mercredi 30 mai 2012

Joëlle Léandre - Chantier ! (Galerie G - 26 Mai 2012)

Encore un lieu bizarre, une sorte de galerie d'art installée dans une sorte de parking souterrain ("l'art au garage"). Depuis une semaine, Joëlle Léandre donnait des cours d'improvisation à une quinzaine de musiciens, et ce concert est leur spectacle de fin de stage. Les appariements ont été tirés au hasard, et donnent une dizaine de séquences, pour solo, duo, sextets, jusqu'à l'ensemble complet. Il y a une vaste variété d'ages, et d'instruments, même si je suis surpris par le nombre de vocalistes. Comme ils ne se sont pas présentés, je ne sais pas très bien qui est qui. Du coup, voici la liste complète des participants :

  • Joëlle Léandre / Contrebasse
  • Baptiste Arnaud / Clarinettes
  • Simonetta Parisi / Piano
  • Dora Stalidou / Piano
  • Fred Marty / Contrebasse
  • Guillaume Lys / Contrebasse
  • Christophe Delerce / Bandonéon - Clarinette
  • Dominique Wisniewski / Guitare
  • Pierre Jeammes / Voix
  • Pascale Tardif / Voix
  • Bianca Iannuzzi / Voix
  • Rafaele Arditti / Trompette - Tuba
  • Véronique Weeger-Ernoult / Violon
  • Jacques Pochat / Saxophone ténor


Tous ne réussissent pas à s'imposer, au cours de ces courtes séquences de 5 minutes. Parfois, d'ailleurs, personne ne réussit, et ça donne une plage uniforme qui ne mêne pas à grand-chose. Et puis, par moment, quelque-chose se déclenche, un envol du violon, une manipulation sonore de la guitare, une voix qui s'exclame, un piano joué dans les cordes (comme le piano est droit, c'est visuellement inhabituel !), et la magie opère. C'est la faire durer, et en assurer la survenance à chaque fois, qui leur demandera des années de pratique !
Le plus beau, c'est que c'est le dernier morceau qui est le plus réussi, pour deux contrebasses, bandonéon et violon, qui démarrent en force, s'offrent un répit, puis repartent en trombe, avec une belle unité. D'ailleurs, comment se mettre d'accord pour s'arrêter ensemble est un des jolis mystères de l'improvisation, surtout quand les plages sont si courtes.
Je ne sais pas si je recroiserai un jour certains de ces musiciens, en tous cas, c'était un très agréable concert d'après-midi.
Joëlle Léandre - Chantier! à la Galerie G par Laurent_Gautier_7

Le Tour du Monde en 80 Jours (Café de la Gare - 23 Mai 2012)

Mon beau-frère en vadrouille à Paris préférant le théâtre au cinéma, je choisis parmi les spectacles mis en avant par Télérama cette adaptation du "Tour du monde en 80 jours". Le lieu déjà m'attirait : c'est la première fois que je vais au mythique Café de la Gare. Etrange salle : on traverse des couloirs ornés de bibliothèques avant de déboucher dans une salle que la scène coupe en biais, avec des rangées de sièges disposées en triangle, sous un plafond partiellement masqué soutenu par de splendides poutres apparemment fort anciennes. La scène n'est pas bien grande, et le décor minimal : une fausse scène est bâtie sur la vraie, avec un semblant de portes, de chaises et de table, qui figurera quelques boutiques, mais surtout de nombreux compartiments de chemins de fer ou de paquebot.
Ce n'est plus la fameuse "troupe du café de la gare" qui officie, mais les quatre comédiens et la comédienne, dont certains endossent moult costumes successifs au gré des personnages, sont pétaradants de fantaisie et d'énergie. Comme la pièce est donnée depuis plusieurs années, ils l'agrémentent de petites touches d'actualité, ce qui permet d'échapper à la routine. Ca permet aussi de revenir, puisque dans quelques mois le texte aura suffisamment changé pour générer des surprises ! Certaines répliques passent de toute façon trop vite pour en épuiser le charme en une fois.
Donc, un spectacle très tonique, joyeux, qui ne prend pas la tête, une excellente petite soirée. le tour du monde en 80 jours

dimanche 27 mai 2012

Ciné-concert - Dr Jekyll and Mr Hyde (Cité de la Musique - 22 Mai 2012)

Sur l'écran, c'est le "Dr Jekyll and Mr Hyde" de John S. Robertson, datant de 1920, avec dans le double rôle principal un très impressionnant John Barrymore, jeune premier banal qui éclate dans le visage du monstre, yeux tirés, sourire sardonique, une figure du mal extraordinaire.
Sous l'écran, trois musiciens : le batteur Cyril Bilbeaud et les guitaristes Serge Teyssot-Gay et Marc Sens. Ils jouent sans discontinuer pendant tout le film, une coulée musicale d'un seul bloc, mais qui propose deux climats très différents pour les deux faces du héros. Pour Jekyll, l'accent est mis sur les cymbales, qui grincent et qui couinent, avec les guitares un peu en retrait, comme flottantes. Pour Hyde, le rythme est plus martelé, et les guitares vrombissent, et hachent l'espace de sourds clusters (pom-pom, pom-pom, mais en plus lourd). C'est une plongée dans les marécages sordides et convulsifs de l'âme humaine.
A la fin, Mr Hyde s'est suicidé avant de pouvoir tuer la fiancée de Dr Jekyll, un ami conclut avec raison que "Mr Hyde a tué le Dr Jekyll", et quand la lumière revient, les guitaristes épongent leur sueur, qui ne vient pas pour une fois des projecteurs : tenir cette puissance de feu pendant plus d'une heure est aussi une épreuve physique.
Comme d'habitude pendant les ciné-concerts, j'ai eu du mal à ne pas somnoler, malgré la narration très forte du film et la musique bien prenante du trio, et je ressors avec les oreilles qui bourdonnent un peu, mais satisfait.

Spotify : Serge Teyssot-Gay est connu en tant que membre de Noir Désir, mais il expérimente d'autres musiques dans d'autres contextes, par exemple en duo avec Khaled Aljaramani dans le groupe Interzone : Interzone - 2ème Jour. On parle aussi pour bientôt d'un disque en duo avec la contrebassiste improvisatrice Joëlle Léandre, c'est dire l'étendue musicale de cet homme.
Je ne connais pas Marc Sens, mais ce disque fait déjà peur à lui tout seul : Marc Sens - Distorted Vision.

Marco Stroppa - Re Orso (Opéra Comique - 21 Mai 2012)

A une époque, Marco Stroppa était fortement mis en avant par l'IRCAM et l'EIC, comme jeune compositeur à suivre : je me souviens que Pierre-Laurent Aimard avait conclu un cycle de conférences sur le piano au XXe siècle par un numéro consacré à Stroppa, après avoir consacré les précédents à Messiaen ou Ligeti (il y était question de personnages rythmiques, qui se transformaient selon des méthodes post-spectrales, et que j'avais été incapable de suivre malgré les exemples joués par Aimard). Il avait ensuite largement disparu de mon radar. Le revoici dans une création d'opéra, intitulé "Légende musicale".
La parenté qui me semble la plus évidente est avec Luciano Berio : un matériel disparate mais sous contrôle, de l'humour souvent grinçant, un amour pour des mélodies qui se chantent ... Mais le tout revu par l'IRCAM, donc avec un habillage électronique très présent, jusqu'à devenir omniprésent dans la deuxième partie.
L'histoire est celle d'un roi tyran, meurtrier et violeur, poursuivi par la voix d'un ver, qui finit par mourir sans rédemption.
Il y a une introduction, puis deux parties, découpées en huit scènes, chacune étant présentée dans le livret par un titre et un climat musical : "Histoires anciennes ébouriffées (passacaile rocky avec verve)" ou "Noces et chansons (outrecuidant) et intermède historique (festif, chaotique)". Le spectacle est sans entracte, en 1h20.
Dans la fosse, Susanna Mälkki dirige l'Ensemble intercontemporain, ou plutôt même un sous-ensemble de 10 musiciens de l'EIC, complété de 2 additionnels. Cet effectif de musique de chambre, qui fonctionne ainsi par moments, avec des passages solistes au violon ou au cor je crois, est largement amplifié, par des dispositifs électroniques divers, et autres, comme ce piano mécanique programmé à la Nancarrow pour jouer des dizaines de notes à la fois. Il est du coup parfois malaisé de se repérer dans cet univers musical complexe, entre les sons joués directement, ceux enregistrés et rediffusés, ceux transformés et spatialisés, ceux générés ex-nihilo, etc.
Des modèles musicaux permettent cependant de ne pas être trop perdu. Les premiers pas de la contrebasse sont indéniablement issus du Jazz, en gros slapping rythmique. Il y a un peu plus tard un air de tango joué à l'accordéon. La mort du tyran est précédé d'une cloche très proche de celle de "mortuos plango vivos voco". Et cette matière protéiforme s'adapte scène après scène au déroulé de l'histoire, férocité chaotique, farce cruelle, ou mélopée désespérée.

La mise en scène tire partie de moyens limités mais bien suffisants, avec un bloc central monté sur cables qui sera table ou autel ou lit selon les besoins. Les acteurs sont invités à se balader un peu partout, depuis la fosse (où je peux les suivre en me levant, ayant préféré ne pas me replacer et du coup restant au dernier rang occupé du Paradis) jusque dans les cintres au-dessus de la scène (où là par contre ils disparaissent à mes yeux).
Dans les chanteurs, Rodrigo Ferreira, contre-ténor, impressionne en roi Ours, tant vocalement qu'en engagement scénique, surtout qu'il n'est venu dans l'équipe qu'en remplacement, un mois avant la représentation. La voix de Monica Bacelli, pour le ver, est continuellement accompagnée d'électronique qui le réverbère et la diffuse. La soprano Marisol Montalvo, la femme forcée du roi, lance des aigus superbes. Toute la troupe, une dizaine de chanteurs et acteurs, joue pleinement la comédie.
Après que les musiciens de l'EIC aient quitté la fosse en montant sur scène dans une pagaille chaotique, tout en dansant et jouant leur musique, il y a une sorte de choeur chuchoté puis de grandes plages électroniques, qui sont moins captivantes (et un solo final d'accordéon, moins bon aussi). Mais l'ensemble de la pièce est un beau succès, largement applaudi, même si la salle n'est pas pleine. re orso Ailleurs : Joël, Claude Samuel, Philippe Venturini. Pour quelques temps, la captation est disponible sur France Musique.

mardi 22 mai 2012

Keystone Big-Band (L'Improviste - 20 Mai 2012)

Comment placer 17 musiciens sur une petite scène de Jazz ? Ce doit être une énigme que le big-band lyonnais a appris à résoudre à chaque concert ... Ce soir, ils débordent à peine. En colonne sur la gauche, on a la section rythmique : contrebassiste, batteur, pianiste et guitariste. Debout au fond, les 4 trompettistes. Et assis devant, d'abord les 4 trombonistes, et au premier rang les 5 saxophonistes. Leur invitée complémentaire, la jeune chanteuse Célia Kaméni, se contentera d'un micro au pied de la scène, tout devant les spectateurs.
the amazing keystone jazz big band à l'improviste Une douzaine de cuivres, ça dépote. Ca fait même un sacré boucan. Il faut du coup amplifier la voix, ou forcer sur le piano, pour qu'on les entende. L'ingénieur du son a du avoir plus de boulot que d'habitude ! Mais ça n'empêche pas la finesse. Les arrangements de Bastien Ballaz pour "La chanson" de Nougaro sont par exemple particulièrement réussis, qui offrent un contrepoint joliment ouvragé entre les lignes de cuivres. Agréables aussi, les pauses où seul joue le quartet rythmique.
Contrairement à d'autres big-bands où les solistes se succèdent en tirs rapprochés, ici pour chaque morceau il y a en général deux solistes, qui ont donc tout leur temps pour exposer leurs idées. Principalement, on notera le trompettiste David Enhco, le tromboniste Bastien Ballaz, et les saxophonistes Jon Boutellier et Pierre Pothin (pour l'un de ses derniers concerts dans cette formation).
Il y a beaucoup de standards, répertoire habituel des big-bands, auxquels celui-ci rend hommage, mais aussi quelques créations, dont un excellent "New Orleans Drunk Party", de Bastien Ballaz, encore lui !, qui commence par une belle prestation du batteur Romain Sarron, et contient un réjouissant dialogue trombone-saxophone.
the amazing keystone jazz big band à l'improviste Mais au-delà de l'aspect purement musical, c'est l'ambiance qu'ils amènent avec eux qui compte ! Ce sont pour la plupart des jeunes musiciens, et ils ont belle insouciance, une décontraction bienvenue : ils papotent pendant les solos, se retournent pour saluer une performance particulièrement surprenante, mais se reprennent dès qu'il s'agit de recommencer à souffler dans leurs instruments (professionnels avant tout). Jon Boutellier présente les morceaux et les musiciens avec force blagues et déconnades, sans se prendre au sérieux, et sans que ça sente trop la répétition ou la redite.
Pour quelques morceaux, Célia Kaméni les accompagne au chant. sa voix était un peu trop noyé par le mixage sonore difficile pour que je puisse me faire vraiment un avis. En tous cas, belle présence scénique. Jugez sur pièce avec cet extrait, si vous voulez.
Keystone big band + Célia Kaméni - Born to be blue par Laurent_Gautier_7

Carte Blanche à Anne Paceo (Péniche Anako - 18 Mai 2012)

Pour cette session de sa carte blanche mensuelle, Anne Paceo a réuni un contrebassiste qu'elle connait bien, Joan Eche-Puig, son complice dans le trio Triphase, et un jeune saxophoniste américain, Logan Richardson. J'ai grand plaisir à retrouver la paire rythmique, qui fonctionne de mieux en mieux ensemble, spécialement quand ils accélèrent, la grosse claire de la batterie devenant par moments une prolongation de la contrebasse, ils s'unissent en une seule grosse machine à rythme, c'est assez jouissif. Le saxophoniste m'a moins convaincu. Il possède une belle technicité, et une capacité de virtuosité véloce impressionnante, mais sa sonorité se contente d'être puissante, sans guère de couleurs ou de subtilités. Du coup, ça manque de finesse, et de passion : il semble toujours un peu détaché, pas vraiment impliqué dans ce qu'il joue. Dans le répertoire de la soirée, il y a des morceaux composés par Anne Paceo (dont au moins un nouveau morceau, sans encore de titre, elle compose beaucoup !), et des reprises, dont quelques Monk bien sentis.
A part ça, cette session était, plus encore que celle du mois dernier, prise d'assaut par un groupe de rencontres, qui papotent en buvant du vin et squattent les premiers rangs, ça a tendance à m'énerver (surtout le fait qu'ils prennent les meilleurs places alors qu'écouter la musique n'est pas leur raison première d'être là).
pacéo puig richardson

lundi 21 mai 2012

Anne Teresa de Keersmaeker - Cesena (Théâtre de la Ville - 14 Mai 2012)

Il y a des spectacles dont la vision peut totalement varier en fonction de son emplacement dans la salle et celui-ci en fait partie. Milieu du troisième rang, place idéale (j'ai été gâté, cette année, au Théâtre de la Ville ; et si être aux premiers rangs pour les pièces sur-titrées est parfois pénible, c'est largement compensé par des soirées comme celle-ci).
Cette pièce a de nombreux similitudes avec le "En atendant" de l'an dernier, par échos, en prolongations, et par miroirs. Au flûtiste introductif d'alors succède un chanteur nu, qui se lance dans un exercice de respiration, inspiration sifflante, expiration à la limite du cri. La pleine luminosité qui plongeait lentement dans la pénombre d'alors s'inverse en une obscurité presque totale qui peu à peu s'éclaircit : "Cesena" était donné à Avignon au très petit matin. Les musiciens jouant de l'ars subtilior sont remplacés par un choeur mixte mais surtout masculin, l'ensemble Graindelavoix dirigé par Björn Schmelzer, dont les membres se mêlent à ceux de Rosas, tous finalement dansant et chantant, ce qui rend les identifications parfois hasardeuses. L'ars subtilior persiste, et s'intensifie : c'est aussi, et en ce qui me concerne, surtout à une exceptionnel concert, qu'on assiste : je suis saisi par ces polyphonies vocales savantes, expertes même, et que Graindelavoix pourtant assouplit d'une interprétation qu'on pourrait croire par moments improvisée, qui en tous cas sonne naturelle et vivante, pas figée en langue morte.
L'habillage de cette musique par la danse est sous le signe du minimalisme (une des racines de "Rosas" !). Un plateau nu, mais surtout, pendant un long temps, presque invisible, tant la lumière est faible. Mais quelle tension dans cette obscurité ! Elle crée une zone frontière fascinante, vers laquelle les regards se tendent, les oreilles s'affinent. Une femme allongée devant à droite, et des voix qui s'élèvent dans le fond à gauche, désincorporées, et cela crée une étrange stéréophonie. Des bruits de pas lourds dans cette zone aveugle, et c'est une sensation de danger qui se crée.
Tous n'ont pas été sensible à cet aspect, et ce sont des dizaines de spectateurs qui quittent plus ou moins bruyamment la salle. Peut-être de leur hauteur ne voyaient-ils vraiment pas assez pour sentir cette tension qui forçait à scruter les ténèbres. Mais plus tard, quand la danse jaillira plus évidente, et que la lumière se sera faite sur le plateau, l'hémorragie continuera, à peine ralentie. Soit un "trop peu de danse et trop tard", soit c'est la musique qui les pousse à fuir : ces lignes si savamment superposées et enchevêtrées, mais d'avant l'âge des accords parfaits, fait peut-être grincer leurs oreilles anesthésiées par trop de musique tonale.
Il faut attendre trois quarts d'heure pour que la lumière s'impose. En parallèle, la danse, essentiellement rampante et en travail au sol au début du spectacle, s'est aussi levée, avec un mélange de marches (le nouveau territoire gestuel de Keersmaeker ?) et de courses en cercle (ça, c'est de l'ancien territoire revisité !). On finira par des bonds, bien sur !
La chorégraphe utilise dans le livret le mot "jubilation". C'est peut-être un peu trop fort ... Mais le mouvement général est bien celui-ci : avec le lever du soleil vient la fin (même si temporaire) des peurs nocturnes, des forces obscures de la guerre, de la violence, des cadavres, et viennent plus d'harmonie, de travail en commun, de célébration et d'union, que symbolise aussi le mélange entre les deux troupes, pour créer de magnifiques images.
Par exemple, ce magnifique solo d'un danseur qui cherche à s'épuiser en gesticulations et courses bridées, que quelques camarades essaient de calmer et de retenir, qui dégage une force animale et désespérée, avant qu'il ne s'écroule et s'allonge, apaisé peut-être, en fond de scène, bientôt entouré de trois femmes, qui rappellent à la fois une pieta et les trois Parques, tandis ques tous les autres s'alignent en diagonale à l'avant du plateau, pour entamer un chant.

anne teresa de keersmaeker - cesena
Ailleurs: Palpatine, Le Petit Rat, Ali Gateau
Spotify: Je ne mets plus systématiquement ces liens vers des albums Spotify, parce que je pense que personne ne les utilise. Mais ici, j'ai été surpris de découvrir que l'album de ce spectacle y est disponible : Cesena: Songs for popes, princes & mercenaries

samedi 12 mai 2012

Schumann / Kyburz (Cité de la Musique - 5 Mai 2012)

Robert Schumann - Ouverture de Manfred

C'est peut-être la première fois que j'entends du Schumann par un orchestre professionnel, ici l'Orchestre Philharmonique de Radio-France, dirigé par Lothar Zagrosek. Ca ne change pas grand-chose au résultat final : j'écoute sans déplaisir, mais sans aucune excitation particulière. Je crois que ce qui me surprend le plus, c'est justement l'absence de surprises dans l'orchestration et les couleurs, tout est traité dans une pâte bien trop homogène, où il manque pour me capter l'oreille des passages solistes plus chambristes, ou des alliages de timbres plus inattendus.

Hanspeter Kyburz - A travers

Il avait fallu attendre un bon quart d'heure le début du concert, parce qu'un musicien avait un problème de santé, et il faut de nouveau attendre un bon quart d'heure le début de ce concerto pour clarinette, parce qu'il faut déplacer tous les pupitres, afin de découper l'orchestre en deux parties à droite et à gauche, le soliste étant bien sur au milieu. C'est une pièce de 1999, révisée en 2004, mais que je situerais quand même dans les oeuvres anciennes de Kyburz, quand il était un compositeur intéressant, mais pas encore passionnant. Il y a une trop grande quantité d'informations à digérer sans repères suffisants, du coup, j'assiste de l'extérieur aux démonstrations de virtuosité d'Alain Damiens, et aux déferlements orchestraux. Alors que j'adore la clarinette, il ne me reste que peu de souvenirs au final.

Robert Schumann - Concerto pour violoncelle

Après le musicien de l'EIC Alain Damiens, l'ex-musicien de l'EIC Jean-Guilhen Queyras. Qui commence par longuement régler son siège - que de temps morts dans ce concert ! Le livret est assez ambivalent, où les adjectifs enivrant pétillant ou magique sont suivis de "l'attention peine à se maintenir dans une forme sonate peu impulsée de l'intérieur", "mouvement un peu mécanique", "d'essence lyrique et non-brillante, l'oeuvre tarda à gagner la faveur des interprètes". De fait, la ligne de chant du violoncelle ne me touche pas, et les couleurs orchestrales me semblent tout aussi banales et quelconques que pour Manfred, du coup ça m'entre dans une oreille sans faire frémir l'autre ...

Hanspeter Kyburz - Touché

J'espère que c'est à cause des retards accumulés que plusieurs spectateurs quittent la salle avant le début de cette pièce. Tant pis pour eux : ils ratent le meilleur ! Que ce soit un mini-opéra (ou un oratorio ?) pour deux voix qui gagne la palme par rapport à un concerto pour clarinette et un concerto pour violoncelle, je ne m'y serais pas attendu ! Mais dans cette oeuvre écrite en 2006, et en création française ce soir, je retrouve les aspects néo-classiques de Kyburz, qui lui vont à ravir, parce qu'il les mélange à de l'avant-garde, en créant des tensions et des changements de climats qui aident à structurer l'architecture, à maintenir l'attention, et à relancer le discours dans de nouvelles directions. Il s'agit d'un dialogue entre un ténor (Daniel Kirch) et une soprano (Cornelia Horack), couple qui se dispute, par des lambeaux de phrases échangées ou interrompues, acerbes, avec des formules répétées, avant de chanter plus en duo. Pendant ce temps, l'orchestre brille de mille feux, lance des mélodies que le couple se refuse, communique des émotions, exacerbe et résout les tensions. Dans l'entretien publiée dans le livret, le compositeur explique avoir utilisé des algorithmes pour la partie musicale et aussi pour le texte, sous forme de contraintes imposées à la librettiste Sabine Marienberg. Mais c'est suffisament digéré et retravaillé pour que cet aspect devienne invisible. Ce qui ressort, c'est la sensation d'une forte structuration, mais sans qu'on sache exactement laquelle, et une beauté, une variété, et une puissance, dans le traitement orchestral, qui me donne envie d'en entendre plus.
philar / zagrosek / kyburz

mercredi 9 mai 2012

Peter Eötvös - London Symphony Orchestra (Salle Pleyel - 2 Mai 2012)

Béla Bartok - Musique pour cordes, percussion et célesta

Le premier mouvement me semble flotter un peu, un peu trop éthéré, et pas tout à fait correct dans la mise en place, que j'aime, pour ce mouvement, implacable de précision (Pierre Boulez, initialement prévu, aurait sans doute été plus maniaque que Peter Eötvös). Mais les mouvements suivants me plaisent énormément. Le joueur de timbale est particulièrement brillant, subtil et captivant, et le xylophoniste fort incisif. C'est vif et étrange, le célesta apporte sa touche de dépaysement extra-terrestre, et certains passages me surprennent par leur sonorités, comme ce duo timbale-violoncelles, alors que je croyais connaître tout ça par coeur.

Concerto pour violon et orchestre n°2

Du Bartok joyeux, ça alors ! Je croyais avoir déjà entendu ce concerto il y a quelques années, mais je confondais avec celui de Chostakovitch. Donc, en fait, c'est une découverte. Et elle est belle ! Le travail réclamé au soliste me semble assez impressionnant, tant il est omniprésent, mais Nikolaj Znaider s'y révèle d'une suprême assurance, avec un son plein, qui ne dégouline pas, et qui se joue avec presque du dédain des difficultés de la partition, tendue entre romantisme, dodécaphonisme, et traditions tziganes revisitées.

Karol Szymanowski - Symphonie n°3 "Chant de la nuit"

Il faut un gros effectif pour cette symphonie : un grand orchestre, un choeur (dont de nombreux membres avaient décidé d'assister à la première partie depuis leur arrière-scène), et un ténor (Steve Davislim). C'est court, mais c'est intense. Comme une symphonie de Mahler ramassée en moins d'une demi-heure. Mais c'est trop pour moi, et je me retrouve rapidement comme assommé par tout ce vacarme, cette profusion de couleurs et de sonorités, ces changements climatiques rapides, d'une richesse qui frôle l'indigérable (que Joël compare à Salomé m'explique pourquoi je n'ai pas aimé ...).
lso / eötvös / znaider
Ailleurs : Joël, Palpatine, Laurent, Simon Corley ...

samedi 5 mai 2012

Pina Bausch - 1980 (Théâtre de la Ville - 29 Avril 2012)

Cela fait des années que j'assiste au spectacle annuel du Tanztheater Wuppertal au Théâtre de la Ville, généralement en fin de saison, comme un rituel. Et des années que j'entends un peu toujours les mêmes critiques, à savoir que c'était mieux avant, que c'est devenu décoratif, redondant et inutile, que Pina Bausch n'avait plus rien à dire, se contentait de vivre sur sa gloire d'antan, en envoyant des cartes postales sans grand intérêt.
Cette année ne pouvait qu'être différente. Pina Bausch est morte, et ils n'ont plus de nouveau spectacle à présenter. Alors, on retourne aux sources : "1980", une des premières pièces, écrite après une autre disparition, celle de Rolf Borzik, son compagnon d'alors à la scène comme à la ville. D'un deuil à un autre, comment résonne aujourd'hui ce spectacle ?

On y retrouve plein d'éléments qui seront sans cesse repris dans les décennies suivantes. Une scène à la fois vaste, vide, et très présente, la première concoctée par Peter Pabst : une pelouse de gazon en rouleau, qui frappe par son odeur et son invasion des premiers rangs. Des costumes pour les hommes et des robes de soir pour les dames. Des musiques diverses montées abruptement, mais qui sont ici moins nombreuses que dans le futur, et qui du coup lassent plus vite. Et la longueur, plus de trois heures, avec un entracte.
Mais ce qui frappe le plus, c'est l'absence presque totale de danse ! A vrai dire, il est difficile de qualifier ce qui se passe sur scène. Souvent, les actions s'y superposent, des hommes et des femmes entrent et sortent de scène, des techniciens amènent et retirent des tables, des chaises, une estrade, des gens s'allongent sous des couvertures, discutent, apostrophent le public, font quelques pas de valse, prennent le thé et offrent des bonbons aux premiers rangs, ça s'agite de façon assez anarchique, sans qu'on puisse en tirer grand-chose.

Des thèmes pourtant s'installent. L'enfance, avec ces jeux ("how deep is the water", ou une sorte de jeu du furet, ou des chaises musicales sans musique), son innocence, sa cruauté, un refuge peut-être. Est-ce pour rappeler les capacités d'émerveillement des enfants qu'intervient un prestidigitateur ? Je m'en serais passé, ainsi que de l'encore plus anecdotique athlète de fond de plateau.
L'enfance comme un refuge loin du deuil, qui envahit périodiquement le plateau de sa pénombre gorgée de tristesse, où tout se calme quelques instants (d'ailleurs, tous ces corps qui s'allongent sous des couvertures ...).
La troupe elle-même se place en sujet, qui se constitue dans l'épreuve : ils se présentent par leur nom, trois mots pour désigner leur pays d'origine, leurs peurs, leurs cicatrices, des détails qui les individualisent ; et paradent, là aussi moment répété, à la file les uns des autres, sourires et mouvements de bras, parcours au sein du public (cette marche figure dans le film "Pina"), en formation collective. Je placerais aussi dans cette thématique le sketch des Miss, exhibition et humiliation, et l'évocation de la prostitution.
Et puis l'humour, dans la dérision, la tension, l'absurde, la caricature, comme cette scène ou ils prennent tous le soleil dans des poses ridicules.

Je me souviens d'un vieil article dans Télérama (apparemment pas disponible en ligne) où un critique racontait que dans une des pièces de Pina Bausch, un homme sortait des ballons en plastique de son slip, les gonflait puis les lâchait, et ce de manière lente et répétitive, et qu'un spectateur soudain hors de lui avait surgi sur scène pour l'empêcher de continuer. Son art tient aussi de l'épreuve, face à la durée, face aux répétitions (quoiqu'ici elles soient moindres : la seconde partie n'est pas un copié/collé de la première), à l'incompréhension. Et son "message" n'a jamais été simple à saisir. Il est d'autant plus surprenant qu'une telle foule se presse chaque année : pour moi ce n'est pas, loin de là, de la matière théâtro-chorégraphique amenée à devenir populaire. Mais là, pour analyser ce que les "cherche 1 place" s'attendent à voir, cela relève plus de la sociologie, branche "étude des religions".
Pour ma part, j'ai pas mal somnolé pendant la première partie, j'ai beaucoup mieux suivi la seconde, je n'ai pas tout compris, mais certaines images, certaines sensations, me restent vives une semaine après. Et puis, j'aime cette troupe, les visages qui vieillissent, les corps si différenciés, les retrouvailles, et la force qui se propage entre eux, et dont, il me semble, j'ai capté quelques bribes au passage.
1980 - une pièce de pina bausch
Ailleurs : Danse avec la plume, Ocita, Danse aujourd'hui, Aligateau, Palpatine, etc.

jeudi 3 mai 2012

Planning Mai - Juin 2012

Premier billet "Planning" écrit avec la nouvelle interface de Blogger. Voyons comment ça marche, les listes à puces, maintenant ...

Nora Gubish et EIC (Cité de la Musique - 25 Avril 2012)

Lu Wang - Siren Songs

Nous commençons par une courte pièce d'une jeune compositrice chinoise. Quoiqu'instrumentale, on y sent l'empreinte de la voix qui a servi d'inspiration, celle d'un conteur eunuque qui l'avait fascinée. C'est une pièce qui raconte une histoire, un peu trop hystérique et emportée, mais avec des effets intrigants, et qui me donne envie de la réécouter.

Igor Stravinski - Huit Miniatures instrumentales, Concertino

Dans le vaste catalogue de Stravinski, voici des pièces assez anecdotiques. On y reconnait les architectures rythmiques fraîches et savamment rebondissantes, les couleurs orchestrales pimpantes et parfois gentiment acides, et on ne s'y ennuie pas, mais ça ne va guère au-delà.

Maurice Ravel - Trois Poèmes de Stéphane Mallarmé

Entre sur scène la mezzo-soprano Nora Gubisch, dont la voix ne me fera pas spécialement effet. L'instrumentation de ces pièces est à la fois minimale et originale (les cordes en bariolage au début de "Soupir" me font rechercher une harpe inexistante). Les textes de Mallarmé vont du clair vers l'opaque. Il est plaisant de découvrir les aspects les plus avant-gardistes de Ravel, même si ces poèmes sont moins renversants que les "Chansons madécasses".

Marc-André Dalbavie - Palimpseste

La belle surprise de ce concert fut cette pièce d'un quart d'heure, qui alterne des matériaux fort différents, où sous des couches post-spectrales (le scintillant du piano-flûte en trilles et en rebonds, une des figure mascotte de Dalbavie ; le pointillisme ou statisme plus morne des cordes ; les échanges et transformations entre ces deux matériaux) se dévoile un madrigal de Gesulado, qui impose une forme en couplet-refrain, et des bouts de mélodies classiques. Une pièce belle, et d'une grande tenue, qui sonne hors-mode.
Je retrouve le CD où j'ai cette oeuvre gravée, et y lit que Dalbavie, du moins au début, écrivait de nouveaux passages pour chaque audition, multipliant ainsi les épaisseurs de son "palimpseste". Je ne sais pas s'il a continué ! Je préfère l'interprétation de ce soir, EIC dirigé par Alain Altinoglu, à celle du disque.

Luciano Berio - Folk Songs

Interpréter des oeuvres écrites spécialement pour Cathy Berberian peut toujours être un défi, que Nora Gubisch ne relève que partiellement, restant plus modeste dans sa manière de chanter ses mélodies, en presque hommage aux chansons populaires, avec le génie de l'instrumentation de Bério. Mais sans être anecdotique, ce n'est pas non plus l'oeuvre la plus marquante de ce compositeur, dont je préfère même le reflet pour alto et bandes magnétiques "Naturale". eic - nora gubisch - alain altinoglu Ailleurs: C.Roch.Notes
Le concert est disponible pour quelques semaines sur ArteLiveWeb, sauf les "Siren Songs", parce que les artistes étaient mécontents de leur interprétation.