mardi 29 novembre 2011

Transgender Warriors (Cité de la Musique - 25 Novembre 2011)

No Bra

Susanne Oberbeck, une grande Allemande qui vit à New-York, débarque sur la scène, remercie la Cité de cette invitation à venir à Paris, s’excuse de ne pas parler français, et lance le programme sur son laptop. La musique démarre, un mélange bien pêchu de basse lourde et de saxophone râpeux, sur lequel elle place ses mots. Dès que la chanson finit, l’ordinateur en balance une autre. Et c’est bien là le problème : l’artiste semble prisonnière du tempo imposé par la machine, parfois en retard, et sans jamais avoir le temps d’accrocher le public. Quelques chansons me plaisent par leur climat un peu lourd, mais d’autres me semblent à peine ébauchées, un squelette sonore qui soutient à peine le texte. Comme celui-ci n’est pas assez compréhensible pour me captiver, et comme il n’y a aucun jeu de scène (elle reste plantée immobile – et habillée normalement - à coté de son micro et de son laptop), il n’y a pas grand-chose pour retenir l’intérêt.

Cindytalk

Cette seconde partie tient beaucoup mieux le choc de la scène, quitte à proposer une ambiance assez différente de celle de ses derniers disques (de l’electro dark très ambient). Sur scène, Gordon Sharp, en robe rouge et hauts talons, chante beaucoup, dans un registre où on retrouve les échos de sa participation au premier "This Mortal Coil", et est accompagné par Robert Hampson, un guitariste expérimental et bruitiste (qui travaille aujourd’hui avec le GRM ...), qui a à sa disposition un appareillage électro-informatique divers.
La musique que ce duo crée est du coup beaucoup plus improvisée, et assez dense, un lent fleuve puissant qui nous submerge et nous entraîne dans un voyage très prenant. Une projection vidéo complète le dispositif, images d’eaux, de foules floues, de jeunes gens, en noir et blanc ou en couleur, un contrepoint réussi.
Pour conclure cette prestation assez captivante, Gordon Sharp s'installe au piano, et y plaque des lambeaux de mélodie, des accords ambigus, un final teinté d'une nostalgie pas forcément très originale, mais très réussi.

cindytalk

Spotify: No Bra - Dance and Walk, Cindytalk - Hold Everything Dear, Robert Hampson - Vectors

Lemi Ponifasio - Birds With Skymirrors (Théâtre de la Ville - 24 Novembre 2011)

Dans ce deuxième spectacle présenté par le chorégraphe samoan au Théâtre de la Ville, on retrouve bien les éléments de fascination éprouvée l'an dernier : l'obscurité qui mange une bonne partie de la scène et parfois le corps des danseurs dont ne subsiste plus que les mains ou le visage, ces gestuelles énigmatiques et récurrentes, bras tendus en V et mains tremblantes, attitudes très droites et pieds qui glissent en de rapides mouvements qui donnent l'impression de flotter, moulinages soudain des avant-bras entre grâce et art martial, les frappes sonores sur le torse, etc. Les séquences les plus spectaculaires sont sans doute le jonglage avec des boules tenues par des ficelles, qui virevoltent autour des mains et du buste.
Mais si le discours de "Tempest" était presque incompréhensible à cause de références trop peu maîtrisées par un public occidental, il est ici quasiment invisible. A part la projection d’un oiseau englué dans du pétrole, peu d’éléments nous permettent de saisir le but de cette pièce, que le livret place sous le poids du "souci écologique au sens large". Comme tout ceci est long (1h30) et assez répétitif, et sans réelle ligne directrice, l’ennui, malgré la fascination, guette.

Ailleurs: MHF, TouteLaCulture

mercredi 23 novembre 2011

Inde : danses et travestissement (Cité de la Musique - 19 Novembre 2011)

Manzoor Shah & Party - Chant et danses chakri, rauf et bacha nagma

Cette première partie se focalise plus sur la musique que sur la danse. D'ailleurs, l'estrade où prennent place Manzoor Shah et ses acolytes est en plein centre de la scène. Cette musique, le chakri, "est un genre très populaire au sein de la société musulmane cachemiri." Populaire est bien le mot : on est assez loin du registre savant d'autres styles de musique indienne plus fréquemment entendus. Le rythme surtout souffre d'un binaire inébranlable rapidement lassant, perturbé par de rares solos malheureusement très sommaires ; et les lignes mélodiques se répètent sans grande inventivité.
De temps en temps surgit un jeune homme, en habits habituels, qui danse, dans une gestuelle très souple, qu'on peut effectivement qualifier pourquoi pas de féminine. Mais sans chorégraphie à proprement parler, l'intérêt est faible. En fait, on pourrait se croire dans un village, lors d'une fête locale, où chantent et dansent les habitants du coin les plus doués, mais sans ambition artistique élevée. Bref, bof.

Tamil Nadu - Danse sacrée kuchipudi

On retrouve des territoires plus usuels : estrade sur le bord, musique plus élaborée, entrée de l'artiste. Première originalité : il s'agit d'un homme, mais habillé comme une danseuse indienne classique. Deuxième originalité : la partie théâtrale est bien plus présente que d'habitude. Un des musiciens parfois se lève et vient rejoindre le danseur, qu'il accompagne de quelques gestes peu élaborés, et surtout avec qui il discute, dans des scènes de dialogue malheureusement pas sous-titrées, donc incompréhensibles. Il semble n'y avoir qu'une seule histoire racontée, celle de Bhama Kalapam, une querelle entre Satyabhama et Krishna, où la princesse fait montre d'orgueil devant son seigneur, puis se repentit et réussit à se faire pardonner. Comme c'est du kuchipudi, il y a un passage avec un plateau doré, mais il aurait fallu être dans les gradins pour en profiter ... La salle des Abbesses me manque.
Cette deuxième partie est bien plus intéressante que la première, et je retrouve avec plaisir les subtilités et les virtuosités de cette danse parfois si abstraite et architecturale, et parfois si concrète et figurative. Par contre, la partie "travestissement" ne présente qu'un bien faible intérêt. Que ce soit un homme qui danse, ou une femme, ou un homme déguisé en femme, quelle différence cela fait-il ?

kuchipudi à la cité

dimanche 13 novembre 2011

Stravinsky Cage Dusapin (Cité de la Musique - 12 Novembre 2011)

Igor Stravinsky - Requiem Canticles

En prolongation du concert de Mercredi, celui-ci commence par deux pièces "finales" de leur auteur. Ce requiem abstrait me rappelle par moment Messiaen (lenteur, couleurs, religiosité distanciée), mais dégage une atmosphère tout à fait particulière : c'est une cathédrale, mais à ciel ouvert, et aux colonnes de cristal ; une architecture hiératique, mais transparente et lumineuse. Neuf mouvements en un quart d'heure, c'est une mosaïque précise, aux assemblages subtils, entre l'orchestre aux pupitres réduits, le choeur, et les deux voix solistes.

John Cage - Seventy-Four

S'installent sur le plateau 74 musiciens de l'Orchestre Symphonique du SWR Baden-Baden & Freiburg. Le chef Jonathan Stockhammer est remplacé par deux écrans faisant métronome. Aux musiciens de savoir comment jouer leur partition minimaliste, individuellement et collectivement. Le résultat pour ce soir me semble consister à passer de note à note, de manière relativement synchrone, comme à travers un sas, puis à creuser la note atteinte en en variant les couches instrumentales. C'est plutôt beau et reposant, mais pas forcément une expérience inoubliable.

Pascal Dusapin - La Melancholia

Là on sort le grand jeu. Orchestre massif, choeur puissant (le SWR Vokalensemble Stuttgart), quatre solistes, une bande magnétique pour quelques récitations, du texte composé d'extraits érudits anciens et multi-langues, c'est du lourd. Et en effet, c'est parfois, souvent, un peu lourd. Le traitement de l'orchestre offre quelques moments de métamorphoses ou de transmutations, préfigurant les fantastiques "solos", mais cela n'est qu'épisodique. On est plus souvent dans un déferlement qui nous submerge, tant en puissance sonore qu'en pathos revendiqué, mais qui me passe à travers, sans vraiment me toucher.

Ailleurs : Simon Corley
Spotify : Igor Stravinsky – Canticum Sacrum / Agon / Requiem Canticles, John Cage - The Piano Concertos / Fourteen, Pascal Dusapin - 7 solos pour orchestre

samedi 12 novembre 2011

Parra Kagel (Cité de la Musique - 9 Novembre 2011)

Hèctor Parra - Caressant l'horizon

Quand le livret explique que le compositeur veut évoquer "les ondes gravitationnelles engendrées par la collision de deux trous noirs", on peut deviner que ça va être bruyant. Et ça l'est. L'EIC, dirigé à grands gestes expressifs, quasiment villepiniens, par Emilio Pomarico, rugit, convulse, explore les stridences ou les grondements, louvoie entre éruptions et frémissements, et se calme par moments pour qu'un ou deux solos s'installent, avant de repartir dans le fracas et le tumulte. Mais pour dire quoi ? Ici on entend la frénésie rythmique d'un Stravinsky, là les harmoniques violentes d'un Varèse. Et pas grand-chose d'intéressant, au final, pendant cette grosse demi-heure passablement ennuyeuse.

Mauricio Kagel - In der Matratzengruft

Changement radical d'acabit. Ici, chef d'oeuvre. Dernière composition de Kagel, écrite sur son lit d'hôpital, elle tire sa matière des derniers cycles de poèmes écrits par Heinrich Heine, paralysé et bloqué dans son lit. Dans la variété des accompagnements musicaux (les duos et les trios pullulent, genre harpe-tuba-trombone, ou violoncelle-clarinette, etc, dans un renouvellement constant de texture), on pourrait lire l'influence du Pierrot Lunaire. Mais la ligne vocale (le ténor Markus Brutscher y est magnifique d'émotion et de dignité) reste plus classique, même si, quand on l'observe de plus près, elle ose le cri de désespoir à peine camouflé, ou la parodie de grand air d'opéra.
Pourtant, l'atmosphère générale est à une certaine retenue, malgré la mort qui hante toute la musique. Une pudeur automnale. Un équilibre délicat, entre l'angoisse, la résignation, de brefs éclats de révolte, et l'humour qui bien que camouflé, reste un soubassement essentiel de l'esthétique Kagelienne. J'espère vraiment qu'il y aura enregistrement discographique, parce que c'est une musique que j'aimerai beaucoup écouter à nouveau, par exemple pour analyser davantage le lien entre la musique et le texte.

Ailleurs: Un très beau billet de David Sanson.

mardi 8 novembre 2011

Berliner Ensemble - Lulu (Théâtre de la Ville - 5 Novembre 2011)

En ce moment à Paris, une Lulu peut en cacher une autre, et tandis que la version d'Alban Berg se joue à l'Opéra, la pièce originelle de Wedekind est donnée au Théâtre de la Ville. Ou plutôt, la version de Robert Wilson et de Lou Reed, puisque la pièce représentée ici, quoique inspirée parait-il de la "Lulu des origines", bouscule la chronologie en débutant par quelques premières évocations de la mort de l'héroïne, et se trouve rythmée par des chansons de Lou Reed, interprétées par une poignée de musiciens dans la fosse et les acteurs sur la scène.
Ces chansons sont certainement le point faible du spectacle. Non seulement elles ne brillent pas particulièrement par leur force ou leur originalité, mais en plus elles ne collent pas du tout avec l'atmosphère générale donnée par les costumes, les maquillages, les décors, etc. Les effets de distanciation, pourquoi pas. Mais là, il y a tentative de téléportation temporelle, une greffe qui échoue totalement entre les mélodies rock modernes de Lou Reed et la stylisation si particulière de Bob Wilson.
De l'histoire de Lulu, je n'ai pas compris grand-chose. C'est l'inconvénient d'être à une place qui aurait été incroyablement réjouissante pour d'autres spectacles, milieu du premier rang, quand les seuls sous-titres disponibles sont affichées bien tout en haut de l'espace scénique. Regarder ou lire, il faut choisir. Mais même sans cela, la présence des chansons de Lou Reed me semble avoir nécessité quelques coupures dans l'intrigue, et je ne me repère guère entre tous ses hommes successifs. Quant à la Comtesse, son rôle me semble bien peu clair. Et quand je lis le synopsis (L'Esprit de la Terre / La Boîte de Pandore), de larges morceaux semblent avoir été omis (le passage par la case prison, par exemple).
Mais si le spectacle n'est vraiment pas sans défauts, il n'est pas non plus sans quelques qualités ! Angela Winkler est une Lulu au sourire douloureux, aux yeux d'enfant prêt à pleurer, aux rires d'oiseau, présence tranchante et tremblante, fragile et fantomatique, plus que fantasme. Parmi ses compagnons, son père s'avère le plus répugnant, et le Jack de Londres exhibe une silhouette effilée et un charme de fou dangereux à la puérilité attendrissante assez envoutant.
Si les décors de la partie allemande n'excitent guère d'émotions (c'est du Wilson bien estampillé, avec néons et sièges étranges), son Paris, en lustres et cyprès, éveille beaucoup plus la curiosité, et me fait penser, je ne sais pourquoi, à du Paul Delvaux (mais un monologue répétitif récité en voix-off monocorde m'énerve assez vite) ; quant à Londres, perdue dans un brouillard qui efface les pieds, avec cette galerie d'hommes déchus en fond de scène, elle plonge dans un sordide bien réussi.
Mais cela ne suffit pas à renouer avec les éclatants succès du Berliner Ensemble de l'an dernier ...

lulu

Ailleurs: MusicaSola