mercredi 28 mars 2012

Bojan Z solo (Cité de la Musique - 25 Mars 2012)

C'est sans doute un rituel, puisqu'au moins trois de ses disques débutent ainsi : Bojan Z commence par tourner autour du piano, et l'ausculte, tapant une traverse ici, un peu les cordes là, tout en percussions et en résonances, avant de peu à peu s'installer au clavier, mais en laissant la main gauche dans les cordes, où elle joue batterie et contrebasse, tandis que la droite claironne le thème telle une section de cuivres. Le répertoire s'articule essentiellement autour du tout nouveau CD Soul Shelter enregistré en Juin (et il trouve ce délai de 9 mois entre l'enregistrement et la publication remarquablement court !). La première demi-heure se passe exclusivement au piano, entre morceaux fougueux tels que "Full Half Moon" et interludes plus tendres et émouvants comme "Dad's Favorit", dont il explique l'origine au micro (un air traditionnel que son père avait totalement transformé à force de le jouer). Quand il ajoute le Fender et le boîtier xénophone, la palette devient très variée, mains conjointes qui se poursuivent au milieu d'un clavier, ou au contraires séparées chacune sur son instrument, sur parfois un fond électronique d'une boucle plus ou moins aléatoire, un jeu solide où on sent les influences classiques, de Peterson à Hancock et Jarrett, sans oublier la musique classique, mais qu'il revitalise avec maestria et jubilation : même si des douleurs émergent ça et là, ou de passagères nostalgies, c'est avant tout du bonheur qui coule de ses doigts, celui de la musique, du jeu, de la générosité. Blues, mélodies balkaniques, rythmes réunionnais, les ingrédients se fondent dans une tambouille personnelle inimitable et bien reconnaissable, que je préfère grandement aux excès du Tetraband.
Comme c'est le dernier concert de cette série de trois, et que c'est l'heure d'été, il nous sert copieusement en bis, pour terminer sur un thème certainement très connu (Ellington maybe ?), donné très simplement, sans fioritures ni acrobaties, classe.

bojan z

dimanche 25 mars 2012

Donatoni Borowski Boulez Schoenberg (Cité de la Musique - 22 Mars 2012)

Franco Donatoni - Tema

Cette pièce pour 12 instruments est pleine d'allant et d'enthousiasme, de fraîcheur, presque d'innocence. On passe avec bonheur de fragment en fragment, avec en support un rythme soutenu qui unifie le tout, et des couleurs assez semblables également. Du coup, une impression de redite finit par s'installer, comme si le matériau musical ayant été intégralement parcouru, la pièce aurait pu être un peu plus courte.

Johannes Boris Borowski - Second

Ces 6 minutes de musique sont dédiées à Pierre Boulez, et de fait l'instrumentarium (flûte, 3 percussions dont marimba, piano, harpe, violon, alto) possède une texture brillante et pleine de résonance boulezienne. Mais la composition me semble rapidement tourner un peu en rond, ne pas du coup aller bien loin, et ne me laisse aucun souvenir.

Pierre Boulez - Eclat/Multiples

C'est Pierre Boulez qui aurait du diriger l'EIC, mais il a du renoncer sur avis médical, et George Benjamin le remplace. Le geste est vif, jusqu'au brutal, poing serré, frappe du pied. Mais l'oeuvre me semble plus éthérée qu'attendue. En fait, j'ai l'impression de n'avoir jamais entendu cette musique, que je possède pourtant sur un CD souvent écouté (mais pas récemment). Célesta, mandoline, cymbalum, ça vibrionne, avec de longues scintillations qui poudroient et se dispersent avant que les cordes n'attaquent énergiquement la séquence suivante. J'ai malheureusement du mal à ne pas succomber à une écoute passive où je perds beaucoup.

Arnold Schoenberg - Suite op. 29

Curieuse oeuvre pour septuor, où Schoenberg plie le dodécaphonisme dans des habits plus orthodoxes, annonçant à sa manière le néoclassique. "Ouverture", "pas de danse", "thème et variations", "gigue" : l'écriture est dépouillée, claire, beaucoup plus lumineuse que dans sa période initiale post-romantique. Je me demande ce que Stravinski pensait de cette suite, tiens ! Je découvre, et j'aime beaucoup (et du coup m'aperçois que ma collection Schoenberg dirigé par Boulez chez Sony est incomplète ...).

dimanche 18 mars 2012

Jeanne Added solo (Atelier du Plateau - 15 Mars 2012)

Après l'avoir vue en duo, trio et quartet, il me restait à voir Jeanne Added en solo, ce que l'Atelier du Plateau permettait de faire pendant trois soirs d'affilée. Elle se glisse au milieu des spectateurs en rangs serrés avec une petite demi-heure de retard, s'empare d'une basse électrique, et attaque. Le style musical est comme d'habitude difficile à définir, mais le format est clairement orienté "chansons", des morceaux courts, où la voix prend l'essentiel de la place (son jeu de bassiste est minimaliste, soutien rythmique et harmonique ; le seul morceau où elle le met plus en avant est une reprise de son groupe Linnake, où elle me fait penser au Simon Gallup des Cure), qui se terminent quand tout le texte a été dit, ce qui me laisse par moments sur ma faim. La pyrotechnie vocale est moindre que dans ses autres formations (mois de cris, pas de chuchotements), mais le mélange est toujours aussi mystérieux, entre énergie et émotion, sincérité et distance, force et fragilité. Le saxophoniste Thomas de Pourquery la rejoint sur scène pour uniquement chanter, d'abord "I carry Your Heart", instrumenté comme sur l'EP Carton, et qui est la version que j'aime le moins (par rapport à celle de "Yes is a pleasant country" ou du Vincent Courtois Quartet). C'est amplement rattrapé quand elle le rappelle pour le dernier morceau, un "Little Red Corvette" dont il doit chercher les paroles sur son smartphone, et qu'il prolonge en feulements aigus, dans la partie peut-être la plus improvisée du concert. Avant cela, on était passé par un autre morceau de Prince beaucoup plus confidentiel, par des textes de poètes anglais plus ou moins obscurs, par des climats variés, ponctués par les changements d'instruments (elle utilise aussi une guitare acoustique, et une guitare basse acoustique), et parfois colorés par les sons programmés lancés depuis un ordinateur. Un effort particulier est fait pour l'éclairage, qui pour une fois au Plateau est modifié de chanson en chanson.
C'est moins bouleversant que "Yes is a pleasant country", mais c'est une facette que je suis heureux de connaître de cette chanteuse à l'univers toujours aussi passionnant.

jeanne added solo

mercredi 14 mars 2012

Fabrice Lambert - Solaire (Théâtre des Abbesses - 9 Mars 2012)

Le dispositif scénique est à la fois fort simple (une matrice de projecteurs suspendus immobiles au-dessus du plateau vide) et élaboré (quatre projecteurs éteints créent une tache qui se déplace en même temps que le son, par exemple). Deux danseuses et trois danseurs (dont l'un fort atypique - un peu gros, un peu vieux, et bien barbu) parcourent la scène dans une danse athlétique et tranchante, saccadée comme une suite de poses. On passe par des moments vivement éclairés et très denses en énergie, et d'autres plus tamisés où les corps se reposent plus. Les passages énergiques sont souvent beaux et spectaculaires. Mais le tout manque de matière, ça tourne vite un peu en rond, sans que je trouve de fil directeur, et sans que je sois emporté quelque-part.
Une soirée qui en fait ne laissera guère de traces.

Ailleurs : MHF

Intersessions 9 (le Triton - 8 Mars 2012)

Conformément à la règle des intersessions, cette rencontre unissait deux membres de l'EIC, le clarinettiste Alain Billard et le bassoniste Paul Riveaux, à deux improvisateurs, le pianiste Benoît Delbecq piano et le saxophoniste (alto) Guillaume Orti.
Delbecq a préparé le piano, et y déploie de petits paysages percussifs, ou balinais, jouant le décalage, ou le légèrement en retrait. Il a vraiment un univers particulier qu'il faudrait que j'explore davantage.
Paul Riveaux semble un peu timide au départ, mais se lance dans de grands solos bien construits, démonte son instrument, glisse au micro que "tout a l'air de bien se passer", bref semble finalement prendre plaisir à l'expérience.
Alain Billard est venu avec un grand nombre d'instruments : des clarinettes soprano à basse, et quelques saxophones ! Et si ça ne suffit pas, il souffle dans un tube sans bec comme dans une flûte, et dans un bec sans tube pour faire sifflet.
Guillaume Orti souffle et stridule, joue par moments "normalement", ose même des mélodies, puis part en duo avec Billard dans des explosions de différentiels, ces effets obtenus en rapprochant des fréquences qui battent l'une contre l'autre en créant des ondulations rapides. Leur duo avant la pause est ahurissant !
Beaucoup de plaisir et d'humour, et de surprises, entre eux, avec le public, et même par rapport à eux-même je pense.

intersessions 9


INTERSESSIONS # 9 (1/2)

vendredi 9 mars 2012

Webern, Wagner, Strauss (Salle Pleyel - 6 Mars 2012)

Anton Webern- Six Pièces Op. 6

Pour commencer ce programme qui ira de la mort à la mort, en passant par un peu de passion et de transfiguration, voici l'oeuvre de Webern que j'entends sans doute le plus régulièrement en concert (tous les 2 ans).
Comme souvent, la première pièce est finie avant que j'ai pu réellement commencer à l'écouter. Dès le deuxième épisode interviennent des frottements étranges, des stridences soudaines. Même en-dehors de la marche funèbre particulièrement livide et hallucinée, toutes les mélodies et les climats semblent dévastés, partant en lambeaux, vécus dans le déchirement lui-même (passages d'une grande violence sonore) ou dans l'après immédiat, spectacle de désolation. La lumière finale qui baigne certains passages des derniers mouvements permet un espoir de reconstruction.
Comme tout au long du concert, Marek Janowski réussit à garder quelques secondes de silence avant les applaudissements.

Richard Wagner - Wesendock-Lieder

Dans ce cycle, j'ai du mal à ne pas concentrer toute mon attention sur "Im Treibhaus", qui annonce "Tristan und Isolde". Nina Stemme s'engage dans cette luxuriante musique avec une grande passion et beaucoup d'intensité et d'aplomb.

Richard Strauss - Mort et Transfiguration

Après l'entracte, mes camarades me convainquent (remarquable exploit !) de déménager depuis le haut du premier balcon vers le haut du deuxième balcon. L'acoustique y est sans conteste bien meilleure, voire même exceptionnelle.
Du coup, le début de ce grand poème symphonique brille de mille détails, dans la suite de petits solos enchaînés par les pupitres du Rundfunk-Sinfonieorchester Berlin. Je finis par me perdre un peu dans la succession des pleins et des déliés, entre les tutti orchestraux qui par moments saturent la capacité d'absorption de la salle Pleyel, et les moments plus délicats, et ne capte que de loin en loin la ligne narrative. Mais pour une fois, cela ne me semble pas boursouflé et indigeste, je finirai peut-être par vraiment aimer la musique de Strauss !

Richard Wagner - Prélude et Mort d'Isolde

Excellente interprétation de ces superbes pages orchestrales. Depuis le mystère de l'accord flottant initial qui s'avance vague après vague pour finalement nous submerger dans le lit confortable des cordes, aux vastes déploiements où tout l'orchestre entrecroise les thèmes passionnés, c'est un prélude parfaitement maîtrisé et qui emporte.
Nina Stemme est une grande voix wagnérienne, d'une grande présence et puissante sans forcer. Mais ici, j'aurais préféré un peu plus de fragilité, un peu de déraillement peut-être, puisqu'il est question d'une femme qui délire et qui meurt.
La fin "Ertrinken, versinken, unbewusst, Höchte Lust" me fait penser au "Ewig Ewig Ewig" de la fin du Chant de la Terre.

stemme janowski

Ailleurs: Simon Corley, Joël
Le concert peut être écouté pendant quelques semaines sur France Musique.

lundi 5 mars 2012

Marguet Erdmann Duo (L'Improviste - 3 Mars 2012)

Et c'est encore devant une salle quasiment vide que se produit cet excellent duo de musiciens, qui ont déjà joué ensemble mais accompagnés, et qui rodent cette formule en duo, qui donnera lieu à un disque en Septembre.
Dans la présentation sur le site de l'Improviste, Christophe Marguet explique que c'est "du Jazz, oui, mais du Jazz libre !". Je dirais pour compléter : "du Jazz libre, oui, mais pas du Free Jazz !". En effet, le batteur construit son discours sur des schémas rythmiques à peu près fixes, qui marquent le temps, et le saxophoniste ténor Daniel Erdmann se base sur des structures thématiques, peut-être même utilise-t-il des grilles d'accords. Ce langage de "post-bop moderne élargi" leur permet un dialogue fécond, où règnent l'équilibre, le partage, la spontanéité, et le plaisir. Ca pulse, c'est énergique, mais sans excès non plus : ils pourraient l'un comme l'autre déchaîner plus de violence, mais pour quoi faire ?
Christophe Marguet utilise un set de batterie riche en cymbales, et augmenté de percussions, qu'il combine pour varier les couleurs, mais toujours dans une optique de batteur. Daniel Erdmann présente en français certaines de ses compositions. Dans leurs échanges, j'aime comment parfois un repère soudain se met en place sur lequel ils se synchronisent avant de repartir de plus belle à l'aventure.

Un beau duo, qui propose deux sets bien pleins en sensations, et sans une seconde d'ennui.

marguet erdmann duo à l'improvistemarguet erdmann duo à l'improviste

Et pour une fois, j'ai décidé de tester le mode "vidéo" de mon appareil photo, en enregistrant 3 séquences, dont voici la première, les deux suivantes sont enchaînées.


Christophe MARGUET Daniel ERDMANN Duo à...

dimanche 4 mars 2012

Planning Mars - Avril 2012

Deux passions, puis deux semaines pour s'en remettre, faudra bien ça (j'espère !).

S'y rajouteront des concerts de Jazz, décidés plus impulsivement et parfois annoncés sur Twitter, mais où on devrait trouver :

samedi 3 mars 2012

Vincent Peirani - Living Being (Duc des Lombards - 29 Février 2012)

Après quelques formations atypiques (accordéon + violoncelle sur Est, accordéon + saxophone + guitare sur Gunung Sebatu), Vincent Peirani monte un quintet beaucoup plus habituel, qui donne ce soir son premier concert devant public.

Julien Herne impulse à la basse électrique une base puissamment terrestre, lourde et forte, qu'il agrémente parfois de distorsions au pied sur les nombreuses pédales d'effet, ou de petites envolées mélodiques qui surprennent. Yoann Serra complète par une batterie en cavalerie légère, jeu aérien, scintillant, en rebonds et trilles.
Tony Paeleman nimbe l'atmosphère de couleurs dorées tirées de son Fender Rhodes.
Et devant, on a deux virtuoses : Vincent Peirani, qui assume l'héritage de l'accordéon mais le sublime en nous emmenant fort loin de la musette ou du folklore, vers des paysages renouvelés, riches en harmonies subtiles et en mélodies véloces ; et Emile Parisien habite la scène de son jeu contorsionniste, fiévreux et extatique au soprano, plus profond et méditatif au ténor.

Les deux sets proposent la même liste de morceaux, parce que c'est là tout ce qu'ils ont pour l'instant en magasin, avec des titres qui ne sont sans doute pas définitifs, et qui indiquent d'où ils sont partis : une presque-balade, une sorte de valse, un hommage à Monk, une suite balinaise, une reprise de Michel Portal (présenté comme "leur grand-père" ...). Mais ces morceaux ressemblent à ceux du Emile Parisien Quartet : ils traversent de nombreux climats au cours de leur progression, et proposent un voyage parfois déboussolant.
Pour l'instant, tout n'est pas encore en place. Les discussions entre musiciens entre les deux sets sont assez intenses, sur l'ordre des morceaux, sur la manière de se recaler en cas de problème, sur la longueur de certains passages. L'avenir nous dira comment le groupe va évoluer !

vincent peirani - living beingvincent peirani - living beingvincent peirani - living being

Ailleurs : JazzMag