jeudi 28 juin 2012

Joshua Redman - Double trio (Cité de la Musique - 17 Juin 2012)

Un saxophoniste, deux batteurs, deux contrebassistes, combien de possibilités ? Bien plus que les configurations présentées ce soir, où on a soit un trio, soit un quintet, mais aucune configuration genre les deux contrebassistes et un batteur ; Joshua Redman, souffleur talentueux, parfois fougueux, souvent joliment lyrique, n'est pas Steve Coleman, et ne cherche pas à être particulièrement original.
En fonction des partenaires choisis pour tel ou tel morceau, les couleurs changent. Matt Penman excelle dans les solos de contrebasse lents, qui prennent le temps de raconter une histoire. Reuben Rogers est plus dans la pulsion. Les batteurs aussi se différencient. Brian Blade apporte des épices par d'incisives explosions. Gregory Hutchinson est plus proche d'une sonorité de batteur Free, sans en avoir la rugosité, le contexte ne le permettrait pas.
Les morceaux sont essentiellement de Redman, mais il conclut par des thèmes plus divers : "Barracuda", qui, explique-t-il, a été popularisé par Wayne Shorter mais n'est pas de lui, puis "Clair de Lune", issu de la sonate de Beethoven, et enfin "The Ocean" de Led Zeppelin, "que seuls les plus jeunes sans doute reconnaîtront". Euh vraiment, Led Zep populaire chez les jeunes d'aujourd'hui ? Bref, des speechs de présentation des morceaux sympathiques mais un peu "vieux professeur" ...
Au final, un bon concert de Jazz, mais rien de révolutionnaire ... joshua redman double trio Spotify: Cette idée de groupe aux éléments permutables a donné en premier lieu l'album Compass, avant les tournées.

jeudi 21 juin 2012

Carte blanche à Clément Himbert (Cité de la Musique - 16 Juin 2012)

Arnold Schoenberg - Verklaerte Nacht

Voici une transcription de la Nuit Transfigurée que je ne connaissais pas : écrite par Eduard Steuermann, elle utilise un trio violon violoncelle et piano. Les élèves du CNSMDP qui la jouent, Jae-Won Lee au violon, Tristan Cornut au violoncelle et François Lambret au piano, ont pris le nom de "Trio Paul Klee". Il me semble que cette transcription distribue facilement les rôles du drame musical : à la femme le violon, à l'homme le violoncelle, et le piano pour le reste. Ce dernier reste d'ailleurs bien en arrière-plan, comme s'il accompagnait un lied. J'aime bien les premiers mouvements, les plus sombres, mais décroche quand l'oeuvre bascule vers son coté clair.

Heitor Villa-Lobos - Fantasia

Le travail de Yedam Kim au piano est phagocité par celui de Clément Himbert au saxophone, qui se lance avec une fougue éclatante de bonheur dans cette fantaisie transcrite, au point que je me demande s'il n'a pas en partie improvisé et rajouté des cadences. En tous cas, il y met une souplesse de tempo et une allégresse dans les mélodies sinueuses qui font pencher cette pièce vers le Jazz.

Michael Nyman - Sharing the Curve

Himbert, qui visiblement mène ce concert, explique que Nyman fait partie de l'école minimaliste et répétitive, et que cette pièce n'utilise que quatre accords. Il y accompagne de son saxophone un quatuor à cordes composé de Mi-Sa Yang et Jae-Won Lee aux violons, Barbara Giepner à l'alto et Tristan Cornut au violoncelle. C'est effectivement minimaliste et répétitif, bref, de la musique qui est intéressante pour illustrer, mais pas vraiment suffisante en elle-même à mon goût. Voici par exemple un clip plaisant, où le plaisir de l'oeil complète celui de l'oreille.

Sylvain Rifflet - Double

Rifflet est un saxophoniste de Jazz. Himbert et lui se rencontrent régulièrement pour créer de la musique ensemble. Ce "Double", pour deux saxophones et dispositif électronique, est en trois parties : dans la première, ils jouent tous deux en parallèle, je n'ai pas bien vu l'intérêt ; dans la deuxième et plus longue, l'un joue au milieu des échos générés par l'autre, cela crée un sentiment d'être dans une immense caverne, c'est fort beau ; la troisième reprend la mélodie de la première, mais avec un délai, comme un canon, ou un tuilage, ce qui donne tout de suite plus de profondeur.

Manoury Verunelli Ferneyhough (Cité de la Musique - 10 Juin 2012)

Philippe Manoury - Stringendo

C'est la création française de ce quatuor à cordes, créé il y a deux ans à Donaueschingen par le même quatuor Arditti que ce soir. Pas d'électronique ni d'informatique, juste les cordes. Elles suffisent pour maintenir agréablement l'attention pendant les 20 minutes. J'y ai surtout aimé des séquences en touches très brèves, comme des faux pizzicatti.

Francesca Verunelli - Unfolding

Dans le livret, la compositrice explique qu'elle veut faire muter un matériel musical jusqu'au danger de le rendre méconnaissable. Mais c'est l'effet inverse que je ressens : je ne reconnais aucune variation significative dans cette soupe de sonorités aiguës, que le dispositif électronique n'éclaire guère, et qui me reste imperméable d'un bout à l'autre.

Brian Ferneyhough - Quatuor à cordes n°6

Comme "Stringendo", ce quatuor a été commandé par les Arditti et créé à Donaueschingen en 2010. Quel bonheur de retrouver la complexité qui me semble si évidente de Ferneyhough ! Je ne comprends rien aux structures mises en oeuvre, mais je ressens les tensions et les détentes, les idées qui éclosent s'épanouissent puis sont remplacées, parfois rapidement, mais en gardant une cohérence dont j'ignore le mécanisme. Ici, les séquences se superposent, au lieu de se succéder séparées par des silences. C'est à en perdre haleine, mais j'y gagne rapidement un effet de second souffle. Ses "Sonates" pour quatuor à cordes ont été une étape importante dans mon amour pour la musique contemporaine, et que presque toute son oeuvre pour quatuor à cordes ne soit que sur des disques épuisés est désolant. quatuor arditti

dimanche 17 juin 2012

Manoury Berio (Cité de la Musique - 9 Juin 2012)

Philippe Manoury - Neptune

Dans le cycle "Sonus ex machina" essentiel dans l'histoire de la musique avec informatique en temps réel, ma pièce préférée est "La Partition du Ciel et de l'Enfer", et celle que j'aime le moins est "Neptune". Question de son, d'abord : deux vibraphones et un marimba, ça ne permet pas la variété de couleurs que possède un orchestre entourant un piano ou une flûte soliste. Bien sur, il y a toute la partie électronique qui permet de varier les effets et les ambiances, et en concert, ça marche mieux que sur CD, à cause de l'ajout spectaculaire de la spatialisation. Mais cet appareillage produit des sons qui vieillissent bien plus vite que n'importe quel instrument réel. Quant à la structure de l'oeuvre, je ne la comprends pas suffisamment pour que sa dramaturgie seule me tienne en haleine. Du coup, la grosse demi-heure est un peu longue ... philippe manoury - neptune

Luciano Berio - Ofanim

Le livret indique qu'il s'agit de la création française de la version de 1997. En voyant entrer la soprano Esti Kenan Ofri et son étrange robe cocon, je me rends compte que j'ai déjà entendu cette oeuvre, lors d'un Festival d'Automne, sans doute en 1992 d'après ce que me dit Internet ; c'était à l'opéra Bastille, et j'y entrais alors pour la première fois.
Si pour Manoury, il n'y avait que trois percussionnistes et de l'informatique, cette fois il y a un EIC plus au complet, et la Maîtrise de Radio-France. Du coup, Susanna Mälkki dirige avec de très grands gestes bien fermes.
De ma première écoute, je me souvenais du chant final de la cantatrice. Mais avant, il y a beaucoup de musique, et qui ne me plait guère : c'est assez répétitif, et surtout ça sature assez souvent, dans un grand mélange d'orchestre, de choeur et d'effets informatiques où on ne reconnait plus grand-chose.
Du coup, je n'entre vraiment que lors de l'entrée du chant soliste ; la cantatrice cette fois y met moins d'effet visuel (la précédente se levait lentement, comme émergeant de la terre, puis se frappait très théâtralement la poitrine), mais ce chant plein de désespoir résonne toujours avec force, un calme après la tempête qui n'apporte aucun réconfort, plutôt une lamentation sur les cadavres laissés par les épisodes précédents. ofanim

lundi 11 juin 2012

Johann Sebastian Bach - Messe en si (Salle Pleyel - 4 Juin 2012)

Voici donc l'un des grands interprètes d'aujourd'hui de la musique sacrée de Bach : Masaaki Suzuki à la tête du Bach Collegium Japan. Le concert obéit à la même esthétique que ses disques : une précision architecturale intransigeante, qui anesthésie quelque peu la vitalité de cette musique. Pas d'exubérance, peu de débordements. Tout est impeccablement à sa place, mais par moments c'est un peu trop clinique (le danger, c'est que ça en devienne stérile ...).
Cette précision se constate principalement, et là avec bonheur, dans la direction du choeur, souverain d'un bout à l'autre. Il n'y a qu'une seule voix, qui module et qui se divise en diverses parties, mais qui reste d'un niveau de qualité et d'une homogénéité absolument sidérante. C'est sur le choeur qu'il faut focaliser son attention, ce que je fais après petite discussion avec Joël à l'entracte, et m'en trouve effectivement bien récompensé. Car les solistes sont eux un peu sacrifiés. Non pas qu'ils soient forcément médiocres, mais ils ne sont en fait qu'à peine présents. Même en duo, une configuration que j'aime tant dans les cantates dirigées par Gardiner, l'émotion ne naît guère des solistes.
Les musiciens ont plus de chance, qui peuvent délivrer de fort jolis solos. Si le prix de la plus belle intervention revient au cor en première partie, et à la flûte dans la seconde (merveilleux Benedictus), tous les pupitres ont des moments de grâce (les trois trompettes et le timbalier me restent le plus en mémoire).
Une très belle prestation, donc, accueillie de manière assez délirante par le public (qui applaudit comme des fous avant l'entracte, obligeant maints retours et saluts du chef !). bach collegium japan - masaaki suzuki Ailleurs : Joël, Palpatine

Manifeste 2012 - Le Voyage (Centre Pompidou - 2 Juin 2012)

Marta Gentilucci - Da una crepa

L'effectif de cette oeuvre est si atypique que je me demande si elle n'a pas été écrite spécialement pour ce soir, qui en requérait un du même type pour la pièce maîtresse : 1 soprano solo, 5 choristes, clarinette, percussions, violoncelle, et électronique en temps réel. La soliste est Amandine Trenc, issue et accompagnée de l'ensemble "Les Cris de Paris", les musiciens viennent principalement de l'EIC.
Le début est curieusement assez modeste, en a-plat presque homophone. Puis les choses prennent de l'ampleur, les voix des choristes se séparent, l'émotion devient plus présente. Pas mal.

Jonathan Harvey - Chant, Three Sketches

Ce sont du coup quatre courtes pièces de Jonathan Harvey pour violoncelle solo, qui nécessitent des réaccordages de l'une à l'autre, ce que Eric-Maria Couturier effectue avec rapidité et précision. Interprétation impeccable, pour des pièces où sous la légèreté on entend toujours une part mystique (ici, la rituelle du chant de cérémonie).

Johannes Maria Staud - Le Voyage

C'est pour cette pièce que j'ai osé retourner dans cette salle au sous-sol du centre Pompidou qu'en fait je n'aime guère, parce que je suis souvent déçu par ce que j'y entends. Staud avait composé une sorte de teaser, appelé "Par Ici !", qui m'avait emballé. Mais la version définitive est assez différente (encore une bande-annonce quelque peu mensongère !). Le texte, interprété, c'est-à dire lu et aussi joué, avec déplacements et mise en scène, par Marcel Bozonnet, prend une place prépondérante. Ca tombe bien, c'est un poème de Baudelaire que j'adore, le seul poème long dont je connaisse de larges parts par coeur. C'est d'ailleurs l'occasion de redécouvrir certains passages oubliés. Autour du texte, les musiciens (trompette, percussions, accordéon, violoncelle), le choeur (les 6 membres des Cris de Paris), et l'électronique, proposent des habillages divers, dont l'adaptation au récit n'est pas toujours évidente. Mais j'aurais préféré une présence plus centrale de la musique, qui aurait pu réciter le texte par évocations à la place du comédien. Là, l'exercice m'a un peu dérouté (mais je ne suis pas habitué aux récitations publiques de texte). bozonnet staud jourdain

jeudi 7 juin 2012

Orchestre de Paris - Ligeti Manoury Mahler (Salle Pleyel - 1 Juin 2012)

György Ligeti - Atmosphères

Il me semble que Ingo Metzmacher privilégie une approche feutrée, on est souvent proche du silence, d'où émergent les surprenantes ambiances successives où les instruments jouent souvent à se déguiser : les cuivres se transforment en machine à vent, les cordes en assemblée de harpes ... Au milieu de la pièce, il y a ce moment si caractéristique de Ligeti mais ici particulièrement démonstratif : l'orchestre s'élève vers l'ultra-aigu, puis cette limite atteinte, la franchit en infra-basse. Plusieurs musiciens retirent alors des protections de leurs oreilles, tant l'aigu était effectivement strident. Malheureusement, la partition teste aussi aux limites les capacités de l'Orchestre de Paris, qui parfois flotte dans un hors-piste peu glorieux, et a du mal avec les longs pianissimos. Et globalement, tout ça reste assez plat.

Philippe Manoury - Echo-Daimonon

C'est le gros morceau du concert : un concerto pour piano, orchestre et électronique en temps réel, en création mondiale. Jean-Frédéric Neuburger s'installe au clavier. Sa partition est virtuose, mais de façon assez conventionnelle ; on y trouve beaucoup de stéréotypes, du genre cavalcades ou martèlements. La pièce est censée raconter une histoire, la lutte entre le pinao réel et quatre pianos fantômes, qui à la fin semblent vaincus, mais ont en fait gagné, comme le prouve le jeu dans les cordes par le pianiste manifestement donc possédé (!) ; mais ça ne marche guère, en fait on s'en fout. Dans ce vaste maelström musical plein de percussions, d'électronique et de pianos multipliés (mais qui reste plus digeste que "On-Iron" que j'avais peu apprécié), mes moments préférés sont purement orchestraux, en particulier une belle polyphonie lente du type orchestre qui s'éveille. A l'inverse, les cadences pianistiques n'offrent guère d'intérêt. manoury neuburger metzmacher

György Ligeti - Lontano

Cette oeuvre peut provoquer des frissons par sa tension, et un sentiment d'angoisse, proche des pages lentes de Bartok. Mais pas ce soir, où cela reste joli, intéressant, alors que ce devrait être tout à fait autre chose. J'ai réécouté des versions CD pour me rassurer : non ce n'a pas vieilli, c'est juste que l'Orchestre de Paris dirigé par Metzmacher n'est pas à la hauteur de l'oeuvre...

Gustav Mahler - Adagio de la Symphonie n°10

Comme le dit guillaume, le plus beau moment de ce concert est sans nul doute la transition sans applaudissements de Lontano à l'Adagio. Un pont temporel qui éblouit par son évidence. Finalement, il devait y avoir une tension de créée, à la fin de Lontano, pour qu'on ressente tant de plaisir à sa résolution au début de l'Adagio. Ici, l'orchestre se trouve mieux. Metzmacher l'exhorte des poings et de tout le corps à exprimer davantage de passion en d'engagement ; en tous cas, c'est comme ça que je traduis sa chorégraphie. Et ça marche plutôt bien.

Ailleurs : Palpatine, Joël, guillaume, Herlin

Peeping Tom - A Louer (Théâtre de la Ville - 29 Mai 2012)

C'est la première fois que je voie cette compagnie, qui d'après des voisines discutant, passait jusqu'ici aux Abbesses. Mais ce spectacle n'aurait pas pu y trouver sa place : le décor, qui en est une part importante, nécessite une grande scène, et un haut plafond. C'est une sorte de hall d'hôtel, avec des fauteuils, des lampadaires, et surtout de grands rideaux rouges, qui cachent des portes, des escaliers, et des mezzanines.
Un majordome asiatique s'y affaire, puis soudain se tord la cheville, vacille, se tord encore plus, et finit par se contorsionner en tous sens, avant de se redresser d'un bond, puis de retomber dans cette danse spectaculairement désarticulée, qui sera l'une des marques de la chorégraphie. Il est bientôt rejoint par la gérante du lieu. Entre eux, il y a plus que des relations de travail, mais quoi exactement n'est pas dit. C'est un des fils directeurs de l'intrigue. Par moment, le majordome se dédouble, ce qui donne des poursuites fantasmatiques où il disparaît par une porte et surgit aussitôt par une autre. Elle semble lasse de son rôle, il est obligé de la pousser : "it's time to start, madam ; it's time to stop, madam ; it's time to continue, madam".
Un autre fil directeur est formé par quelques autres clients, une cantatrice, son mari imprésario, et leur fils qu'elle ne reconnaît pas. Lui ne se dédouble pas vraiment, mais devient soudain vieillard. Entre eux, c'est douloureux, elle a tout donné à son art et se retrouve vide quand la gloire commence à passer, elle voudrait arrêter mais son imprésario la jette à nouveau sur une scène de plus, le fils délaissé finit peut-être par la plaindre, je ne sais plus.
Un autre élément, ce sont des acheteurs qui passent, qui visitent, qui se cachent derrière les meubles, ils ont un coté vaguement rongeurs. C'est peut-être cet aspect d'hôtel à vendre qui donne le nom à la pièce.

Il y a donc de la danse, du chant, du théâtre. Il y a aussi une très forte présence de cinéma, en particulier David Lynch, dans les grands rideaux rouges, et dans la gestion du temps, qu'ils arrivent à figer, à accélérer et ralentir, et même, aidés en cela par des effets sonores très réussis et une maîtrise du corps assez circassienne, à faire repartir en arrière.
La bande son est aussi très originale, des mélanges d'électroniques, de musiques classiques pour cordes, et quelques chansons, pour la cantatrice ou pour son fils au piano.
Un spectacle surprenant, fort, qui laisse des souvenirs. peeping tom - à louer Ailleurs : Danses avec la plume, Théâtrothèque, Maison Bastille.