dimanche 22 décembre 2013

Gérard Grisey - Espaces acoustiques (Cité de la Musique - 14 Décembre 2013)

Les 6 mouvements de ces Espaces acoustiques, qui s'amplifient du solo au grand orchestre, sont séparés en deux parties : l'EIC est seul en scène pour les trois premiers mouvements, puis les élèves du CNSMDP les rejoignent pour les trois suivants.
Grégoire Simon entame le "Prologue" pour alto seul en le découpant en tranches successives, avec des sonorités très différenciées. N'empêche : 17 minutes, c'est long.
"Périodes", pour sept musiciens, est déjà plus prenant, avec une délicatesse de quatuor à cordes augmenté (par un trio flûte clarinette trombone).
"Partiels", pour 18 musiciens, est un mouvement que j'ai eu l'impression de redécouvrir. Dès les grondements initiaux de contrebasse qui se prolongent dans les aigus des violons et flûtes, ce sont des gestes orchestraux qui balaient tout le spectre harmonique, et tout le spectre des couleurs orchestrales. Vers le milieu, le passage en tout-aigu est extraordinaire de brillance. Pascal Rophé, remplaçant mais connaisseur émérite, mène cela parfaitement. L'humour final, avec le non-coup de cymbale théâtralisé, aura sans doute du mal à vieillir ...
Après l'entracte, "Modulations", "Transitoires" et "Epilogue" nous plongent dans un grand orchestre, où tout flotte, tout se transforme et transmute, tout se déplace et se délite pour se reconstruire autrement. J'ai du mal à rester en écoute attentive, happé par le flux et reflux vers des rives oniriques. Plus que les quatre cors, c'est le retour de l'alto, cette fois-ci celui d'Odile Auboin, reprenant le thème initial mais avec plus d'allant et suscitant plus de plaisir, qui refocalise mon écoute.
Un bien beau concert, avant la trêve des confiseurs.

Ailleurs : Michèle Tosi, et une analyse de Partiels via Zvezdo.

mardi 17 décembre 2013

Intégrale des Sequenze de Luciano Berio (Cité de la Musique - 8 Décembre 2013)

Entre 4 et 5 heures de soli successifs, joués par des élèves de Conservatoire ? Quel pari ! Et brillamment relevé. Je ne vais pas faire un compte-rendu détaillé de chaque Sequenza, mais me focaliser sur certaines prestations.

Le voyage commence dans la Grande Salle, avec une ambiance de concert normal (sauf que les enchaînements sont plus rapides que d'habitude, il y a du monde à entendre derrière ...). Début extraordinaire par la Sequenza VI pour alto : Marion Plard n'insiste pas sur la violence du continuo (je me souviens de Christophe Desjardins arrachant le crin par poignées de son archet malmené), mais sur la beauté des passages plus mélodiques, qu'elle joue avec une plénitude de sonorité et une chaleur qui me plaisent énormément. Pour une fois, j'entends sous la Sequenza VIIa pour hautbois jouée par Thomas Hutchinson la note continue jouée au violon en coulisse (la pièce sera redite en fin de parcours, avec support de deux chanteuses : ce sera encore plus beau). Par contre, le piano résonant pour la Sequenza X pour trompette me semble toujours anecdotique. Laura Holm choisit une interprétation fort différente de celle de Cathy Berberian : la voie d'une tragédienne, intense et puissante, plus émotionnelle qu'extravagante. C'est magnifique. Samuel Bricault sera le premier à jouer sans partition, la Sequenza I pour flûte, sobre et lumineux. Cette courte pièce sera suivie de la plus longue, la Sequenza XII pour basson, jouée par Pascal Gallois, seul dédicataire et créateur présent sur place.

On passe ensuite dans la Rue Musicale. Les musiciens précèdent leur pièce d'improvisation en guise d'appel, le temps que les spectateurs convergent de stand en stand. La première pièce est le seul non-solo du cycle : la Sequenza IX, déclinée en version pour clarinette et saxophone, jouée par Raphaël Sévère et Hiroe Yasui ; de cette pièce donnée trois fois, ce sera ma version préférée, la plus enjouée par les effets d'échos et de tuilages du duo. Jessica Jiang commencera sa Sequenza I (elle aussi sans partition) au bord de la librairie, avant d'y entrer en nous y entraînant, Hamelin style, jusqu'aux portes du Musée, où nous sommes divisés en deux groupes.

L'ambiance dans le Musée de la Musique est plus intime, et intimidante, avec les élèves cernés par les instruments d'époque. Je me souviens surtout des dernières pièces, la Sequenza VIII pour violon, au classicisme magnifié par Malika Yessetova, et la ténébreuse et pourtant virevoltante version pour contrebasse de la Sequenza XIVb par Florentin Ginot.

Au final, un immense bravo et merci pour ces élèves déjà si doués et investis, et à la Cité pour la promenade et l'organisation.

la troupe des sequenza

Ailleurs : Michèle Tosi
Spotify : Une version EIC incomplète, et une version intégrale diverse.

mardi 10 décembre 2013

Chostakovitch - Gergiev / 14 et 5 (Salle Pleyel - 2 Décembre 2013)

Dmitri Chostakovitch - Symphonie n° 14

Symphonie de chambre par son effectif de petit orchestre à cordes accompagné de percussions, proche du cycle de lied orchestraux par sa structure en onze parties portées chacune par un poème chanté, et chef d'oeuvre par son émotion intense, mortifère, arrachant de douloureuses beautés aux portes du silence et du néant.
Les poèmes choisis, internationaux d'origine et tous traduits en russe, du Federico Garcia Lorca, Guillaume Apollinaire, Wilhelm Küchelbecker ou Rainer Maria Rilke, ne parlent pas de petits oiseaux chantant dans les arbres, mais d'un sujet quasi unique : la mort. Pour les interpréter, on alterne entre la soprano Veronika Djoeva, excellente, et la basse Mikhail Petrenko, extraordinaire de présence vocale et de puissance émotionnelle ; sa performance est par moment sidérante, et globalement exceptionnelle.
La musique flirte mainte fois avec le silence, où ne frémit qu'un violon transi, s'offre des bouffées de colère qui ne peuvent que retomber face à l'inéluctable, des rythmes macabres au xylophone, des fantaisies dodécaphoniques, mais qui laissent de la grande et belle beauté classique aux lignes vocales. C'est de la musique qui saisit l'âme et le coeur, et qui secoue, si on accepte de l'être ; une suite à la hauteur de la 13ème symphonie "Babi Yar".

symphonie n° 14 de chostakovitch

Dmitri Chostakovitch - Symphonie n° 5

Je retombe sur du terrain connu. Valery Gergiev et l'Orchestre du Théâtre Mariinsky sont ici chez eux.
Le premier mouvement commence impeccable de tension et de puissance, avec quelque-chose de bourbeux qui convient bien ; puis Gergiev accélère, à peine une pause pour une marche ironique, et accélère de nouveau, ça en devient furieux et pétaradant. L'orchestre tient le choc, la musique aussi, finalement. Parmi les solistes, je préfère les vents aux cordes,
Très bon deuxième mouvement, entre petite mécanique précise, et exquises mignardises de couleurs orchestrales. J'admire particulièrement la harpiste, donc chaque intervention, souvent en duo, est d'une parfaite mise en place rythmique qui nourrit l'émotion du moment.
La suite m'accroche moins. Et la fin me déçoit un peu. Oui, ce triomphe est laid, sans gloire, sans même vraiment d'esbroufe, plutôt de pacotille, mais j'y attends aussi une mise à mort, un cri humain de supplicié, que je n'entends pas ici. Tant pis.

Ailleurs : Didier van Moere, qui a la mauvaise idée d'inclure en auto-démarrage la vidéo du concert disponible sur CitéDeLaMusiqueLive.

lundi 9 décembre 2013

Kudryavtsev Lambla / Olympe Trio (La Guillotine - 1er Décembre 2013)

Vladimir Kudryavtsev, Pierre Lambla

Je découvre ces deux musiciens, qui ont expliquent-ils décidé de rejouer ensemble après une trêve de quelques années. Le contrebassiste Vladimir Kudryavtsev est minimaliste et minéral, lyrique et lunaire. Le saxophoniste Pierre Lambla est un peu plus intense, mais moins original. Leur musique est à la fois de paysage et narrative. J'y entends l'océan, le vent et la montagne. Cela sonne comme écrit, et non improvisé, mais je ne sais pas ce qu'il en est vraiment. J'aimerai bien en réentendre, plus longuement peut-être même que cette grosse demi-heure !

kudryavtsev lambla

Olympe Trio

J'étais déjà venu à la Guillotine il y a quelques années pour y entendre cette formaion, mais n'avais eu droit qu'à une prestation, sans doute assez rare cela dit, d'un Olympe Duo. Cette fois, Alexandra Grimal est bien là, encadrée de Sylvain Cathala et de Stéphane Payen. Là, la musique est entièrement improvisée, même si les années d'habitude leur permettent de retrouver instantanément des marques communes. Ce n'est pas du dialogue, c'est de la fusion. Et ce, sur plusieurs modes possibles : par l'harmonie par exemple, avec les trois saxophones jouant en continu dans la même faible épaisseur et travaillant dans le son lui-même ; mais je préfère les travaux plus rythmiques, extraordinaires de complexité instantanée, où chacun part dans son propre flux, mais ceux-ci se conjuguant avec un swing peu commun, proche du M-Base de Coleman, et j'adore ça ! Par moment, l'un ou l'autre se tait, on passe en duo, et la complexité reste de même nature et niveau. Les trois jouent des rôles similaires, sans leadership ni fonction particulière dévolue. Impressionnant et enthousiasmant. Le set dure une bonne heure, ce qui laisse le temps à la chaleur soufflée à l'entracte par un radiateur trop bruyant pour rester en marche pendant la musique de s'évaporer en bonne partie. (voir Grimal dans une salle glaciale, pas une nouveauté ...)

trio olympe