jeudi 21 février 2013

Grisey Pauset Boulez Manoury (Cité de la Musique - 16 Février 2013)

Gérard Grisey - Modulations

Pour arriver aux 33 musiciens requis, il a fallu gonfler l'EIC de quelques musiciens supplémentaires. Je ne me souvenais que de loin de cette pièce, ce qui me permet de la redécouvrir avec bonheur : le départ pétaradant qui se calme rapidement, les longues dérives harmoniques typiques de la musique spectrale (et ici, certains passages flottent de manière effectivement fantomatique), le silence total au centre (cela, je ne m'en rappelais pas du tout !), et au cours de ce voyage au sein de paysages finalement fort variés, une respiration, profonde, et un apaisement du temps. De la grande musique.

Brice Pauset - Vita Nova (sérénades)

Ah, les textes de Brice Pauset, quel bonheur : "Dans ce nouveau morceau (que je dois encore composer au moment où j'écris ces lignes), un dialogue d'emblée voué à l'échec tentera de s'imposer malgré tout entre un violon soliste déployant ostensiblement un  vaste répertoire d'artifices rhétoriques, et un ensemble conçu comme un choeur de signes vocaux désincarnés." Comprenne qui peut, même si de fait, je retrouve certains éléments. A la violoniste soliste Hae-Sun Kang sont dévolus des traits virtuoses, mais qui tournent à vide, et c'est voulu. En tête de l'orchestre sont placés une mandoline, une guitare et une harpe, ce qui donne idée de la texture. Le début m'énerve, mais finalement Hae-Sun Kang met une telle précision dans son jeu que ça en devient fascinant, et les cadences sont belles, du coup, je finis par aimer ça, et j'en suis tout surpris !

Pierre Boulez - Dérive 1

Si Pierre Boulez avait pu diriger comme prévu, au lieu d'être remplacé par Alejo Pérez, peut-être l'EIC aurait mis plus d'intensité dans cette courte et bien connue partition, où cette fois je goûte plus les mélodies finales, dessinées à travers l'espace par de petites grappilles de notes.

Philippe Manoury - Gesänge-Gedanken

A force d'écrire des opéras, Manoury sait écrire pour les voix, et cette nouvelle oeuvre, en création française, ressemble à un chef d'oeuvre. C'est la cantatrice alto Christina Daletska qui est au centre. Elle chante des extraits de divers opus de Nietzsche, et me semble y mettre de plus en plus d'émotions, à moins que ce ne soit moi qui me laisse envoûter par son chant, pas tonitruant, fragile même par moments, mais habité. Autour d'elle, la musique sait ne pas être trop violente, même quand elle se répète en stridulations rythmiques, et se pare de mystères, de touches d'exotismes, de délicatesses camouflées. Le dernier texte est le "Was spricht die tiefe Mitternacht" déjà utilisé par Mahler pour son chant nocturne de la 3ème symphonie ; et à plusieurs reprises je songe au "Pierrot lunaire", par la variété de l'orchestration et surtout par le travail sur la voix, hallucinée ; et ces comparaisons ne l'écrasent pas !

gesänge-gedanken

Ailleurs : Michèle Tosi, Joël


dimanche 17 février 2013

Philippe Boesmans - Reigen (Conservatoire de Paris - 9 Février 2013)

C'est la première fois que je me rends au Conservatoire de Paris, pour y assister à un spectacle monté par les élèves du CNSMDP. Peut-être parce que le nouveau directeur a renoué avec cette ancienne tradition après une période d'arrêt ; peut-être parce que le spectacle était inclus pour une fois dans le programme de la Cité ; peut-être simplement parce que cette fois l'opéra monté est contemporain !
De Philippe Boesmans, je connaissais déjà Wintermärchen et Yvonne Princesse de Bourgogne. On remonte plus loin dans le temps pour cette adaptation de "La Ronde" d'Arthur Schnitzler : 10 couples successifs se séduisent et se séparent (la prostitué et le soldat, le soldat et la femme de chambre, la femme de chambre et le jeune homme, etc, jusqu'à la cantatrice et le comte, et enfin le comte et la prostituée). Cela donne un casting parfait pour des élèves, puisque sans rôles principaux ou secondaires. Ce sont les femmes qui brillent le plus, particulièrement, pour mon goût, Catherine Trottman ; d'autres préfèrent Laura Holm, mais je n'ai pas aimé la scène "le jeune homme et la jeune femme", ce qui l'handicape. Coté masculin, Romain Dayez fait l'unanimité, malgré une laryngite.
Le décor est unique, mais moins minimaliste qu'on pourrait le croire pour un budget qu'on devine réduit : il délimite un espace sombre et un espace clair, et des éléments de décor, mobilier essentiellement, ainsi qu'une projection sur le mur du fond, suffisent à caractériser les scènes successives. Jolis costumes, des années 20. Mise en scène fluide de Marguerite Borie, qui demande pas mal d'implication des acteurs, les rôles exigeant des déshabillages et beaucoup de contacts physiques ; certains en semblent un peu embarrassés lors de cette première.
Dans la fosse, ce sont aussi des élèves du CNSMDP, dirigés par Tito Ceccherini. Ils ne sont qu'une vingtaine : il s'agit en fait d'une très réussie transcription pour orchestre de chambre, écrite par Fabrizio Cassol (par ailleurs saxophoniste d'Aka Moon, qui intervenait dans Wintermärchen). Ecriture brillante et polymorphe, capable d'épisodes lyriques tonaux, de passages proches du parlé-chanté, ici une parodie de fanfare, là un choeur fantômatique, Boesmans choisissant dans un très vaste éventail stylistique en fonction du climat qu'il veut donner à chaque scène. Du coup, cela devient un langage sans grande identité, et peu mémorable.

reigen

Ailleurs : Musica sola, Bruno Serrou, Joël
Spotify : Reigen en version orchestrale, à laquelle je crois avoir préféré la version de chambre de Cassol.

Tendre et Cruel (Théâtre des Abbesses - 8 Février 2013)

Lorsque j'ai vu cette pièce en 2004 aux Bouffes du Nord, elle s'appelait Tender and Cruel, puisqu'elle était donnée en version originale ; mais l'histoire étant la même, je ne vais pas la répéter. Cette fois-ci, Philippe Djian s'est occupé de la traduction, et Brigitte Jacque-Wajeman de la mise en scène. Je ne sais ce qui revient à l'un ou à l'autre, mais le résultat est que les aspects comiques sont bien plus en avant, au détriment du drame. L'horreur de la guerre incessante menée par le Général, les crimes commis, au nom des états ou pour son plaisir personnel, au lieu de constamment affleurer sous la situation, deviennent des éléments presque gênants, parce qu'ils ne collent pas à l'ambiance proche par moments d'un théâtre de boulevard (le personnage du fils, ridicule ; les trois femmes, pipelettes inconsistantes et insupportables ...) ... Du coup, le spectacle devient peu cohérent, un mélange qui ne prend pas, comme si Martin Crimp avait voulu épicer une comédie boulevardière en y injectant de manière artificielle des éléments dramatiques contemporains, des noyaux durs de réel dans une guimauve hésitant entre le sucré et l'acide.
Dans le rôle d'Amélia, Anne Le Guernec est heureusement formidable, en femme abandonnée mais encore amoureuse, usant de son charme physique, luttant contre la détresse émotionnelle, pleine de failles camouflées par des sourires crispés. Les autres personnages sont quasiment inexistants. Même l'arrivée finale du Général est décevante.

Ailleurs : Fabrice Chêne, Philippe Chevilley

samedi 9 février 2013

Wim Vandekeybus - Oedipus / bêt noir (Théatre de la Ville - 3 Février 2013)

Je range ce billet dans la catégorie "Danse" par habitude, mais je pourrais presque utiliser "Théâtre", tant ce spectacle joue sur ces deux tableaux. Malheureusement, aucun des deux versants n'est totalement convaincant.
Coté théâtre, on a une histoire, celle d'Oedipe, de ses parents, de la lente compréhension de son destin auquel il avait cru échapper, une histoire bien connue dans son déroulé général, moins dans les détails, mais que Vandekeybus nous raconte d'une façon un peu plate : elle n'en devient pas particulièrement passionnante ou touchante. Peut-être trop de sordide pour qu'une empathie s'installe : ça commence par un viol pédophile,  et de manière générale, il y a une atmosphère de sexualité malsaine, sans que rien ne soit vraiment explicite, mais qui m'éloigne des personnages. Le livret indique que Vandekeybus s'intéresse à cette histoire depuis longtemps. Mais pour en dire quoi ? Je 'ai pas compris ce qui là-dedans le passionnait assez pour créer plusieurs spectacles.
Coté danse, on retrouve les courses, les sauts, les chutes spectaculaires, les prises de risque, l'énergie dégagée qui confine à la violence physique. Mais cela devient rapidement répétitif, même si les moments de danse passent d'une sorte de fête populaire triviale, à une évocation d'orgies décadentes, tout finit par un peu se ressembler, et rien ne m'emporte vraiment.
La musique, jouée en direct par quelques musiciens installés en fond de scène, dont certains jouent aussi dans les parties théâtrales, est du gros rock noisy, qui me plait sur le coup, mais ne me laisse guère de souvenirs.
Il y avait souvent dans les spectacles de Vandekeybus des images mentales créées par la scénographie qui me hantaient durablement. Pas cette fois. Le portrait du Sphinx, composé en tissus sur câbles tendus, qui permet à certains danseurs de s'y accrocher et de l'escalader, est très réussi ; les chaussures qui tombent en pluie sur la scène, et que Jocaste fouillera et rangera, en quête d'identification, forment un puissant symbole (mais de quoi, exactement ?). C'est à peu près tout, et c'est bien peu.

Ailleurs : Je suis donc bien plus proche de la déception ressentie par "I love stilletos" que par l'enthousiasme de Géraldine Bretault.

mercredi 6 février 2013

Carte Blanche à Anne Paceo (Péniche Anako - 31 Janver 2013)

Trois mois que je n'avais pas vu Anne Paceo, neuf mois depuis mon dernier passage à la péniche Anako, il était temps d'y retourner ! Alors qu'elle vient de remplir trois soirées d'affilée le Sunside (dont un concert splendide retransmis en partie seulement par Jazz Club), ce soir elle joue devant une dizaine de personnes ... La puissance de buzz de la salle n'est pas vraiment la même ... Elle est accompagnée de son fidèle contrebassiste Joan Eche-Puig, du saxophoniste Fred Borey, et du guitariste Marc-Antoine Perriot.

anne paceo à anako

Comme d'habitude, elle est la seule à ne pas prendre de solo, et ce soir pas une seule composition d'elle ne sera jouée non plus, l'essentiel du programme étant assuré par Fred Borey, encore un saxophoniste au parcours riche mais dont je n'avais jamais entendu parler. Comme je commence à bien connaitre la parfaite entente entre Paceo et Eche-Puig, et comme le guitariste Marc-Antoine Perriot me marque peu (en fait, c'est quand il expérimente, par des sonorités "à coté", ou par un rythme décalé, qu'il me plait le plus ; ses solos "normaux" ne m'accrochent pas), c'est Borey qui concentre mon attention, jeu souple et chaleureux, très agréable sans être trop sucré, et des compositions qui tiennent bien la route, une belle découverte.

anne paceo à anako

Ailleurs : "Jazz sur le Vif" propose un concert du quintet de Frédéric Borey.

lundi 4 février 2013

SWR Vokalenesemble + EIC (Cité de la Musique - 29 Janvier 2013)

Igor Stravinski - Messe

Belle découverte, toute en élégance, précision et charme atemporel, que cette pièce pour choeur, quelques solistes, et dix instruments (hautbois, cor anglais, bassons, trompettes, trombones), qui flotte quelque part entre ars nova et musique sérielle. On y retrouve certaines rythmiques et certaines acidités typiquement stravinskiennes, adoucies et transfigurées par l'age et l'évolution stylistique du compositeur, mais sans en arriver à la transparence un peu trop désincarnée du "Requiem canticles". Beaucoup de spiritualité, mais avec de la matière encore bien présente. J'ajoute cette oeuvre dans ma liste des pièces que j'aime chez Stravinski.

Ondrej Adamek - Kameny

Cette pièce de 30 minutes, en création mondiale, reçoit un excellent accueil du public. Je reste beaucoup plus dubitatif. La musique me semble manquer de consistance et de définition (au sens photographique du terme) : tout reste un peu trop vague et flou. Des effets divers ne donnent pas une ligne. Du coup, le hiatus avec la gravité du sujet (un poème qui oppose un enfant lançant des cailloux dans une rivière, et la lapidation d'une amoureuse de 17 ans) me gène fortement. Et quand la pièce, vers la fin, adopte ce qui ressemble à un air traditionnel kurde, mais pour le rendre sinistre, j'ai une impression de caricature qui passe mal.

George Benjamin - Three Inventions

C'est souvent que George Benjamin chef d'orchestre dirige du George Benjamin compositeur. Quand c'est beau comme ce soir, on ne va pas se plaindre. La première invention est une délicate texture de notes qui peu à peu s'organisent dans un savant tissage ; la lumière, magnifique, douce et sereine, se fait plus vive vers la fin, ce qui permet d'enchaîner avec la deuxième invention, que j'aime moins, elle a quelque-chose de fracturé, une musique en puzzle où les morceaux ne s'accordent pas, se superposent de manière un peu douloureuse. La troisième invention est la plus longue. Deux stands de percussions où dominent grosses caisses et gongs encadrent le reste de l'orchestre et l'assomment régulièrement de sombres et massives résonances. La musique réagit comme elle peut à ces agressions, développent des mélodies, des envolées, des échappées de diverses natures. C'est beau, avec un aspect dramatique très prenant, et émouvant.

Pierre Boulez - Cummings ist der Dichter

Ce morceau, je l'ai sur CD, mais j'étais persuadé de ne guère l'aimer. En concert, c'est bien différent. J'entends moins le choeur (l'ensemble vocal du SWR Stuttgart) et plus l'EIC, qui évolue en terrain conquis. Frisottis des cordes, claquement des harpes, jusqu'au duo de flûtes vers la fin, la pâte boulezienne est bien là. Le travail vocal s'y fusionne avec bonheur et naturel, comme une lourde tapisserie en mur du fond, devant lequel les instruments viennent coller leurs couleurs plus vives et rapides ; certaines voix, en apostrophes chuintantes ou sifflantes, et certains instruments, en notes tenues plus longuement, assurent la cohésion du tout.

george benjamin

Spotify  : Igor Stravinski - MesseGeorge Benjamin - Three inventionsPierre Boulez - Cummings ist der Dichter

Nardy Castellini Quintet - Taking Cuba to the world (L'Improviste - 26 Janvier 2013)

Dans le titre du concert, il y a "Cuba", mais pas que. Et le premier morceau, en commençant par un long duo entre le saxophoniste et son batteur, indique une autre influence majeure : John Coltrane. Nardy Castellini s'inscrit dans cette lignée par son lyrisme fougueux, par moment fiévreux, mais finalement un brin trop sage. C'est incontestablement le chef de la bande, les autres l'entourant, même scéniquement. A la batterie, Raul Hernandez montre dans quelques solos de belles aptitudes à s'approcher du Free, mais garde bien sa place dès que le groupe s'active, où il est complété par Inor Sotolongo aux percussions, principalement aux congas. Rafael Paseiro alterne entre deux fort beaux instruments : une guitare basse (à 6 cordes), et une contrebasse électrique. Cela donne une riche et profonde couche rythmique. Et même le pianiste Dimitris Sevdalis se révèle plus intéressant quand il s'ajoute à cette clique qu'en soliste plus mélodiste, où il est un peu fade. Nardy Castellini assure donc l'essentiel du travail harmonique et mélodique, alternant entre saxophone ténor et saxophone soprano, et si on pourrait aimer un peu plus de folie, il flamboie bellement.

nardy castellini quintet

Spotify : Nardy Castellini - Origenes