physical theater". A la base, c'est bien du théâtre, et dans ce spectacle, le plus important, ce sont les mots.

Dans une salle de classe à l'ancienne, divers personnages se succèdent, qui restituent les discours de personnes réelles, et nous parlent d'intolérance religieuse, essentiellement islamiste. Si certains épisodes nous sont bien connus (fatwa contre Salman Rushdie, assassinat de Theo Van Gogh, caricatures danoises ...), d'autres sont plus liés à l'histoire du multiculturalisme à l'anglaise, comme des heurts raciaux dans une école de Bradford en 1985, ou la lutte difficile d'une élue contre les mariages forcés. Mais le discours ne reste pas focalisée sur l'Angleterre, terre d'accueil de l'australien Lloyd Newson. Une liste des meurtres de personnalités arabo-musulmanes tentant de modérer les islamistes (poètes, cinéastes, mais aussi des hommes politiques au Pakistan), des témoignages de femmes ayant fui un mariage forcé et devant se cacher de leur famille à cause des crimes d'honneur, ou une sorte de reportage sur l'ONU, l'UNESCO et la Charia, donnent une vue globale d'un phénomène contre lequel, dit Lloyd Newson, l'occident refuse de lutter par peur, peur de se faire attaquer ou tuer suite à une quelconque fatwa, et peur de passer pour islamophobe. Du coup, on n'en parle pas. Et il faut en parler.

C'est un spectacle qui avance en terrain miné. Parler de l'Islam et de la violence que certains exercent en son nom, c'est le plus souvent matière à simplisme et à généralisations abusives. Mais pas ici. Le discours tient. Et ils remettent certaines choses bien en place. Par exemple sur l'histoire du Coran brulé dans une paroisse américaine, qui a provoqué des dizaines de morts dans le monde, alors que des Bibles sont très régulièrement détruites en Arabie Saoudite, puisque interdites, sans qu'il y ait pour autant appel au meurtre ou même à une quelconque violence.

Pour faire passer ce message de lutte contre l'intolérance, la troupe réunie dans ce DV8 est multi-raciale, et multi-âge. Mais tous sont au diapason de l'aspect physique de ce théâtre. Parfois le rapport entre le discours prononcé et les gestes qui l'accompagnent est évident, parfois cela reste obscur. Par exemple les politiciens qui passent à Bradford délivrer leur message habituel et inutile s'agitent tous comme des marionnettes un peu folles. Certaines femmes sont entourées d'hommes qui, sans être explicitement menaçants, les cernent suffisamment pour créer une tension sur scène. Le directeur du Jyllands-Posten fait les pieds au mur et tente d'enfiler un pantalon. La réprésentante anglaise, vieille dame fort charmante, boit du thé assise sur un bonhomme en constant mouvement. Ce sont des numéros de danse d'une extrême précision, dans les tempi, et dans les mouvements, particulièrement des mains. Danser ainsi, tout en continuant à parler, et ce dans un tel tempo, est une remarquable et parfois stupéfiante performance.

C'est un spectacle qui frappe fort, et dont on ressort plein de questions. La manière de traiter du multiculturalisme, de la laïcité et de la tolérance religieuse, est très différente entre la France et l'Angleterre. Mais la difficulté de discuter de ces sujets sans polémique xénophobe et sans bisounoursisme, est sans doute la même. Bien sur, aucune réponse n'est donnée. Mais si quelques questions restent, c'est déjà bien.

can we talk about this ?

Ailleurs: TouteLaCulture, Tadorne