lundi 27 février 2012

Added, Ruder, Lê Quang - Yes is a pleasant country (Studio de l'Ermitage - 24 Février 2012)

J'ai déjà vu Jeanne Added en quatuor et en duo, la voici en trio, dans la formation qui a donné lieu au très joli disque Yes is a pleasant country (disponible sur Spotify).
Comme d'habitude avec elle, nous ne sommes pas exactement dans une formation usuelle, ni dans la forme, ni dans le fond. Piano, saxophone, voix : pas vraiment de base rythmique, donc. Mais en fait, elle n'est pas nécessaire.
Ce qui caractérise peut-être le plus ce concert, c'est sa fluidité dans les variations : on passe du chaos au silence, du glacé au chaud, de l'émotion à l'ironie, du plaisir d'une mélodie simple à la recherche douloureuse d'une improvisation beaucoup plus expérimentale, en quelques clins d'oeil, et comme les morceaux sont enchainés dans des sortes de suites musicales, cela fait des montagnes russes parfois vertigineuses.

Pour de telles voltiges, il faut des musiciens tous-terrains.
Au piano, Bruno Ruder laisse transparaître son apprentissage du piano classique, et son amour du Jazz sous toutes ses formes : parfois discret comme s'il accompagnait un lied, parfois plaquant des accords aux dissonances subtilement menaçantes, puis se lançant dans des cavalcades be-bop où la main gauche tient la pompe et la droite accumule vitesse et densité, avant de conclure soudain de notes grappillées on ne sait d'où. Très concentré sur son clavier, il ne jette que de brefs coups d'eoil à ses camarades pour se synchroniser ou leur indiquer qu'ils peuvent reprendre.
Vincent Lê Quang n'utilise que le saxophone soprano. Mais il lui donne parfois la douceur d'une clarinette, et parfois s'écorche le son en stridences plus féroces et brûlantes.
Quant à Jeanne Added, elle reste bien sur stupéfiante. Elle est à la fois complètement dans sa musique, et toujours décalée d'un pas, comme une sécurité qui lui permet de se livrer dans une sincérité qui serait effrayante, ou obscène, s'il n'y avait toujours cette présence du jeu, cette conscience de l'effet produit.

Cette fluidité, elle est aussi dans le répertoire, entre standards de Broadway ou de Mingus, improvisations au fil du rasoir, ou compositions de Added ou de Lê Quang. Par rapport au disque, les écarts sont plus grands : les solos individuels sont bien sur plus longs, mais ce sont surtout les interactions qui comptent, et qui vont de moments où la voix soudain marche sur du vide, à une hauteur à peine soulignée par quelques notes des deux autres, à d'autres où ils se marchent sur les pieds, saturant l'écoute en se concurrençant dans l'intensité. Un trio rare, qui se connaît suffisamment pour savoir jusqu'à quel point ils peuvent encore se mettre en danger, et un concert qui est mon concert du mois, pourtant fort rempli.

Le concert était diffusé par France Musique et peut être écouté pendant quelques semaines sur le site du Jazz Club.

added, ruder, lê quang added, ruder, lê quang
added, ruder, lê quang added, ruder, lê quang

lundi 20 février 2012

Mantovani Mahler (Salle Pleyel - 18 Février 2012)

Bruno Mantovani - Jeux d'eau

Ce concerto pour violon, créé ce soir par Renaud Capuçon et l'Orchestre de l'Opéra National de Paris dirigé par Philippe Jordan, commence par quelques phrases assez debussystes, suivies d'un dialogue assez classique en courts échanges polis entre le violoniste et l'orchestre, avant que ne s'impose une figure répétée tout au long de la pièce, une sinusoïde rapide, destinée sans doute à simuler le bruit d'une rivière de montagne, puisque là est la source d'inspiration de Mantovani. Outre que je n'ai jamais vraiment entendu cette rivière dans la musique jouée, cette cellule sonore est si omniprésente qu'elle en devient assez rapidement lassante. De même, le traitement des percussions, en roulements orageux, me plait dans leur première intervention par son classicisme (on est loin du bazar souvent reproché aux percussions contemporaines) mais sa répétition me gène. Au final, on a une longue pièce construite sur un nombre trop réduit d'idées, et un développement qui manque de métamorphoses et de surprises. Malheureusement, c'est une impression que je ne ressens pas pour la première fois en écoutant du Mantovani récent (son concerto pour deux altos est aussi trop long, par exemple). Dommage.
Le public applaudit longuement, mais peut-être est-ce pour obtenir un bis de Renaud Capuçon, qui n'en fera pas.

Gustav Mahler - Symphonie n°1 "Titan"

Ce que j'ai préféré, ce sont les moments les plus "musiques populaires", la petite fanfare des trompettes cachées en coulisse et qui du coup sonnent légèrement désynchronisées, des atmosphères de fêtes paysannes, échos de valses folkloriques, ou la montée de "Frère Jacques". L'orchestre, bois et cuivres principalement, y met ce qu'il faut de couleurs et de détails pour que ça vibre et fourmille, sans être anecdotique pour autant (seule une clarinette trop joyeuse dans un moment de tension me surprendra par cette faute de goût).
M'ont moins plu des moments plus statiques, des nappes de cordes trop lisses, qui pour moi étaient un peu vides en sensations.
Là aussi, très bon accueil du public.

Ailleurs: Joël

dimanche 19 février 2012

Limousine - Pré Siam Roads (Atelier du Plateau - 17 Février 2012)

Le groupe Limousine est présenté comme un "side-project" de Poni Hoax, les deux étant menés par Laurent Bardainne, que j'avais vu il y a 4 ans pour un hommage à Albert Ayler. La teneur de la musique est cependant très différente : ni Free-Jazz comme pour la soirée à la Cité, ni électro comme pour Poni Hoax, on est plus dans un post-rock cinématographique subtilement empli d'effluves exotiques (ma voisine de concert me révèle la proximité de cette musique avec celle du Vietnam qu'elle connaît bien, ce qui n'est pas mon cas ...).
A la batterie, David Aknin, qui sert aussi de porte-parole au groupe lors des rares présentations des morceaux (les musiciens discutent plus entre eux qu'avec le public), utilise beaucoup les frappes à mains nues, ou les balais. Il faut dire que la petite salle de l'Atelier, très pleine ce soir, les oblige peut-être à bien contrôler le volume sonore (ce qui n'empêchera pas quelques problèmes techniques de sonorisation, un haut-parleur s'obstinant à grésiller désagréablement une bonne partie du concert).
Les lignes de basse sont jouées au clavier par Frédéric Soulard, qui utilise un mix de synthétiseurs et de pédales d'effet.
Devant, on a Laurent Bardainne, qui joue principalement du saxophone ténor, avec une sonorité où au moelleux se mêle un peu de grain, et le guitariste Maxime Delpierre, vu dernièrement avec Louis Sclavis. Bardainne parfois joue aussi d'un petit clavier.
Les morceaux, tous instrumentaux exclusivement, prennent le temps d'installer leurs ambiances tranquilles, où se glisse souvent une pointe de nostalgie pour des pays imaginaires, et prennent parfois un lent envol, une accélération, un solo de guitare, un changement d'harmonie qui pince le coeur.
C'est beau, cohérent, prometteur ; surtout qu'il y a grand progrès entre leur premier disque et le deuxième. Un troisième est en préparation, après un voyage en Thaïlande qui les a beaucoup touchés et inspirés, d'où le titre du concert, même s'il s'est finalement plus agi de préparer le concert de présentation de II que de proposer cette future nouvelle musique.

limousine - pré siam roads

Opéra de Pékin - le Roi Singe (Cité de la Musique - 16 Février 2012)

Est-ce là un spectacle populaire, ou savant ? Sans doute un peu des deux.
Populaire pour le thème, la légende du Roi Singe faisant partie du très célèbre "Voyage en Occident" : l'auto-proclamé roi des singes, rebelle à l'autorité, est invité à rejoindre le Palais Céleste dans un poste fallacieusement présenté comme supérieur ; la supercherie découverte, il sème la pagaille et affronte victorieusement un grand nombre d'immortels, avant de finalement devoir s'enfuir. Je suppose que c'est suite à ces incartades qu'il rejoindra le bonze Xuanzang pour le voyage vers l'occident. Interviennent déjà dans cette histoire le nuage et le bâton magiques, qu'on connaît grâce à Dragon Ball ...
Savant pour les costumes et les maquillages, d'une somptuosité remarquable, et qui pourtant permettent des cabrioles, des sauts et des combats impressionnants.
Populaire pour la musique, je pense. De petites mélodies typiquement pentatoniques, et beaucoup beaucoup de percussions fracassantes, cymbales, claves, c'en est assez assourdissant dès que commence un combat, et ce n'est pas ce qui manque ...
Savant pour la performance des acteurs. Le livret explique que "les acteurs d'élites issus de trois compagnies théâtrales militaires se sont réunis pour former la Troupe Nationale d'Opéra Guoguang de Taïwan sous les auspices du ministère de l’Education." Du sérieux, donc, et ça se voit ! La caractérisation des personnages, depuis les singes, qui doivent être joués comme étant en partie des animaux cherchant à imiter les humains, jusqu'aux dignitaires du Palais Céleste, plus ou moins arrogants ou craintifs selon leur rang hiérarchique, est parfaite. Et les dons de tous les membres de cette troupe, impressionnants, pour les morceaux de bravoure en arts martiaux, mais aussi pour danser et chanter.
Populaire pour le ton général du spectacle, qui se doit d'être ... spectaculaire, et léger. Les combats sont des numéros de jonglerie et de cabrioles, où les armes et les coups s'échangent avec une grande précision, mais aussi beaucoup d'humour, visant à ridiculiser tous les adversaires du roi Singe, piètres combattants malgré leur position de pouvoir et la richesse de leur costume. Et le salut final est l'occasion d'une démonstration des talents athlétiques de chacun, qui se lancent les uns après les autres dans des séquences de sauts périlleux et autres grands écarts.
Au final, un grand spectacle, où j'aurais aimé une musique plus élaborée, et peut-être un peu plus de gravité dans l'histoire. Mais tel quel, un excellent moment !
le roi singe

mercredi 15 février 2012

Kornazov Codjia Tamisier (L'Improviste - 13 Février 2012)

J'ai craint un moment que le concert ne soit annulé, vu que nous n'étions que 2 à y assister. Mais quatre nouveaux arrivants font opter pour un seul grand set, pendant lequel une dizaine de personnes nouvelles font qu'il y aura un deuxième court set. J'espère que L'Improviste réussira à réunir un public plus nombreux, peut-être avec les beaux jours, ou en se faisant plus connaître des circuits musicaux !

Voilà encore un trio à la formation fort originale : Gueorgui Kornazov au trombone, Geoffroy Tamisier à la trompette, et Manu Codjia à la guitare. La configuration la plus évidente est d'utiliser la guitare en base rythmique et pour pulser le thème, la trompette pour les solos, et le trombone pour consolider le thème ou pour les solos.
Heureusement, ils varient, par l'introduction de nombreux duos, et par l'inversion momentanée des rôles de la guitare et du trombone.
Comme le jeu de Tamisier ne m'a pas forcément impressionné, très direct et franc, mais manquant de mystère et de surprises, et comme le jeu de Codjia privilégiait à l'excès un son assez liquide, sans la variété d'approches sonores que je lui ai parfois connue, c'est donc Kornazov qui a été le meilleur élément de la soirée, capable de prendre tous les rôles, claironnant le thème pour permettre à Codjia de s'en échapper, promenant sa coulisse des grondements aux hurlements, alliant dynamisme, enthousiasme et émotions.
Les trois musiciens apportent leurs thèmes. Un disque a été enregistré, non encore sorti.

kornazov codjia tamisier

Trio Ingres - Kurtag (Galerie Hus - 12 Février 2012)

La Galerie Hus élargit le champ de ses activités musicales, en fonction des oeuvres exposées. Pour accompagner des gravures de Wols, ils ont invité le Trio Ingres pour jouer une sélection des "Signs, Games and Messages" de György Kurtag.
Cette oeuvre est, comme souvent chez Kurtag, très morcelée, en fragments ne dépassant pas les quelques minutes. De ce que je comprends, certaines pièces sont pour alto seul, d'autres pour trio à cordes, et on peut n'en jouer qu'une partie, dans l'ordre qu'on veut.
Le trio Ingres est composée de trois musiciennes issues de l'Orchestre Philharmonique de Radio-France : Sophie Pradel au violon, Anne Michèle Lienard à l'alto, Karine Jean-Baptiste au violoncelle. Elles n'ont sélectionné que des pièces pour trio, et les enchainent de façon à privilégier les contrastes, entre des plages statiques travaillant sur les harmonies, et d'autres plus rythmiques, parfois même agressivement rapides.
La salle, certes petite, est totalement pleine ! Le lieu n'est pas de tout confort pour l'écoute : des pas à l'étage au-dessus perturbent quelques débuts de pièces ; par contre, l'eau qui s'écoule dans une colonne ajoute un aspect bucolique pas désagréable.
Se dégage déjà une belle qualité d'écoute et de regards entre les musiciennes, et de l'oeuvre, à travers ses facettes contrastées, un bel équilibre entre un hommage à Jean-Sébastien Bach et d'autres qui penchent vers Ligeti (il y a aussi dans le recueil un hommage à John Cage, mais qu'elles ne joueront pas, parce qu'il est pour alto seul).

le trio ingres à la galerie hus

Après le concert qui ne dure guère qu'une demi-heure, les galeristes amènent carafes et petits-fours, et les habitués papotent entre eux. Tiens, surprise, Joëlle Léandre arrive, elle qui avait jouée "Wols Circus" autour des mêmes gravures, et qui est un peu la marraine du lieu.

samedi 11 février 2012

Karlheinz Stockhausen - Inori (Cité de la Musique - 10 Février 2012)

Le descriptif que nous donne Stockhausen de cette oeuvre qui date du milieu des années 1970 est encore bien imprégné de discours "à la Darmstadt" : série de 13 hauteurs, 13 tempos, 13 intensités, 13 timbres ; échelle d'intensités comprenant 60 degrés ; etc. Il y a aussi un dispositif scénique qui vise la Gesamtkunstwerk, en alliant aux musiciens un couple de danseurs dont les gestes répétitifs et mesurés sont une transcription de la musique en "gestes de prière". Mais ce qui ressort de tout ça, c'est surtout une fascination pour la musique indienne et une mystique genre universelle, perçues comme un moyen d'échapper aux carcans occidentaux.
Ca commence donc par une note unique, répétée dans diverses configurations rythmiques, en courtes séquences séparées par des silences, et ponctuées par des percussions aigües, cette structuration étant maintenue pendant toute l'heure de la pièce.
A partir de là, des notes vont peu à peu s'ajouter, qui finissent par donner des mélodies et même de la polyphonie.
Je suis en général assez réfractaire à ce genre de musique très lentement variante et qui explore obstinément un climat musical restreint (tonalité, modalité, mode, quelque soit le nom le mieux correspondant)(c'est pourquoi je ne suis finalement pas attiré par les ragas indiens). Et là, je ne suis pas non plus aspiré par ce lent fleuve. Je comprends l'intention, mais n'y suis pas sensible. Et je regarde donc passer les notes.
Il y a de superbes moments, cela dit : à plusieurs reprises, j'entends comme une voix surgir des mélanges instrumentaux ; un duo de flutes, puis un duo de clarinette, m'enchantent. Et les polyphonies finales me font grande impression. Mais le tout est noyé dans un temps trop long, et alourdi par la mise en scène bien inutile.
Le danseur et la danseuse qui s'installent sur une plateforme au-dessus de l'EIC agrandi répètent à loisir des gestes qui ne me touchent absolument pas. Ils font office de chef d'orchestre bis, et d'ailleurs par moment le chef d'orchestre, Wolfgang Lischke, doit lui aussi faire ces "gestes de prière". Ca reste très artificiel, et ça a déjà vieilli, comme une sorte de pré-New Age.

inori

Gustavo Beytelmann trio - L'autre visage (MAHJ - 9 Février 2012)

Première fois que je me rends au Musée d'art et d'histoire du Judaïsme (j'avais totalement zappé leur exposition sur Tzadik en 2010, honte à moi ...). Leur salle d'auditorium est agréable, mais ressemble plus à une salle de cinéma qu'à une salle de concert.
Le pianiste Gustavo Beytelmann commence par une milonga en solo où il exhibe maintes techniques pianistiques peut-être un brin trop spectaculaires. Il est ensuite rejoint par Cyril Garac au violon et Remi Lerner à la clarinette, et ils jouent l'ensemble de leur disque "L'autre visage", dans l'ordre et en intégralité.
Beytelmann est alors plus compositeur et arrangeur, et laisse beaucoup de place à ses compagnons ; Garac brille particulièrement en soliste, Lerner fournissant en contrepoint les couleurs de ses clarinettes (il alterne entre soprano et basse) et un jeu tout en douceur. A eux trois, ils explorent le monde du tango et de la milonga, mais dans une optique chambriste délicate et tendre. Parfois enjoué (mais sans aller jusqu'à l'exubérance) et le plus souvent gentiment triste (et parfois vraiment mélancolique), le ton est feutré, même si la présence scénique, où les morceaux s'allongent d'improvisations, donne des couleurs plus tranchées que sur le disque.
C'est là un monde éloigné de mes concerts habituels, mais très agréable à visiter. En bis, ils rejouent "Caravan", auquel les couleurs argentines vont fort bien, et qui permet d'affronter le froid avec une belle chaleur chantante dans le coeur.

Léandre Cappozzo / Charles Gayle trio (La Dynamo - 7 Février 2012)

Joëlle Léandre / Jean-Luc Cappozzo

A l'entracte, pendant qu'elle vend ses disques, Joëlle Léandre explique qu'avec Cappozzo, elle considère former un vrai groupe, sans doute en ce sens qu'ils jouent suffisamment souvent ensemble pour former une intimité et un son particulier, contrairement à d'autres rencontres plus d'un soir seulement. Et de fait, je découvre d'elle une facette plus calme, plus méditative. Elle laisse plus de champ à Cappozzo, parfois même se tait longuement, alors qu'il déroule par exemple une sorte de mélopée funèbre exotique et légèrement diphonique.
Jean-Luc Cappozzo utilise plusieurs trompettes et sourdines (mais une main dans le pavillon permet aussi de moduler le son très efficacement), ainsi qu'un tube tout droit et me semble-t-il sans trous, mais qu'il fait pépier et chanter de fort belle manière, sans que je comprenne comment. Pour un concert de musique improvisée, la matière est beaucoup plus mélodique que d'habitude, et l'atmosphère est introspective, un peu triste et pourtant chaleureuse. Le passage d'une séquence à un autre se fait souvent par chevauchement : tandis que l'un change, l'autre continue dans sa même veine, sans réagir outre-mesure. Bien sur, on retrouve certains éléments de vocabulaire de Léandre : un passage scatté/chanté autour des temps difficiles, de la percussion sur la contrebasse, de l'énergie à en revendre. Mais le tout est ouaté par les mélodies de Cappozzo, et par un tempo général moins marqué par l'urgence, et par plus de partage tranquille. La fin n'est pas le moins surprenant : Cappozzo évoque puis joue lentement "Sometimes I feel like a motherless child", alors que Léandre tisse un matelas d'harmonies fantomatiques. Splendide.
Du coup, la musique a une place bien plus grande que la performance, et leur disque "Live aux Instants Chavirés" est à mon avis le plus accessible et le plus facilement réécoutable pour découvrir et apprécier le travail d'improvisation de Léandre.

léandre cappozzo à la dynamo

Charles Gayle trio

Après l'impro, du Free, du pur, qui arrache, en direct héritage d'Albert Ayler : la même énergie féroce et éruptive, le son énorme et plein, la même base de Blues et de gospel transcendés, transmutés par l'énergie. Depuis quelques années, Charles Gayle se déguise sur scène en "Streets the clown", et je lis que certains concerts se transforment en harangues et discours religieux. Pas de ça ce soir : de la musique, que de la musique, qu'il commence en trio au saxophone, poursuit au piano en trio ou solo, et conclut de nouveau au saxophone.
Pour l'accompagner, Larry Roland à la contrebasse et Michael Wimberly à la batterie composent le magma d'énergie habituel au Free Jazz, un chaos agités de remous de remugles et de vrombissements en tous genres. Mais c'est le saxophone ténor de Gayle qui accroche l'attention, qui fuse en tous sens, hurlant dans les aigus, tournoyant, déchirant.
Quand il passe au piano, c'est beaucoup plus calme, même si ça reste Free : des clusters certes, mais des exploration plus faciles à suivre entre le rythme et l'harmonie. "Inner Edges" par exemple propose un thème aux angularités façon Thelonious Monk, mais que viennent interrompre et parasiter des incises divergentes plus proches de Cecil Taylor.
En interludes, quelques solos de Larry Roland, laissé alors seul sur scène, me font étrangement penser à Jimmy Garrison. Et Charles Gayle n'oublie pas de faire un peu le clown, en mime autour du piano, ou offrant une rose à une dame du public. Mais c'est le musicien sous le clown qui impose sa stature impressionnante.

charles gayle trio à la dynamo

Ailleurs: Jazz Magazine

lundi 6 février 2012

Alexandra Grimal - Dragon Blanc (L'Improviste - 5 Février 2012)

Dans la multitude de formations qu'Alexandra Grimal mène de front, voici "Dragon Blanc", un trio dérivé du quatuor "Dragons", et qui préfigure, ais-je cru comprendre, d'autres métamorphose, dont un "Black Dragon" en forme de Big Band !
J'avais vu Dragons il y a trois ans, avant qu'il ne porte ce nom. Pour le passage en trio, c'est le batteur qui est absent. Et ce soir, comme un piano reste à demeure sur la scène de l'Improviste, Jozef Dumoulin le préfère à son habituel Fender Rhodes.
Piano, guitare, saxophone. Une formule aérienne, qui flotte facilement, sans les fondements d'une paire rythmique batterie-basse ! Bien sur, les musiciens pourraient chacun leur tour assurer cette part (la guitare a longtemps servi pour marquer le rythme dans les groupes de Jazz, avant l'arrivée de la batterie). Mais pas ici. Dragons, c'est le versant le plus "musique composée" d'Alexandra Grimal. Certains morceaux prennent plusieurs pages de partition ! Et dans son écriture, les trois instruments jouent et improvisent en même temps, en parallèle.
Ce mode de fonctionnement nécessite une belle écoute, et me rappelle (de loin) le travail de Steve Coleman : ce ne sont pas des thèmes au service des solos, mais des solos au service de la musique ! Si bien qu'au-delà des jeux individuels, c'est le travail en commun qui compte, le jeu avec la densité par exemple, de l'épars au compact.
Pour la deuxième partie, on se rapproche d'un Jazz plus habituel, où les individus posent plus leur marque : la fluidité de Nelson Veras, le lyrisme d'Alexandra Grimal, la virtuosité tranquille de Jozef Dumoulin. Dans cette salle encore peu connue, un dimanche après-midi bien froid, y compris sur la scène où les musiciens se frottent les mains pour se réchauffer entre les morceaux, nous ne sommes guère qu'une vingtaine à profiter de cette musique, dont pas mal d'habitués. Tant pis pour ceux qui ne sont pas venus !

alexandra grimal - dragon blanc

Jean-Efflam Bavouzet - L'esprit Debussy (Cité de la Musique - 4 Février 2012)

Claude Debussy - Images pour piano

Le livret est cette fois particulièrement fourni, près d'une dizaine de pages ! Du coup sont expliqués les rapports entre les différents livres d'Images, pour piano et pour orchestre. Dans ce premier livre on peut apprécier certaines des caractéristiques fondamentales de Debussy : l'aquatique de "Reflets dans l'eau", la presque abstraction de "Hommage à Rameau", la virtuosité dansante et aérienne de "Mouvement".
Sous les doigts de Bavouzet, c'est la première qui me plaît le plus, qu'il donne avec une certaine distance presque nonchalante.

Pierre Boulez - Sonate n°1

Une belle mise en perspective pour cette pièce que de l'inclure dans un programme "Debussy". Bien sur, on est dans le dodécaphonisme, qui ce me semble commence à s'étendre vers les dynamiques, par exemple. L'effet est pointilliste, que la proximité debussyste colore d'une lumière un peu diaphane par moments, comme impressionniste. Surtout, Bavouzet rend cette partition beaucoup plus humaine qu'expérimentale : on y sent la colère dans les passages rapides, et une aspiration à la poésie, presque une tendresse même, dans les passages lents (poésie et fureur : René Char reste une influence majeure de ces années là).

Claude Debussy - Jeux

De ce que je comprends du livret, "Jeux" est d'abord une pièce orchestrale, mais que Debussy avait d'abord écrite au piano, si bien que cette version piano apparaît si simple que Bavouzet a réalisé une nouvelle transcription pour deux pianos, mix entre les deux versions debussystes. Mais même dans cette version supposée simplifiée et plus lisible en terme de thèmes et de tonalités, je suis rapidement perdu, comme c'est le cas pour la version orchestrale, je n'arrive pas à vraiment entrer dans cet univers.

Bela Bartok - Trois Etudes

Ces études apparaissent presque plus féroces et agressives que la sonate de Boulez ! Dans la première, il n'y a que la fureur, hérissée de dissonances. Le livret trouve des couleurs ligetiennes dans la deuxième étude, mais c'est aussi celle qui se rapproche le plus de l'univers debussyste, une présence d'eau et d'irisation. La troisième n'offre que de courts répits dans un martèlement rythmique au grand galop.
Bavouzet fait précéder ces études d'une pièce que Bartok a dédié à Debussy, une "improvisation opus 9", donc je suppose que c'est la troisième "Esquisse op. 9b", une drôle de musique, où un peu de douceur debussyste passe à travers les accords sévères de Bartok.
Rectificatif : il s'agissait en fait de "Improvisation n° 7 op. 20, In Memoriam Claude Debussy".

Claude Debussy - Etudes pour piano

Bavouzet a choisi les études 1, 2, 4, 7, 10, 11 et 5 (qui conclut bien !). Comme pour les Images, il maintient une certaine distance de sécurité, pour ne pas se noyer dans les entrelacs chatoyants, et garder une vision d'ensemble. Une fort belle conclusion à un fort beau concert.

dimanche 5 février 2012

Henri Texier - Skydancer Trio (Le Triton - 3 Février 2012)

Ce trio est inédit, nous répète Henri Texier. Mais pour autant, ces musiciens ne sont pas vraiment inconnus les uns aux autres. Entre le père Henri Texier et le fils Sébastien, la collaboration est si longue et féconde qu'elle tient de l'osmose ! Quant à Sean Carpio, c'est depuis plusieurs années le batteur du Sébastien Texier Trio, où Henri a été souvent invité en tant que deuxième contrebassiste.
Donc, ce sont des complices habituels. Mais dans cette configuration, ok, c'est une première. Elle permet à chacun de multiplier les solos. Henri Texier reste fidèle à lui-même, rayonnant d'enthousiasme, entre énergie maitrisée et lyrisme. Sébastien Texier brille au top, plénitude du jeu, improvisations solides, présence sereine et assurée, et ce quelque soit l'instrument, saxophone alto, clarinette, ou clarinette alto. Celui que je découvre plus ce soir, c'est Sean Carpio, un batteur qui aime les petites touches rapides, cela forme comme une fine pluie de rythmes, parfois un brouillard avec de jolies lumières. Mais je me demande si une présence moins envahissante en terme de niveau sonore, plus percussionniste, ne serait pas plus adéquate pour ce format en trio.
Les morceaux sont composés par les trois comparses. Beaucoup de balades, beaucoup de dédicaces à des musiciens de Jazz disparus récemment, mais quelques morceaux plus péchus, ou même plus bruitistes. Le dernier sera "Toxic Parasite" déjà joué par Sébastien Texier avec son quintet à "L'Improviste", et que j'ai hâte de voir sur un CD, c'est un fantastique moteur pulsant d'énergie rythmique, simple et imparable.

skydancer trio au triton skydancer trio au triton

Les Siècles - Le Faune (Cité de la Musique - 2 Février 2012)

Claude Debussy - Fantaisie pour piano et orchestre

Le (très court) livret explique que Debussy n'était guère satisfait dans cette oeuvre par l'équilibre entre le piano et l'orchestre. De fait, le piano Erard 1881 que joue Alain Planès est la plupart du temps presque couvert par l'orchestre Les Siècles, dirigé par François-Xavier Roth. Et sans doute avait-il raison de l'avoir gardée dans un placard : elle n'est pas particulièrement passionnante.

Claude Debussy - Prélude à l'après-midi d'un faune

Une belle interprétation, surtout dans son début, alangui et rêveur, une allure de promenade au milieu de la nature sensuelle ; pour la suite, j'ai entendu plus poignant ou plus mystérieux, mais c'était bien quand même !

Philippe Hurel - Phonus

C'est un concerto pour flûte, en même temps qu'un hommage au Faune de Debussy. On y traverse des climats successifs plus ou moins directement liés au chef-d'oeuvre debussyste. La soliste Marion Ralincourt nous offre une magnifique interprétation, dont une cadence qui m'époustoufle ! Il parait que ce morceau ne dure que 20 minutes ; il m'a semblé pourtant plus long, non pas par une quelconque impression d'ennui, mais par la variété et la richesse des épisodes !

phonus

Claude Debussy - Première suite d'orchestre

C'est une oeuvre de jeunesse, récemment retrouvée, et dont la troisième partie a été orchestrée par Philippe Manoury à partir d'une version pour piano à quatre mains. Du coup, c'est la partie la plus belle, puisque Manoury y a intégré les progrés que Debussy fera par la suite. Pour le reste, c'est assez grandiloquent, et sans grand intérêt, en-dehors du fait d'être un inédit de Debussy en création mondiale.

jeudi 2 février 2012

Stravinsky Strasnoy (Théâtre du Châtelet - 22 Janvier 2012)

Igor Stravinsky - Ragtime

Dans cette courte pièce, on sent bien l'hommage au Jazz du début des années 1920, dans le souple chaloupement du rythme. Mais cela ne suffit pas à tenir la distance, et ces même pas 10 minutes réussissent à devenir répétitives et lassantes. Ca manque de groove, et de solos !

Oscar Strasnoy - Usages du Monde

Quatre extraits d'un manuel de savoir-vivre de la Baronne Staffe sont chantés par les enfants de la Maîtrise de Radio-France, accompagnés d'un ensemble des musiciens de l'Orchestre Philharmonique. C'est plutôt rigolo, le texte daté étant traité de façon ironique, et l'accompagnement restant léger et décoratif sur les trois premiers morceaux. Pour la dissection des volailles, la musique se fait à ce point tonale qu'elle doit citer des lignes mélodiques déjà existantes (genre Mozart ou Haydn), ou alors c'est tout comme. Le tout est charmant, mais reste vraiment anecdotique.

Igor Stravinsky - Suite n°1, Suite n°2

Rien que pour ces suites, ce concert valait pour moi le déplacement. J'en adore les miniatures rythmiques, la vivacité des lignes, l'acidité des couleurs. Oscar Strasnoy, en chef d'orchestre, privilégie les contrastes des dynamiques, créant des arrières-plans et des mises en avant bien lisibles. J'ai un coup de coeur particulier pour la "Valse" de la suite n°2, un numéro d'équilibre et d’agilité qui a en fait l'air bien casse-gueule pour les solistes !

Oscar Strasnoy - L'Instant

Après cette série de courtes pièces, voici le morceau de résistance : un instant qui dure 45 minutes, avec choeur, maîtrise, grand orchestre, le contre-ténor Andrew Watts et le narrateur Benjamin Lazar.
C'est présenté comme étant un opéra, mais le livret semble plus flou, qui parle d'un "double narrateur", dont l'un commence par discuter avec les musiciens qui les entourent - comme s'il était prévu que seules des versions "de concert" soient données.
Cependant, histoire il y a : deux amis se jurent d'assister au mariage l'un de l'autre, mais l'un des deux meurt. Il revient pourtant assister au mariage, et invite son ami à le suivre un instant au paradis, instant qui dure 300 ans, et au retour duquel, apprenant la mort légendaire de sa femme, le visiteur meurt d'émotions. Au-dessus de cette histoire se greffent des effets "méta", narration distanciée, énumération de listes interminables, description de conventions opératiques, etc.
La musique est agréable, mais ressemble trop à du patchwork de citations diverses, certaines au premier degré, d'autres plus en ironie. Les enfants manipulent plus de percussions légères qu'ils ne chantent. Les lignes mélodiques du contre-ténor sont belles. La sonorisation du narrateur est trop importante et recouvre trop souvent le reste de la matière sonore.
Mais le principal problème est qu'à la fin de la pièce, je ne sais pas quel est le style véritable de Strasnoy, si tant est qu'il en ait un, sous l'accumulation des "à la manière de" plus ou moins directs. Et je ne sais pas non plus ce qu'il a voulu nous dire par cette histoire. Il y a bien du métier, dans les orchestrations, mais la personnalité de ce compositeur se retranche derrière trop de paravents. Comme dirait l'autre, il serait bon qu'il fende un peu l'armure ...

oscar strasnoy - l'instant

Ce concert a été diffusé par France Musique et est peut être écouté pendant encore quelques semaines.